Chapitre 5 : Kat

Nous sommes sur le trottoir devant le salon de tatouage de Zeck, Ian me regarde et semble perdu.

- Tu veux faire quoi ? Je lui demande en essayant de sourire.

- Euh je sais pas ce que tu veux !

- Bah on va baiser si tu veux !

Il me regarde bizarrement, je crois qu'il est choqué, le pauvre, il ne dit rien et me fixe.

- Je rigole Ian, détends toi !

Il rougit, est-ce que pendant un instant, il aurait envisagé une partie de jambe en l'air comme programme ?

- Tu pensais que j'étais sérieuse ?

- Euh mais non voyons ! Pourquoi tu dis ça ?

Je m'approche de lui au point de me coller contre son torse, je vois de la panique dans ses yeux, je me mets sur la pointe des pieds et j'approche mes lèvres de son visage. Je peux presque l'embrasser, son parfum emplit mes narines, j'en ai des frissons, je le vois déglutir péniblement, toujours paniqué par ce que je fais.

- On va prendre un café alors ! Dis-je d'une voix suave.

Je me recule et m'éloigne de lui le laissant là en mode pause, un sourire amusé étire mes lèvres. Pourtant je n'ai pas envie de sourire, j'ai froid de m'être éloigné de lui, c'est étrange mais je crois que j'aurais aimé qu'il me prenne dans ses bras. Voilà comment se faire prendre à son propre jeu, bravo Kat !

Il finit par sortir de sa torpeur et me rejoint rapidement pour aller dans un café tout proche. Nous nous installons dans le fond, il n'y a pas grand monde et nous nous retrouvons seuls tous les deux.
Un silence étrange s'installe entre nous, ce n'est pas un malaise, ce n'est pas pesant, c'est même presque reposant. Je suis plutôt surprise, en général seul Zeck arrive à avoir cet effet et encore pas de façon aussi marquée.

- Et donc tu travailles dans quoi?

Ian me regarde en attendant ma réponse. Il est vraiment mignon quand on y regarde bien. Il doit faire dans les 1m85, plutôt carré, tout en muscle. Il a un regard bleu doux et tendre, qui vous donne simplement envie de venir vous blottir contre lui.

- Si tu ne veux pas le dire je peux comprendre tu sais.

- Hein ?

- Je te demandais dans quoi tu travaillais. Mais je comprends si...

- Je ne travaille pas en fait.

Il semble surpris mais poliment ne relève pas le fait que je n'ai pas de travail, je ne sais pas si j'apprécie ou bien si je ne devrais pas le secouer un peu pour qu'il arrête de faire le mec mou et trop gentil.
Je me décide plutôt à éclaircir la situation.

- Je ne travaille pas car je n'en ai pas besoin enfin disons plutôt que les combats suffisent à me faire vivre. Et toi donc tu es dans le milieu...des supers héros ?

Je ne préfère pas m'attarder sur mes revenus. Je ne survie pas grâce à l'underground mais il n'a clairement pas besoin de le savoir.

- Euhh pas vraiment, en fait je suis infirmier à l'hôpital. Aux urgences précisément.

- Tu es donc bien un super héros à ta façon.

Il rougit un peu gêné, ça lui donne un air encore un peu plus mignon. Je me rend compte que je souris bêtement, ça me remet les idées en place instantanément. Je ne peux pas, je n'ai pas le droit...Ian pose sa main sur la mienne sur la table comme si il avait entendu mes pensées, je la retire précipitamment comme si le contact m'avait brûlé. Il semble perplexe de ma réaction, je me lève d'un bond et choisit le premier prétexte pour sortir de ce café et surtout faire en sorte qu'aucun malaise ne s'installe.

- Tu as déjà fait le London Bridge Expérience Superman ?

- Pas du tout...mais c'est quoi ?

- Tu vas voir, j'espère que tu n'es pas du genre vite effrayé.

