Chapitre 34 - Le retour du harceleur
— Tu sais, j'étais vraiment un homme mauvais, il y a quelques temps.
— Parce que tu ne l'es plus ? me moqué-je pour détendre l'atmosphère.
Mais je sens bien que lui ne rigole pas.
Après avoir forcé Matthew à manger dans ce café, bu un litre d'eau et l'avoir laissé décuver quatre bonnes heures, nous étions revenus dans la voiture et cela faisait déjà dix minutes que nous roulions. Matthew avait soufflé dans un éthylotest pour être sûr de pouvoir conduire et son taux était redevenu normal.
— Je suis sérieux Elyssa. Je m'auto-détruisais, et surtout je détruisais tout ce qui se trouvait sur mon passage. J'enchainais les soirées, je buvais à outrance, je cumulais les conquêtes sans lendemain. J'étais en train de devenir riche, de monter mon propre business, ma propre entreprise, mais moralement j'étais à terre. Je me plongeais dans le travail autant que je pouvais et le reste du temps je cherchais à oublier.
— Et qu'est-ce qui a changé ? Je veux dire pourquoi as-tu changé ? Car tu n'étais plus comme ça quand je t'ai connu, constaté-je.
En effet, il m'a toujours dit qu'il avait changé avant que je ne sois embauchée mais je n'ai jamais su pourquoi.
— Il y a un peu plus d'un an maintenant j'ai commencé à essayer d'être moins exécrable avec mon entourage, j'ai décidé d'aller voir ma mère autant que je le pouvais alors qu'auparavant je ne la voyais que très peu. Puis tu es arrivée, et c'est stupide mais c'est tomber amoureux de toi qui a été le déclic pour que j'ai envie de devenir un meilleur homme. J'ai même commencé à financer des instituts de recherche sur l'Alzheimer, alors qu'avant je ne participais qu'à quelques galas de charité. Je sais que cela ne la sauvera pas elle, mais je me répète que cela pourra peut-être plus tard bénéficier à d'autres, et cela me console un peu.
Pourtant même s'il prétend aller mieux, il est toujours dévasté quand il va la voir. C'est ainsi que je l'encourage à ne plus voiler ses émotions, peut-être qu'en ne les refoulant plus, il ira mieux :
— Tu sais, tu as le droit d'être triste en allant la voir. Cela ne fait pas de toi un homme faible.
— Je sais, mais quelquefois elle est tellement "normale", puis des jours comme aujourd'hui elle est complètement à l'ouest. Parfois c'est comme si elle était bloquée dans le passé. Regarde encore aujourd'hui, elle est tombée et j'ai dû signer un papier attestant que j'acceptais qu'elle soit attachée dans son fauteuil roulant pour qu'elle ne tombe pas.
J'avoue moi-même avoir été choquée qu'elle soit attachée de cette manière. On se serait cru dans un hôpital psychiatrique ou dans les chambres des prisonniers dans les hôpitaux. Le pire c'est que je me doute bien que c'est l'unique solution pour la protéger, mais je ne peux imaginer ce qu'il ressent en voyant sa mère attachée de la sorte. Je pense qu'à sa place je deviendrais folle.
— Je suis désolée... finis-je par souffler, ne sachant pas quoi dire d'autre.
Il faut dire que je n'ai jamais été douée pour réconforter les gens ou même trouver les mots justes dans ce genre de situation.
— Ne le sois pas, me rassure-t-il.
Mais avant que je ne puisse rajouter quoi que ce soit, Matthew m'interpelle :
— Elyssa ?!
— Oui ?
— Nous sommes arrivés devant chez toi, m'annonce-t-il.
— Oh déjà ?! m'exclamé-je en détachant ma ceinture. Je n'ai pas vu le temps passer.
Garés devant la porte de mon appartement, j'empoigne donc mon sac à main et me mets à ouvrir la portière de la voiture. Mais, c'est là que je remarque qu'il ne coupe pas le contact. Il ne compte donc pas passer la nuit avec moi, songé-je. Ainsi, comme s'il lisait dans mes pensées, il se justifie :
— Je suis désolé, je ne peux pas rester avec toi ce soir, il faut que je repasse au boulot avant de rentrer.
Oh, il est déjà presque vingt et une heure, me rends-je compte en regardant ma montre. En effet, entre le détour pour aller voir la mère de Matthew après ce rendez-vous déjà tardif, puis le repas, le café, et les embouteillages sur le retour, la journée s'est écoulée d'un seul coup.
— Qui a dit que je comptais t'inviter à passer la nuit ici ? le taquiné-je pour ne pas montrer ma déception de le quitter si tôt.
— Je sais que tu en meurs d'envie, déclare-t-il sûr de lui, retrouvant son arrogance passée.
— Peut-être, dis-je en lui adressant un baiser furtif avant de sortir du véhicule.
— Ou pas, rajouté-je en claquant la porte pour piquer son égo.
Comme je m'en doutais, il s'empresse de me crier « diablesse », avant que la porte ne claque contre le métal de sa voiture noir. Toute souriante, je monte alors les quelques marches qui me séparent de la porte de mon logement.
