Quatorze : Fantasmes
JULIA.
— Comment décrieriez-vous vos relations amoureuses depuis quelques temps ?
Ça fait six mois que je n'avais pas remis les pieds dans le cabinet de cette psy. Mais voilà, j'ai réfléchi après le réveillon de Noël et je me suis dit qu'une thérapie ne peut pas être néfaste. Me voilà donc assise sur un divan en velours bleu canard, dans une pièce chaudement décorée, face à une femme qui analyse mes moindres faits et gestes.
— Chaotiques. D'abord, il y a eu Jordan mais vous connaissez l'histoire. Puis ensuite, tous ces mecs que j'ai rencontré juste pour le sexe.
— Vous êtes-vous remise de votre relation passée avec Jordan ?
Je laisse mes épaules s'affaisser.
— Non. Enfin, si. Mais je crois qu'une part de moi est brisée. Il m'a fait me sentir laide, sans aucune valeur ni importance. J'avais trop de gras ici, pas assez de muscles là, mes seins étaient trop tombants, mes fesses trop plates, ma cellulite trop comme ci et pas assez comme ça...
Je pousse un profond soupir. Jordan était dur dans ses propos. Pour lui, je devais avoir le corps d'un mannequin, l'allure d'un mannequin et être aussi parfaite qu'une photographie de magazine.
— Et les hommes que vous rencontrez pour le sexe, comment se comportent-ils avec votre corps ? Selon vous, ils vous font sentir belle et bien dans votre peau ?
Je réfléchis un instant. Est-ce une question piège ?
— Oui. Souvent, ils ont envie de moi et on passe du bon temps ensemble. Sur le moment, quand ils me draguent et quand on couche ensemble... je me sens belle, désirable et femme.
— Et vous les laissez faire ce qu'ils veulent de votre corps ?
— Oui. J'aime le sexe, je n'ai pas réellement de tabou et je suis encore jeune. J'ai envie de découvrir plein de choses. Varier ses partenaires permet ça justement.
Elle écrit certaines choses, m'écoute, m'analyse. Parler de tout ça, ça libère c'est vrai mais à la fois, j'ai cette crainte d'être jugée. Avoir une sexualité décomplexée est-il réellement signe d'un malaise ?
— Vous ne gardez jamais le même partenaire ?
— Jamais, même si certains sont de très bons coups.
— La stabilité ne vous intéresse pas ?
— Quand on se met en couple, au début, l'euphorie prend le dessus sur tout puis vient la stabilité, et là, tous les défauts ressortent. Soit on est assez fort et on continue mais après des mois de relation, l'un ou l'autre finit par se lasser, le désir s'évapore. On est attachés dans le meilleur des cas et dans le pire des cas... l'un des deux ne ressent plus rien et commet l'irréparable.
— Ça, c'est la vision que vous avez du couple moderne par rapport à votre seule et unique expérience traumatisante. Mais une relation amoureuse varie constamment et surtout en fonction de la personne avec qui vous êtes. Jordan ne savait pas vous aimer à votre juste valeur mais un autre le pourrait. Jordan a sa personnalité et son fonctionnement, ce qui veut dire que ce ne pourra jamais être identique avec un autre homme.
Je me ronge un ongle tout en l'écoutant et tire sur le bas de ma robe qui remonte quand je croise les jambes.
— Il va de soit cependant qu'il est préférable de se faire confiance et d'avoir une bonne estime de soi avant de se lancer dans une relation sérieuse. C'est compréhensible que vous ayez besoin d'attention et vous avez le droit de changer de partenaire autant de fois que vous le souhaitez, mais ça ne doit pas devenir de l'obsession ou une simple habitude. Vos expériences sont-elles satisfaisantes ?
— Vous parlez du sexe en général ?
Elle hoche la tête en émettant une onomatopée.
— J'ai connu mieux. Ça dépend du mec que je ramène chez moi. Ça fait longtemps qu'un homme ne m'a pas donné un orgasme.
— Peut-être en attendez-vous trop de leur part ?
— Evidemment, ils se ventent de leurs exploits et au final, sont incapables de trouver le clitoris de leur partenaire. Il y a de quoi s'alarmer.
— Vous vous masturbez ?
Je hausse le sourcils.
— Oui.
— Le sexe fait donc partie intégrante de votre vie.
— Vous allez me diagnostiquer nymphomane ?
Elle sourit légèrement.
— Non, rassurez-vous. Mais ça montre un vrai besoin de combler un manque.
Elle a raison et je suis au courant de cela depuis bien longtemps.
— Vous vous masturbez en regardant des films pornos ou érotiques ?
— Ça m'arrive oui.
— Quelle catégorie ?
J'ai envie de rigoler. Ses questions me mettent aussi mal à l'aise qu'une adolescente qui parle de ses règles.
— En ce moment, je...
La catégorie porno que je regarde en ce moment, c'est ce que mon esprit me montre. Et j'en ai honte.
— Mademoiselle Hernandez ? m'appelle-t-elle.
Je cligne des paupières.
— En ce moment, je ne regarde pas de vidéos.
— A quoi pensez-vous alors ?
Je reste silencieuse un instant. A quoi je pense ? A mon garde du corps et rien que le fait de l'entendre dire, ça me met en colère contre moi-même. C'est indéniable, Matthias est sexy. Il est grand, élancé, sportif. Je l'ai vu torse nu plusieurs fois et j'ai aimé son torse dessiné et ce V qui pointe tout droit sous sa ceinture. Sans compter ses yeux verts, profonds et expressifs. Il a une belle bouche, il embrasse bien, a de grandes mains... en bref, il est canon.
