Quinze : Compliment
Matthias.
— Bientôt, je pourrai venir te voir plus régulièrement. On rediscutera comme avant toi et moi. Je te parlerai de papa, de moi, et même du chien qu'on avait quand j'étais petit.
Je marque une pause puis pose ma tasse de café sur sa coupelle. Ma mère hoche la tête à tout ce que je dis, me sourit poliment mais en réalité, elle oubliera cette conversation dans quelques heures si ce n'est quelques minutes.
— Tu ne vas pas bien ? me demande-t-elle en penchant la tête sur le côté. Quel est ton nom déjà ? Je sais que tu viens souvent mais... je l'oublie à chaque fois.
— Matthias.
— Ah oui, voilà ! Le prénom que j'aurais donné à mon fils sans hésiter ! Alors, ça ne va pas ?
— Si, ça va...
Elle mange le chocolat qui était en accompagnement de son café puis me regarde, dubitative.
— Je ne te crois pas.
Je souris légèrement. Elle perd peut-être la mémoire, mais elle n'est pas stupide. Elle a toujours su quand quelque chose me tracassait.
— J'ai simplement l'impression que ma vie a volé en éclats et que ce sera très compliqué de revenir à la normale. D'abord, il y a eu cette opé en Afghanistan, ensuite, quand j'ai cru que j'allais pouvoir aller de l'avant, il y a eu le suicide de papa et tous ces problèmes qui s'accumulent. Je ne vois même plus mes amis.
Elle pose sa main sur la mienne, ce qui me fait relever les yeux vers elle.
— Il faut prendre du temps pour toi. Ce soir, c'est le Nouvel An, il faut que tu voies tes amis.
— Je le ferai oui. Mais il me reste à peine sept mois pour...
Je secoue la tête et détourne le regard. Je sais qu'elle ne se souviendra pas de cette conversation, alors je pourrais tout lui dire, vider mon sac et me soulager mais je ne pense pas que ce serait la bonne solution. Après quelques minutes, elle retire sa main de la mienne, soudainement l'air absente.
— Excusez-moi... vous êtes aide-soignant, c'est ça ? J'aimerais retourner dans ma chambre. Je suis fatiguée.
Il ne lui aura pas fallu longtemps.
Je lui souris, l'aide à se lever et la raccompagne dans sa chambre, là où elle s'assoit sur son fauteuil pour regarder la télé. Ma mère est une femme que j'ai toujours admiré. J'ai un souvenir d'elle, constamment active avec ses longs cheveux châtains et ses beaux yeux verts. Elle faisait beaucoup de sport, était institutrice et chaque été, nous partions en voyage. Elle était, en quelques sortes, le rayon de soleil de notre famille et le pilier qui maintenait en vie mon père, complètement fou amoureux d'elle. Je peux comprendre la douleur de voir la femme qu'on aime nous oublier peu à peu, mais je ne peux pas comprendre la lâcheté d'abandonner son fils en se donnant la mort.
Je lui dépose un baiser sur le front, elle me sourit.
— Bonne année, maman.
Je retourne dans mon appartement payé par Hernandez et je me prépare pour la soirée du Nouvel An. Le programme est simple : Julia et ses amis vont faire la fête chez Cassy, elle aurait soi-disant l'appartement le plus branché de Paris. En tant que garde du corps, pour une soirée comme celle-ci, je n'ai pas vraiment le choix et je dois m'y rendre alors que de l'autre côté, mes amis m'ont invité dans un bar. J'aurais vraiment aimé y aller, histoire de décompresser et les revoir. Depuis l'enterrement de mon père, j'ai été peu présent et j'ai répondu à aucun appel de leur part.
Je me parfume, me coiffe et me jette un regard dans le miroir encore embué. J'ai opté pour une chemise blanche et un pantalon noir. J'enfile mon manteau puis sonne à la porte de Julia. Elle a eu largement le temps de se préparer durant mon absence.
Elle l'ouvre enfin, attrape son sac puis sort de son appartement après m'avoir détaillé de la tête aux pieds. Elle est très joliment vêtue d'un pantalon sombre qui met en valeur ses hanches et d'un bustier argenté. Elle s'est maquillée généreusement pour l'occasion, avec quelques paillettes qui tombent dans son décolleté. Ses talons la réhaussent de quelques centimètres.
— Je te préviens Matthias, commence Julia en entrant dans l'ascenseur. Tu n'as pas intérêt à dire à qui que ce soit que j'ai été voir un psy aujourd'hui, OK ?
— Je ne comptais pas le dire. Il faudrait peut-être commencer à me faire confiance.
J'appuie sur le bouton du parking souterrain et enfonce mes mains dans les poches de mon pantalon.
