Chapitre 26 - Quand la mort frappe à la porte
— Quoi ? Mais non ! Vous devez vous tromper, je vais l'appeler vous verrez qu'il va bien ! m'affolé-je en essayant désespérément de retrouver où j'ai pu poser de foutu téléphone.
— Madame, calmez-vous, compatis l'homme en tenue d'officier, passant un bras autour de mes épaules tentant de me diriger vers le salon, pour que je puisse m'asseoir.
Cependant, je le repousse. Il est hors de question que cet inconnu pose ses mains sur moi :
— Lâchez-moi ! Je vous dis que je vais bien ! hurlé-je en me débattant.
Vaincu, il retire son bras, mais reprend son monologue :
— Madame, je sais que cette annonce est très difficile, mais nous sommes sûrs que c'est lui !
— C'est faux ! Je vous dis que vous vous trompez ! continué-je de lui crier en faisant les cent pas dans le salon, essayant tant bien que mal de me calmer.
— Regardez... me lance-t-il finalement à contrecœur en mettant sous mes yeux une photo sur son téléphone.
Mon cœur s'arrêta immédiatement et la nausée me gagna. Je reconnaitrais cette voiture entre mille. La vieille Ford K bleu de mon frère est encastrée dans un arbre, la portière complètement arrachée, sûrement pour tenter de le désincarcérer, et du sang repose sur l'Airbag côté conducteur. Sur la photo prise à l'avant du véhicule, je lis distinctement sa plaque d'immatriculation : BE233YN. Ce n'est pas possible. Il y a forcément une explication !
— C'est bien la voiture de votre frère ? insiste le gendarme tandis que je me creuse la tête pour essayer de comprendre ce qui a bien pu se passer.
C'est impossible, ce ne peut pas être lui.
C'est pourquoi, dans un énième moment de déni, je tente de me persuader :
— Quelqu'un a dû la lui voler ! Je suis sûre que c'est ça ! Ce ne peut être que ça !
Mais le policier brise tous mes espoirs :
— Nous sommes sûrs que c'est lui. Je suis désolée...
Cependant, je ne l'écoute plus. Je suis incapable d'entendre ça. Pas lui, ce n'est pas possible. Je sens ma poitrine se déchirer comme si mon cœur perdait une partie d'elle-même. Sans même m'en rendre compte, je me mets à hurler, sans pouvoir m'arrêter tandis que le policier tente tant bien que mal de me calmer. Mais c'est impossible, je viens de perdre mon frère, le dernier membre de ma famille. Personne ne peut me calmer, personne ne peut plus rien faire pour moi. J'ai perdu la seule personne qui me permettait encore de sourire à la vie.
***
— Elyssa ?!
— Elyssa, réveille-toi !
Hein ? Pourquoi devrais-je me réveiller ? C'est quoi cette voix ? Pourquoi me secoue-t-on ?
— Elyssa, par pitié, réveille-toi !
Matthew ?
Je reconnais cette voix, c'est Matthew ! Mais qu'est-ce qu'il fait là ?
Cependant, une seconde plus tard, à force d'être secouée, j'ouvre péniblement les yeux, le corps transpirant et le souffle court.
— Putain Elyssa, tu m'as fait super peur, qu'est-ce qu'il t'arrive ? s'inquiète Matthew que je perçois à peine dans la pénombre, posant délicatement sa main sur mon bras, me signifiant qu'il est là pour moi.
C'est à cet instant que je réalise ce qu'il vient de se passer. J'ai hurlé dans mon sommeil alors que j'étais avec lui.
— Je suis désolée, m'excusé-je platement, ne sachant quoi dire d'autre, les larmes commençant à rouler sur mes joues.
