Rendu d'écriture semaine 5 : Le monde parallèle
- Mademoiselle Jenkins ?
Quelques fins rayons de soleil filtrent à travers mes longs cils et je plisse les yeux, éblouie par cette soudaine clarté.
Mrs Johnson, ma professeure de biologie s'est totalement désintéressée de sa "courte explication" qui dure déjà depuis plus d'une vingtaine de minutes pour m'empêcher de faire la sieste.
Il me semble pourtant être parfaitement en accord avec son cours sur les insectes vecteurs... Après tout, les mouches tsé-tsé transmettent bien la maladie du sommeil, je ne fais qu'essayer d'en reproduire les symptômes...
- Avez-vous quelque chose à redire à mon organisation, mademoiselle Jenkins ? me demande-t-elle tandis que son visage se teinte de nuances rougeâtres désagréables pour l'œil.
Visiblement, ma bouche a dû parler plus vite que mon esprit, encore une fois. Malgré le fort désintérêt que je porte aux cours de biologie, je déteste énerver les gens. Les voir avec cette expression mi-déçue mi-outrée. Rouge Colère.
Je ne demande rien d'autre que d'être invisible. Je me porte bien malgré la solitude dans mon cœur. Cette peine, ce sentiment de vide au plus profond de mon être, personne ne peut l'atténuer.
Le seul à pouvoir la combler, c'est lui. Ben. Mais il n'est plus là.
Alors, je vis avec.
- Non non, pardon. Je suis désolée de vous avoir interrompue, articulé-je en guise d'excuse.
Ma voisine de table, Gilda, me susurre soudain à l'oreille de sa voix couleur rouille :
- Alors Esmée, tu te rebelles ?
- Tais-toi Simmons, tu commences déjà à me fatiguer...
- Oh, c'est bon, non ? T'es vraiment pas drôle comme fille.
- Non.
Mrs Jenkins s'est visiblement relancée dans son"explication".
- Lorsque l'insecte vecteur, ici la mouche tsé-tsé, va vous piquer, le parasite va être inoculé dans votre organisme. Dans l'exemple numéro 1, vous remarquerez sans doute que le traitement agit pour combattre le parasite extérieur. Ce dernier étant présent dans les veines et autres vaisseaux sanguins, il se nourrira de glucose...
Dehors, les arbres me sourient et se balancent doucement au rythme du vent, créant une douce atmosphère. Je peux distinguer à travers une fenêtre ouverte le léger bruissement des feuilles, valse silencieuse sur le béton des trottoirs, parenthèse enchantée dans un monde de plus en plus bruyant.
Le ciel est gris, probablement triste. Et moi, ça me rend triste aussi de le voir comme ça. Tout le monde déprime maintenant. Une vie monotone et monochrome, en noir et blanc perpétuels.
Il va pleuvoir, mais dans ma tête, dans mon esprit, il pleut déjà sans fin. Ben est parti.
Le 24 avril - une date multiple de deux.
Songer à lui me broie le cœur. Songer au temps où nous vivions tous les deux à la campagne avec Maman. Songer à ses dessins. Songer à son visage ressemblant au mien. Songer juste à lui, mon jumeau. Songer à ce jour où il a disparu sans laisser de traces, comme ça. Évaporé du jour au lendemain.
La sonnerie retentit.
♡♡♡♡♡
Baisser la tête, ne croiser aucun regard, pas un bruit, un pas ni trop rapide ni trop lent, rien de gênant, de bizarre...
Je me bats contre mes écouteurs pour les démêler. Je suis sans doute la dernière à ne pas encore avoir d'airpods, je m'en fous, c'est le seul moment où je peux m'ouvrir l'esprit en public, être juste moi. J'en glisse un dans une de mes cavités auditives tandis que je laisse l'autre pendre pour entendre la rue de l'autre oreille.
Un groupe de jeunes passe à côté de moi, le son de leur enceinte se mêle à la mélodie qui sort de mes écouteurs. Ils s'arrêtent au coin de la rue et déposent leurs sacs au sol pendant que l'un d'autre eux, un blond au visage jovial, ouvre le sien et en tire plusieurs bombes de peinture de différentes couleurs qui passent ensuite de mains en mains. Je les observe en songeant qu'ils me font penser à l'été. Sous la chaleur, ils transpirent la créativité. Orange Artiste.
Ils commencent à peindre sur le mur, une porte prend forme sous leurs vaporisations. Je m'extasie silencieusement devant la coordination de leurs mouvements, comme une danse, le premier fait un trait poursuivi par un autre, comme un rituel, comme s'ils connaissaient ce dessin par cœur.Leur œuvre achevée, ils s'écartent et se mettent en file indienne tandis que je dissimule au mieux ma présence derrière un poteau électrique, ressentant comme une sorte d'appréhension quant à la suite des événements. Le dessin de porte m'hypnotise, il semble onduler, presque vivant.
Tout à coup, la porte s'ouvre et un des jeunes pose un pied dans l'embrasure pour la bloquer. Je reste sur le trottoir immobile, médusée. Il courbe son dos pour se glisser à l'intérieur de... à l'intérieur de quoi ? Du mur ? Et il... disparaît, de l'autre côté de cette porte. Les autres le suivent. Le dernier s'avance, je me pince pour m'assurer que je ne rêve pas et lâche une petite exclamation de douleur.
