Chapitre 31 - Maman

Devant moi, je découvre une dame d'un certain âge, ridée, bossue, que la vie ne semble pas avoir épargnée. Ses cheveux sont gris et son sourire est las dans son fauteuil roulant. Mais ce qui me choque le plus est qu'elle est attachée par des sangles au niveau de ses cuisses et de son bassin. Tout à coup, je suis emprise d'empathie pour cette dame, mais également pour Matthew. Comment est-il possible d'attacher une personne comme un vulgaire animal ? Néanmoins, je n'ai pas le temps de m'attarder sur elle, car après m'avoir observée de la tête aux pieds, elle se tourne vers Matthew, furieuse :

— Brandon ! Regarde-moi ! Me trompes-tu avec cette femme ? s'exclame-t-elle, furieuse.

Je me retourne donc brusquement vers Matthew, incrédule. Qui est Brandon ? Et pourquoi pense-t-elle que son fils la trompe avec moi ? Cependant Matthew, à son attitude, ne semble pas étonné, il ne me lance qu'un rapide regard gêné avant de s'agenouiller devant sa mère.

— Maman, dit-il en lui caressant délicatement la joue. C'est moi, c'est Matthew. Ce n'est pas papa.

Elle secoue alors la tête, semble assimiler ce qu'elle vient d'entendre, et revenir à elle.

— Oh ! Je suis désolée mon chéri, je ne sais pas ce qu'il m'arrive. Tu ressembles tellement à ton père, aussi.

— Ne t'inquiète pas maman, ce n'est rien, la rassure-t-il, les larmes aux yeux.

J'ai tellement mal au cœur pour Matthew à cet instant. Sa mère ne semble même plus savoir qui il est, lui qui tente tant bien que mal de prendre soin d'elle. Comment la maladie peut-elle à ce point changer les gens au point de ne plus reconnaitre leur propre fils ? Je suis incapable de comprendre ce qu'elle doit ressentir elle, mais aussi Matthew d'oublier tous les moments qu'elle a pu vivre mais surtout qui sont ses proches, pourtant, je suis prise d'une énorme empathie pour eux. Je comprends désormais ce que voulait dire Matthew quand il disait qu'il me comprenait. Sa mère n'est pas décédée comme mes parents, mais celle qui l'a élevé n'est plus vraiment là non plus. Cependant, intriguée par ma présence, elle reprend :

— Mais alors, qui est cette femme ? Tu viens toujours me voir seul d'habitude...

C'est ainsi que je vois Matthew reprendre ses esprits, et un sourire franc s'afficher sur son visage avant de prendre la parole :

— Maman, je te présente Elyssa, la femme que j'aime.

Oh !

Je m'attendais à tout sauf à ça. En venant ici, je pensais seulement soutenir Matthew dans ce moment, pas rencontrer officiellement sa mère. Surtout qu'en prononçant cette phrase, il assume pour la première fois ses sentiments envers moi. Le rouge me monte donc aux joues avant que je ne tende la main vers elle :

— Enchantée de vous rencontrer, Madame.

— Elle est très jolie, mon fils, le félicite-t-elle, comme le ferait une mère « normale » ce qui me désarçonne.

Il y a cinq minutes elle ne reconnaissait pas son fils et pourtant maintenant elle est totalement lucide. Comment est-ce possible d'oublier qui nous sommes et qui nous avons pu être, puis l'instant d'après de se comporter comme si cette discussion n'avait pas eu lieu.

Néanmoins, à peine me suis-je fait cette réflexion qu'elle me prend la main, les larmes aux yeux avant de me supplier, oubliant la présence de son fils :

— S'il vous plait, aidez-moi à rentrer chez moi...

Perdue, ne comprenant pas pourquoi elle me dit ça à moi ni pourquoi elle me demande de l'aider à rentrer chez elle, je me tourne vers Matthew, gêné, sa main passant encore et encore dans sa crinière brune avant de secouer la tête, son visage se fermant, et de s'assoir sur le lit à côté de sa mère prenant un ton autoritaire :

— Maman, nous en avons déjà parlé des milliers de fois. C'est ici chez toi maintenant.

