Dix sept : Black Out
Matthias.
Dans mon subconscient, loin, très loin, j'entends un vibreur. Comme un téléphone qui sonne en silencieux, à répétitions, avec insistance. Mais ouvrir les yeux me paraît bien difficile ce matin. D'abord, je sens ma gorge sèche, mon estomac tout retourné, ma tête dans un étau... Je parviens à ouvrir un œil, le jour passe à travers la grande fenêtre. Je suis allongé sur le ventre, dans un lit confortable. Je crois même que si je me réveillais sur une planche de bois, je la trouverai confortable vu mon état.
Ma tête est enfoncée dans un oreiller, je vois Julia sur le ventre, un bout de couverture recouvre son corps nu, ses cheveux cachent son visage endormi et serein, bien que son maquillage a bavé avec la transpiration. Je m'appuie sur mes coudes, grimace légèrement puis tourne la tête lorsque j'entends gémir et que je sens quelqu'un bouger à ma gauche. Je reconnais la chevelure blonde de Cassy, elle aussi, nue, sur le dos, la couverture cache au moins son entrejambe et son soutien-gorge ne recouvre qu'un seul sein. Je ferme les yeux et laisse ma tête retomber dans l'oreiller.
— Eh merde... marmonné-je.
Puis le téléphone vibre à nouveau. Je me décide enfin à me lever, je quitte le lit par son extrémité pour ne pas réveiller les filles. Je marche sur une chaussure, puis sur une boucle d'oreille. Je pousse les vêtements, cherche le téléphone sur le fauteuil. Je le trouve enfin, sous mon pantalon que je garde en boule dans ma main, contre mon sexe, histoire de me sentir un peu moins à poil.
Sur l'écran s'affiche HERNANDEZ. Je pousse un juron, me mordille les lèvres, regarde autour de moi. Je ne sais pas vraiment où aller, il y a des déchets un peu partout, des confettis et des cadavres de bouteilles. Je ne me souviens de rien après l'épisode de la salle de bain. Je sais que nous sommes descendus, que nous avons souhaité la bonne année à tout le monde et ensuite... le trou noir.
Vu la gueule de bois que je me tape, je n'ai pas dû boire que de l'alcool. Je m'enferme dans la salle de bain, lieu du premier crime et je décroche.
— Allô ?
J'essaie d'avoir la voix la plus éveillée possible mais j'ai mal à la gorge.
— Roberts, enfin, tu réponds ! J'ai commencé à me dire que ma fille t'avais embarqué dans ses folles soirées !
J'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort. Je passe ma main dans mes cheveux puis met le téléphone sur haut parleur, afin d'enfiler au moins mon pantalon.
— Je ne doute pas que tu l'as suivie, en tant que Garde du Corps, c'est ton travail.
— Oui, j'ai veillé sur elle hier soir.
— Elle s'est bien amusée ? J'ai vu quelques unes de ses storys sur les réseaux.
Je hausse les sourcils.
— Oui, elle était avec ses amis et...euh... tout s'est très bien passé.
— Parfait. J'aimerais te voir aujourd'hui Matthias.
J'attache mon pantalon et récupère le téléphone que je porte à mon oreille après avoir enlever le haut parleur.
— C'est important, insiste Hernandez. Ma fille va se reposer chez elle histoire de décuver et toi, tu vas me rejoindre au point GPS que je vais t'envoyer par SMS.
— D'accord, je... j'attends votre message.
— Je te l'envoie tout de suite. Ne perds pas trop de temps.
Il raccroche aussitôt. Je pose le téléphone sur le bord du lavabo puis lève les yeux vers le miroir. Je ressemble à un cadavre revenu d'entre les morts.
— Putain de merde... murmuré-je.
J'essaie de me passer de l'eau froide sur le visage, histoire d'essayer de me rappeler de quelque chose. Cassy nous a servi à boire, puis Gabin a ramené de la drogue. J'en ai pris, j'ai pris de la MDMA, c'est certain. Je me souviens avoir avalé cette fichue pilule avec un verre de rhum pur. Mais bordel, qu'est-ce qu'il m'a pris ?
— OK, ressaisis-toi... il ne s'est rien passé de plus...
