Vingt Sept : Hernandez
Matthias.
M : Rejoignez-moi à dix huit heures ce soir, devant le château de Versailles. Je dois vous parler. Matthias Roberts.
H : Matthias ! Quelle surprise ? Je te pensais derrière les barreaux. Ils t'ont laissé sortir pour espérer me coincer ? Je suis étonné que tu te souviennes de mon numéro, j'en change tellement souvent que moi-même, je ne le connais pas par coeur.
M : Non. Ils n'avaient aucune preuve contre moi. J'ai fait en sorte que le travail soit clean. N'oubliez pas que j'étais dans les forces spéciales.
H : J'admets que tu as bien protégé ma fille. Je suis content pour toi, si tu es libre. Tu devrais quitter le pays, et si tu peux, change même de galaxie, ça vaut mieux pour toi et ta mère.
M : Avant toute chose, j'ai besoin de comprendre ce qu'il s'est passé avec mon père. Je ne vous ai jamais demandé de faveur. Je vous demande de me rencontrer ce soir, à Versailles.
H : Non. C'est moi qui choisis le lieu.
M : Un lieu public, ou rien.
H : Promenade du 13e. 18H.
Je regarde ma montre. Il est dix sept heures trente. J'inspire profondément, j'enfonce l'oreillette dans mon oreille, fais craquer ma nuque, vérifie que le micro est bien en place. Je relève le menton, me regarde dans le miroir.
— Vous me recevez ? marmonné-je.
— On te reçoit cinq sur cinq Matthias. Tu fais comme on a dit, tu lui parles, tu le baratines et nous, on fait intervenir nos équipes. On a ta position.
Bordel. Je stress, j'ai chaud, j'ai les mains moites, le coeur qui palpite. Je rejoins le 13e arrondissement, je regarde autour de moi. Il fait beau, il fait chaud, les gens sont de sortie. Je risque moins de choses que toutes les fois où je me suis retrouvé seul avec Hernandez et pourtant, je suis carrément plus angoissé. Le rencontrer me rappelle à quel point j'ai apprécié la compagnie de Julia. Pendant un instant, j'ai bien cru qu'on pourrait peut-être se voir, après ce travail de merde et voilà qu'en réalité, sa famille est l'une des familles de Criminels les plus recherchés de France.
J'ai toujours eu la poisse en ce qui concerne les filles. J'aurais dû me douter qu'avec Julia, il n'y aurait pas d'exception.
Mais je dois me concentrer sur l'instant présent et oublier le passé. Julia fait partie du passé, c'était sympa mais je refuse d'être confronté à elle à nouveau. Anthony et Frank m'ont assuré qu'elle ne courait aucun danger, que les flics la laisseraient tranquille alors ça me va, ça me suffit. J'espère qu'elle refera sa vie, qu'elle se fera connaître, qu'elle vendra des tonnes et des tonnes de tableaux.
— J'y suis, murmuré-je en regardant autour de moi. Je suis devant le Square René Le Gall.
— Super, agis normalement.
Je regarde mon téléphone, navigue sur les réseaux et j'attends, encore et encore, sous le soleil, sous le regard curieux de quelques passants. Les couples se bécotent, les touristes visitent, Paris vit avec l'approche de l'été et moi, je meurs à l'intérieur, en attendant que ça se passe, que ça arrive, que ça se termine.
— Matthias Roberts, tu es venu seul, j'espère ?
Je relève la tête et enfonce mon téléphone dans ma poche. Hernandez se tient là, les yeux dissimulés sous ses lunettes de soleil, un costume toujours ajusté au poil et une main dans la poche de son pantalon à pinces.
— Vous êtes venu, m'étonné-je.
— J'ai un coeur, tu sais. J'ai aussi des enfants et je me dis qu'ils voudraient connaître la vérité sur moi, si j'étais mort dans des circonstances douteuses. Alors, je t'octroie au moins sça.
— Et après ? Vous me descendez ?
Il hausse une épaule.
— C'est à peu près ça. Tu imagines bien que j'ai des hommes un peu partout.
— Ouais...
— Tu as voulu me rencontrer, tu savais à quoi t'attendre. Je ne peux pas te laisser partir MAIS, je peux te donner ma parole que ta mère ne manquera jamais de rien.
