Chapitre 55 - Interrogatoire

— Si vous le voulez bien, nous aimerions vous poser quelques questions sur votre agression, me propose un des deux gendarmes, le plus âgé des deux, qui doit avoir la cinquantaine je pense.

Évidemment, j'accepte. N'ayant pas trop le choix d'ailleurs.

— Quand vos collègues vous ont retrouvé, vous aviez une plaie par balle au niveau du ventre et une autre femme gisait à côté de vous, vous la connaissez ?

J'acquiesce de la tête au début de sa phrase avec un petit sourire au coin de la bouche. Cela me fait rire qu'il parle de « collègue » pour évoquer Matthew et Alexia. Ils sont tellement bien plus...Mais cela ne semble pas contrarier mon interlocuteur qui poursuis ses questions. Par contre, la seconde partie me rappelant que j'ai passé de longues minutes à côté du corps sans vie de Daphné réveille un profond dégout en moi. Je sentirais presque encore l'odeur métallique de son sang.

— Pourriez-vous nous dire précisément comment vous la connaissiez ?

— C'était la sœur d'un ancien collègue du boulot. Je l'ai croisé quelques fois.

À vrai dire, j'ai dû mal à être précise dans mes réponses. Je me sens toujours très fatiguée et repenser à ce moment qui semble pour moi avoir lieu hier me retourne l'estomac.

— Et vous aviez eu des problèmes avec elle ? renchérît le plus jeune cette fois, qui ne doit d'ailleurs pas être beaucoup âgé que moi.

— Pas spécialement, mais elle m'a avoué que c'était elle qui me harcelait depuis des mois car j'étais en couple avec l'homme qu'elle aimait.

Le plus jeune des enquêteurs prend des notes, tandis que l'autre m'observe comme le ferait un adversaire au casino, sûrement pour essayer de voir sur mon visage une marque d'un quelconque mensonge. Le problème, c'est que malheureusement je dis bien la vérité ; même si ma vie ressemble plus à un film qu'à la réalité. Et dieu seul sait combien j'aurais préféré que ce que je lui raconte soit un mensonge.

— L'enquête a démontré qu'elle vous avait d'abord tiré dessus avant de retourner son arme contre elle. Savez-vous pourquoi elle a fait ça ?

— Pas vraiment... lui avoué-je les larmes aux yeux en repensant à son visage froid quand elle a appuyé sur la détente.

Et c'est vrai. Ce jour-là, je me souviens que ses propos me semblaient incohérents. Je ne comprenais pas pourquoi elle voulait tant ma mort.

— Était-ce à cause de vous qu'elle s'est donnée la mort ? m'accuse soudainement le plus jeune, sans que je ne sache comment une telle idée peut lui venir à l'esprit.

À cet instant, je souhaite lui répondre pour me défendre, lui dire que je n'y suis pour rien, mais le fait de repenser à la scène d'horreur à laquelle j'ai assisté me provoque un profond sentiment d'angoisse. Mon cœur commence à s'accélérer et mes membres se tétaniser. Le bruit de la machine qui mesure mes battements cardiaques s'accélère. Le plus âgé des gendarmes actionne immédiatement l'alarme pour appeler le personnel soignant, mais entendant l'agitation qui se profilait dans la chambre, mes deux amies débarquent dans cette dernière, paniquée. Immédiatement, Alexia s'en prend aux deux gendarmes pour leur demander ce qu'il s'est passé, et leur récit ne manque pas de l'énerver :

— Donc là vous avez une femme qui a porté plainte pour harcèlement, vous n'avez rien fait. Même pas une enquête, rien. Puis elle se fait tirer dessus par sa harceleuse. Et tout ce que vous trouvez à dire c'est lui demander si c'est à cause d'elle qu'elle s'est suicidée ?

Cependant, les gendarmes n'ont pas le temps de lui répondre qu'un groupe d'infirmières accompagnées de plusieurs médecins entrent dans la pièce en courant, les font sortir avec mes amies, leur annonçant que je fais "simplement" une crise d'angoisse, que tout ira bien pour moi. C'est ainsi qu'un produit est injecté dans la perfusion, et que je m'endors sans pouvoir lutter, prise d'un sentiment de sérénité immédiat.

***

Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux, je me sens beaucoup mieux. Plus légère. De plus, je sens que je suis moins faible que je ne l'étais tout à l'heure.

Les yeux désormais ouverts, c'est aussitôt que le docteur Jones se précipite vers moi lorsqu'il s'en aperçoit. Il n'a donc pas d'autres patients à aller voir ?

— Que m'est-il encore arrivé ? le questionné-je, étant la seule personne présente dans ma chambre.

Je me demande bien où sont Alexia et Lou, d'ailleurs.

— Vous avez fait une crise d'angoisse Elyssa. C'est normal après tout ce que vous avez vécu. Je n'aurais pas dû laisser entrer ces gendarmes, j'aurais dû vous laisser vous reposer encore un peu, je suis désolé...

Constatant qu'il se sent réellement coupable de ma réaction, je change de sujet :

— Vous restez au chevet de tous vos patients ?

Il sourit.

— Vous savez, nous avons eu beaucoup de mal à vous sauver. Vous êtes entrée à l'hôpital dans un état vraiment critique, vous n'aviez presque aucune chance de survie, c'est pourquoi nous avons dû vous plonger dans un coma artificiel. Beaucoup de mes collègues m'ont dit que vous alliez mourir, mais moi j'étais persuadé que non. Vous avez reçu une balle dans l'abdomen, pourtant aucun organe vital n'a été touché, ce qui est presque impossible. Et vos amis ont littéralement payé l'hôpital pour que vous soyez toujours en présence soit d'un proche ou d'un médecin, alors me voilà.

