Vingt quatre : Brisé
JULIA.
Je referme la porte derrière moi, garde mes mains appuyées sur celle-ci, la tête baissée, le cœur battant à tout rompre. Finalement, je pose ma main sur ma bouche et laisse quelques larmes couler sur mes joues.
Que vient-il de se passer ?
Comment d'une histoire presque trop belle pour être vraie, nous sommes passés à un cauchemar ?
Je savais que mon père me mentait, mais Matthias ? Il travaille pour lui, de là à tuer...
Je me rends compte que je me suis attachée à un personnage mais pas réellement à lui. Je ne le connais pas. La posture qu'il avait, vautré sur son fauteuil, les vêtements trempés et le regard noir, furieux... on aurait dit quelqu'un d'autre.
Je me redresse, renifle, essuie mes larmes d'un revers de la manche puis je sursaute lorsqu'on toque à la porte. Je recule d'un pas et secoue la tête.
— Va-t-en Matthias ! Je t'ai dit que je ne voulais plus te voir !
— Madame, c'est la police. Des témoins nous ont dit que vous habitiez ici. Il y a eu un meurtre à la galerie d'art où vous exposiez. Vous devez nous suivre au poste.
Je ferme les yeux, passe ma main dans mes cheveux. Je n'ose même pas ouvrir la porte. Suis-je complice d'un meurtre ?
— Madame Hernandez ? Ouvrez la porte s'il vous plaît.
Il frappe à nouveau. J'inspire profondément, puis je l'ouvre enfin. Je lève mes yeux vers l'homme qui se tient en avant, deux autres derrière. Ils ne portent pas l'uniforme de la gendarmerie. Ils sont cagoulés, vêtus de noir et armés. Je m'apprête à leur tourner le dos lorsque l'homme saisit une poignée de mes cheveux et me tire en arrière. Il me colle contre lui et entre dans l'appartement avec ses camarades. Je pousse un cri, pose mes mains sur les siennes. Il me tire les cheveux, me fait mal mais je m'immobilise lorsqu'il appuie la lame d'un couteau contre mon cou.
— Ou est Hernandez ?
— Je ne sais pas, pitié... pitié...
Il tire un petit peu plus sur mes cheveux, ma tête en arrière contre son épaule. Je pousse un grognement de douleur avant que mes oreilles ne se mettent à siffler lorsque des coups de feu fusent dans mon appartement. Le type me garde contre lui, son couteau abîme ma peau et les deux hommes qui l'accompagnaient se prennent une balle en pleine tête pour l'un et l'autre dans la poitrine. Ensuite, Matthias braque son arme sur nous, ses jambes sont légèrement fléchies, son regard sombre, il semble concentré, sûr de lui.
— Approche et je lui tranche la gorge, menace l'homme qui me tient en otage.
Matthias me jette un bref regard, impassible. Enfin, il appuie sur la gâchette , le coup de feu retentit et la balle vient se loger dans l'œil de mon bourreau. La détente m'assourdie, je tombe à la renverse en même temps que lui et m'affale sur le sol. Lorsque je relève la tête, les acouphènes dans mes oreilles m'empêchent d'entendre correctement. Je vois Matthias qui s'avance vers moi pour me tendre la main mais j'écarquille les yeux lorsqu'un type se jette sur lui par derrière.
Il lui saisit la gorge avec ses bras, maintient sa tête. Matthias lâche son arme lorsqu'il cogne son adversaire contre le mur. Moi, je tente de me redresser, temporairement sourde. J'ai l'impression de n'entendre que mon coeur qui bat, que ma respiration irrégulière qui oxygène mes poumons. J'appuie mes mains sur le sol, relève les yeux vers Matthias qui peine à se défaire de la prise de son bourreau. Son visage devient rouge, l'air lui manque, mais je ne sais par quel miracle, il parvient à lui donner plusieurs coups de coude dans les côtes. Aussitôt la prise moins serrée, Matthias s'en défait, se retourne vers lui et abat son poing contre son visage. L'autre plante son genou dans le ventre de mon garde du corps qui grimace. Il arrive néanmoins à le saisir, le retourner contre le mur, maintenant une poignée de ses cheveux bouclés, il lui cogne la tête contre le mur à plusieurs reprises. Les cadres tombent, le plâtre s'effrite avec la peinture tachée de son sang.
— Matthias... balbutié-je. Arrête...
Il ne m'écoute pas.
— Arrête ! Répété-je plus fort.