— En tout cas, t'es plutôt beau ce soir.
— Alors merci.
Un court silence plane, le temps que l'ascenseur descende.
— Tu ne me feras aucun compliment, hein ? reprend-elle.
Je me pince les lèvres et lui jette un regard.
— Tu voulais que je t'en fasse un ?
— Non.
Elle croise les bras et regarde devant elle. Je souris légèrement puis nous montons dans la voiture. Le trajet est plutôt silencieux, avec la radio en sourdine. C'est plutôt tendu entre nous. Je n'arrive pas à la cerner, à savoir si elle m'apprécie et accepte ma présence ou si elle cherche encore un plan pour m'évincer. Elle est bien moins désagréable mais j'ai l'impression qu'elle s'efforce de rester froide avec moi.
— Tu vas me faire la tête parce que je ne t'ai pas retourné le compliment ?
— Je ne fais pas la tête, rétorque-t-elle. Je me disais juste que je ne suis pas ton genre de femme. C'est sûr que la petite rousse était canon.
— C'est de la jalousie ça.
— Non, c'est une constatation. T'es aussi fermé qu'une huître.
— A qui le dis-tu ! T'es difficile à percer à jour, Julia.
— Tu n'aimes juste pas les défis.
— Je pense que je t'ai montré le contraire. Je suis toujours là.
— Et tu n'aurais pas dû. Comment tu peux accepter de te faire taper dessus comme ça ? T'étais soldat, non ? Et si t'es garde du corps, t'es censé savoir te défendre ?
— C'est bien plus complexe que ça et je ne me bats pas en dehors d'un ring. Ton père a du pouvoir et il a en quelques sortes ma vie entre ses mains. Alors s'il me tape dessus, je l'accepte et je me tais.
— Putain... grommelle-t-elle en regardant l'extérieur, les bras croisés. Je me doutais que c'était pas juste un Business clean. Aloïs ne me dit rien mais je ne suis pas idiote, j'observe, j'écoute... et je vois bien que quelque chose cloche. Le soi-disant cambriolage de notre maison, c'était une couverture. Aloïs s'est fait attaqué par un ennemi de mon père, pas vrai ?
Elle me jette un regard mais je tente de rester concentré sur ma route.
— Je sais trop peu de choses sur ces histoires pour te répondre.
— C'est un putain de mafieux.
— Au moins, il te garde loin de tout ça.
— Pas tellement puisque tu trempes dedans, toi aussi.
— Ça ne durera qu'un temps.
Elle pouffe de rire, alors je lui darde un regard.
— Tu penses vraiment que tu en sortiras comme ça, les mains dans les poches ?
Je ne réponds rien et me gare dans la rue déjà bondée de voitures. Je coupe le contact mais garde ma main sur les clefs alors que Julia se tourne vers moi.
— T'es foutu, Matthias. Et moi aussi.
Ensuite, elle sort du véhicule. Quand elle claque la portière, je récupère les clés tout en poussant un profond soupir. Je suis bien dans la merde, je suis au courant et Julia est une fouine très intelligente. Au moins, elle ne veut pas suivre les traces de son père contrairement à son frère, sa prouve sa complexité et sa réflexion. Une chose qui me plait chez elle.
Je la rejoins et nous prenons l'ascenseur qui nous mènera au dernier étage de ce grand appart hôtel de luxe. Vu toutes les voitures à l'extérieur, je ne doute pas que les invités se noient dans leur propre argent. Je suis une tâche à côté d'eux tous, mais j'ai encore quelques valeurs qu'ils n'auront jamais.
Je tire sur les manches de ma chemise afin de la réajuster lorsque Julia sonne à la porte. Cassy vient nous ouvrir, un verre à la main, tout sourire, la musique est forte et les gens se mélangent. Elle enlace Julia, me dépose un baiser sur la joue et nous invite à entrer. Son appartement est gigantesque, le sol est en marbre, la cuisine fait la taille d'un logement lambda de cinquante mètres carrez et les gens sont tous parfaitement apprêtés. Gabin nous rejoint, il me prend dans ses bras. Il est vêtu de strass et de paillettes, maquillé à la pointe de la mode.
— Il est trop canon le garde du corps ! s'enthousiaste Gabin en embrassant Julia.
— Ne le dis pas trop, il va finir par y croire, rétorque-t-elle en me lançant un regard malicieux.
Cassy revient rapidement avec des coupes de champagne que nous prenons, le bord des verres est recouvert de sucre. Nous trinquons et buvons une gorgée. C'est clairement le genre d'alcool que je ne reboirai jamais dans ma vie ; hors de prix et délicieux mais il faudrait vendre un organe pour se le payer.
