Vingt huit : 365 jours plus tard
JULIA.
— OK, j'ai gagné dix milles euros en vendant deux de mes tableaux, donc si je continue comme ça et que je mets suffisamment de côté, je pourrai me racheter une voiture et louer un appartement à Paris.
— Tu vas t'en sortir, m'assure Cassy en posant sa main sur la mienne.
Je lève les yeux vers elle et lui souris.
— Merci d'être là, Cass...
— Je serai toujours là, quoi qu'il arrive.
Je hoche la tête.
— Il faut que j'aille voir mon père et ensuite, je prendrai le train jusqu'à Èze.
— Tu es sûre de toi, pas vrai ?
Je pose ma main sur sa joue.
— Je crois que j'ai compris une chose avec tout ça, c'est qu'il est temps de prendre ma vie en mains.
— Alors fonce !
Cassy m'a hébergée après que j'ai tout redonné à mon père. Ça n'a pas été facile d'apprendre son arrestation peu de jours après mais c'était le sacrifice à faire pour aider Matthias à sortir de prison. Je devais faire un choix entre mon père et lui et l'un était bien plus coupable que l'autre. Malheureusement, mon frère a, lui aussi, été arrêté. Son club a été mis sous scellé et le procès devrait débuter d'ici un an ou deux, le temps que l'affaire soit suffisamment épluchée. Tout a été médiatisé mais j'ai réussi à rester la plus discrète possible. Pour l'instant, le Procureur ne se prononce pas mais les réseaux sociaux et les journaux ne parlent que de ça.
Aujourd'hui, je rends visite à mon père puis je quitte Paris pour le Sud de la France. Je n'ai pas décidé du temps que je passerai là-bas. Peut-être que je pourrai trouver de quoi exposer ailleurs, dans tous les cas, j'ai besoin de respirer un instant et surtout, de le voir.
A la prison, j'ai droit à cinq minutes, pas une de plus, pour parler à mon père. Impossible de le voir dans la salle de visite, ce sera derrière un Plexiglas, avec un téléphone pour nous entendre. Je m'assois en face d'une place, pose mon sac à mains à côté de moi. Mon coeur bat la chamade, mais je lui dois au moins des explications.
Quelques minutes plus tard, la sonnerie retentit et mon père est escorté par un garde. Il est menotté, en survêtements mais il reste toujours aussi élégant, coiffé et sûr de lui. Il sourit lorsqu'il me voit, d'un air ironique puis il s'assoit et décroche le téléphone.
— Quelle surprise de te voir ici, Julia.
— Je venais te voir, savoir comment se passait ton petit séjour derrière les barreaux.
— Merci de t'en inquiéter, tout va pour le mieux.
— J'espère que tu comprends que ta place est ici, plutôt que dehors.
Son sourire amusé disparaît.
— Non, Julia. Je t'avais tout donné pour que tu aies une vie parfaite, sans problème d'argent, sans avoir à travailler pour te faire plaisir.
— Tu ne m'as pas donné ce que j'attendais de toi. J'avais besoin d'un père, pas d'une banque...
Il baisse les yeux un instant, ses mains menottées accrochées au combiné. Il relève enfin son regard vers moi.
— C'est moi qui ait fait sortir Matthias de prison, reprends-je, grâce à des contacts que Cassy avait dans la police. Je voulais que tu saches que... l'idée de te coincer venait de moi et pas de lui. Alors... s'il te plait, laisse-lui la vie sauve.
Il reste silencieux de longues secondes à me jauger. Je vois que cela le blesse mais fier comme il est, il ne le montrera jamais. Bientôt, ses lèvres s'élargissent en un large sourire, il rigole, cela me semble ironique, nerveux...
— Tu es bien la fille de ton père, déclare-t-il. Je ne t'ai jamais appris les échecs, mais je ne doute pas que tu aurais été une adversaire redoutable.
Je ne sais pas si je dois sourire ou si c'est une insulte.
— J'ai envie de te pardonner papa, mais j'ai envie que tu agisses comme un père et plus comme un baron de la drogue.
— Ma place n'est pas dans une cellule, Julia, grogne-t-il.
— Si, parce que tuer, c'est un crime qui doit être puni.
— Alors Matthias le mérite, lui aussi.
Je secoue la tête.
