Chapitre 11 - La bonne question
Cartman avait gardé un calme olympien face aux garçons. Il était tout ce qu'il y a de plus « normal » si on se réfère à son attitude des derniers jours avec Kyle. Il continuait à lui parler et à le faire rire, tout en ne manquant aucun regard porté furtivement sur Stan. Kenny et Stan étaient plus inquiets que jamais. Le gros se comportait comme si rien ne s'était passé alors qu'il venait de massacrer Stan du regard et que leurs intentions à tous étaient dévoilées.
- Y'a que Kyle qui a pas encore compris.
- Au moins, maintenant on sait qu'il va te niquer à toi aussi maintenant.
- Merci, ça me remonte vachement le moral.
- J'pense qu'il faut pas trop s'inquiéter pour Kyle...
- Comment tu peux dire ça ?
- Il veut le garder pour lui. Il veut pas lui faire peur. Alors il va garder son masque de gentil pour l'instant.
Kenny a peut-être raison. Du coup, c'est Stan qui est dans une merde colossale. Quoiqu'il arrive, à un moment, l'autre se vengera de lui. Il espère qu'il va préserver Kyle encore un peu mais en ce qui le concerne lui... Stan sait qu'il est au contraire un gros poids dans la course de Cartman et un problème conséquent dans sa relation malsaine avec Kyle. Le brun se prend la tête dans les mains.
Cette fois, il en est sûr. Chaque jour qui passe est de pire en pire... Il n'imagine pas demain et les jours suivants.
Cartman a raccompagné Kyle avec une extrême gentillesse en essayant de le faire se dévoiler à propos de son entretien avec Stan. Mais le roux n'a rien dit. Uniquement des mensonges. Toujours des mensonges.
Ils se sont embrassés et Cartman n'en savait rien. Rien que d'imaginer Kyle embrassant Stan, son ventre se tord.
*Ce putain de jeu de la bouteille. Si j'avais été là, ils n'auraient pas pu me mentir. Tous des connards. Et Kyle le premier. *
Cartman sait que c'est par peur qu'il se moque d'eux et leur fasse un sale coup qu'il n'a pas été mis au courant. Mais ça l'énerve malgré tout. Et le fait d'être aussi affecté par cette histoire, il n'aime pas ça. Il se souvient les avoir trouvés beaucoup trop proches dans les toilettes. Et cette vision ne lui plaît pas non plus.
*Être aussi mal à cause d'un baiser avec un pote juste pour un jeu, c'est pas normal. Ou alors c'est juste un truc de tarlouzes. *
Cartman se sent trahi. Et sa haine pour le juif tambourine dans sa tête. Il n'arrive même pas à imaginer que ces deux-là puissent ressentir quoique ce soit d'autre que de l'amitié. Rien qu'à l'idée que ce soit possible, une rage folle le submerge. Mais il sait ce qu'il a vu. Ses sens et sa perspicacité ne le trompent jamais et c'est cette réalité qui le consume. Cette scène où son juif était bien trop proche d'un autre mec à laquelle il assisté le démange. « Perdre Stan ». Cartman comprend le double sens de cette phrase maintenant. Il sait qu'il y avait une raison à cette peur. En repensant à leur attitudes étranges et distantes, tout s'explique. Il imagine bien les doutes qui habitent les deux garçons. Que va-t-il se passer maintenant ? Est-ce que Kyle serait réellement... amoureux de Stan ? Est-ce que ça serait partagé ? Son sang bouillonne un peu plus à chaque avancée dans ses pensées. A chaque fois qu'il pose ses yeux sur le juif en train de marcher à ses côtes, en train de lui parler comme si de rien était, il a envie de le démolir sur place.
Le pire c'est que Kyle ne cache même plus ses émotions. Il est devenu transparent face à Cartman. Comme s'il avait pris confiance. Une confiance stupide et irréfléchie, complètement influencée par son mal-être profond. Car Cartman, tout gros con qu'il est, a été le seul à lui redonner un sourire réel et ne pas le ménager avec des mensonges. Alors de là, cette confiance injustifiée et dangereuse qu'il n'aurait jamais eue en temps normal, est née. Et il est réellement le dernier d'entre eux à savoir la vérité. S'il n'avait pas des cernes de 3 km de long, il aurait sûrement eu la clairvoyance de comprendre ce qui se passe. De comprendre également plus rapidement ce que Stan avait voulu lui faire comprendre. Il a toujours été au-dessus de la moyenne de ses camarades intellectuellement mais face à la fatigue, tout être humain devient égal dans sa faiblesse.