Il rigole et se lève pour me suivre hors du café. On se dirige vers la première bouche de métro direction enfer et damnation. Vingt minutes plus tard nous sommes sur place, l'entrée ne paye pas de mine, on dirait l'entrée d'un petit théâtre mais pour nous recevoir des acteurs avec un maquillage plutôt dérangeant.

- C'est quoi ici en fait ?

- Disons une façon peu commune de découvrir l'histoire du pont de Londres.

Même si il est toujours perplexe, il me suit sans broncher et nous partons à la découverte d'un Londres sombre et effrayant.

Nous passons plus d'une heure à évoluer entre les décors effrayants et les acteurs tous plus flippants les uns que les autres. Je suis surprise en fait, aucune peur que ce soit pour lui comme pour moi au contraire nous rigolons comme des enfants. Les autres spectateurs nous regardent bizarrement mais en fait cela nous passe au-dessus de la tête. Je passe un super moment avec Ian et derrière son côté Superman je découvre un gars vraiment drôle et avec qui le temps passe vite.

- Nan mais tu as vraiment cru que j'allais avoir peur dans ce truc ?

Ian sourit à pleine dent, nous venons de quitter le complexe de l'horreur, ou plutôt pour nous, du rire, nous décidons de rejoindre le château de Londres pas loin. Nous nous installons sur un banc, tranquillement, devant nous un flot constant de touristes circule, allant et venant au rythme des visites, aujourd'hui Londres est inondé de soleil.

- Alors Ian, parle-moi de toi.

Il me sourit un instant avant de reporter son attention sur les touristes.

- Que veux-tu savoir Miss ?

- Sérieusement ? Miss ?

Je rigole un moment avant de répondre, je déteste les petits surnoms qui se veulent gentil mais qui au final rabaissent les femmes. Mais Ian ne l'a pas dit méchamment je lui fais juste les gros yeux pour la forme et mon rire ne rend pas tout ça très crédible.

- Tu n'es pas londonien non ?

- Non c'est vrai, je viens d'Irlande en fait. De Galway sur la côte ouest. Mais toi non plus tu n'es pas de Londres.

- C'est vrai...Je suis née en France et j'ai grandi près de Rennes jusqu'à mes 16ans. Je suis ensuite venue vivre chez ma tante en bordure de Londres.

- Ta tante ? Tes parents sont restés en France ?

Je savais bien qu'on viendrait à en parler vu le sujet, je préfère en dire le minimum.

- Oui...Mais toi, dis-moi pourquoi avoir quitter l'Irlande ?

Ian n'est pas dupe il voit bien que je ne veux pas tout lui dire mais il est sport et ne relève pas ma réponse plutôt vague.

- J'ai eu besoin de changer d'air, de prendre ma vie en main. Il y a quelques années au moment où je suis devenu majeur, j'ai eu une crise existentielle. J'étais souvent en colère, je me battais, et puis un jour je me suis retrouvé devant un accident de voiture, une femme enceinte était au volant elle avait perdu connaissance. Je ne sais pas trop ce qui s'est passé dans ma tête mais j'ai fait la seule chose à faire, l'aider, lui sauver la vie. Ça a été comme une révélation, la semaine suivante je suis venu ici pour devenir pompier et donner un sens à ma vie. J'ai travaillé trois ans au sein des pompiers de Londres et puis j'ai eu envie d'autre chose alors j'ai fait l'école d'infirmier.

- Tu es donc vraiment un super héros.

- Je ne...

- Katlynn ? Oh mon Dieu Katlynn C'est bien toi ?

Une voix aiguë et désagréable vient casser la bulle de notre conversation, je me retourne vers la personne qui m'interpelle et quand je comprends enfin qui m'appelle, tout bascule. Tout revient, trop de choses font à nouveaux surfaces.

- Ian J'ai une super envie de Fish and chips, tu veux bien aller en acheter au stand la bas?