Je m'appuie contre le lavabo, serre et desserre mes mâchoires en affrontant mon terrible teint blafard. Je suis ballonné, fatigué, j'ai mal à la tête, avec trop peu de souvenirs de cette soirée. J'ai vraiment merdé sur ce coup là. Et je dois rejoindre mon patron, alors que j'ai fauté la veille.
J'inspire profondément, retourne dans la chambre et cherche ma chemise que je retrouve froissée près du lit. Quand je me redresse et l'enfile, je croise le regard de Cassy, encore à moitié endormie.
— Il est quelle heure ? Marmonne-t-elle la tête dans l'oreiller.
— Je ne sais pas. Mais je dois y aller. Quelqu'un pourra ramener Julia ?
— Putain, non... j'ai une gueule de bois horrible...
J'attache ma chemise, récupère ma veste et met mes chaussures sans chaussettes. C'est un peu comme mon caleçon, que je n'ai pas retrouvé. Je fais le tour du lit et pose ma main sur le dos de Julia.
— Julia, reveille-toi, chuchoté-je.
Elle gigote un peu, se tourne sur le dos et s'étire légèrement. Je remonte la couverture pour cacher son corps nu alors qu'elle ouvre enfin les yeux pour me regarder. Son mascara a bavé, comme si elle avait pleuré mais je doute que ce soit le cas.
— Quoi ? Grommelle-t-elle.
— Je vais te ramener chez toi. Il faut que tu te réveilles.
Elle gémis puis finit par se lever, je me retourne pas respect alors qu'elle enfile ses sous-vêtements, mollement.
— C'est bon, je pense que tu as tout vu, bougonne Julia.
— Je t'attends dehors.
Je descends au rez-de-chaussée, là où des gens dorment encore et je sors de l'appartement. Dans le couloir, je m'appuie contre le mur et me mince l'arête du nez. J'ai voulu lâcher un petit peu de lest et au final, j'ai été bien trop loin. J'ai quelques flashs, trop vagues pour appeler ça des souvenirs, qui me reviennent en tête. J'ai d'abord dansé avec Julia, puis Cassy et nous nous sommes rapprochés, touchés, embrassés.
Julia ouvre la porte alors je sursaute et me redresse. Elle s'est attachée les cheveux, elle semble épuisée et me regarde les sourcils haussés.
— Ça va ?
— Impeccable.
J'avance, appelle l'ascenseur et entre dans. Je regarde les numéros défiler, parfois mes yeux se posent sur Julia légèrement devant moi. Elle est silencieuse, elle aussi. Est-ce qu'elle se souvient de tout ?
— Pourquoi t'as voulu me ramener si tôt ? Demande-t-elle quand les portes s'ouvrent.
— J'ai rendez-vous avec ton père.
Nous rejoignons la voiture et entrons dedans. Je ne sais pas si je suis en état de conduire mais je n'ai pas le choix. Je pars rapidement, ce qui semble la surprendre. Je garde mes deux mains sur le volant, mes doigts contractés dessus.
— J'ai mal à la tête, soupire Julia en se massant les tempes.
— Tu vas pouvoir te reposer.
Je sens qu'elle me jette un regard.
— Bordel Matthias, arrête d'être aussi tendu.
— Vu la soirée que j'ai passé et ce qui m'attend ensuite, j'ai de quoi être tendu, non ?
— Tu te souviens de quelque chose toi ? Parce que moi, c'est le black-out total.
— J'espérais que tu te souviennes si j'avais, enfin si on... avait couché avec Cassy.
Elle rigole. Je lui darde un regard, plus que sérieux. J'étais en plein travail et je pense que coucher une fois avec Julia était suffisant. Non pas que ce fut désagréable, au contraire, j'étais vraiment excité parce qu'elle m'énervait et m'attirait à la fois mais... Cassy ? Un plan à trois ? Sérieusement ? S'occuper d'une femme est déjà prenant mais deux... a moins que la MDMA m'ait fait poussé des ailes.
— T'as l'air effrayé !
— J'étais en plein service !
— Et tu m'as baisée dans la salle de bain juste avant. T'avais déjà laissé ton service derrière toi.
Je détourne le regard.