Bizarrement, le roux s'en veut de quelque chose. Il est mal à l'aise face à Cartman et à sa gentillesse persistante. Sa tête lui lance violemment, comme mitraillée par trop d'informations. Il passe ses doigts sur ses tempes, essayant de remettre de l'ordre dans son esprit. Mais il remarque cependant l'expression contrariée de Cartman qui tourne et retourne en boucle dans sa tête tout ce qu'il en entendu derrière la porte. Il se pince les lèvres, contenant temporairement ses émotions négatives.
- Cartman, qu'est-ce qu'il y a ?
- R-rien, Kyle. Pourquoi cette question ?
- Je suis peut-être à l'ouest mais je suis pas aveugle... Je vois très bien que ça va pas.
- Je te dis que ça va. Tout va très bien, dit le brun en essayant de rester calme.
Kyle voit que Cartman maintient son regard loin de lui.
*C'est à cause de ce qu'il s'est passé dans les toilettes. C'est certain. *
Kyle force Cartman à le regarder dans les yeux en se plantant juste devant lui, manquant de le faire le percuter.
- Cartman, j'sais pas ce qui se passe dans ta tête de gros lard, mais j'veux que tu saches que ça changera rien entre nous.
Le gros reste perplexe.
- J'sais pas pourquoi mais je sais que c'qu'il y a eu avec Stan, ça te...
- Ça me quoi ? se moque Cartman en relevant un sourcil.
- ... J'veux juste que tu saches que j'veux que ça reste comme ça entre nous. Peu importe comment ma relation avec Stan évolue, j'aime bien ces moments qu'on passe ensemble maintenant.
Les joues de Cartman rosissent légèrement. Il relève le menton en essayant de camoufler sa gêne.
- Ça c'est parce que t'as besoin de moi, juif, dit-il avec un air fier.
Le roux rigole.
- Tu préfères vraiment comment on était avant ?
Cartman reste interdit face à sa question. Son sourire narquois s'efface et il ouvre la bouche sans savoir quoi répondre. Ces mots le frappent de plein fouet. Préfère-t'il vraiment ce qu'ils vivaient avant ? Une relation peuplée d'insultes, haineuse, dénuée de toute sorte d'affection, de tout sourire les yeux dans les yeux, de toute apport bénéfique l'un envers l'autre ? Une relation où cette sensation nouvelle de bien-être face au sourire de Kyle n'existerait pas ? Où il se saurait n'être qu'une merde dans la vie du juif ? Où il ne serait qu'un objet de haine ? Avant, c'était son plaisir quotidien depuis qu'ils étaient jeune. Mais aujourd'hui, est-ce que les sensations nouvelles que lui font ressentir le jeune garçon lui plaisent davantage ?
Il s'est découvert un pouvoir plus grand. Celui de créer également du bonheur et il a senti que ce bonheur lui est agréable à lui aussi. Plus il rend Kyle heureux, plus il sent son cœur se réchauffer. Est-ce qu'il aimerait vraiment, lui, Éric Théodore Cartman, devenir quelqu'un d'important dans la vie de Kyle Broflovski ? Il lui semblait pourtant depuis toujours que la haine et les larmes de Kyle étaient les seules choses qui lui apportaient du plaisir... A-t-il changé à ce point ? Se pourrait-il que ses sentiments envers Kyle aient pu évoluer en même temps que lui ?
« Sentiments ». Ce mot qui lui évoque la faiblesse et qui pour lui, fait référence aux lopettes. Et pourtant, des sentiments positifs, des sensations douces, c'est bien ce qu'il ressent ces derniers jours aux côtés de Kyle. Et ça, il ne peut pas le nier. Il discerne trop bien le mensonge chez les autres pour se mentir encore à lui-même. Et puis, ce n'est pas parce qu'il a ces nouveaux sentiments, qu'il ne garde pas le contrôle de ses actes. Et cette idée le rassure.
Alors, à la question du roux qui en a appelé mille autres, Cartman ne peut que répondre par un long silence. Un silence, perdu dans le regard émeraude du juif. Ce regard qu'il n'avait jamais vraiment pris le temps de contempler auparavant. Ce regard qui fait battre son cœur plus rapidement en cet instant. Comment n'a-t-il pas pu voir à quel point il avait des yeux magnifiques, à quel point il avait un beau visage et des traits si parfaits ? Et ces boucles soyeuses qui caressent sa peau claire... Pourrait-il caresser lui aussi ce doux visage ?