- Oui bien sûr si tu veux. Je reviens.

Ian n'est pas bête il a compris que je voulais être seule pour parler à cette femme qui semble bien me connaître. Alors qu'il s'éloigne, je vois se rapprocher une jeune femme blonde, robe de créateur, chaussures à talons, maquillage soigné, c'est bien elle, Jenny. Elle est comme sortie d'un autre espace-temps, d'une autre vie.

- Katlynn mais bon sang ça fait combien de temps ? Deux ans au moins ?

Trois plutôt. Trois ans que j'avais coupé les ponts avec mon ancienne vie, avec tout ce qui me rappelait...Je ne devais pas me laisser abattre, je devais garder le contrôle. J'inspire doucement en plaquant un faux sourire de circonstance sur mes lèvres.

- Jenny, comment vas-tu ? Ma voix est neutre, je me contrôle au prix de gros efforts.

- Bien bien, et toi alors dis-moi ? J'ai failli ne pas te reconnaitre avec cette couleur de cheveux pour le moins originale. Comment va ta tante Gladys ?

- Bien, nous allons bien.

Aux dernières nouvelles c'était vrai, Gladys allait bien, elle prenait régulièrement de mes nouvelles et même si je sentais toujours de la pitié dans sa voix au téléphone, je sais la vieille femme simplement inquiète pour moi.

- Et le beau gosse que je viens d'apercevoir, un copain ? Un fiancé peut être ? Reprit elle comme sur sa faim.

Décidément elle n'a pas changé...

- Et bien non en fait, un touriste qui voulait des infos sur les lieux branchés de Londres.

Je sens une crise d'angoisse monter doucement, je pensais en être débarrassée, la peur m'envahit, je ne peux pas m'effondrer ici. Je sors mon téléphone et fait mine de recevoir un message.

- Je suis vraiment désolée Jenny, mais on m'attend. Je dois vraiment y aller, ravie de t'avoir revue.

Je n'attends pas sa réponse et me mêle au flot de touristes. Je dois fuir, me retrouver seule, je ne dois pas flancher en public. Je profite d'avoir mon tel en main pour envoyer un message à Zeck.

Kat : Ael

Moins d'une minute plus tard, je reçois un premier message.

Zeck : Hangar

Puis dans la foulée un second.

Ian : Mais tu es ou ? T'es encore partie ?

Je choisis de ne pas répondre et coupe mon téléphone. Je ne peux pas gérer Ian maintenant. Comme un zombie je rejoins le hangar. Je fonce directement dans ma chambre pour me réfugier sous ma couette et enfin je m'autorise à craquer. Les larmes roulent toutes seules et je perds pied. Je ne suis pas là depuis longtemps quand je sens une masse se glisser sous la couette et me prendre dans ses bras, Zeck. Il choisit de ne rien dire. Il me connaît, il sait que ça ne servira à rien, que mes crises doivent juste passer et qu'il faut simplement être patient. Blottie dans les bras de mon meilleur ami, je laisse aller ma peine, tout était de ma faute, ce qui est arrivé était de ma faute. Je passais un bon moment avec Ian, je n'avais pas le droit. La vie m'a envoyé Jenny pour me rappeler ma vie d'avant, pour me punir. Alors que mes sanglots redoublent, Zeck me berce doucement contre lui. Il sait être doux, patient, à l'écoute quand il faut, je l'adore pour ça.
Je l'ai rencontré il y a un peu plus de deux ans, quand j'ai fait éruption dans le petit salon de tatouage ou il travaillait. Il m'a aidé à panser mes plaies en recouvrant mon corps d'encre. Il a été ma thérapie et encore aujourd'hui, il m'aide à avancer. Il est là dans les bons comme dans les mauvais moments, toujours prêt à m'aider.
Je me suis sentie redevable de tout ce qu'il avait fait pour moi, C'est pour ça que je l'ai aidé à monter son propre salon, un rêve de gamin pour lui mais réalisable pour moi.

