Trois : Entretien
Matthias.
Comment doit-on s'habiller pour un entretien mystère ?
Je me regarde dans le miroir, attachant soigneusement ma chemise près du corps, tout en sachant pertinemment que je m'embarque dans quelque chose d'illégal. Pour que ces personnes aient accès aux fichiers protégés de l'état, c'est que ce n'est pas n'importe qui. Soit le poste de Garde du Corps est illégitime, soit il concerne une personne précieuse pour qui la tête a été mise à prix.
Un petit peu comme la mienne.
Mais mes histoires personnelles, je les garderai pour moi. J'ai besoin d'argent, le salaire est négociable et je suis presque certain que ça ne tourne pas rond, l'argent sale, ça n'a jamais été mon fort mais pour que ma mère vive et que je puisse vieillir sereinement, je suis prêt à prendre le risque.
— Bordel de merde... maugrée-je pour moi même. Qu'est-ce que t'es en train de faire, Matt ?
Je me parle à moi-même, comme si mon reflet allait me répondre et me dissuader d'y aller. Comme ils l'ont si bien dit, j'ai pratiqué les arts martiaux et je fais encore de la boxe. Quand on pratique ce genre de sport de combat, on sait aussi que se battre en dehors d'un ring est interdit. Par principe, je ne me bats jamais. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai laissé ces malfrats me tabasser.
J'ai utilisé le fond de teint qu'une ex a laissé trainé dans ma salle de bain pour atténuer mon œil au beurre noir et me voilà parti, au volant de ma vieille Audi, à réciter dans ma tête, tout ce que je pourrai dire pour me vendre.
Quand j'ai passé mon entretien au magasin d'audio visuel au centre commercial, je n'ai pas eu besoin de stresser. En réalité, les qualifications demandées étaient vastes mais à la fois, banales. Il y a seulement une chose qu'ils n'ont pas pris en compte dans mon profil : je suis vraiment mal à l'aise avec la clientèle et un très mauvais vendeur.
Je me gare sur le parking, coupe le contact et regarde l'extérieur du "restaurant". C'est un foutu club de strip-tease. Je m'y rends tout de même, curieux jusqu'au bout. Je n'ai rien à perdre, sauf peut-être ma dignité et un ou deux organes.
Le videur me laisse entrer après m'avoir analysé de la tête aux pieds, je passe le hall, puis le rideau de strass pour entrer dans une grande salle où des femmes dansent à moitié nues à la barre. La musique est forte, des hommes boivent et regardent avec vice les danseuses.
Je m'accoude au bar, je ne comprends pas vraiment ce que je fais ici. Je regarde autour de moi, bien que mes yeux s'égarent un instant sur le corps voluptueux d'une serveuse qui me lance un langoureux regard.
Est-ce que c'est un piège ?
Je suis pourtant à l'heure mais je trouve l'endroit peu propice à un entretien d'embauche. Je me retourne vers la barmaid au décolleté plongeant, lorsque je souhaite l'apostropher quelqu'un saisit ma nuque et me colle la tête contre le bar recouvert d'un filet gras à cause de la chaleur de la pièce. On m'écrase la joue dessus, une grosse main appuyée sur ma tête.
— Défends-toi, m'ordonne-t-il dans l'oreille.
Je rêve, c'est quoi ce plan pourri ?
J'hésite un instant, j'ai des principes, j'ai fait des promesses quand j'ai commencé la boxe mais quand je pense à ce que je peux y gagner, je me résigne bien vite. À tâtons, j'attrape ce qui me tombe sous la main : le support de la carte des boissons. Je frappe l'individu derrière moi avec, il me lâche, j'ai seulement le temps de me retourner pour le voir essayer de me frapper. J'esquive sa droite de justesse, le souffle coupé puis me baisse quand il réessaye. Je saisis son poignet, le tire vers moi puis le retourne. Cette fois, c'est lui qui se retrouve collé contre le bar sous le regard à peine surpris de la barmaid. Je relève son bras dans son dos, la clef que je lui fais lui arrache un grognement, mon autre main tient sa nuque.
— Putain, c'est quoi ce bordel ? couiné-je encore sous l'effet de l'adrénaline.
— C'etait un test, rétorque quelqu'un dans mon dos. Vous pouvez le lâcher.
Je lache la brute qui se masse aussitôt l'épaule et me tourne vers mon interlocuteur. Un homme d'une quarantaine d'années.
— Veuillez me suivre, M. Hernandez souhaite vous rencontrer, ordonne-t-il.