Enfin, il le lâche. Le corps de sa victime retombe mollement sur le sol. Il peine à reprendre sa respiration, recule d'un pas, les poings serrés. Je m'approche de lui, hésitante, tremblante. Quand je pose ma main sur son bras égratigné, il me jette enfin un regard. Il saisit mon visage, me fait pencher la tête.
— Tu es blessée, constate-t-il.
Je pose ma main sur la plaie de mon cou, c'est superficiel et peu douloureux.
— Je vais bien... soufflé-je.
Il hoche la tête, récupère le pistolet d'un des types qu'il vient de tuer, vérifie le chargeur...
— Matthias, j'ai besoin de comprendre. Je t'en prie.
Il me darde un nouveau regard avant de s'avancer vers la fenêtre, tirer légèrement le rideau et regarder à l'extérieur.
— Ton père m'a embauché pour que je puisse payer la dette de mon père. Il s'est suicidé, parce qu'il était accro aux jeux. Des types m'ont menacé ma mère et moi et... je ne sais comment, ton père est venu à moi.
— Mais comment...
J'ai les épaules basses. Je suis fatiguée des mensonges. J'ai toujours été mise à l'écart pour tout. Je ne sais rien de mon père et ça me pèse.
Je suis la fille d'un inconnu.
— Comment il t'as trouvé...
— J'en sais rien.
— Tu sais que ce n'est pas normal ?
Il lâche enfin le rideau pour s'intéresser à moi. Mon appartement est sans dessus dessous, quatre corps gisent au sol, le sang tache le parquet stratifié et une giclure se retrouve même sur le marbre du plan de travail de la cuisine. D'ailleurs, je crois être moi-même couverte du sang de cet homme qui a failli me tuer.
— Tu sais que mon père ne donne jamais d'argent comme il l'a fait pour toi ?
— Où tu veux en venir ?
Je hausse les épaules.
— Je trouve ça bizarre, c'est tout. Quand est-ce qu'on a pris contact avec toi ?
— Le soir, après l'enterrement de mon père.
— C'est une malheureuse coïncidence alors...
Matthias garde ses sourcils froncés, à me dévisager. Je ne fais pas partie de tout cela mais, je connais mon père. Il avait déjà un plan en tête et ce n'était probablement pas d'aider Matthias à payer ses dettes. Lorsqu'il s'apprête à parler, quelqu'un défonce la porte de l'appartement, je rejoins aussitôt Matthias qui braque son pistolet en la direction de l'homme qui s'avance vers nous, accompagné d'une dizaine d'autres.
— Julia Hernandez, la fille de Frederico Hernandez, Baron de la Drogue, Jeffe d'un Cartel francophone en pleine effervescence... il tient aussi quelques clubs de striptease dans lesquels de jeunes femmes étrangères dansent de force. Sais-tu d'où viennent toutes ces femmes ?
— Faites un pas de plus et je vous tire une balle en pleine tête, menace Matthias.
L'homme s'arrête et lève ses mains. Il porte un costume blanc, il est français, déguisé d'une moustache fournie et de yeux bleus clairs et perçants.
— Si tu me tues, mes hommes vous tuent tous les deux.
— C'est ça, vos hommes ? Grogne Matthias. Dix mercenaires à peine entraînés ?
— Tu es bien sûr de toi... s'amuse le bandit. D'autres t'attendent en bas. Tu veux aller voir ?
Matthias ne rétorque rien.
— Si je suis là, c'est parce que tu as tué l'un de mes fidèles, c'est parce que Frederico Hernandez refuse d'admettre qu'il n'a pas le monopole partout et que la Sicile est indépendante.
Il marque une pause pour nous jauger. Avant même que l'inconnu puisse reprendre la parole, les sirènes de police retentissent à l'extérieur. Les regards se braquent sur moi, mon coeur s'emballe. Il se peut que j'ai appelé la police avant de quitter la galerie. Sans attendre, l'homme sort un revolver et presse la détente. Je n'ai le temps de rien voir que Matthias se jette sur moi. Nous atterrissons derrière le canapé. Les balles fusent, ricochent sur la décoration, des plumes volent...
Matthias se relève, m'ordonne de rester baissée puis se redresse légèrement pour riposter. Je ne comprends rien à ce qui se passe, ce que je sais, c'est que plus jamais je ne souhaiterais voir mon père. J'en ai assez qu'on me mente. Je passe pour une idiote depuis bien trop longtemps.
Je reste assise contre le dossier du divan, les jambes repliées, les mains contre mes oreilles. Je ferme les yeux, aussi fort que je le peux, pour espérer ne plus vivre cet instant.
