Dix neuf : Invitation

Matthias.


J'observe Julia, son père et le dénommé Alessandro discuter tout en mangeant. Ils ont l'air de bien rigoler, et je trouve ça incroybale cette façade qu'ils ont tous les trois. Julia est entourée de deux criminels et j'ai bien vu à son regard quelques minutes plus tôt, qu'elle était blessée. Mais qu'est-ce que je peux faire ? Hernandez me tient par les couilles.

— Elle est super canon la fille du patron, commente le garde du corps.

— Alessandro se tape des mannequins plus jolis qu'elle, riposte le garde du corps Sicilien.

— Est-ce que tu l'as déjà vu à poil ? me demande le garde du corps.

Je serre et desserre les mâchoires. Je me ressert un verre d'eau que je bois d'une traite. Je n'ai même jamais autant bu d'eau mais la façon dont ces deux gigolos parlent me met hors de moi. Plus je passe du temps avec Julia, moins j'ai de sang froid. Parfois je me dis que je devrais remonter sur un ring, histoire de me défouler une bonne fois pour toute. Tirer une balle dans la tête de quelqu'un, ça ne défoule pas, ç fait de nous un meurtrier. Ce que je suis à présent.

— Et toi ? T'as déjà vu à poil Hernandez ? grogné-je.

Ca semble les faire rire. Je secoue la tête et m'adosse à la banquette en poussant un profond soupir. Julia s'esclaffe, ça me semble faux. Elle pose sa main sur le bras d'Alessandro, lui fait les yeux doux et cela semble plaire à son père. Il tient des clubs de strip-tease, est-ce qu'il compte aussi prostituer sa fille ?

— Tout le monde sait que sa fille écarte les cuisses facilement, même lui le sait, ce n'est pas un secret.

Je pose mon verre sur la table, bien trop violemment puisqu'il se brise sous mes doigts et me coupe la paume. Le fracas que ça engendre coupe court à la discussion de toutes les personnes présentes dans la salle. Je retire le morceau de verre de ma paume et appuie la serviette dessus alors que Hernandez se lève, attache sa veste de costume et s'avance vers moi.

— Roberts, tu veux bien me suivre à l'extérieur ?

Je me lève, garde le poing serré pour éviter le saignement et lance mon plus mauvais regard en direction du garde du corps du patron. Ensuite, nous sortons, j'évite de regarder Julia et je prends une grande inspiration quand je sors enfin à l'air frais. Le bruti environnant de la ville me décontracte légèrement mais je sens le regard pesant d'Hernandez sur moi. Alors je me décide à me tourner vers lui, il prend mon avant bras, me fait desserrer le poing et regarde la paume de ma main.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande-t-il calmement en me faisant resserrer la main sur la serviette.

— Votre garde du corps manque de respect à votre fille.

— Tu sembles apprécier Julia.

— Je suis censé la protéger, mais j'ai aussi des valeurs alors si un homme manque de respect à une femme, quelle qu'elle soit, j'ai du mal à me contenir.

Hernandez hoche la tête puis sort de sa veste, un paquet de cigarette. Il m'en propose mais je refuse, il cale son cancer entre ses lèvres puis l'allume à l'abri du vent froid de cet hiver.

— Je t'aime bien, Matthias. Tu m'as montré que t'avais une paire de couilles, que tu savais visé et que je ne m'étais pas trompé sur toi.

Il marque une pause, expire un nuage de tabac sur moi et me jauge.

— Mais oublie ma fille. Tu la protèges, tu tues mon ennemi et tu es acquitté de ta dette.

— Mais je travaille pour vous maintenant, marmonné-je. 

— Oui, tu travailles pour moi. Je te fais un cadeau.

Je détourne le regard, humecte mes lèvres et suis des yeux la voiture qui passe dans la rue.

— Qu'est-ce que tu deviendrais sinon ? Après avoir fait ton travail de garde du corps, après avoir tué la personne qui me cause du tort... tu aurais su beaucoup trop de choses à mon sujet et au sujet de ma famille. Tu peux comprendre que certains secrets doivent rester secrets.

Je pose mes yeux sur Hernandez qui continue de consumer sa cigarette. Il est menaçant et pourtant si calme à la fois. Il est tout autant difficile à cerner que sa fille mais l'un est plus dangereux que l'autre.

— Alors en fait cet appel était un piège, conclus-je. En réalité, je n'avais pas vraiment le choix.

— Si, tu aurais pu ne pas te rendre au rendez-vous. Mais tu l'as fait et à partir de ce moment, tu m'appartenais.