C'est ainsi que j'enfonce la clé dans la serrure, ouvre ma porte, me retourne rapidement pour voir la voiture de Matthew s'en aller vers Clayton Corporation puis allume la lumière. Cependant, lorsque la petite ampoule qui éclaire dans l'entrée illumine la pièce, je déchante. Une lettre couleur rouge sang m'attend sur le pas de ma porte. Pas encore ?!
Avant même de l'ouvrir, je sais déjà ce qu'elle contient, comme toutes les autres avant elle. Ce sont les mains tremblantes que je déchire l'enveloppe pour y attraper le mot qui s'y cache, comme à chaque fois. Cette fois-ci il est écrit « je crois que tu n'as pas bien compris ce que je t'ai dit ». Encore une menace. Une de plus. Et elles sont de plus en plus rapprochées, constaté-je.
Paniquée, je sors alors mon portable de ma poche, portable que je n'ai pas consulté depuis que je suis allée rejoindre Matthew dans la chambre de sa mère, et je découvre un nombre incalculable de notification que ce soit sur les réseaux sociaux ou d'appels manqués d'Alexia. Je ne prends même pas la peine de lire, et l'appelle directement. Mais cela n'augure rien de bon. Elle décroche immédiatement :
— Putain Elyssa, enfin tu décroches ce foutu téléphone. Qu'est-ce qu'il s'est passé bordel ?
— Désolé j'étais avec Matthew, je t'expliquerai, ne t'inquiète pas, tenté-je de la rassurer après ne pas avoir donné signe de vie de la journée.
— Tu n'as pas vu les infos ? comprend-elle, sentant que je n'ai pas l'air révoltée.
— Je viens de rentrer Alexia, non je n'ai pas vu les infos, qu'est-ce qu'il y a ? Tu me fais peur !
Mon cœur commence alors à s'accélérer, m'attendant au pire.
— Les journalistes savent pour la mère de Clayton, il y a même des images de lui sortant les larmes aux yeux ce matin. Des images qui ont été prises de loin, je pense que vous n'avez pas dû les voir.
— Quoi ?! Mais c'est impossible ! En plus, il ne veut surtout pas que l'on sache pour sa mère, l'informé-je, soucieuse de savoir dans quel état il va de nouveau se trouver en apprenant la nouvelle.
— Je sais, j'ai bien compris ce que tu m'as brièvement expliqué. Mais ce n'est pas ça le pire...
Ah, parce que ce n'était pas ça le pire ? Mon cœur recommence à battre plus fort et je retiens ma respiration.
— Comment ça ? lui demandé-je alors même si je ne suis pas certaine de vouloir connaitre la réponse.
— Un des journalistes a publié un article qui s'intitule : « Abandonner sa mère folle dans un Ehpad : est-ce cela être riche ? »
— Quoi ?! Mais comment est-ce possible de dire des choses pareilles ? Il va tellement s'en vouloir quand il va lire cet article, et être tellement en colère.
Je l'imagine déjà coller son poing dans le mur le plus proche ou fondre secrètement en larme à son bureau. Mon cœur se serre à cette pensée.
— Attends, tu n'es pas avec lui, là ? comprend mon amie.
— Non, il devait retourner au boulot pour des dossiers je crois. Mais Alexia, comment ils ont pu savoir pour sa mère ? Et comment savoir que nous y serions cet après-midi ? Tu étais la seule personne autre que Matthew et moi à le savoir.
— Elyssa, je te promets que ce n'est pas moi. Je n'aurais jamais fait ça ! se justifie-t-elle comme si je l'accusais de meurtre.
— Je le sais bien, la rassuré-je. Je ne doute absolument pas de toi !
Et c'est vrai. Je lui fais entièrement confiance. Je sais qu'elle ne me ferait jamais ça. Je sais qu'elle ne me trahirait pas
— Alors qui ? Tu penses à quelqu'un ? m'interroge-t-elle, comme si j'avais eu le temps de mener mon enquête depuis hier.
Cependant, il est vrai que mes soupçons se portent depuis un moment sur la même personne...
— Disons que j'ai toujours la même personne en tête... lui réponds-je donc, perplexe.
— Tu parles de l'harceleur ?
— Qui d'autre veux-tu que ce soit ? Surtout que j'ai reçu une nouvelle menace ce soir... lui avoué-je la lettre rouge posée devant moi.
— Encore ? Cela ne va vraiment jamais s'arrêter...
— Pas tant que je ne saurais pas qui c'est.
Comprenant qu'une idée me trotte dans la tête, mon amie me questionne, inquiète :
— Que comptes-tu faire ?
— Je ne sais pas encore, mais il faut que j'agisse. Cette histoire ne peut plus durer et je refuse de vivre dans la peur.
— Fais attention à toi s'il-te-plaît, Elyssa...
— Je te le promets, la rassuré-je.
Mais en réalité, je ne peux pas savoir ce qu'il va se passer. Tout ce que je sais, c'est que je ne compte pas m'arrêter tant que je ne l'aurais pas démasqué.
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