Quatre : Rencontre
JULIA.
— Mais je vais bien, t'en fais pas, soupire Aloïs allongé sur son lit d'hôpital un bras en écharpe.
Pourtant, il a mauvaise mine. Je suis assise sur la chaise juste à côté de lui, inquiète, parce qu'il s'est pris une balle. Mais on dirait que ça ne choque que moi.
— Tu as dit quoi à la police ?
Son visage change lorsque je lui pose cette question.
— La police est venue, pas vrai ? insisté-je.
— Oui, oui. Mais tu sais, je n'ai rien vu et puis, d'après ce qu'ils m'ont dit, en ce moment, il y a beaucoup de cambriolages par chez nous, ça va être compliqué de trouver le coupable.
— La maison de papa est en pleine campagne.
— Justement.
— Et on a des caméras de surveillance.
— Ju', tu veux bien arrêter s'il te plaît ? On dirait papa.
Je croise les bras et m'appuis contre le dossier de la chaise, tout en le regardant, l'air boudeuse. Il m'adresse un sourire, et j'ai du mal à ne pas le lui rendre. Aloïs est de trois ans mon aîné, nous nous sommes toujours très bien entendus. D'ailleurs, nous faisons très régulièrement la fête ensemble, ses amis et mes amis font partie du même groupe. On est égaux sur plein de points, si ce n'est qu'Aloïs tient une boite de nuit et fait fortune.
— Tu me le dirais si papa me cachait quelque chose ?
— Bien-sûr que oui, tu sais très bien que je peux rien te cacher.
Je plisse les paupières.
— Mouais.
— Me force pas à t'attaquer, je suis handicapé je te signale.
Je rigole puis me tourne lorsque mon père entre dans la pièce. Il s'avance vers Aloïs, lui sourit et pose ses mains sur le pied du lit.
— Tu vas mieux ?
— Oui, ça va, papa, merci.
Il se tourne ensuite vers moi. Je reste assise sur ma chaise, attendant qu'il me parle. Il y a à peine quatre jours, il ne m'a pas donné d'autres choix, je serai surveillée par un garde du corps, pour ma soi-disant sécurité. S'il était honnête avec ses enfants, alors peut-être que je comprendrais mais pour le moment, je le prends comme une punition.
— Ma puce, j'ai enfin trouvé ton garde du corps.
Aloïs pouffe de rire.
— Pourquoi lui n'y a pas le droit ? pesté-je.
— C'est un homme, il sait se défendre.
Je hausse les sourcils. Quel sexisme... Les femmes savent très bien se défendre aussi, nous n'avons pas besoin d'être maternées.
— Quelle vision étriquée du monde moderne... marmonné-je en détournant le regard.
— Tu es venue en voiture ? me demande mon père alors que je swipe à droite puis à gauche sur un site de rencontre. La Mercedes sur le parking, c'est la tienne ?
— Oui. Je ramènerai Aloïs.
Mon père tourne sa monstre pour la replacer correctement puis me jette un regard. Il est toujours habillé de manière chic, distinguée et riche. Il aime montrer son argent, il aime nous en donner, nous voir heureux et en sécurité mais ce genre de comportement paraît parfois toxique, étouffant. Je ne me sens pas digne d'avoir autant d'argent sans avoir autant travaillé que lui. Je suis pire qu'un bébé, j'ouvre la bouche et on me met la bouffe toute prête dedans.
— Alors non, ce sera ton garde du corps qui te ramènera avec Aloïs si tu le souhaites.
Je range mon téléphone dans mon perfecto en cuir puis pouffe de rire.
— Mais je rêve... marmonné-je.
— Il est agréable à regarder au moins ? demande mon frère.
Aloïs est aussi libéré que moi, il aime autant les hommes que les femmes. Je suis dans la même optique, même si j'ai rarement eu de réelles relations avec des femmes, je sais qu'au lit, c'est dix fois meilleur qu'avec un homme. Cependant, il m'est impossible de choisir entre une jolie poitrine et de beaux pectoraux.
— La beauté est relative à chacun, rétorque mon père. Agissez comme des adultes, si vous le mettez dans l'embarras, ce n'est pas vous qui en paierez les pots cassés, mais lui. Il sait très bien ce qui l'attend s'il dévie de sa trajectoire.
PAR-FAIT. Voilà ce que je voulais. Je veux qu'il craque, qu'il me lâche et si pour cela, il suffit que mon père le coince en train d'agir autrement que comme un garde du corps, j'accepte de relever le défi.
— J'ai hâte, m'amusé-je en dardant un regard à mon père.
