Chapitre 10
Lundi matin, lycée Mendelssohn.
Lorsque je passais le pas des grandes portes qui ouvraient sur le terrain de l'établissement, mon regard fut attiré par ce simple banc. En bois, vieux, le lierre courait dessus comme si personne ne s'était posé depuis des années. Je m'approchais, pour comprendre ce phénomène. Mes yeux tombèrent sur la plaque commémorative installée dessus, presque cachée par les feuilles.
À la mémoire de Yuuka, et à celle de celui qu'elle a rencontré à cet endroit, même s'il vit toujours.
Je posais les doigts sur le nom de ma bien-aimée.
« Il est interdit de profaner cet endroit » dit-une voix.
Je me retournais pour me trouver face à un homme de ménage d'une soixantaine d'années.
« Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
— Oh, pardon, dis-je, je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Ciel Phantomhive, et voici ma femme, Ayame. »
J'attrapais la main de ma partenaire en la présentant.
« Je suis le nouveau directeur de ce lycée.
— Oh, oui, évidemment, je vois qui vous êtes. Et madame, vous devez être notre nouvelle professeure de peinture. »
Ayame s'inclina respectueusement en souriant. L'homme nous fit signe de le suivre.
« Les cours reprennent dans deux jours, vous avez le temps de vous installer et de découvrir votre chambre, vos bureaux et vos classes. Les vacances ont été rallongées, les élèves sont tous bouleversés par ce qui est arrivé. Qui aurait cru que la directrice et son mari feraient une chose pareille alors qu'ils paraissaient si heureux.
— C'est vous qui avez découvert les corps ? demandais-je.
— Oh, non, c'est un élève. Il a été interné, le pauvre a perdu la tête en voyant ça. Je suis arrivé après. Il m'a croisé dans les couloirs et m'a demandé de le suivre. J'ai tout de suite contacté la police. Après ce qui était arrivé à ces quatre élèves, je voyais bien que quelque chose clochait, vous imaginez bien ! »
J'acquiesçais et Ayame gardait toujours un silence de tombe.
« Je ne comprends vraiment pas ce qu'il se passe, c'est comme si cette école était maudite... Vous allez récupérer les quartiers et bureaux du couple précédent, j'espère que ça ne vous met pas trop mal à l'aise.
— Oh, non, absolument pas, ce sera très bien.
— De toute manière, ajouta l'homme, ils se sont suicidés dans une salle de classe, et elle a été condamnée. »
Ayame regardait l'endroit avec une grande attention. Je n'en faisais pas de même, je connaissais déjà ces couloirs, et j'avais peur de me perdre dans mes souvenirs si je laissais mon esprit vagabonder.
« Votre femme semble très impressionnée. Le bâtiment est très vieux. L'avez-vous déjà visité ?
— Oui, j'ai étudié ici à vrai dire, il y a longtemps.
— Oh, je vois, vous ne serez pas trop perdu alors. »
Nous arrivâmes finalement dans le bâtiment le plus éloigné de l'entrée.
« C'est la résidence des professeurs, cette année il n'y aura que vous, tous les autres vivent en dehors de l'établissement. »
Il nous laissa dans notre nouvelle chambre. Elle était à peu près aussi grande que celle que j'avais à l'époque où je surveillais Yuuka. Il y avait un grand lit et un canapé. Ayame se dirigea d'elle-même jusqu'au canapé et en testa le rebond.
« Je dormirais là » dit-elle.
Et elle commença à fouiller la pièce, sans doute à la recherche d'un premier indice.
« On pourrait peut-être commencer par s'installer ? dis-je. Rien ne va s'envoler. »
Elle s'assit sur le canapé en soupirant.
« J'aimerais juste régler cette affaire rapidement. »
Nous nous regardâmes un instant, scrutant les yeux de l'autre, cherchant la sincérité dans ce regard. Elle avait l'air aussi blessée que moi, comme si nos peines étaient égales, sœurs.
« Vous teniez vraiment à Yuuka, n'est-ce-pas ? me demanda-t-elle.
— Oui, dis-je en baissant le regard sur mes pieds. Elle est ce qui m'est arrivé de mieux, et de pire, puisque sans elle j'ai l'impression d'avoir tout perdu.
— Comment pouvez-vous aimer quelqu'un assez fort pour que ça vous détruise ?
— Je me pose la même question chaque jour. Notre histoire a été courte, beaucoup trop courte. J'ai si peu de souvenirs à chérir. Et je ne comprends toujours pas comment elle a percé mon cœur d'acier. Je me pensais incapable d'amour, dépourvu d'émotions positives même et elle est apparue. Blanche comme une fleur de lotus au milieu d'un étang de boue. Je n'ai pas compris comment on pouvait être aussi pure en ayant vécu dans tant d'horreur. Et même lorsqu'elle a vu les horreurs au fond de mon cœur, elle n'a pas fui, n'a pas eu peur. Et c'est la seule à m'avoir vu entier et à quand même m'avoir apporté de l'amour sans rien demander en retour. Lizzy, ma fiancée, m'aurait vu comme un ignoble monstre si elle avait vu tout ce que Yuuka a vu. Sébastian reste avec moi car nous sommes sous contrat, et c'est un diable, qui pourrait même être considéré comme mauvais en comparaison d'un diable ? Et la reine, lorsqu'elle était encore... ce qu'elle n'est plus, elle ne faisait que profiter de ma noirceur. Yuuka était différente. »
N'entendant pas Ayame répondre quoi que ce soit, je relevais les yeux vers elle et vis qu'elle pleurait.
« Pourquoi pleurez-vous ? » demandais-je, mais elle ne me répondit rien.
Décidément, ces deux-là n'arrivaient pas à se tutoyer.
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