Les coups de feu sont si forts qu'ils résonnent dans ma poitrine, font sursauter mon coeur, me nouent la gorge. Ça me rappelle le crépitement des flammes lors de l'incendie qui a tué ma mere. Ça me rappelle comme je sursautais chaque fois qu'un matériaux se désagrégeait, chaque fois que ma mère hurlait...
Puis enfin, le silence, timide et satisfaisant. Je rouvre les yeux, retire les mains de mes oreilles. Le gémissement de Matthias me fait tourner la tête vers lui. Il saigne beaucoup, au niveau de l'épaule mais ça imbibe sa chemise de sang pourpre.
— Oh non, tu es touché ! M'exclamé-je.
— Ça va... grogne-t-il. Ça va...
Il se relève, quelque peu bancal alors je fais de même. Je ne reconnais plus le lieu où j'ai vécu. Des cadavres font office de décoration et l'homme est affalé sur le sol, une balle dans le cou semble avoir liquéfié sa trachée.
— On va descendre par les escaliers. Les gens doivent être cloîtrés chez eux mais je pense que d'autres hommes sont ici, déclare Matthias en prenant en photo l'homme qu'il vient d'assassiner.
— Ça te fait si peu d'effet de tuer ces gens ?
— C'était soit nous, soit eux. Il faut savoir faire des choix rapidement. C'est ce que j'ai fait. Viens.
J'entrouvre la bouche et le suis des yeux alors qu'il sort de l'appartement. Je le suis malgré moi, j'ai les jambes flageolantes, le coeur lourd, la nausée... Matthias fait preuve d'un sang froid indestructible, je suppose que ce devait être un bon soldat.
Dans la cage d'escaliers, nous ne croisons que quatre ou cinq hommes qu'il abat après quelques coups de feu échangés. Le dernier, il se jette sur lui pour le désarmer et après s'être reçu une ou deux droites en pleine figure, il lui pique son flingue et lui colle une balle entre les deux yeux puis il abandonne son arme. Au moins, c'était un garde du corps hors pair, capable de se battre, tuer et protéger.
Arrivés dans le Hall, la sonnerie du téléphone de Matthias retentit, il s'arrête devant les portes vitrées où la BAC et le GIGN l'attendent armés jusqu'aux dents. Il regarde quelque chose sur son écran, puis se tourne vers moi en laissant ses épaules s'affaisser. Son air impassible disparaît, il serre ses mâchoires, relève le menton.
— Putain de famille de dégénérés, maugrée-t-il.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Je souhaite m'avancer vers lui mais il jette son téléphone à mes pieds. Je sursaute, l'interroge du regard. Il secoue la tête, je vois que ses yeux se noient dans ses larmes.
— Je ne veux plus jamais avoir affaire à toi ou ta foutue famille, articule-t-il.
— Quoi... qu'est-ce que... qu'est-ce que j'ai fait ?
Il me tourne le dos et avance vers la porte.
— Attends ! Ils pourraient te tuer ! Matthias ! S'il te plaît... reste, on va trouver une solution ! Matthias...!
Mais c'est trop tard, il sort à l'extérieur et aussitôt, il est pris d'assaut.
— Mettez vos mains derrière la tête ! Ordonne quelqu'un au mégaphone.
Matthias n'arrive à lever qu'un bras.
— À genoux ! J'ai dit à genoux !
Alors il s'agenouille.
— Les deux mains en évidence !
Il ne parvient pas à lever le bras touché par la balle.
— Mettez-vous à plat ventre !
Un gendarme appuie son pied contre son dos pour le plaqué au sol, puis enfin, on lui met les menottes et les forces de l'ordre entrent dans le bâtiment pour secourir les habitants de l'immeuble. Certains me frôlent, l'un bute dans le téléphone de Matthias que je récupère. L'écran est brisé mais j'arrive à lire le message de mon père : J'ai dû sacrifier l'un de mes pions pour espérer me frayer un passage vers la Reine. Tu sais ce que c'est, les échecs...
— Madame ? Madame ? Vous m'entendez ?
Je cligne plusieurs fois des paupières. Un soldat du GIGN se tient devant moi avec sa lumière. Je hoche la tête comme réponse, alors il me prend aussitôt en charge.
Mon coeur se brise quand, à l'extérieur, je ne vois plus Matthias. Quand je relis le message de mon père.
Tout ça n'était qu'un jeu ? Auquel il a brillamment participé. Dans lequel Matthias et moi avons été manipulé avec brio.
Il est temps de te réveiller Julia.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top