Reconnaissante de ce qu'il a fait pour moi, je lui murmure un vague merci. Mais je n'ai pas le temps de plus m'étendre en remerciement que Lou revient dans la pièce. Le docteur s'éclipse alors pour nous laisser seules et elle s'assoit à mon chevet. La savoir près de moi m'avait beaucoup manqué...

— Quand es-tu arrivée ? lui demandé-je, sachant qu'elle est énormément prise par son travail d'avocate.

— Dès le lendemain de ton admission ici. Je suis tellement désolée de ne pas avoir été là pour toi ces derniers temps. Alexia m'a tout expliqué sur ces menaces, pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ?

Je baisse les yeux. C'est vrai que j'aurais dû lui en parler...

Percevant mon embarras et le fait que je n'ai plus trop envie de parler de toute cette histoire, elle change de sujet :

— En tout cas, tu as trouvé une super amie ici, j'en serais presque jalouse, me taquine-t-elle en évoquant Alexia.

— Ah oui ? Vous avez beaucoup discuté ?

— Tu sais, nous sommes relayés chaque jour pour être auprès de toi, alors nous avons eu le temps de bien apprendre à nous connaître...

— Je suis contente que tu aies pu la rencontrer, elle est géniale, m'exclamé-je en serrant sa main, contente que mes deux meilleures amies s'entendent.

— —J'ai cru comprendre... rie-t-elle.

Et nous explore de rire toutes les deux. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point elle m'avait manqué. Cependant, un détail retient mon attention. Depuis le départ elle évite la question, mais elle ne m'a toujours pas dit comment elle avait su ce qu'il m'était arrivé. Elle qui a toujours tendance, quand quelque chose de grave arrive, à raconter de nombreuses fois l'histoire dans ses moindres détails. C'est pourquoi je l'interroge :

— Qui t'a dit ce qu'il m'était arrivé ?

Ne s'attendant sûrement pas à cette question, son visage change. C'est après un instant d'hésitation, comme si le sujet était à éviter, qu'elle finit par lâcher :

— Matthew...

Constatant son embarras, je comprends que quelque chose cloche vraiment, et cela m'échappe :

— Je peux savoir ce qu'il se passe avec Matthew, et pourquoi il a décidé de partir en voyage alors que j'ai failli mourir ? m'énervé-je à tel point que mon rythme cardiaque s'accélère une nouvelle fois.

Cependant, je ne me laisse cette fois-ci pas transcender par l'angoisse et mon rythme redevient normal. Cela n'empêche pas Lou de couper court à la discussion :

— Elyssa, ce n'est pas le moment. Il faut que tu te concentres sur toi là, nous en parlerons plus tard !

Pourquoi les gens utilisent tous cette phrase « nous parlerons plus tard » avant de dire quelque chose de grave, comme si me l'annoncer plus tard sera plus facile.

— Non Lou, tu ne peux pas me dire ça ! Je vois bien que quelque chose cloche avec Matthew. Lui est-il arrivé quelque chose ? m'inquiété-je immédiatement, la peur me glaçant le sang.

— Non il va bien, tente-t-elle de me rassurer.

Cependant cela ne me rassure absolument pas.

— Alors quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? insisté-je.

Me connaissant, et voyant que je ne compte pas lâcher l'affaire avant de savoir ce qu'il se passe, mon amie se lève et se dirige vers son sac à main vert qu'elle a posé sur la chaise près de l'entrée duquel elle en sort une enveloppe. Lorsqu'elle s'approche de moi, elle ne peut s'empêcher de me prévenir :

— Si Alexia sait que je te l'ai donné alors que ça ne fait même pas vingt-quatre heures que tu es réveillée, sache qu'elle me tuerait. Elle voulait attendre ta sortie de l'hôpital !

— Je ne comprends pas, qu'est-ce que c'est ? l'interrogé-je quand elle me tend cette petite enveloppe postale à mon nom.

Les yeux baissés, elle me répond, d'une voix presque inaudible, comme si elle avait peur de ma réaction :

— Je ne sais pas Elyssa. Si tu avais vu son visage ce jour-là quand il est arrivé à l'hôpital après qu'Alexia et lui t'aient trouvé, la peur était figée sur son visage. Elle m'a raconté que quand elle l'avait croisé dans le couloir de l'entreprise sans toi, tandis que tu lui avais dit que tu lui rejoignais, lui qui ne t'avait envoyé aucun message, il a tout de suite compris qu'il t'était arrivé quelque chose. Et, pendant toute la première semaine où tu as été admise ici, chaque jour, chaque nuit il était là à te tenir la main, te coiffer les cheveux. Il passait son temps à te parler. Puis un jour tandis que j'étais avec Alexia il est arrivé et nous a donné cette lettre avec ton nom dessus. Son visage était différent des autres jours, comme s'il était fermé. La seule chose qu'il nous a dit ce jour-là c'est de te donner cette lettre. Depuis nous ne l'avons plus vu. Alexia a juste appris au travail qu'il était parti en voyage.

Choquée, bouleversée, inquiète, et me doutant un peu de la réponse, je lui demande malgré tout, la voix tremblante :

— Vous l'avez lu ?

Les larmes commencent à se former aux coins de mes yeux, me mettant à l'imagier les pires scénarios. Que t'est-il passé par la tête Matthew ?

— Non, ce n'était pas notre rôle. Mais au vu de son attitude, si tu veux mon avis, cela n'augure rien de bon. Je suis désolée, Elyssa.

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