Je baisse les yeux vers le sol, mordille l'intérieur de mes lèvres. Je ne retrouverai jamais ma liberté.

— Pourquoi moi... marmonné-je.

— Excuse-moi, je n'ai pas entendu ?

— Pourquoi moi ? répété-je plus fort.

— Un homme qui n'a plus rien à perdre à le profil parfait pour entrer dans le monde du crime.

Il écrase sa cigarette dans le cendrier prévu à cet effet, recrache un dernier nuage de fumée puis me darde un regard.

— J'avais besoin d'un tueur, reprend-il.

Après ces quelques mots, il rentre dans le restaurant. Je serre et desserre mes mâchoires puis je retire le torchon de ma plaie pour vérifier son état. Ce n'est pas si profond, un bon bandage et d'ici quelques jours, j'irai mieux. Je sors mon téléphone de ma poche lorsqu'il vibre puis lit le message que Vincent, un très bon ami à moi, m'a envoyé.

PASSE AU VELVET CE SOIR SI TU VEUX, ON Y SERA AVEC LES GARS.

Je range mon téléphone quand Julia sort du restaurant. Elle enroule son écharpe autour de son cou puis se poste devant moi.

— Qu'est-ce que tu nous as fait au restaurant ? demande-t-elle.

— T'as déjà pris le dessert ?

— Non, j'ai prétexté un mal de crâne et je suis partie, j'en avais marre.

Elle attrape mon poignet, retire le torchon et hausse les sourcils.

— On va te trouver une pharmacie ! Et c'est moi qui conduis.

— Je peux conduire.

— J'ai envie de conduire ma Mercedes, ça fait longtemps.

Le voiturier nous ramène la voiture et rend les clefs à Julia qui semble ravie. Je m'installe donc côté passager alors qu'elle règle son siège et démarre en vitesse. Elle ne lésine pas sur la pédale d'accélération. Je m'efforce de ne pas penser à ce m'a dit Hernandez ou au fait que je risque de passer le restant de mes jours à lui obéir comme son chien de compagnie. J'essaie aussi de me sortir de la tête ce foutu plan à 3 et l'envie qui ne me manque pas de coucher de nouveau avec Julia. Hernandez n'est pas stupide, il a flairé ce qu'il 'était passé. Je suis en sursis et quand je pensais avoir trouvé LA solution à mes problèmes, en réalité, j'ai tiré sur le fil et l'épée de Damoclès que j'espérais garder loin de moi m'a transpercé.

T'es foutu Matthias.

J'attends dans la voiture alors que Julia s'est rendue dans une pharmacie de garde. Je reçois un nouveau message que j'ouvre, Vincent c'est mon meilleur ami et je ne l'ai pas vu depuis l'enterrement de mon père.

C'EST HUGO QUI A PAYÉ SA TOURNÉE, IL T'A COMPTÉ DEDANS, TU N'AS PLUS LE CHOIX.

Je souris légèrement. Julia remonte dans la voiture un sac à la main et elle se tourne vers moi. Elle me demande, que dis-je, elle m'ordonne de lui montrer ma main, ce que je fais, docile. Elle enlève le torchon, verse du désinfectant sur une compresse qu'elle tapote sur la paume de ma main. Ensuite, elle en prend une nouvelle, enroule une bande jusqu'à mon poignet et met du sparadrap dessus pour le tenir.

— Et voilà, ne me remercie pas.

Je me rassois correctement puis fixe un point devant moi. Je sens son regard insistant sur moi.

— Qu'est-ce que tu as ? Tu regrettes ce qu'on a fait tous les deux ?

— Non, ça n'a rien à voir.

— Alors qu'est-ce que t'as ?

Je n'ai pas envie de lui parler de ce que son père m'a demandé de faire. Elle mérite de rester loin de tout ça.

— J'ai envie de voir mes amis, Julia. Je suis en poste presque tous les jours, toutes les heures et je n'ai plus aucune vie sociale hormis la tienne. J'ai besoin de souffler, de respirer, de m'amuser avec mes amis.

Un court silence plane avant qu'elle ne redémarre la voiture.

— OK, alors on va voir tes amis.

Je lui darde un regard, surpris.

— Alors ? On va où ? Insiste-t-elle.

— Au Velvet...

Elle n'attend pas avant de prendre la route. Nous arrivons là-bas en une quinzaine de minutes. Nous rentrons dans le bar, l'ambiance est bonne, il y a du monde, la musique est entraînante et je reconnais Vincent, Hugo et Erwan au bar en train de discuter et de boire. Julia me suit, docile. C'est étrange, parce que je ne saurais même pas comment la présenter mais je préfère me concentrer sur cette soirée qui, je le sens, me fera le plus grand bien.