Je serre et desserre les mâchoires. J'essaie de rester droit, de ne pas regarder autour, de ne pas toucher mon oreille, ou ma veste pour que ça ne paraisse pas discret. Je ne sais pas s'il se doute de quelque chose ou s'il me prend pour un abruti mais, moi, j'ai l'impression que ça se lit sur mon visage. J'ai fait plein d'opé quand j'étais dans l'armée et jamais une seule ne m'avait donné la nausée à ce point.
— Alors... ce message, ça voulait dire quoi ?
— Ça voulait simplement dire que j'avais gagné. Matthias, tu baisais ma fille et tu pensais t'en tirer aussi facilement ?
Touché.
— Ton père n'était pas celui que tu croyais. Toi, tu étais obnubilé par ta carrière dans l'armée mais lui, il s'est terré dans la drogue après que ta mère ait perdu la tête. Je lui en vendais, je lui faisais crédit mais voilà, ma générosité a des limites qu'il n'a pas su respecter. Lorsqu'on joue avec le feu, il vaut mieux s'assurer de savoir le manier, une brûlure est très vite arrivée.
— Vous l'avez tué, en conclus-je la gorgée nouée.
— Oui, mais vu son état, c'était facile de faire passer ça pour un suicide.
Je baisse la tête, la secoue, me mordille les lèvres. Le fait de l'entendre de sa bouche me donne envie de lui défoncer la tronche. Je le hais.
— Je suis désolé, Matthias. Sincèrement. Il y a toujours des dommages collatéraux, c'est inévitable.
— Mais pourquoi vous m'avez contacté ?
— Parce que ton père avait une dette.
— Mais j'allais vous la payer cette putain de dette !
— Oui, c'était le moment parfait pour t'appeler. Tu étais désespéré, capable d'accepter n'importe quoi pour rassembler l'argent. Comme je te l'ai dit, tu n'es qu'un dommage collatéral et j'espère que ma fille t'oubliera bien rapidement.
Je pousse un profond soupir. Il est si calme, si serein, si sûr de lui. Il est mauvais, aveuglé par son business, par son argent et par son sentiment de pleine puissance.
— Je suis un parfait bluffeur, et c'est pour cette raison que je joue aux échecs comme personne.
— Je vois ça... marmonné-je.
Il rigole, alors je lui darde un regard. Moi, je n'esquisse même pas un rictus.
— Tu sais toute la vérité. Alors, je te laisse les quarante milles euros que je t'avais déjà avancé. Refais ta vie. Enfin, essaie.
— Vous m'avez dit à l'instant que vous alliez me tuer.
— Oui, je te tuerai. Un jour. Mais c'est comme à la chasse, j'adore laisser de l'avance à mes proies. Comme ça, c'est plus prenant, plus jouissif...
Ce type a un don pour faire des métaphores... Mais moi, je n'espère qu'une chose, c'est que le GIGN arrive tout de suite.
— C'est une belle journée, n'est-ce pas ?
— Ouais... pour ceux qui savent que leurs jours ne sont pas comptés, grommelé-je.
Il pose sa main sur mon épaule et me sourit.
— Je peux te laisser un sursis parce que, tu sais... même si tu as touché ma fille, je t'aimais bien. Tu étais un bon garde du corps et tu as un bon coeur, c'est certain. Allez, serrons-nous la main, marquons cette discussion par une bonne poigne d'homme.
Je plisse les paupières puis lui serre la main. Lui me la serre très fort, il a relevé ses lunettes et me toise de ses yeux sournois. Je ne sais pas s'il sait, je ne sais pas s'il me défie, s'il s'apprête à faire quelque chose mais les fourgons arrivent de parts et d'autres, des hommes armés jusqu'aux dents descendent, gilets pare-balle, casques, boucliers...
Hernandez me fixe, il ne me lâche pas la main et ses lèvres fines s'étirent en un sourire amusé, sarcastique, sournois...
— Tu sais que je ne te lâcherai pas Matthias, articule-t-il.
— Emmenez Hernandez dans le fourgon ! crie un soldat.
— Je sais, soufflé-je.
Il me lâche enfin la main quand on lui saisit les bras pour le menotter. Il ne riposte pas, il se laisse faire et monte dans le fourgon. Je laisse mes épaules s'affaisser, j'essuie mon front couvert de sueur, je reprends ma respiration puis je croise son regard une dernière fois avant que les portes ne se referment. C'est comme s'il m'avait marqué d'un seul regard, comme s'il savait qu'il me retrouverait quoi qu'il arrive.