— Mais j'ai une maison ! s'entête-t-elle, frustré que Matthew ne l'aide pas.

Je comprends à la voix de Matthew et à la réaction de sa mère qu'il a dû l'emmener dans ce lieu, pour que l'on prenne soin d'elle, contre son gré mais qu'elle ne souhaite qu'une chose, rentrer, dans sa maison. Je n'imagine même pas comment il doit se sentir, l'emmener ici pour qu'elle soit en bonne santé mais la rendre malheureuse par la même occasion. Ce sentiment de culpabilité qui doit le poursuivre chaque jour de savoir qu'elle n'est pas heureuse ici. Mais que peut-il faire d'autre ? Je n'ai pas besoin de passer plusieurs heures avec celle-ci pour voir qu'elle n'est pas en capacité de vivre seule.

— Mais tu ne pouvais plus rester seule... Tu as mis le feu à une poêle, tu es tombée des dizaines de fois. Souviens-toi combien de fois les pompiers ont dû venir pour toi. C'est ici ta maison car c'est ici que tu es en sécurité, plaide-t-il, ne sachant plus comment la convaincre.

Néanmoins, elle ne peut pas se souvenir je le vois bien. Et lui ne sait plus comment l'aider. Je la vois alors se renfermer sur elle-même et Matthew rajoute, tentant une dernière fois de lui faire savoir ses bonnes intentions :

— Maman... J'essaie juste de faire ce qui est le meilleur pour toi, lui murmure-t-il.

— Alors quitte cette pièce, je ne veux plus te voir. Pas tant que tu ne me laisseras pas rentrer chez moi.

— Maman...geint-il comme s'il était redevenu un petit garçon qui suppliait sa mère de céder à ses caprices.

Cependant, c'est un échec. Constatant que ses paroles ne servent à rien, Matthew sors de la pièce à grande enjambées, sans même m'attendre ou m'inviter à le suivre. La tête baissée, j'ai bien vu que ses larmes manquaient de s'échapper de ses paupières et qu'il se refusait de craquer ici, devant sa mère et devant moi. Désireuse de faire quelque chose pour lui qui semble si désemparé par cette situation, je rajoute en direction de sa maman, espérant que ma phrase l'apaise :

— Il vous aime, vous savez, lui dis-je en lui serrant la main.

Néanmoins, elle ne me répond pas. C'est à peine si elle m'adresse un regard et je vois bien qu'elle est ailleurs. Ainsi, à contrecœur, je la laisse là et sors également de chambre, parcours le chemin inverse dans l'établissement, pensant recroiser Matthew. Mais le connaissant, il a dû se dépêcher de sortir d'ici.

Lorsque j'entre finalement dans la voiture, il est bien là et déjà en train de siroter un whisky. Ou plutôt devrais dire "avaler" car il le prend d'une traite. Ce qui me choque le plus est qu'il ne m'adresse même pas un regard. Néanmoins, quand la voiture démarre enfin, il lâche finalement :

— Désolé que tu aies assistée à cette scène, tu n'aurais pas dû être là.

Et il reprend alors un verre de whisky qu'il boit cul sec comme le précédent. Je vois Peter jeter un coup d'œil dans son rétroviseur comme pour s'assurer que tout va bien, mais tout ne va pas bien. Il ne va pas bien.

— Donc nous n'allons pas en parler ? lui demandé-je un poil énervé qu'il tente de faire comme si rien ne s'était passé, comme s'il n'était pas dévasté.

— Non, me répond-il sèchement en se reprenant un verre.

Il compte en prendre combien comme ça ? Dix ? Suffisamment pour finir ivre mort ?

— Et tu penses que te bourrer la gueule est une solution ? m'emporté-je, outrée qu'il réagisse de manière si immature.