— Non, Matthias a tué quand il était soldat, il a tué pour toi comme l'aurait fait un soldat pour sa patrie. Toi, tu vends de la drogue, et les gens meurent à cause de toi, ils développent des addictions, des maladies, font des overdoses, se suicident ou alors... s'ils te doivent de l'argent comme son père t'en devait, ils se font assassiner parce qu'ils ont touché le fond, par ta faute à toi... Tes crimes ne sont pas justifiés, l'argent que tu gagnes n'est pas honorable. Je suis dégoutée d'avoir vécu aussi longtemps avec de l'argent sale, d'avoir gardé des oeillères autant de temps. Je méritais de savoir, je méritais de choisir. Tu ne m'as pas laissé cette chance. Je le fais aujourd'hui, papa. Si tu ne veux pas me perdre, alors coopère. Parce que sinon, sois certain que jamais plus je ne voudrai entendre parler de toi. Pour moi, tu seras mort.
Après ces quelques mots, je raccroche le téléphone, souffle longuement. Mon coeur bat fort, mes larmes noient mes yeux. Je me lève alors qu'il pose sa main sur le Plexiglas.
— Julia, attends, entends-je de l'autre côté, faiblement étouffé.
Je récupère mon sac que je mets sur mon épaule, je ravale mes sanglots puis je quitte la salle.
— Julia ! Reviens ici ! Ju'... Julia !
La porte se referme, je sors à l'extérieur, j'inspire profondément. Je ne me suis jamais sentie aussi libre qu'aujourd'hui. Il est difficile de faire face à la réalité, mais il est si bon de se réveiller, de vivre enfin, de s'accepter.
De faire son deuil.
Dans le train, je dessine des esquisses sur ma tablette, des ébauches de nouvelles créations que j'espère peaufiner après mon séjour dans le Sud. Je ne sais pas si ce sera bénéfique mais comme ma Psy me l'a dit : je dois voler de mes propres ailes, faire les choix que j'estime bons pour moi et s'il s'avère qu'ils sont mauvais, s'il s'avère que je me trompe, alors je me relèverai plus forte, comme je l'ai fait après l'incendie. Survivre, vivre, se battre, ce n'est pas abandonner la personne qui n'a pas su le faire ou qui n'a pas eu la chance de le faire. C'est simplement être plus fort, et ne pas gâcher le cadeau que la vie nous a fait en nous laissant une seconde chance.
J'ai quelques correspondances dans différentes gares avant d'arriver enfin à destination. Quand c'est le cas, je tire ma valise sur les pavés du petit village de Èze, observe les arbres aux feuilles orangées. L'automne est presque là, mais l'endroit paraît encore idyllique. L'air est tiède, apaisant, comme un souvenir d'été, lointain mais précieux.
Je m'arrête dans un hôtel pour la nuit, le lendemain, je décide de partir à la recherche de Matthias. Alors je demande dans quelques commerces si les gens le connaissent, au début, c'est assez laborieux jusqu'à ce qu'enfin, une vieille fleuriste m'affirme le reconnaître.
Ce serait le jeune homme qui vit dans une maison près de la mer. Il n'a le droit de sortir de chez lui qu'à des heures précises de la journée, parce qu'il a un bracelet électronique à la cheville alors souvent, elle vient lui livrer quelques oeufs que ses poules pondent et elle confectionne de jolis bouquets pour décorer son jardin. La police lui rend régulièrement visite apparement.
Je décide de prendre mon courage à deux mains, parce que je croyais que ces recherches seraient inutiles alors je n'avais pas réalisé dans quoi je m'embarquais. Néanmoins, je me rends à cette fameuse maison près de la plage. Dans le village, les rues sont minuscules, en côte parce que la falaise domine la mer. Quand j'y arrive enfin, quand je me trouve sur le pas de la porte, mon coeur bat la chamade, j'ai peur de sa réaction. Mais je ne dois plus laisser ma peur prendre le dessus sur ce que je veux. J'inspire profondément et expire lentement.
Je sonne à la porte, croise les mains devant mon bassin après avoir replacé mes cheveux correctement. Je les ai laissé naturels, comme il a toujours aimé, frisés, sans artifices. J'attends quelques secondes qui me paraissent une éternité avant qu'il déverrouille sa porte et l'ouvre enfin. Il fronce les sourcils lorsqu'il me voit, tient sa porte et me regarde de la tête aux pieds.
— Qu'est-ce que...