Je m'exécute. Au point où j'en suis, autant aller jusqu'au bout. Nous passons par la porte réservée au staff et longeons un long couloir dans lequel la musique résonne en de lourds échos. Nous croisons quelques danseuses puis entrons dans un bureau avec vue sur la salle principale depuis sa hauteur. L'homme assis à celui-ci se lève, s'avance vers moi en me souriant chaleureusement et me tend la main.
— Ravi de vous rencontrer M. Roberts.
Je la serre d'une poigne que je veux ferme.
— Je vous en prie, asseyez-vous, dit-il en présentant la chaise devant son bureau.
Je m'assois tandis qu'il s'applique à ne pas froisser sa veste de costume en m'imitant. Il se tient face à moi et m'observe avec ce fameux sourire courtois qui contraste avec ce qu'il vient de se passer. Le bureau est vaste, le sol pailleté très faiblement et des babioles qui semblent valoir une fortune décorent l'endroit.
Peut-être est-ce un job de garde du corps pour les danseuses. Je peine tout de même à croire que ce soit son seul business vu le personnage qui se présente à moi.
— J'admets que ma méthode de recrutement est peu conventionnelle.
Ça, tu l'as dit.
— Mais je prends les précautions nécessaires pour ne jamais me tromper. Vous travaillez actuellement ?
— Oui, je suis vendeur dans un magasin d'audiovisuel dans un centre commercial.
— Et combien gagnez-vous par mois ?
— Euh... environ 1400€ je dirais.
— Je peux vous offrir le double par mois.
Sauf que si mes calculs sont bons, après un an, je n'aurai même pas rassemblé la moitié de ma dette.
— Quel est le but du poste que vous proposez ? m'enquiers-je.
Je regarde autour de moi, je sens que ce type trempe dans des affaires pas nettes. Est-ce que ça ferait de moi un complice ou un criminel si j'acceptais le poste ?
— Je veux un garde du corps rapproché pour ma fille cadette.
Il pose son téléphone à plat sur le bureau devant moi pour me dévoiler une photo de sa fille. Une jeune femme aux longs cheveux bruns, le teint hâlé, des yeux noisettes. En réalité, une très jolie femme. Son visage ne me dit rien, elle ne semble pas connue.
— Mais je veux une personne de confiance, reprend-il. Quelqu'un capable de la protéger et de sentir le danger arriver. Ce qui n'a pas été votre cas quand l'un de mes hommes vous a attaqué.
Je me racle la gorge et me repositionne correctement sur la chaise.
— Je ne me bats jamais en dehors d'un ring. Avec la musique, l'endroit que j'ai trouvé intrigant comme lieu d'entretien et la minuscule appréhension que j'avais en venant ici, je vous avoue ne pas avoir fait attention à qui arrivait derrière moi.
Il sourit tout en m'analysant. C'est un sexagénaire bien conservé pour son âge, un bel homme, mûr et avec du pouvoir, c'est certain.
— Vous êtes honnête. J'apprécie.
Il s'appuie sur son bureau tout en plongeant ses yeux dans les miens.
— Seriez-vous prêt à quitter votre travail et votre logement pour passer la majeure partie de votre temps à surveiller ma fille ?
— J'ai besoin d'être certain que le salaire sera au moins le triple de ce que je gagne.
Il se redresse, les sourcils haussés, semble réfléchir.
— J'ai vu d'autres personnes avant vous M. Roberts. Bien plus qualifiées que vous.
— J'ai été militaire, je connais la discipline. Je sais me faire discret, être attentif et je sais que je suis capable de protéger votre fille, si elle court un danger.
Il plisse les paupières tout en me toisant.
— Vous avez besoin d'argent, constate-t-il.
Je me pince les lèvres.
— Oui. Et d'un nouveau travail.
Un court silence plane avant qu'il ne se lève. Je fais de même, me retrouve devant lui qui me tend la main. Je la serre, sans trop comprendre.
— Nous vous recontacterons, M. Roberts.
C'est tout ? C'était ça son entretien ? Est-ce que j'ai raté quelque chose ? Protéger une femme, c'est simple. Je sais que j'aurais pu en être capable.
— Si vous me sélectionnez, je peux vous assurer que vous ne regretterez pas votre choix.
Il me sourit.
— Je vois votre motivation. Laissez-moi réfléchir. Vous serez recontacté si vous êtes sélectionné.
Je hoche la tête, lui souhaite une bonne soirée et quitte le st Strip-club. Lorsque je monte dans ma voiture, je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai tout foiré. Je viens de vivre l'entretien le plus bizarre de toute ma vie et je n'ai même pas été capable d'être à la hauteur.
C'est ma seule chance de ressembler au moins la moitié de ma dette.
J'ai besoin de ce travail.
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