Chapitre 34
Lorsqu'Ayame se réveilla, elle ne fût même pas surprise de se retrouver face à Phipps, le bon chien de garde de notre chère majesté. Si Ciel était un chien de chasse, courant toujours selon les ordres de son altesse, Phipps passait le plus clair de son temps allongé à ses pieds à grogner si quelqu'un s'approchait. Alors, s'il s'était autant éloigné, c'est que quelque chose d'important le faisait sortir de son territoire.
Elle était attachée à une chaise, chaque membre enchaîné séparément, les mains bien à plat et bloquées. Ciel était assis quelques mètres à sa droite, dans la même position.
« On aura vu plus élégant comme manière d'inviter les gens » dit-Ayame.
Phipps lui lança une gifle qui résonna dans la pièce.
« Tais-toi. »
Elle n'avait pas eu mal, sa condition la protégeait, et la surprise n'était que légère. Elle bâilla pour agacer encore plus son bourreau.
« C'est à moi que vous devez parler de toute manière, pourquoi attendre qu'il soit réveillé ? »
Il la gifla une seconde fois.
« Non, mais je rêve ! s'énerva-t-elle.
- Tu te tais ou tu perdras chacune de tes phalanges une à une, pour chaque mot prononcé.
- Vous pensez vraiment être capable de me faire quoi que ce soit ? le défia-t-elle.
- C'est mon dernier avertissement.
- Tente toujours. Il est pas là ton copain ? »
Phipps se jeta sur elle et planta un couteau dans la phalange de son petit doigt gauche. Ayame lâcha un cri à s'en déchirer les tympans. Il appuya légèrement et la lame traversa l'entièreté du doigt de sa victime, la phalange roula et tomba au sol.
Lorsqu'Ayame eut fini de crier, elle regarda son doigt sectionné d'où coulait un sang épais et noir. Elle voyait son nouveau sang pour la première fois. Et cette douleur... elle ne l'avait pas ressenti depuis deux ans. En réalité, elle n'avait jamais eu aussi mal de toute sa vie.
« Alors, toujours causante ? »
Elle le regarda, les larmes aux yeux, la sueur dégoulinant dans son dos. Elle tenta un léger mouvement du poignet pour déterminer ses possibilités d'évasion, mais il ne bougea pas d'un millimètre.
« Tu te demandes comment c'est possible, n'est-ce-pas ? Comment un simple humain, avec un simple couteau, pourrait blesser un démon de ton niveau ? »
Ayame, se sentant de plus en plus mal, le regarda avec affront, peur et étonnement.
« Oh, tu te demandes, maintenant, comment je peux être au courant ? Ce n'est pas parce que la reine vous embauche vous que ça signifie que je suis un amateur en termes d'enquête. Un certain Aloïs Trancy était ravi de me dévoiler tous les petits secrets de Ciel. Il aurait dû dire les choses avant. Car même s'il l'a fait de son plein gré, la reine n'aime pas qu'on lui cache des choses. »
Ayame allait parler, mais la peur lui coupait la voix.
« C'est sur lui que j'ai testé mes petits gadgets. Il aura fallu du temps, mais j'ai finalement trouvé le matériau qui est capable de vous blesser, tous ceux de ton espèce. D'ailleurs, il ne fait pas que vous blesser. Aloïs n'est plus là pour en attester, et en même temps il est la preuve morte que mon instrument marche. Sache une chose : ton doigt ne repoussera jamais, et la blessure prendra longtemps à cicatriser. Mais surtout, elle te fera mal éternellement. Jamais tu n'oublieras le pouvoir que j'ai sur vous. »
Le regard de haine qu'Ayame lui lançait en disait beaucoup.
« Tu le regretteras, formula-t-elle difficilement.
- Je croyais que l'on s'était mis d'accord pour jouer au roi du silence ? Unilatéralement. Que veux-tu perdre cette fois ? Une deuxième phalange ou... ton fiancé ? »
Le cœur d'Ayame cessa de battre, sa respiration se coupa. Elle pouvait tout perdre, tous ses doigts, pour ne pas le laisser gagner, mais pas Ciel. Si elle n'avait pas déjà eu les larmes aux yeux, elles auraient commencé à monter, mais là les larmes tombaient, roulaient contre ses joues, s'écrasaient sur ses genoux.
« Tout sauf lui, dit-elle. Tout sauf lui. »
Il lança un sourire satisfait et s'approcha lentement, savourant la peur qui grandissait dans le regard d'Ayame. Elle regarda sa phalange déjà sectionnée, qui continuait de vomir cet abîme de noirceur qu'était son sang.