Discrète comme je suis, le garçon se retourne et me jauge du regard. Il semble... paniqué. Je me raidis, incapable de respirer, de faire le moindre geste. Il court vers moi et je me crie de partir, de fuir cette porte mais en quelques pas il est près de moi, me tire par le bras et m'entraîne avec lui par la porte.
Et tout devient noir.
♡♡♡♡♡
- Eh, toi ! Réveille-toi, il faut pas que tu restes là ! m'interpelle une voix féminine.
Mes yeux s'ouvrent doucement et je lâche un hoquet de surprise. Mes pupilles s'écarquillent et je reste bouche bée devant mon interlocutrice. C'est moi. Et je semble hésiter entre entrer dans une colère noire et fuir.
- Tu es Esmée Jenkins, c'est ça ?
Je hoche doucement la tête en clignant des paupières, stupéfaite.
- Je... je rêve ? murmuré-je, toujours abasourdie.
Mon double ne semble pas m'avoir entendue, trop occupée à jurer à mi-voix pour me prêter attention.
- P*tain, mais c'est quoi ce b*rdel ?!
Elle se tourne soudain vers moi, furibonde.
- Pourquoi t'es là ?
- Je... Je passais et des garçons ont dessiné une porte sur un mur... puis ils sont passés à travers et l'un d'entre eux m'y a précipité avec lui...
- Les c*ns ! jura-t-elle à nouveau avant de respirer un grand coup. Pardon, mais ils ont enfreint le règlement... C'est pas de ta faute...
En regardant autour de moi, je m'aperçois que l'endroit était étrangement semblable à mon quartier.
- Dis, on est où ? Et qui es-tu ?
- Tu es à Masteria. Je suppose qu'on pourrait dire que c'est une sorte de dimension parallèle à la tienne... mais c'est bien plus que ça. Nos deux dimensions sont jumelles, elles sont en contact permanent et un jour, elles fusionneront. C'est pour ça que nous sommes identiques, de parfaits doubles. Chaque habitant ici a un Lié dans la tienne et chaque habitant de chez toi a un Lié ici. Nous nous ressemblons comme deux gouttes d'eau. Je suis donc Tempest Hall, ta Liée. Enchantée.
Elle n'a pas l'air enchantée le moins du monde.
- D'accord... Esmée Jenkins.
- Je sais qui tu es. Contrairement à vous, nous sommes au courant de votre existence. J'ai été informée de ton existence le jour de ma naissance.
"Okay... Ça devient de plus en plus bizarre..."
- Tu vas devoir repartir. Tout de suite, m'ordonna-t-elle en pointant du doigt la porte par laquelle j'étais visiblement arrivée.
- Attends ! m'écrie-je. Comment m'as-tu trouvée ? Pourquoi il n'y a personne ?
- Je fais partie de la Brigade des Débordements Inter-Dimensionnels, on m'a convoquée dès ton arrivée. Le secteur est bouclé pour le moment, je voulais m'assurer de tes intentions.
- Je vois... C'est sûr que ça doit être bizarre de me voir débarquer comme ça...
- Oui oui. Maintenant, pars, tu as assez causé d'imprévus.
- Une dernière chose... Tu connais Ben Jenkins ?
Tempest relève la tête et me sonde du regard. Le vent cesse de souffler.
- Oui. C'est le Lié de mon frère. Il a disparu, c'est ça ?
- Effectivement... Depuis six ans...
Elle lâche un soupir. Une mèche de ses cheveux châtain glisse sur son visage.
Je pourrais revoir Ben. Ce ne sera pas lui, mais au moins son visage. Voir ce qu'il est devenu. J'ai l'impression de devenir jaune. Jaune Bonheur.
- Et je suppose que tu vas vouloir voir mon frère ?
- Tu as songé à devenir voyante ?
- Très peu pour moi, mais c'est d'accord, je t'y emmène, dit-elle en affichant une moue boudeuse. Par contre, tu as intérêt à être muette comme une tombe sur ce qu'il s'est passé aujourd'hui, sinon, je t'efface la cervelle, capiche ?
- Oui chef ! dis-je en riant.
- C'est pas drôle. Suis-moi, vite.
Je me lève et suis Tempest en restant derrière elle pour mieux la détailler. Mis à part sa tenue, on dirait vraiment que c'est ma jumelle, c'est effarant.
Elle fredonne un air bleu sérénité, apaisant comme le roulis des galets dans un ruisseau.
- Tu chantes quoi ?
- Je connais pas le nom.
Alors, elle se mit à chanter plus fort, d'une voix cristalline et claire.