Je peux comprendre qu'il soit contrarié, triste, blessé, ou plus généralement qu'il ait du mal à gérer ses émotions, mais boire n'est absolument pas une solution. Il va oublier quelques heures sa souffrance mais quand il aura décuvé elle réapparaitra comme une claque dans la figure avec en supplément une énorme gueule de boit. Mais, comme à son habitude, il refuse de m'écouter :

— ELYSSA, LAISSE-MOI ! m'hurle-t-il alors en se servant un nouveau verre.

Il semble si mal. Il souffre, je le vois. Je ne peux pas le laisser comme ça. C'est pourquoi, sans réfléchir, alors qu'il allait porter ce nouveau verre à ses lèvres, je le lui arrache des mains, ouvre la fenêtre et le balance par la fenêtre sous ses yeux ébahis.

— Sais-tu au moins le prix de ce whisky ? grogne-t-il en me lançant un regard assassin.

— Je m'en fou ! crié-je. Et oses en reprendre un, et c'est la bouteille que je balance cette fois !

À ces mots, j'aperçois une étincelle de défi dans ses yeux, et je déteste immédiatement cela. Ne voit-il donc pas que j'essaie juste de l'aider ? Ne voit-il donc pas que je ne joue plus ? C'est là que je réalise que si je veux faire en sorte que cette après-midi ne se termine pas aussi mal qu'elle a commencé, ce n'est pas juste en jetant son verre par la fenêtre que je vais y parvenir. Mais j'ai tout à coup une idée :

— Peter, arrête-toi s'il-te-plait, lui demandé-je poliment, avec une pointe autoritaire dans la voix malgré tout.

Il lance alors un regard vers son patron pour savoir s'il doit m'écouter, puis croise mon regard noir et s'arrête enfin.

Je passe alors au-dessus de Matthew dans la voiture pour ouvrir sa portière, et l'invite à sortir. Voyant que je ne compte pas céder, il enlève sa ceinture et sors de la voiture.

— Que comptes-tu faire maintenant, me demande-t-il amusé, maintenant que nous sommes tous les deux sortis du véhicule.

À vrai dire, je n'ai tellement pas réfléchi à mon acte que je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. Je sors donc ce qu'il me passe par la tête :

— Nous allons manger, boire un café, ce que tu veux ! Mais tu ne retournes pas travailler dans cet état !

— Je n'ai pas besoin que tu te comportes comme une mère avec moi, Elyssa. Dégage de là, et laisse-moi tranquille. Tu sais quoi ? Je ne t'aime même pas. Je ne sais même pas pourquoi j'ai dit cela.

Mon cœur se serre. Je sais très bien qu'il ne pense pas ce qu'il est en train de me dire. Pourtant, ses paroles produisent son effet et je me sens blessée. Peter avait raison, quand un évènement touche sa mère, il redevient l'homme qu'il était quand je suis arrivée, méchant, froid, arrogant. L'homme que j'ai d'abord détesté avant d'apprendre à le connaitre et de voir le cœur sensible qui vivait sous cette carapace de pierre. Néanmoins, même si je peux concevoir qu'il soit triste, contrarié, énervé, je ne mérite pas qu'il me parle comme ça et me blesse volontairement. Ainsi, cette fois-ci, je ne cherche plus à le convaincre de se comporter comme un homme mature, mais le laisse là, espérant un électrochoc de sa part :

— Je vais manger, peut-être un jour comprendras-tu que t'autodétruire et rejeter les gens qui t'aiment ne t'aidera pas à avancer.

Et je le plante là, sur le trottoir, devant un fast-food dans lequel je m'empresse de rentrer sous son regard interrogateur, persuadé que je vais me retourner. Mais je ne le fais pas. Et, quand je tourne discrètement la tête à l'entrée du restaurant, il n'est plus sur le trottoir. Sûrement a-t-il dû retourner dans le véhicule ou Peter l'attend, songé-je.

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