« Es-tu prête, jeune fille ? » demanda-t-il avec un rictus cruel en plaçant son couteau en position.
Les larmes d'Ayame semblaient incapables de se tarir. Elle mordit sa lèvre inférieure, tellement fort que, si ses dents étaient faîtes du même matériau que ce couteau, elle se la serait arraché.
Le couteau attaqua la chair de la deuxième phalange du même doigt. Phipps dégusta le moment en le faisant durer aussi longtemps qu'il le pouvait. Lorsque le couteau trancha net la jointure, un nouveau cri déchira le silence qui s'était installé.
La vue d'Ayame était tellement brouillée de larmes qu'elle ne remarqua pas les yeux de Ciel s'ouvrir, ni le regard terrifié qu'il eut en découvrant sa fiancée agonisante. La douleur était si intense qu'elle crut qu'elle allait vomir, mais rien.
« Tiens, tiens. Ciel, enfin réveillé ? »
Ayama tourna le visage vers l'endroit où elle savait que Ciel se trouvait, même si elle ne pouvait pas le voir.
« Oh, juste un conseil, dit Phipps, tais-toi, si tu ne veux pas finir comme elle. »
Ayame sentit qu'il s'approchait d'elle, puis un tissu se posa sur ses yeux et épongea ses larmes.
« C'est mieux comme ça, dit-il. Je préfère que tu vois ton fiancé, histoire de te souvenir pourquoi tu vas m'obéir. »
Les regards de Ciel et Ayame se croisèrent, ils firent tous les deux le désespoir dans les yeux de l'autre. La mâchoire de Ciel était si crispée qu'il avait l'impression qu'il ne pourrait plus jamais la bouger.
« Bien, bien, bien. Ayame donc. Tu vas pouvoir parler, mais uniquement pour répondre aux questions que je te poserais. Un écart et l'un de vous sera tiré au sort pour perdre une phalange. »
Si elle avait été la seule à risquer quelque chose, elle n'aurait pas hésité une seconde à désobéir, mais Ciel était en danger.
« Tu m'as bien compris ? »
Elle acquiesça.
« Où est Charles ? Et ne t'avises pas de me mentir.
- Je ne sais pas » dit-elle.
Il pointa Ciel de la lame de son couteau.
« Tu en es sûre ?
- Oui !
- Pourtant il se dirigeait vers ton manoir lorsqu'il a disparu. D'ailleurs, pourquoi je ne peux pas entrer chez toi ?
- Magie de protection.
- De la magie blanche ? C'est généralement le cas des sorts de protection.
- Non, noire. Les personnes qui s'introduisent de force finissent par perdre la raison et se suicider.
- Je me disais bien que venant d'un démon... Bon. Tu sais ce qui est arrivé à Charles ?
- Oui, dit-elle avec un sourire narquois.
- C'est toi qui lui a fait ça ?
- Non.
- Même indirectement.
- Dans ce cas, oui.
- Qu'est-ce que tu as fait ?
- J'ai demandé à quelqu'un de garder prisonnier toutes les personnes qui essayeraient de s'introduire sur mon terrain.
- Qui ?
- Mon protecteur.
- Où le tient-il prisonnier ?
- J'ai déjà dit que je ne le savais pas. Peut-être chez moi.
- Et qu'est ce qu'il va en faire ? Juste le retenir prisonnier ?
- Non, il sera sans doute torturé parce que je recherche une information à propos de la reine que vous êtes les seuls à pouvoir connaître. »
Le regard de Phipps vira à la folie, il détruisit tout autour de lui dans un accès de rage. Puis il se jeta sur Ayame et lui trancha le pouce de la main droite. Il était tellement près d'elle que d'un mouvement de tête elle réussit à s'approcher assez pour arracher un bout de son menton d'un coup de dents.
La douleur les firent crier de concert.
« SEBASTIAN ! »
Ciel était trop déconcerté pour avoir même pensé à l'appeler.
« Ayame... » murmura-t-il.
Le sang qui s'écoulait de ses mains, les larmes dans ses yeux, il ne pouvait rien voir d'autre, il ne pouvait penser à rien d'autre.
Pas elle, pas elle aussi, non, par pitié, pas elle, pas elle, PAS ELLE.
« SEBASTIAN ! » cria-t-elle à nouveau.
Un instant d'hésitation, un mouvement vers lui, comme pour vérifier quelque chose qu'elle ne pouvait de toute manière pas voir.
« SEBASTIAN ! SHÛSEI ! »
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