Honteuse qu'il m'ait vu dans cet état, moi qui prends toujours l'attitude d'une femme forte, je m'enfuis en courant dans la salle de bain. Ce cauchemar, c'était la première fois que je le faisais depuis la mort de Jason. Jamais, avant aujourd'hui, je n'avais réussi à me souvenir de ce qu'il s'était passé après l'arrivée des policiers. Je me réveillais toujours avant. J'ai même vu un psychologue il y a deux mois pour ça. Il m'avait bien dit que je refoulais ce souvenir mais je ne pensais pas m'en rappeler un jour ; et encore moins cette nuit, tandis que Matthew est avec moi. Complètement désorientée, je n'entends même pas Matthew arriver derrière la porte. J'avais même oublié qu'il était là...
— Elyssa, tu vas bien ? me demande-il timidement, toquant délicatement à la porte, comme s'il craignait ma réaction.
— Oui, ne t'inquiète pas, va te recoucher, je suis désolée, tenté-je de le rassurer, toujours embarrassée qu'il m'ait vu dans cet était
Pourquoi ce soir, bordel ? me répété-je. J'aurais pu passer la nuit dans ses bras. Pour une fois, depuis des années que je me sens bien avec un homme, il a fallu que je gâche tout ce soir. Je vais passer pour quoi maintenant ? La fille fragile qui fait des cauchemars la nuit ? Je n'avais vraiment pas besoin de ça !
— Je sais que ça ne va pas, se désole-t-il contre la porte, espérant sûrement que je lui ouvre.
Cependant, je ne le peux pas. Il m'est inimaginable qu'il me voit dans cet état. Il en a déjà beaucoup trop vu ce soir. C'est pourquoi j'hausse le ton, tentant d'être convaincante et espérant qu'il me laissera là, seule, avec tous mes problèmes et mes peurs.
— Par pitié, laisse-moi ! J'ai déjà beaucoup trop honte...
— Honte de quoi ? me questionne-t-il, pas décidé à quitter l'embrasure de ma porte.
— Ne m'oblige pas à te répondre, tu le sais très bien...
Un long moment de silence s'en suit. Je pensais même qu'il était parti se recoucher ou qu'il s'était endormi contre la porte, sûrement agenouillé comme moi contre cette dernière. Mais il reprend :
— C'est ton frère c'est ça ?
Au fond de moi, j'aimerais tellement pouvoir lui répondre, pouvoir me confier. Mais ce qu'il ne sait pas c'est que depuis sa mort, je suis incapable d'entendre son prénom, d'entendre le mot « frère » et même pire, de sentir son parfum. À chaque fois une profonde angoisse s'empare de moi, des larmes naissent aux coins de mes paupières et une boule se forme dans ma gorge si bien que je suis privée de prononcer la moindre parole. Mais Matthew ne désespère pas. En réalité, je me demande même pourquoi il insiste tant pour être là pour moi, je ne le connais que depuis quelques semaines et même si notre relation est naissante, il ne me doit rien.
— Tu peux m'en parler tu sais ! essaie-t-il de me convaincre.
— Tu ne peux pas comprendre, tu n'as pas perdu quelqu'un.
Persuadée que j'ai lâché mon meilleur argument, celui qui le fera plier et le résignera à me laisser seule dans la tristesse que représente mon existence, je sursaute presque quand il m'avoue :
— Je n'ai peut-être pas perdu quelqu'un comme toi, mais mon père nous a abandonné, et ma mère .... c'est comme si elle aussi était partie, d'une certaine manière...
Au début, je pense égoïstement qu'il me dit ça pour se rapprocher de moi. Puis, je réalise qu'à la voix tremblante qu'il a arboré, il ne pouvait pas mentir, pas comme ça, pas sur un tel sujet. Nous ne sommes peut-être pas si différents finalement. Lui aussi ne semble pas avoir eu une vie facile, et même sans connaître les détails, je le sens. Je sens que ça lui a coûté de me prononcer cette phrase, lui qui apprête un grand soin à paraitre froid et insensible. Ainsi, je me redresse, essuie mes larmes d'un revers de la main et déverrouille la porte de la salle de bain. Immédiatement il se relève, lui qui a dû trouver le temps long debout depuis ces longues minutes, mais je ne lui laisse pas prendre la parole et l'interroge :
— Pourquoi tu dis ça ? Je veux dire, à propos de ta mère ? le questionné-je doucement, pour ne pas le brusquer, quand il entre dans la pièce.
