Chapitre 53

Puisqu'il faut commencer quelque part : avant d'aborder le sujet de Ben et Emma, je voudrais dire quelque chose.

Il n'y a plus que deux personnes connaissant mon histoire : moi et Ayame. De même qu'il n'y a, à l'heure actuelle, qu'Ayame qui connaisse sa propre histoire.

Et, puisque toute cette histoire de meurtres et de la future trahison de Ben et Emma sont d'actualité, puisque tout est toujours lié à l'amour, puisque maintenant je risque de disparaître un jour, je veux que mon histoire reste derrière moi. Alors je vais vous la raconter.

Si vous n'avez pas encore compris qui je suis : je suis la dernière personne que vous imagineriez parler d'amour, la dernière personne que vous imagineriez avoir déjà aimé. Je suis Sebastian Michaelis, diable de majordome, aux ordres du comte Ciel Phantomhive. Mais surtout, et avant ça, j'ai été Sebastian Michaelis, ange gardien d'une humaine, comme l'avait été Shûsei. Et comme lui j'ai fini par commettre un péché qui m'a amené ici. Un péché différent, mais motivé par la même chose : l'amour.

Alors voilà une histoire qui s'est passée il y a maintenant trois siècles. À ce moment où je n'étais pas encore le démon que je suis aujourd'hui.

Je suis né et j'existais pour la protéger. Ironiquement, peut-être, elle s'appelait Ayame. Rien à voir avec la Ayame de cette histoire pourtant. On pourrait dire que son caractère était plus proche de celui de Yuuka. Elle était douce, innocente, naturellement joyeuse et voulait le bien de tout le monde, encore plus blanche qu'une fleur de lotus au milieu d'un étang de boue.

Mais le monde n'a pas été généreux avec elle. Née avec une maladie incurable, elle était destinée à mourir jeune. Je savais donc que je serais le dernier ange gardien de cette famille car elle n'atteindrait jamais l'âge de faire des enfants.

Je l'ai choyée tant que je le pouvais, j'ai pris soin d'elle, restant à ses côtés à toutes heures du jour et de la nuit. C'était mon travail, mais c'est devenu ma raison de vivre.

J'étais trop attaché à elle, je n'aurais jamais dû, surtout sachant qu'elle allait mourir. Mais il était déjà trop tard lorsque je me suis rendu compte de mon erreur. Mon amour avait démarré et son état empirait rapidement.

Elle souffrait nuit et jour, sans arrêt. Je pouvais voir la détresse dans ses yeux. Et à l'époque il n'y avait rien qui aurait pu la sauver.

C'est à ce moment-là qu'elle m'a demandé l'inimaginable.

Elle voulait que je la tue, que j'abrège ses souffrances. On utilisait pas encore le mot à l'époque, mais ce qu'elle me demandait c'était une euthanasie, pure et simple. Une mort sans souffrance pour arrêter la souffrance qu'elle ressentait déjà.

J'ai bien sûr refusé, au début. Comme je l'ai fait pour Shûsei. Parce que je l'aimais. Parce que je les ai tous les deux aimés, plus que je n'aurais jamais dû. Me laisser atteindre par ces sentiments c'était me jeter dans une histoire qui ne pouvait que finir mal, et pourtant j'ai plongé dedans, à pieds joints. La première fois sans me douter d'où cela me mènerait vraiment, mais la deuxième fois en sachant parfaitement que rien ne marcherait.

J'ai refusé, et refusé, et refusé. Mais l'un comme l'autre ont insisté. Alors j'ai eu l'impression de ne pas avoir le choix, et j'ai fait ce qu'ils attendaient de moi, même si ça me brisait le cœur.

Vous savez, je l'ai vraiment aimée, ma protégée. Ce n'était pas juste cet instinct et ce devoir avec lequel j'étais né, il y avait plus, bien plus. Alors, évidemment, la tuer m'a brisé.

Et comme vous le savez maintenant, lorsqu'un ange gardien failli à sa tâche, il est mis face à un choix. J'ai eu le temps de réfléchir à ce que je pouvais faire si je décidais de revenir sur Terre. Et j'ai regardé le monde, l'humanité, esclave de ses désirs, égoïste, toujours à la recherche d'un moyen d'améliorer leur monde quitte à détruire le monde.

Finalement, si je n'avais pas pu sauver, rien ne m'empêchait de détruire, ou d'aider les âmes vengeresses dans leur entreprise.

Voilà pourquoi j'ai décidé de revenir, et c'est aussi pour ça que j'ai choisi Ciel, il avait le potentiel, l'énergie et la mentalité qui me plaisait, qui m'avait fait choisir de revenir plutôt que de partir éternellement.