— Mon père n'en saura rien. Je ne lui dirai rien.
Je me gare dans le parking souterrain puis coupe le contact.
— Il n'y a rien a dire. Ça ne se reproduira pas.
Elle se tourne vers moi et sourit légèrement. Cette situation l'amuse. J'ai été faible.
— Passe le bonjour à mon père, dit-elle juste après m'avoir déposé un bisou sur la joue.
Ensuite elle quitte le véhicule et je reste un long moment immobile. Je ne sais pas vraiment ce que je ressens à cet instant précis. Ça faisait bien longtemps que je ne m'étais pas lâché.
Je reprends la route en suivant le point GPS que Hernandez m'a envoyé. J'ai encore quelques bribes de la soirée qui me reviennent en tête durant le trajet. Je me suis laissé emporter par cet élan d'adrénaline que la drogue m'a donné. J'avais l'impression de planer, léger et sans contraintes. Je crois que j'avais complètement oublié qui j'étais, où j'étais et ce que j'étais censé faire. Cassy est une belle femme, Julia aussi. Jordan avait quitté la soirée et moi, j'en avais assez de rester dans le contrôle constant. J'avais plus vraiment toute ma tête. C'est trop flou, mais je crois me souvenir avoir fini dans la chambre avec les filles, après avoir dansé et bu. Je revois Cassy me pousser sur le lit, Julia détacher ma chemise et sa meilleure amie fourrer sa langue dans ma bouche. Elles n'étaient pas dans leur état normal et moi non plus.
Plus je suis le point GPS et plus je sors de la ville jusqu'à rejoindre un vieil entrepôt désaffecté presque une heure et demie plus tard. Il ne fait pas très beau dehors, je suis crevé et j'ai l'impression de m'embarquer dans une histoire qui va mal se terminer. Pourquoi Hernandez m'envoie ici ? Je me gare, sors de la voiture et regarde autour de moi.
Un homme vêtu de noir s'avance vers moi, il a une oreillette et je l'ai déjà vu au club quand j'ai passé mon entretien.
— Suis-moi, Hernandez t'attend.
Je le suis, docile. J'enfonce mon téléphone dans la poche de mon pantalon puis entre dans l'entrepôt. Il y a deux range rover de garé et une homme assis sur une chaise, un sac sur la tête, les mains ligotés. Je détourne le regard, j'essaie de rester neutre mais je ne comprends pas bien ce qu'il se passe. Hernandez est là lui aussi, élégamment vêtu, parfaitement coiffé, une mine radieuse. Pas comme la mienne.
— Tu m'as l'air bien fatigué Matthias, constate Hernandez.
— Il fallait que je veille sur votre fille, la nuit a été longue.
Il rigole légèrement puis me donne une tape dans le dos, puissante et menaçante à la fois. Je me sens coupable et j'ai l'impression qu'il le sait. Je dois sûrement me faire des films.
— Bon, Roberts, on a beaucoup discuté toi et moi quand j'ai décidé de reprendre avec moi. Mais j'ai besoin d'être certain que je peux compter sur toi, que je peux te faire confiance. J'ai envie de te faire confiance.
Je demeure silencieux. Deux types baraqués se tiennent derrière l'homme ligoté, il respire fort, du sang tâche sa veste marron.
— Quand je fais rentrer des petits poussins comme toi au sein de mon organisation, je leur fais passer un test très simple : celui de la loyauté et du sang froid. Tu as été soldat, les forces spéciales, c'est quelque chose. Je suppose que du sang froid, tu en avais. Mais... est-ce que tu en as encore ?
— Ça dépend le contexte, rétorqué-je.
— Le contexte, tu l'as juste sous tes yeux.
Hernandez désigne sa victime attachée et ligotée. L'un de ses hommes lui retire le sac de la tête, c'est un trentenaire, il lui manque des dents, il pisse le sang, un œil fermé, dégoulinant de sueur. Il a été torturé, c'est certain. Il porte un tatouage sur son cou, un serpent.