Néanmoins, il chasse ma question d'un revers de la main :
— Ce n'est pas le moment, je t'expliquerais plus tard.
— Mais... balbutié-je, curieuse d'en connaitre moi aussi plus sur cet homme mystérieux qui occupe mes pensées depuis plusieurs semaines désormais.
Cependant, malgré mes plaintes, il ne lâche pas :
— C'est toi qui as besoin de parler maintenant, pas moi.
— Matthew ... soufflé-je, vaincue.
— Je ne veux pas te forcer, mais regarde dans quel état tu es, peut-être que ça te ferait du bien d'en parler ...
Je sais qu'il a raison et je sens à sa voix qu'il est sincère mais il ne comprend pas, je ne suis pas du genre à m'étaler sur mes sentiments. C'est plutôt même le contraire. Comment veut-il que je lui raconte pourquoi je suis dans cet état ce soir ? Je ne saurais même pas par où commencer.
— Merci de me rappeler que je fais actuellement pitié, lui lancé-je sarcastique, jouant sur l'humour pour me défaire des discussions dans lesquelles je ne souhaite pas m'étendre.
Comprenant alors que je suis fermée à la discussion, il objecte :
— D'accord, tu ne veux pas en parler. Mais retourne te coucher alors, il est encore tôt.
Il se relève alors, et tandis qu'il n'est assis auprès de moi que depuis quelques minutes, il s'apprête à tourner les talons quand je rajoute :
— Ce n'est pas ça, je n'en ai juste jamais parlé à personne. Enfin, à personne d'autre que ma meilleure amie Lou. Et c'est très dur à raconter, pour moi, me justifié-je pour qu'il ne parte pas.
C'est peut-être stupide, mais maintenant qu'il est là, je n'ai plus envie qu'il parte. J'ai besoin qu'il reste auprès de moi ce soir, uniquement ce soir.
— Comme je te l'ai dit, c'est comme tu le sens, mais je suis là si tu as besoin.
Je rigolerais presque à cette phrase en repensant à l'attitude de l'homme qu'il était quand je l'ai connu. À cet époque, il m'aurait vu pleurer et cela l'aurait fait rire, j'en suis persuadée. Que lui est-il arrivé ? Mais, touchée par sa tendresse et sa volonté d'être là pour moi, je prends une grande inspiration et commence à lui parler, tandis que je m'en croyais incapable :
— Je rêve toujours du soir où j'ai appris la mort de mon frère. Chaque nuit ou presque, cela recommence. Je m'étais presque habituée à faire ce rêve, car je rêvais toujours du même moment. Mais depuis que je suis ici, les rêves sont de plus en plus précis, et ce soir je me suis souvenue d'un moment que j'avais complètement effacé de ma mémoire. C'était la première fois que je faisais ce cauchemar.
— Tu veux me raconter ? me propose-t-il, posant délicatement sa paume chaude sur la mienne.
Et, contre toute attente, je lui raconte mon cauchemar, sur le sol même du carrelage froid de la salle de bain, chacun dans notre plus simple tenue. Je lui raconte donc, d'une certaine manière également, comment j'ai appris la mort de mon frère, chose dont je n'aurais jamais pensé être en capacité de faire. J'étais presque incapable de prononcer son nom il y a encore quelques semaines. Et puis, sérieusement, qui aurait cru il y a quelques semaines de cela, que je serais en train de me confier à mon patron, aux aurores qui plus est, après avoir eu un rencard et une soirée torride avec lui ?
Il faut croire que la même vie qui m'a pris des êtres si chers à mon cœur, vient de placer sur mon chemin un homme qui est en train de panser mes blessures. Ce soir-là, j'ai eu la sensation d'avoir quitté la tristesse pour me tourner un peu plus vers la joie. C'est à cet instant que je réalisai vraiment que si la mort de mon frère a failli me tuer avec lui, l'amour de cet homme qui prend un peu plus de place dans mon existence chaque jour était en train de me sauver.
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