— Julia, j'ai oublié de te dire, commence Cassy déjà à moitié saoule. Jordan est là...
— Les embrouilles, elle voulait dire les embrouilles, rectifie Gabin.
— Pourquoi tu l'a laissé entrer ?! s'offusque Julia.
— Parce qu'il est venu avec des amis d'un ami alors... c'était compliqué, tu vois ? Mais vous êtes en bons termes maintenant, non ?
— Bordel, Cassy, je t'ai dit que j'ai repris ma thérapie ! C'est en partie à cause de ce type que je suis complètement abîmée !
— Pas trop fort, ma chérie, les autres vont entendre, tente Gabin.
Julia boit une grosse gorgée de son verre et le termine lorsque ledit Jordan s'avance vers elle. Sa chemise est ouverte sur son torse musclé et tatoué et ses cheveux blonds sont parfaitement plaqués en arrière. C'est un bel homme, plus petit que moi mais probablement plus musclé. Disons que j'ai moins le temps de m'entretenir que lui à présent.
— Ju', t'es... splendide, commence-t-il.
— Ouais, merci, grommelle-t-elle.
— Jordan, c'est la fête, la fin de l'année et tout ça, alors... tranquille, OK ? intervient Gabin.
Cassy est déjà partie papillonner ailleurs. Jordan pose son regard sur moi, un sourcil haussé, il s'avance vers moi, comme un caïd. Je suppose qu'il veut m'impressionner et qu'il se souvient de moi.
— Ton chien de garde est encore là ? lance-t-il.
— Ouais, et il mord si tu t'approches un peu trop, grommelé-je.
— Hargneux, j'adore.
— Jordan, tu veux quoi ? Qu'est-ce que tu fais là ? soupire Julia.
— Je suis venu avec des amis et quand j'ai vu que c'était chez Cassy, je me suis dit que tu serais là aussi. T'es... putain de bonne.
Il se mord les lèvres en la regardant. Ce mec me donne la nausée, il est vicieux et loin d'être amoureux d'elle.
— OK, super. Matthias, on va se chercher à boire ?
Je finis mon verre cul sec.
— Je te suis.
Julia avance parmi la foule, je la suis sans manquer de bousculer Jordan sur mon passage et nous rejoignons la cuisine pendant que Gabin se charge de l'ex collant. Julia prend deux nouveaux verres qu'elle remplit de punch et m'en tend un tout en buvant déjà dans le sien.
— Vas-y doucement, on vient d'arriver, commenté-je en récupérant mon verre.
Elle hausse les sourcils.
— T'as déjà été amoureux, Matthias ?
— Oui.
— Et ça s'est bien fini ?
Carrément pas.
— Je ne dirais pas ça...
— Voilà, donc tu sais à quel point ça fait mal. Tu aimerais revoir ton ex ?
Plutôt mourir.
— Non.
— Donc tu peux comprendre pourquoi j'ai envie de boire ?
Je grimace légèrement.
— Hm... non.
Elle paraît surprise.
— Il rampe à tes pieds, et toi, tu ne te laisses pas faire, expliqué-je.
— Oui mais il est incroyablement sexy. Il avait un pénis éno...
— Julia, l'interromps-je, t'as le dessus sur ce type alors continue dans ce sens au lieu de penser à ça. Et... t'es une belle femme, t'en trouveras un autre. Boire jusqu'à te mettre la tête à l'envers juste pour l'oublier lui, c'est du gâchis. Tu lui donnes raison, tu lui donnes de l'importance et c'est tout ce qu'il veut.
Elle mordille le bord de son verre en plastique en me souriant, les yeux pétillants.
— Tu viens de me faire un compliment.
Je lève les yeux au ciel, réprime un sourire puis bois une gorgée du punch. Il est corsé. Je ne devrais pas boire, je suis en service mais c'est aussi le Nouvel An. J'ai juste envie de lâcher un peu de lest, histoire de décompresser.
Cassy vient chercher Julia pour la présenter à une gérante d'exposition d'œuvres d'art. Je ne savais pas qu'elle s'intéressait à l'art. Enfin, qu'elle en faisait du moins. J'avais vu quelques peintures et photos chez elle, mais jamais je n'avais pensé qu'elle en était l'artiste.
Je sors un instant sur le balcon, là où un jacuzzi tourne avec deux personnes à l'intérieur en train de se rouler des énormes pelles. Je détourne le regard pour le porter sur la Capitale illuminée. L'air est froid, j'ai laissé mon manteau à l'intérieur mais ça fait juste du bien de respirer un peu.
Évidemment, ça ne dure qu'un instant puisque Jordan s'appuie contre la rambarde du balcon, à côté de moi.