Je ne sais pas trop combien de temps nous restons là l'un contre l'autre, mais quand j'ouvre à nouveau les yeux il fait nuit noire.
Je me décale un peu de Zeck pour le regarder, persuadée qu'il dort mais non, il est là tel une statue à veiller sur moi. Il finit par rompre le silence.

- Tu devrais prendre une douche Kat. Pendant ce temps, je vais commander chinois, d'accord ?

Je hoche la tête pour lui dire oui et me lève pour me diriger vers la salle de bain.
J'ouvre l'eau et la laisse un instant se réchauffer avant d'entrer dans la douche entièrement habillée. L'eau qui coule à flot sur moi m'aide, elle me lave physiquement mais aussi moralement, elle m'aide à enfouir profondément mon mal être, en tout cas jusqu'à la prochaine crise. Je finis par retirer mes vêtements pour me laver entièrement et oublier ce mauvais moment. Quand je me sens enfin un peu mieux, je sors de la douche pour me sécher et m'habiller avec un legging et un débardeur avant de descendre rejoindre Zeck.

Il est installé au comptoir de la cuisine. Devant lui, une montagne de nourriture chinoise, je crois qu'il s'est un peu lâché sur la commande. Je ne fais aucun commentaire et viens m'installer avec lui.

- Kat, tu peux me dire pourquoi Ian m'a laissé je ne sais combien de messages me demandant si il devait appeler la police ? Tu lui a pas dit que tu rentrais ?

- Non, j'ai commencé à pas aller bien. Je l'ai envoyé acheter un truc à manger et je suis partie en fait...

- Je peux savoir ce qui a déclenché ta crise ?

- Jenny...une fille de ma vie d'avant. Elle m'a reconnue et elle est direct venue me voir. Ça a fait remonter trop de choses.

- D'accord. Tu sais que tu vas devoir donner une explication à Ian ? Je lui ai dit que tu étais avec moi et que tu allais bien mais il faudra bien t'expliquer !

- Mouais, j'ai pas trop envie...

- Comment ça s'est passé entre vous avant ta crise ?

- Bien franchement, mais je sais très bien que je n'aurai pas dû être bien. La preuve, la vie s'est chargée de me rappeler à l'ordre.

- Kat, je t'adore mais y a que toi qui t'empêche de vivre. Cette rencontre avec cette Jenny était un pur hasard donc arrête de te punir pour ce qui s'est passé. Ce n'était pas ta faute, et surtout tu dois avancer ! Donc maintenant, tu rallumes ton portable et tu rassures Ian.

- Mais...

- Pas de mais !

Comme une enfant, j'obéis sagement à Zeck. A peine mon téléphone est-il rallumé qu'il se met à bipper à la chaîne de tous les messages reçus. Et sans surprise, je découvre qu'ils viennent tous de Ian. Dans les premiers il semble inquiet. Je suis d'accord, je n'aurai pas dû le planter là, dans les suivants, il est en colère. J'hérite de doux noms d'oiseaux et clairement il était préférable qu'il ne me les dise pas directement. Dans les derniers, il s'excuse, il m'explique être mort d'inquiétude et que ses mots ont dépassé sa pensée. Je me décide à lui envoyer un petit message en attendant de passer un interrogatoire quand je le verrai.

Kat : Excuse-moi, je me suis sentie mal, sûrement la fatigue, on se voit demain si tu veux.

Ian : Et pourquoi pas maintenant ? Je suis devant chez toi.

Je relève la tête sur Zeck, qui sourit bêtement.

- Bah quoi ? Tu croyais que j'avais commandé ça que pour nous? Dit-il en montrant la montagne de nourriture.

On frappe à la porte et je me fais violence pour aller ouvrir sans tuer mon meilleur ami au passage. La soirée va être vraiment passionnante, je le sens.

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