Il fait toujours beau au-dessus des nuages
Mais moi si j'étais un oiseau, j'irais danser sous l'orage
Je traverserais les nuages comme le fait la lumière
J'écouterais sous la pluie, la symphonie des éclairs
Dès sa plus tendre enfance
Elle ne savait pas parler autrement
Qu'en criant tout bas, pas faute d'essayer
De les retenir, ces cris et ces larmes
Qui les faisaient tant
Il fait toujours beau au-dessus des nuages
Mais moi si j'étais un oiseau, j'irais danser sous l'orage
Je traverserais les nuages comme le fait la lumière
J'écouterais sous la pluie, la symphonie des éclairs
En grandissant, rien ne s'est calmé
Petite tempête s'est trouvée
Des raisons de pleuvoir autant
Qui pourrait l'aimer franchement ?
Personne n'aimerait se retrouver
Au cœur d'une tempête, avouez
Il y a des raisons de pleurer
Elle a ses raisons, mais
Il fait toujours beau au-dessus des nuages
Mais moi si j'étais un oiseau, j'irais danser sous l'orage
Je traverserais les nuages comme le fait la lumière
J'écouterais sous la pluie, la symphonie des éclairs
Quand la tempête a su
Que des mélodies pouvaient s'échapper du vent
Et se retrouver dans le cœur des gens
Celle-ci s'est dit
Nulle raison d'envier le soleil
Je ferai danser les gens au rythme de mes pleurs
La tourmente de mes chants viendra réchauffer les cœurs
Réchauffer mon cœur
Il fait toujours beau au-dessus des nuages
Mais moi je suis de ces oiseaux qui nous font danser sous l'orage
Je traverserai tous les nuages pour trouver la lumière
En chantant sous la pluie, la symphonie des éclairs.
- C'est beau, murmuré-je quand elle reprend une grande goulée d'air. Tu devrais être chanteuse.
- C'est ce que je veux être plus tard.
- En tout cas, tu as du talent. C'était bleu rêve.
- Merci. Tu fais de la synesthésie, dit-elle en haussant un sourcil. Comme moi.
- On est Liées, non ?
- C'est vrai.
Nous arrivons devant une grande bâtisse jaune et je reconnais ma maison. Je me tourne vers Tempest, le regard chargé d'appréhension.
- Entre, il y est.
Comprenant ma gêne, elle soupire et un sourire relève les commissures de ses lèvres.
- D'accord, j'y vais en premier, articule-t-elle en pénétrant dans son foyer jaune couleur joie.
Je la suis et me retrouve à l'intérieur du bâtiment de pierres, observant la décoration parfaitement semblable à chez moi. Il s'en exhale un puissant arôme d'encens et d'ambre, signature de ma mère. L'odeur de la vie.
- Zéphyr ! Descends, il y a quelqu'un qui voudrait te voir !
Un vague grognement me parvient du haut des escaliers, suivi de pas rapides faisant grincer les marches de bois.
- 'lut Tempest... fit-il en se frottant les yeux, probablement dérangé en plein sommeil.
Il lève les yeux et son regard se fige dans le mien, médusé. De mon côté, je perds toute capacité de raisonnement. C'est mon frère, et ça n'est pas lui aussi. Mes cils écrasent une larme et un torrent perle à la frontière de mes paupières, menaçant de dévaler à grosses gouttes sur mes joues.
Il ne dit rien, et je ne dis rien aussi. Le silence nous va très bien.
Et enfin, au bout d'interminables secondes, il le brise.
- Salut Esmée.
Cette fois, je pleure pour de bon. De grosses larmes roulent sur mon visage, traçant de larges sillons humides sur mon épiderme à vif, rougi par l'émotion. Je me mords la lèvre pour me retenir de sangloter, conserver le peu de dignité qu'il me reste.
Il s'approche et m'enlace.
- Je ne suis pas Ben, désolé. Mais il est vivant, quelque part chez vous et je suis sûr que tu le reverras vraiment, en chair et en os, un jour.
J'acquiesce, ou du moins j'essaie et il sourit. Un jour, je le reverrai, Zéphyr a raison. Mon esprit se tint de vert. Vert Espoir.
Tempest toussote et me lance un regard peiné.
- C'est l'heure, pardon. La Brigade a été informée que je n'ai toujours pas suivi la procédure, ils vont débarquer d'un instant à l'autre, s'excuse-t-elle avec un demi-sourire triste.
- D'accord Tempest. Merci à vous deux pour tout, vraiment, dis-je, habitée par un soudain regain d'énergie.
Ma Liée sort une clé de bronze forgé et une porte se dessine à grands coups de couleurs et explosions de nuances sur le mur couleur soleil. Elle introduit l'objet dans la serrure et la porte s'entrouvre, révélant mon salon, copie identique, de l'autre côté.
Elle s'approche ensuite de moi et vient m'enlacer à son tour.
- Promets-moi que tu deviendras chanteuse, d'accord ? lui demandai-je.
- Oui Esmée, promis.
Mon regard passe de Zéphyr à Tempest et de Tempest à Zéphyr.
- Merci pour tout. Soyez heureux.
Un mince sourire étire mon visage et je plisse légèrement les yeux.
- Vous êtes vert chance.
Je me dégage de l'étreinte de ma Liée et m'avance vers la porte ouverte. Je leur jette un dernier coup d'œil, ultime adieu à ce rêve merveilleux.
Une Esmée perdue et désorientée est entrée ici. Une nouvelle en sort.
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