Ce dernier ne sourit pas, bien au contraire. Il me regarde, déjà fatigué de mon comportement. Il ne se remet jamais en question. Il ne s'est jamais demandé pourquoi ses enfants sont des débauchés. Son absence lorsque nous étions enfant était tellement puissante qu'il a créé un vide émotionnel impossible à combler.
— Julia, ne commence pas ce petit jeu.
— Je t'avais dit que je n'en avais pas besoin.
Je me lève de ma chaise.
— Je veux m'assurer de ta sécurité, tu es la seule femme de notre famille.
— Cette conversation ne mène nulle part. Je vais chercher un médecin pour qu'on signe les papiers et qu'on se barre d'ici.
Je sors de la chambre sans prendre la peine de l'écouter et longe le couloir tout en poussant un profond soupir. Je ne suis plus une enfant, mais il continue de me traiter comme tel. C'est tellement rabaissant, humiliant. Je suis adulte et maîtresse de ma vie, mes règles, mes envies. Mon père est un véritable dictateur quand il s'y met.
Je demande que le médecin se bouge un peu puis attends à l'extérieur tout en continuant ma recherche sur l'appli de rencontre, bercée par le chant des sirènes d'ambulance ou celui des moteurs de voiture. Je cherche un bel homme pour combler mes désirs, juste pour une nuit. Il y en a plein en réalité, mais je suis tout de même cérébrale. Les conversations qui ne vont pas au delà d'un "Salut, tu vas bien ? Tu fais quoi ? T'es trop bonne". Trop peu pour moi. Il faut qu'il en ait dans le pantalon mais dans la tête aussi.
Malgré le fait que je m'efforce de jouer les indifférentes sur tout, j'ai eu peur de perdre mon frère. Heureusement, ce n'était que l'épaule, après quelques semaines d'arrêt et de rééducation, ce ne sera plus que de l'histoire ancienne avec une jolie cicatrice en prime.
Les portes coulissantes s'ouvrent sur mon frère et mon père. Je prends son sac des mains de mon père, puis me poste à côté d'Aloïs.
— Ca va aller, papa, on peut rejoindre la voiture, grommelé-je.
— Matthias, ton garde du corps, t'attends devant la voiture. Tu lui donneras tes clefs.
Je hausse les sourcils.
— Ouais, OK... A plus, papa.
— Salut, pa', ajoute Aloïs.
Nous regagnons le parking, j'ai garé ma Mercedes au fond, pour éviter toutes rayures et je vois bien le grand brun qui attend juste devant, les mains croisées devant son bassin. Je m'arrête devant lui, Aloïs aussi.
— Bonjour, Mademoiselle Hernan...
— Ouais, salut. Tiens les clefs. On ramène mon frère.
Je lui tends les clefs. Il louche dessus un instant avant de me les prendre des mains et de déverrouiller la voiture. Aloïs monte à l'arrière et moi, côté passager. Matthias s'assoit derrière le volant, quelque peu serré vu sa grande taille. Il règle son siège puis boucle sa ceinture. Aloïs se tient au milieu de la banquette arrière, la situation est presque cocasse. Pour un garde du corps, il est plutôt jeune, élégant et bel homme. Vêtu d'une chemise blanche, une veste de costard noire assortie à son pantalon parfaitement ajusté. Il a une oreillette, je ne sais pas à quoi elle lui sert, mais ça lui donne un style. Je devine sur sa main droite, lorsqu'il la pose sur le levier de vitesse pour faire une marche arrière, qu'il est tatoué.
Je me penche légèrement en avant et entre la destination dans le GPS. Ensuite, je me cale sur mon siège et observe l'extérieur dès lors que nous quittons le parking.
— Alors, hm... vous êtes garde du corps depuis combien de temps ? demande Aloïs pour briser le silence.
Je tourne la tête vers Matthias qui hausse les sourcils avant de jeter un bref regard à mon frère par le rétroviseur.
— Depuis peu, en réalité, avoue-t-il.
Il fixe sa route, serre ses mâchoires comme un réflexe. Il est sexy, c'est indéniable. Je détourne le regard pour le fixer sur le paysage, me mordillant l'intérieur des lèvres.
— Vous faisiez quoi, avant ? continue mon frère.
— Aloïs, c'est pas ton pote, grommelé-je.
— J'aime pas le silence.
— On peut mettre la radio, propose Matthias.
— Non, contente toi de conduire, pesté-je.
Il humecte ses lèvres, inspire par le nez et je le vois qui resserre ses mains autour du volant. Il ne semble pas très patient. Je suppose que ce ne sera pas si difficile, finalement.
Au bout d'une trentaine de minutes, nous nous arrêtons enfin devant l'immeuble où habite Aloïs. Il sort de la voiture, j'ouvre ma fenêtre et il s'y penche pour me dire au revoir.
— Je passerai au club ce soir, tu seras là ? m'enquis-je.