Mais j'ai réussi.
Je l'ai coincé ce fils de pute.
Je finis la journée au cimetière, assis près de la tombe de mon père. J'ai arraché les mauvaises herbes, j'ai déposé des fleurs fraîchement cueillies et maintenant, je me fais un monologue depuis au moins une heure. Je lui raconte tout ce que j'ai fait pour payer ses dettes, pour protéger ma mère. Je lui explique tout dans les moindres détails. Puis je termine par comment j'ai coincé son assassin. Rien ne m'empêchera de penser qu'il le savait et qu'il a déjà un plan pour s'évader mais je m'en fiche. Je m'en fiche parce que pour l'instant, c'est moi qui ait gagné.
— Je suis désolé, papa... je suis désolé d'avoir penser que t'étais un moins que rien. T'avais besoin d'aide et moi... je me suis concentré que sur moi et personne d'autre. J'aurais dû t'écouter quand t'essayais de me parler, j'aurais dû laisser l'Afghanistan derrière moi, pour profiter de toi. J'ai été con et égoïste alors que toi, tu te noyais dans ta solitude...
Je marque une pause, puis je décide de me relever. Je remets bien les fleurs, regarde de longues secondes sa pierre tombale que j'ai lustré pour qu'elle brille.
— Il faut que je parte. Mais, j'essaierai de venir une fois par an, te rendre visite et te raconter les aventures que je vis. Je suis un fugitif maintenant. Enfin... presque, j'aurais toujours un bracelet à la cheville mais ils m'ont au moins autorisé à quitter Paris. Je serai suivi par un autre centre pénitencier, et on verra combien de temps durera mon sursis. Vincent s'occupera de ta tombe le temps de mon absence. Au revoir... papa.
Et le lendemain, c'est à ma mère que je dis au revoir, ou adieu. Parce qu'en réalité, elle ne se souviendra pas de moi la seconde après que j'ai quitté sa chambre. Elle regarde une émission à la télé, je lui parle mais elle est absente. Je lui livre ce que je ressens, je lui dis que je l'aime, je lui raconte ce qui me tracasse, ce qui me fait mal, ce qui m'attriste.
Je lui parle de Julia. De cette femme au caractère épineux, mais au coeur meurtri par son passé. Je lui parle de ses beaux cheveux bruns, de ses magnifiques yeux noisettes, de sa peau, de son parfum, de sa voix et de son rire. Je lui parle de ses oeuvres d'art, de sa façon de voir le monde, de son combat contre ses démons, de la femme forte qu'elle est et qu'elle deviendra.
— Pourquoi tu ne restes pas avec cette fille ? me demande-t-elle. Pourquoi tu pars si tu l'aimes ?
— Je... Non, je ne l'aime pas. Enfin, je l'apprécie mais de là à dire ça...
— L'amour peut commencer par un coup de foudre immédiat, ou alors, il bourgeonne comme une fleur au printemps et grandit de plus en plus. Tu ne devrais pas partir si tu aimes cette fille.
Je souris légèrement. Elle pose sa main sur la mienne, alors je la regarde à nouveau. Elle est assise dans son fauteuil marron, avec un plaid sur ses jambes. Elle a toujours été frileuse.
— J'espère que tu la reverras, parce que ce que vous avez vécu, ce n'est pas commun. Tu ne le revivras avec personne d'autre.
— Merci, maman...
Elle me sourit. Je crains qu'elle ne sache pas vraiment qu'elle est ma mère, mais elle est polie et bavarde. Elle croit sûrement parler à un inconnu ou un aide soignant mais au moins, elle me parle et ça me suffit.
Je dépose un baiser sur son front, puis je rejoins la porte que j'ouvre pour quitter la chambre.
— J'essaierai de revenir te voir, déclaré-je. A plus tard, maman.
Elle hoche la tête alors que j'ouvre la porte.
— Bon voyage, Matthias.
Je me retourne vers elle, ses yeux sont déjà posés sur la télé. Entendre mon prénom de sa bouche, sans que je n'ai eu besoin de lui dire me procure une drôle de sensation. Je souris, puis pars. Pour de bon.
C'est Frank qui me conduira jusqu'au centre pénitencier qui prendra soin de moi. Je ne suis pas tout à fait libre.
Mais mon esprit, lui, il l'est.
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