L'esprit de Cartman est vaporeux, son esprit se trouble. Que lui arrive-t-il ? Qu'est-ce qui lui prend d'avoir toutes ces pensées malsaines sur Kyle ?! D'avoir ces envies ! Cartman détache son regard de celui du juif, comme s'il venait de sortir d'un rêve étrange et s'éclaircit la voix.
- Je... j'vais y aller. J'vais pas te raccompagner jusqu'à chez toi non plus j'suis pas ta mère, dit-il sèchement.
Kyle fronce légèrement les sourcils, déconcerté par la réponse du gros. A peine a-t-il prononcé ces mots que Cartman s'en veut instantanément.
*Quel con, mais pourquoi j'ai dit ça... *
Kyle baisse les yeux et s'apprête à reprendre le chemin jusqu'à chez lui, seul. Et sans réponse. Réponse qui était importante pour lui mais apparemment pas pour Cartman.
*Comment est-ce que j'ai pu croire que j'pourrai avoir une bonne relation avec Cartman... En plus, il a rien dit pour pas me vexer. Ça reste encore sympa de sa part... J'dois vraiment avoir l'air con. *
La déception est visible dans les yeux de Kyle. Et Cartman ne manque pas de la voir. Il ouvre la bouche sans savoir quoi dire et le retient par le bras. En fait, si. Il sait parfaitement ce qu'il pourrait dire. Et ce qu'il aurait voulu dire s'il n'y avait pas ce con de Stan. Stan, avant lui. Le cœur serré, il referme la bouche et se contente de fixer Kyle. Son cœur est lourd mais il ne laisse rien paraitre. Mais si son juif à l'air malheureux, cette fois, c'est à cause de lui. Et ça, il ne le veut pas. Pas maintenant. Peu importe les raisons réelles, il sait juste qu'à cet instant précis il n'aime pas ce qu'il a dit et l'effet que ça a causé sur lui.
- A moins que tu me laisses te buter.
- Hein ?
- J'ai toujours pas digéré la moto dans la gueule. Il faudra au moins te buter une bonne centaine de fois avant de te pardonner ça.
Kyle secoue la tête, un sourire en coin.
- Si tu réponds à ma question, je te laisserai PEUT-ETRE me buter.
- Hm, tu fais pas beaucoup d'effort, Kyle.
- Alors tant pis, j'rentre seul, dit-il en haussant les épaules pour provoquer sa réaction.
Il se retourne pour partir mais Cartman resserre la main autour de son bras.
- Tu me DOIS une mort, juif !
- Et toi une réponse, gros lard !
Voyant la nouvelle expression troublée de Cartman, Kyle se pince les lèvres pour se retenir de sourire. Il le trouve vraiment différent et étrange depuis qu'il est gentil avec lui. Il ne reconnaît plus du tout le Cartman d'il y a encore une semaine. Et ça lui plaît.
- Disons que ce changement ne me dérange pas, aussi étrange que cela puisse paraître étant donné que tu es juif ET roux.
Kyle lève un sourcil amusé.
- « Ne te déranges pas » ?
- Exactement, ne me dérange pas. Bien allons-y si tu veux bien, nous avons une affaire à régler.
Kyle acquiesce avec un grand sourire. Il sait que derrière sa réponse floue et froide tout est dit. Il connaît Cartman. Il sait que les simples mots qu'il a dits ont été un effort immense qu'il n'aurait jamais cru possible de lui faire sortir auparavant. Le roux est ravi pour ça. Il y croit finalement. Il croit dans le cœur tendre de Cartman. Il est devenu si violent avec les années, verbalement et physiquement. Jamais il n'aurait cru possible que lui, son ennemi juif, voit sa part de bonté aujourd'hui parmi toute cette noirceur croissante. Qu'est-ce qu'il est arrivé à Cartman ?
Ce soir-là, ils jouent pendant des heures. S'insultant, riant et se taquinant comme des amis de toujours qu'ils auraient pu être. Oubliant cette journée, le baiser, le stress et les problèmes qui gravitent autour d'eux.
Kyle en oublie également son téléphone. Il aura reçu 10 messages de Stan. Toutes les choses que Stan regrettera de ne jamais lui avoir dit en face, quand il était encore temps. 10 précieux messages que Kyle ne verra jamais. Cette tendre vérité à laquelle il ne répondra jamais. Car durant l'instant où il s'en va aux toilettes, il laisse son téléphone posé au sol, à côté de Cartman.
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