— Tu as devant toi, l'un de mes rivaux. Enfin, l'un de ses hommes. J'ai envie de pouvoir t'intégrer à tout ça, Matthias. Tu protèges ma fille, et... je dois te mouiller un petit peu si je veux être certain de pouvoir fermer les yeux et ne pas craindre que tu ailles parler à la police ensuite. Même si j'ai la moitié de la police française dans la poche.
— Qu'est-ce que je dois faire ?
Hernandez pose sa main dans ma nuque qu'il serre. Il est grand, fort, avec une prestance intimidante. Il me fait flipper. Je suis en train de m'embarquer dans quelque chose de plus dangereux que je ne le croyais.
Merci papa, pour ce bel héritage empoisonné.
— Tu vas liquider ce type.
— Je... pardon mais je... je ne touche plus vraiment aux armes depuis l'armée et...
Il serre davantage ma nuque alors je me tais.
— Tu liquides ce type, et tu as ta prime. Je te file quarante mille euros cash, tout de suite.
Il lâche ma nuque, se poste devant moi et sot un pistolet qu'il arme et me tend.
— Mais attention, si tu liquides ce type, tu as une avance mais tu fais aussi partie de mon cartel. Soit tu choisis de garder ton rôle de garde du corps et tu dis adieu à tes dettes, soit tu refuses et c'est toi qu'on bute. Parce que, je sais que tu es intelligent Matthias et tu as déjà vu beaucoup trop de choses. Je ne peux pas te laisser entrer dans ma famille, sans te mettre en garde.
Je prends l'arme que Hernandez me tend, mon cœur palpite, j'ai des vertiges et je n'arrive plus à savoir si c'est ma gueule du bois ou le stress que ça engendre. Il se place derrière moi, me masse les épaules. On dirait qu'il adore ça : le contrôle, l'adrénaline, la peur, la mort... C'est un putain de baron de la drogue.
— Fais toi confiance, Matthias.
Je pose ma main sous le chargeur, ,je vise la tête de ce pauvre homme qui me regarde. Il retrousse ses lèvres, crache au sol à mes pieds. Il n'a pas un air innocent, il a l'air d'avoir envie de m'étriper.
— Va te faire foutre, Hernandez ! Va te faire foutre, putain ! crie-t-il en postillonnant partout. Retourne dans ton putain de pays, espèce de mexicain de médeux !
— Espagnol, rectifie Hernandez calmement.
— Je t'emmerde !
Plus il crie, plus mon sang afflue, plus mon cœur palpite, plus mes mains deviennent moites. Je suis coincé. Je ne laisse pas l'homme terminer ses injures, mon doigt presse la détente, la détonation résonne dans tout l'entrepôt et la balle transperce son crâne, sa tête part en arrière et la chaise sur laquelle il était maintenu se renverse. Le silence s'abat sur nous comme un coup de massue, alors que mes oreilles sifflent, que ma vue se trouble et que le sang de ma victime s'écoule lentement sur le sol.
— Je savais que je pouvais compter sur toi, Matthias. Fernando, ramène l'argent !
Hernandez reprend le pistolet et moi je reste immobile jusqu'à ce que Fernando me tende une mallette.
— Tu as quarante mille euros là-dedans, c'est ton avance sur ton salaire. Tu peux rentrer, te laver, dormir et je te recontacterai.
Je prends la mallette, sans dire un mot.
— Dis à ma fille que je l'invite à dîner au restaurant vendredi soir, je t'enverrai l'adresse.
Je hoche la tête puis quitte l'entrepôt, raccompagné par le même homme qui m'a accueilli. Je mets la mallette dans le coffre, je le salue puis je monte dans la voiture. Machinalement, je démarre et part à toutes vitesses sur la route de campagne.
Quand je suis suffisamment loin de l'entrepôt, je me gare sur le bas-côté, les pneus dérapent légèrement puis je frappe le volant, pousse un long juron.
— MEEEERDE !
J'attrape ma tête entre mes mains, collé au volant et je tente de reprendre ma respiration. Or, au lieu de ça, une violente nausée me retourne l'estomac. Je sors de la voiture, titube légèrement et vomis tout ce que j'ai ingéré la veille dans l'herbe humide, klaxonné par un poids lourd qui passe par là.
Je ne sais pas ce que me veut Hernandez, mais c'est bien plus qu'un simple job de Garde du Corps.
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