— Je suis encore un peu fatigué, si ça te va, je vous fait réserver un coin VIP.
— Super merci. Repose-toi bien !
Il me fait un signe, déjà à la porte de l'immeuble et Matthias redémarre, direction l'hôtel où je vis. Nous voilà dorénavant seuls, dans le silence le plus complet. La pluie commence à tomber et le grincement des essuie-glace est le seul son qui vient perturber cette ambiance tendue. Je retire mes chaussures puis pose mes pieds sur le tableau de bord. Il y jette un bref coup d'œil, fronce les sourcils.
— C'est dangereux ce que vous faites, commente-t-il.
— Ah bon ? Pourquoi ? questionné-je, mimant l'insouciance.
— Il suffit que je donne un coup de frein trop violent, l'airbag se déclenche et vos jambes ne seront plus dans l'axe de votre corps.
— Mais tu ne le feras pas, parce que tu es mon garde du corps. Tu es là pour éviter ce genre de choses.
Il se pince les lèvres, fixe sa route. Je suis persuadée que je lui tape sur le système mais qu'il s'efforce de rester courtois. D'ailleurs, ses airs indifférents m'attirent, ça le rend encore plus séduisant. J'aurais pu avoir pire comme garde du corps, du genre ; le type chauve, le crâne luisant, ultra baraqué, l'air féroce, avec des petites lèvres fines. Bref, un cliché quoi. Matthias est l'inverse, c'est le genre d'homme sur qui je me retourne, il a une drôle de prestance... imposante et sûr de lui. Pourtant, il le masque, ou il essaye de le masquer.
— J'essaierai d'éviter, rétorque-t-il, mais un accident est très vite arrivé.
J'entrouvre la bouche, les commissures de mes lèvres sensibles. C'était bien envoyé.
— Mon père ne laissera jamais passer un tel accident ou quel qu'autre accident que ce soit d'ailleurs.
— Je sais. Je suis là pour ça.
Je lève les yeux au ciel.
— On doit instaurer des règles.
— Les règles sont fixées par votre père.
Il donne un coup de volant, mes jambes glissent sur la droite et mon genou cogne contre la portière. Je retrousse mes lèvres et me redresse.
— Aïe !
— Excusez-moi, un pigeon sur la chaussée.
Je le fusille du regard, mon cœur bat fort, et ce n'est pas son physique attrayant qui me procure cet effet. Ce sont ses provocations.
— Pour ce qui est des règles, mon père ne vit pas h24 avec moi. Alors si, il y a des règles à respecter. Quand vous serez chez moi, interdiction de me reluquer.
Il me lance un regard, presque étonné.
— Ne joue pas les innocents avec moi, tu restes un homme.
— Je sais aussi être professionnel, Mademoiselle.
— Ah, et plus de Mademoiselle. T'es né en 1930 ou quoi ?
Il ne répond rien.
— Aussi, j'aime avoir un espace vital assez large, donc il doit y avoir une distance de sécurité entre nous. Quand je sors avec mes amis, je refuse de t'avoir dans les pattes.
— Entendu.
Il badge au portail pour que la grille s'ouvre sur le parking souterrain de l'hôtel. Il se gare sans esquinter ma voiture et nous voilà dans l'ascenseur pour atteindre le tout dernier étage. Les suites y sont plus grandes et la vue imprenable sur Paris. Je suis face aux portes tandis qu'il reste derrière moi, je peux voir son faible reflet sur les parois de l'ascenseur, sentir sa présence derrière moi. Je ne sais pas si je serai capable de m'y habituer. Son parfum musqué n'est pas discret non plus, il chatouille mes narines depuis qu'on s'est rencontrés.
Les portes s'ouvrent, j'avance devant lui, sors mes clefs en même temps.
— Oh, et j'allais oublier une règle primordiale pour mon confort.
Je m'arrête à la porte et enfonce les clefs dans la serrure. Je relève les yeux vers lui, alors qu'il reste immobile comme une statue. Il aurait d'ailleurs presque des airs de statue grecque, mais j'espère pour lui que ses attributs sont plus proéminents.
— Pas de parfum. J'ai l'odorat très sensible et ton parfum là... il me pique le nez.
Il s'apprête à parler lorsque j'ouvre la porte, je vois bien qu'il se résigne et s'arrête au pas de celle-ci.
— J'espère que tu ne vas pas être logé chez moi, je n'ai qu'une seule chambre.
— Je serai dans celle juste à côté.
— Génial... maugrée-je. A plus tard.
Je lui ferme la porte au nez, me retourne, inspire profondément, puis expire lentement par la bouche. Le travail sera long, le combat périlleux mais je le sais, je le sens, il peut craquer.
Il craquera.
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