Mais le pire dans tout ça, c'est que je l'imagine lui et ses mains qui se baladent sur mon corps à moitié nu. J'imagine ses lèvres qui goutent ma peau, sa langue qui chatouille mes sens, son corps dur contre le mien et ses coups de reins brutaux qui me font grimper au rideau. Le simple fait d'y penser m'émoustille et me donne chaud.
— ... à... rien.
La psychiatre me regarde, peu convaincue. Je me rassois correctement sur le divan.
— J'ai un garde du corps, je vous l'avais dit ? D'ailleurs, il m'attend dans la voiture.
— Oh, intéressant.
Elle le note.
— Mon père me l'a imposé. Alors, ça m'arrive de penser à mon garde du corps.
— Est-ce la situation qui vous procure ce genre de fantasmes ?
— Peut-être le fait qu'il soit en quelque sorte inaccessible. Il appartient à mon père et il sait être persuasif. Il a dû lui faire comprendre qu'il ne devait pas dévier de sa trajectoire. Je suppose que ça m'excite un petit peu. L'interdit, le goût du risque...
— Les fantasmes ne sont pas obligés d'être réalisés, c'est d'ailleurs pour ça que ce sont des fantasmes.
Je hoche la tête.
— Quelle relation entretenez-vous avec votre garde du corps ?
— Aucune. Je n'étais pas pour cette décision.
— Vous vous sentez oppressée ?
— Non, surveillée. En réalité, sa surveillance ne me dérange pas mais c'est comme s'il remplaçait le rôle d'une caméra, pour ensuite aller faire un rapport à mon père. Je ne me sens pas libre, c'est tout. Je n'étais pas consentante à être suivie où que j'aille.
Elle note encore des choses. Moi, je garde les bras croisés, assise au milieu de ce divan.
— Je suis un cas désespéré ?
Elle relève ses yeux, me regarde par dessus ses lunettes. Enfin, elle ferme son calepin et pose ses mains dessus.
— Vous n'êtes pas un cas désespéré. Vous avez vécu des choses traumatisantes durant votre jeunesse. Je pense que l'incendie qui a tué votre mère et dans lequel vous avez failli perdre la vie a engendré un syndrome post-traumatique. Et quand vous avez eu besoin de réconfort, quand vous avez souhaité vous réfugier auprès de votre père qui est votre seul parent encore en vie, il n'a pas été présent pour vous.
Elle marque une pause, me jauge.
— Certaines personnes réagissent différemment aux évènements traumatisants, à l'absence d'un parent, à la violence d'un conjoint, à l'épreuve d'un deuil. Vous avez manqué de reconnaissance et d'amour dans votre jeunesse, aujourd'hui, ça se répercute sur votre vie mais nous pouvons faire un travail là-dessus. Je vous propose de nous revoir dans deux semaines. Durant ce temps, espacez vos relations, prenez du temps pour vous, regardez-vous dans le miroir et apportez-vous l'amour que vous méritez. Parlez à votre père, dans une zone neutre, hors de chez vous ou de chez lui.
Je hoche la tête.
— OK...
Nous nous levons et nous serrons la main. Elle m'adresse un chaleureux sourire puis me laisse sortir. Je me sens quelque peu honteuse de parler de tout cela mais en réalité, ça soulage aussi. Je rejoins Matthias sur le parking souterrain, plongée dans mes pensées et tout ce que j'ai raconté à ma psy, avec en tête, tout ce à quoi je pensais en songeant à ces... fantasmes.
J'entre dans la voiture, ferme la portière, le parking est vide et Matthias est là, assis derrière le volant. Je lui jette un regard, le détaillant de la tête aux pieds, ses grandes jambes à l'étroit dans l'habitacle, ses mains veineuses posées sur le volant, sa mâchoire ciselée. Plus je le regarde, plus je sens la chaleur monter en moi et une pulsion prendre le contrôle de mon corps.
— Tout va bien ? me demande-t-il.
— Recule ton siège, ordonné-je.
Il m'interroge du regard mais lorsque je pose ma main sur sa cuisse et la remonte jusqu'à son entrejambe, il ne se fait pas prier. Aussitôt, je me retrouve à califourchon sur lui, à fourrer ma langue dans sa bouche en l'embrassant langoureusement. Je sens ses mains qui glissent dans mon dos, saisissent mes fesses, ce qui remonte ma robe. Je détache sa ceinture à la hâte, déboutonne son pantalon, sors son sexe que je caresse. Matthias est bouillant, il grogne, se mord la lèvre, me dévore du regard, arrache ma culotte. Je m'assois sur lui, commence des va et vient frénétiques, je gémis de plaisir, mes mains appuyées sur son torse musclé, dans cette grosse voiture qui parait soudainement minuscule puis...
— Julia ? Ohé, tu m'entends ?
Matthias claque des doigts devant mon visage. Je cligne plusieurs fois des paupières, sors de ma torpeur et déglutis difficilement. J'ose à peine le regarder en face. Je viens littéralement de me faire un fantasme en direct.
— Oui. Démarre, qu'est-ce que tu attends ? grondé-je. Il faut que je me prépare pour le Nouvel An.
Il secoue la tête, démarre la voiture et quitte le parking. Je colle ma tête contre la vitre et observe l'extérieur, honteuse.
Qu'est-ce qu'il m'arrive bon sang ?
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