— C'est beau Paris, vu de haut, commente-t-il.
— Ouais, soufflé-je en buvant une gorgée de mon verre.
Je sens son regard sur moi, alors je daigne l'affronter.
— Pourquoi t'es tout le temps avec Julia ? demande-t-il.
— Pourquoi tu lui colles au cul ? rétorqué-je. Il est temps de passer à autre chose, t'as eu ta chance et t'as foiré.
— T'es sur la défensive mec, je viens juste discuter.
Je hausse les sourcils, détourne le regard et bois à nouveau une gorgée. Il tape dans mon verre que je lâche sans faire exprès. Il atterri dans le jardin du Rez de Chaussée. Je tente cependant de rester calme.
— Putain, regarde-moi quand je te parle, gronde Jordan.
Je humecte mes lèvres, inspire par le nez. Reste calme.
— Je suis son garde du corps, si tu n'avais pas compris ça, je ne sais pas comment te l'expliquer. Donc si tu t'approches trop d'elle et que tu la forces à t'embrasser comme tu l'as fait l'autre soir au club, j'interviendrai. Si tu la colles toute la soirée alors qu'elle ne veut pas de toi, j'interviendrai aussi. Est-ce que ma présence te paraît plus claire ou tu veux que je te fasse un dessin ?
— Elle n'a pas besoin d'un garde du corps, je saurai prendre soin d'elle. J'ai merdé mais je vais me rattraper. Elle me connaît, elle sait que je le ferai. Elle sait ce que je vaux. Tu peux déjà te casser, mec.
Je me redresse légèrement, afin de le dominer de ma hauteur. Néanmoins, il ne se dégonfle pas, au contraire.
— Ne m'appelle pas "mec". Parce que toi et moi, on n'est pas amis.
— Tu vas faire quoi, mec ? Moi je te dis de ne plus trainer avec ma meuf.
— Ce n'est pas ta copine. C'est ton ex. C'est pitoyable de croire que tu as encore une chance.
— Parce que tu espères en avoir une peut-être ? Julia, elle aime les hommes, les vrais et surtout, ceux qui ont de l'argent.
— OK super philosophie, si ça ne te dérange pas, je vais rentrer à l'intérieur parce que tu es en train de m'énerver.
Je passe à côté de lui mais il m'arrête en posant sa main sur mon torse.
— Je n'ai pas fini de te parler, mec.
Le coach que j'avais quand je m'entraînais après l'armée me répétait sans cesse de ne jamais provoquer une bagarre en dehors d'un ring et d'éviter de renvoyer des coups. Mais bordel, Jordan me tape sur les nerfs.
— Retire ta main, grogné-je.
— Tu vas faire quoi ? On ne fait que parler, pourquoi t'es autant agressif ? Est-ce que c'est... parce que ta mère ne se souvient plus de toi ? Ou peut-être parce que ton père s'est suicidé pour plus avoir à te supporter ?
Comment il sait ça ? Je le pousse en frappant son torse, Jordan recule de quelques pas et trébuche. Il tombe contre le jacuzzi. Les personnes à l'intérieur se lèvent, en même temps que lui, trempé, qui ne souhaite pas en rester là. Il se jette sur moi, me saisit par la taille et me pousse en arrière. Mon dos cogne contre le mur du balcon, il me garde contre celui-ci et frappe son poing contre mes côtes à plusieurs reprises. Je parviens néanmoins à lui saisir la main et lui tordre les doigts, ce qui le fait lâcher ma taille et se redresser. Bien évidemment, nous devenons l'animation de cette soirée. Jordan grimace et grogne puis me donne un coup de tête. Je me mords la lèvre, le goût du sang imprègne déjà ma langue. Il essaye de m'asséner une droite que j'esquive facilement. Il est trop lent. Mon poing s'abat contre son visage une fois ; il ne perd pas l'équilibre. Deux fois ; il tombe en arrière sur le dos, sonné. Je secoue ma main et essuie ma lèvre qui saigne.
— Putain, mais qu'est-ce qu'il se passe ici ?! s'exclame Julia en bousculant certains de la foule.
Elle me regarde un instant, les yeux grands ouverts puis se concentre sur Jordan. Elle se précipite vers lui pour l'aider à se relever. Je ravale ma fierté et je quitte le balcon, sous le regard curieux des invités. Les riches adorent les animations et les histoires ; en voilà une.
Jordan mérite bien plus qu'une bonne droite en pleine figure. Mais le fait que Julia se soit préoccupée de ce déchet en priorité me déçois.
Si elle est incapable de lui dire non, alors à quoi bon la protéger ?
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