Ses cheveux ont légèrement poussé, il a une barbe de quelques jours, porte un bermuda cargo et une chemise blanche à moitié ouverte. Il passe sa main dans ses cheveux, hausse les sourcils, sans savoir quoi dire.
— Salut ? tenté-je.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? demande-t-il.
— Cassy a un ex qui travaille dans la police, j'ai demandé à savoir où tu avais été transféré... Dis comme ça, ça peut faire peur. Enfin bref, je ne sais pas comment tu t'es débrouillé pour arriver jusqu'ici mais... bravo.
— J'ai dû négocier pendant des jours pour espérer avoir ce genre d'endroit où rester prisonnier.
Je souris légèrement.
— C'est sûr que c'est idillyque...
— Ouais, souffle-t-il.
C'est étrange de le voir, hors contexte, sans qu'il soit mon garde du corps, sans que je n'ai d'ordre à lui donner. Il est lui et je suis moi.
— Matthias, je voulais te dire merci de m'avoir protégée. Et je suis vraiment désolée que tu aies eu affaire à ma famille.
— C'est pas grave, assure-t-il. Je me débrouille maintenant.
Je hoche la tête, la gorge nouée, l'estomac serré. Il a l'air de me détester, ça me fait mal de ressentir sa rancoeur. Il est froid, distant, impassible.
— Bon, eh bien... merci d'être passée, Julia. Profite du village, hors saison, il y a moins de touristes, c'est plus plaisant à visiter.
Lorsqu'il s'apprête à fermer la porte, je le retiens.
— Attends !
Il la rouvre et pose ses yeux verts sur moi. Il me paralyse.
— Je n'ai pas appris à te connaître pendant ces dix mois pour lesquels tu travaillais pour mon père. Je... j'ai agi avec égoïsme mais... je t'apprécie vraiment.
Il ne dit rien, il me toise, sans un mot, les lèvres pincées. Il a l'air tellement triste, tellement seul...
— Je... je n'ai pas fait tout ce chemin pour visiter Èze en réalité, avoué-je enfin.
Il se redresse légèrement.
— Je l'ai fait pour te voir. Je l'ai fait parce que j'avais besoin que tu comprennes à quel point je suis désolée pour tout ce que tu as dû traverser mais pourquoi ne pas nous laisser une chance ? J'aimerais qu'on fasse comme si rien ne s'était jamais passé. J'aimerais bien, si toi aussi tu le veux, qu'on reprenne tout à zéro ? Tu n'as jamais été mon garde du corps et moi, je n'ai jamais été la fille de ce Baron de la drogue. Qu'est-ce que tu en dis ?
Il cligne plusieurs fois des paupières, passe sa main sur son visage. Le silence qu'il m'inflige me torture. Je respire fort, mon coeur martèle ma poitrine. Ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas parlé à un homme de cette manière, que je n'avais pas choisi de me rendre vulnérable pour lui. J'ai enfin le sentiment que je suis capable de recevoir de l'amour et d'en donner. J'en ai envie mais pas avec n'importe qui. J'ai envie de connaître les moindres détails sur sa vie, sur sa personnalité. J'ai envie de partager des moments avec lui, j'ai envie de rire avec lui, de me disputer avec lui, de dormir avec lui, de parler jusqu'au levé du jour...
— Excusez-moi... marmonne-t-il en me tendant la main et plissant les paupières. Je ne me suis pas présenté à vous, je m'appelle Matthias Roberts, avec un s, parce que c'est anglais. Et vous, votre nom ?
Je relève mes yeux vers lui, sans pourvoir m'empêcher de lui sourire, alors que je sens mes larmes qui coulent sur mes joues. Je serre sa main à mon tour, sans le lâcher des yeux, perdue dans l'authenticité de son regard.
— Julia Hernandez, peintre et photographe. Ravie de vous rencontrer, Monsieur Roberts.
Et voilà, l'histoire touche à sa fin ! Comme je l'avais dit au début, c'était vraiment une histoire pour le fun mais j'ai tout de même apprécié l'écrire, sans trop me prendre la tête. J'espère que vous avez apprécié la lire !
Merci à ceux qui l'auront suivi jusqu'au bout et à ceux qui liront, un peu plus tard.
Si vous cherchez une prochaine romance (sûrement plus torturee), vous avez La Rupture ! C'est dispo 👉🏻
À très bientôt ! ♥️
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