Je pourrais arrêter mon histoire là, ce serait suffisant, non ? Mais peut-être voulez-vous en savoir plus. Plus sur comment je l'ai vécu, sur qui j'ai aidé depuis ma transformation, et sans doute bien plus sur mon histoire avec Shûsei, peut-être même mon rapport à Ayame, à Ciel, ce que je peux éprouver vis-à-vis d'eux ; moi et mon cœur de diable de majordome, censé être le mal et au service d'un humain presque lambda.

Et si je décidais de ne rien raconter, de vous laisser sur votre faim ? Je suis le mal en personne après tout.

Mais vous ne me croyez plus maintenant, n'est-ce-pas ? Je ne suis pas aussi horrible que les histoires pourraient le raconter, et vous connaissez la vérité.

Bon... J'ai fini par oublier ce que j'avais ressenti en devenant un diable, j'ai oublié comment j'ai vécu mes premières années de retour sur Terre. J'ai sans doute erré comme une âme en peine, à la recherche de sens même si je l'avais déjà.

Et puis finalement, il y a eu un déclic, j'ai trouvé ma première âme en peine. Elle a été assez facile à convaincre, son désir de vengeance était bien plus grand que son désir de vivre ou de garder son âme pure. Simple à convaincre, simple à satisfaire, simple de récupérer son âme.

Je me suis pris au jeu, j'ai enchaîné les contrats et les victimes, amassé les âmes.

Et puis je suis tombé sur un garçon pas comme les autres, le futur comte Ciel Phantomhive. Une âme détruite mais prête à détruire, j'avais rarement vu une force destructrice prête à exploser d'une telle puissance psychologique. Alors je me suis jeté dessus avec avidité.

Les débuts étaient comme avec les autres, mais Ciel était réellement différent, sa vengeance était plus poussée, plus recherchée, plus intellectuelle, et je compris vite qu'il me faudrait bien plus de temps qu'avec les autres pour récupérer son âme.

Et rien ne s'est passé comme prévu, mais ça vous le savez. Toutes ces aventures, sa transformation en démon, puis sa rencontre avec Yuuka, son âme adoucie par l'amour.

Passons sur leur histoire et ce que j'en ai pensé, je crois l'avoir déjà dit.

C'est aussi à ce moment-là que j'ai rencontré Shûsei. Évidemment nous nous sommes détestés. Comment un ange gardien pouvait-il apprécier un démon, un ancien collègue, un traître ? Parce qu'évidemment, Shûsei avait tout de suite compris que je n'étais pas né humain, il y avait des signes qui ne trompaient pas, un détail dans le regard qui disait tout.

Shûsei était tombé amoureux de Lizzy, et j'avais trouvé ça marrant, divertissant, et ironique. Voilà que Shûsei devenait l'incapable qui avait faillit à sa mission. Je l'aurais volontiers applaudi, mais j'éprouvais presque de l'affection pour Yuuka et trouvais cela un peu trop déplacé. Et voilà donc qu'il mourrait.

Je pensais en avoir fini avec lui.

Puis Yuuka est morte. Ciel est tombé dans une abîme sans fond. Et soudainement : l'apparition d'Ayame. Elle : si mystérieuse, et capable de briser les défenses de Ciel, étape par étape, en prenant tout le temps qu'il fallait, mais avec beaucoup d'humour et de sarcasme.

Et pour gagner ma confiance, elle a décidé de me confier un secret, de me faire rencontrer son allié. Et c'est comme ça que je me suis retrouvé face à un Shûsei bien vivant mais transformé, devenu comme moi, ou en tout cas de la même race.

Quelque chose s'est modifié en moi, j'ai senti qu'il avait changé. Et nous avons discuté, vraiment discuté, pour la première fois depuis notre première rencontre. Et je me suis attaché à lui comme je m'étais attaché à Ciel. Et l'objectif d'Ayame a bien été atteint : elle avait gagné ma confiance, parce qu'elle voulait la même chose que moi et Ciel : venger Yuuka, et Shûsei en était la preuve.

Les missions avec Shûsei se sont multipliées et mes sentiments ont évolué. Visiblement, maintenant que j'ai du recul sur la situation, les siens aussi avaient évolué.

J'étais retombé dans ce qui m'avait tué la première fois, et je sentais qu'un malheur allait arriver. Et il est arrivé : Shûsei m'a demandé de le tuer, comme l'avait fait ma protégée.

C'est mon histoire... Peut-être un peu trop tragique pour le diable de majordome que je suis.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top