Je pose ma main sur l'épaule de Vincent qui se retourne et affiche un grand sourire. Il me prend dans ses bras, Erwan et Hugo font de même.

— Un revenant ! On a presque cru que tu avais été enterré avec ton père ! lance Erwan et son fidèle humour noir.

Je souris légèrement.

— J'ai hésité un moment et puis je me suis rappelé que j'avais encore quelques petites choses à faire avant !

— Et donc ? Tu ne nous présentes pas la nouvelle recrue ? renchérit Vincent.

Il fait la bise à Julia et les garçons l'imitent.

— Je vous présente Julia, c'est une...

— On est amis, enfin, collègues, m'interrompt-elle. Là, on revient d'un restaurant avec d'autres collègues mais carrément plus ennuyeux donc quand Matthias a parlé du Velvet... on n'a pas hésité une seule seconde !

— Ouais, voilà, marmonné-je.

— Enchanté de te connaître Julia, moi c'est Vincent, le petit gros là c'est Erwan et le gringalet c'est Hugo. D'ailleurs, Hugo, rajoute un verre à la tournée ! Tu aimes le Gin Tonic, Julia ?

Elle hoche la tête. Nous nous accoudons au bar, Julia fait connaissance avec Vincent, Hugo commande les boissons et Erwan me toise, l'air interrogateur.

— Bon alors, vieux, il s'est passé quoi ? Tu travailles où maintenant ? Parce que Valentin et moi sommes passés au magasin il y a environ un mois et tu n'étais pas là.

— J'ai changé de boite, je bosse dans... la vente automobile maintenant, chez un concessionnaire en ligne. Un truc de nouvelle génération, mais ça paye bien.

— Cool, tu aurais pu nous le dire. On aurait fêté ça.

— Ouais, je sais. Je suis désolé de pas avoir donné de nouvelles. La mort de mon père m'a secoué.

— On comprend, ne t'inquiète pas. C'est cool que tu sois venu.

Hugo me donne mon verre et celui de Julia puis lève le sien, nous l'imitons.

— À Matthias et sa nouvelle collègue ! annonce Vincent.

Nous trinquons, buvons et parlons. Je dois admettre que ça fait un bien fou de retrouver ses amis et de leur parler comme si rien ne s'était jamais passé. On enchaîne les verres, les blagues, les histoires puis les gars décident de faire une partie de fléchette en un contre un. On passe tous chacun notre tour. Hugo est déjà bien attaqué par l'alcool, ses flcèhes ne touchent que rarement la cible. Erwan ne se débrouille pas trop mal et Vincent a toujours été bon à ce jeu. Julia, à ma plus grande surprise, nous écrase tous. J'avoue être bon tireur mais pour ce qui est des fléchettes... je suis moins précis.

Je m'éloigne un petit peu après deux parties et trop de verres vidés pour les compter. Je suis assis sur le divan, à les regarder enchaîner les parties quand Vincent s'installe à côté de moi, son verre à moitié vide dans la main.

— Ça va, Matty ?

— Nickel. Je suis content d'être là ce soir.

— Je t'avoue que quand je t'ai envoyé ce message, je ne pensais pas que tu viendrais.

— J'ai été con, je n'aurais pas dû vous snober comme ça.

— S'il y avait quelque chose, tu me le dirais, pas vrai ?

— Évidemment !

Il hoche la tête et termine son verre. Ensuite, ses yeux se posent sur Julia et il sourit légèrement.

— Elle est mignonne ta collègue.

— Ouais, ça va...

— Je sais que tu as couché avec elle.

Je lui darde un regard, mimant la surprise.

— Je te connais comme si je t'avais fait. La façon dont tu la regardes me prouve que vous avez baisé tous les deux. Pourquoi vous gardez ça non-officiel ?

Je pouffe de rire, bois une gorgée de mon verre puis secoue la tête. Peut-être parce que son père est un baron du crime et qu'il me coupera les couilles si ça arrive. Julia vise le centre de la cible puis tape dans les mains d'Erwan qui avait parié sur elle plutôt que sur Hugo qui semble déçu de sa défaite.

— Je n'ai pas envie d'avoir une petite amie.

— OK, mais elle est cool en tout cas.

Je hoche la tête et esquisse un sourire. Je vois Julia différemment ce soir, moins fermée, moins "riche" et plus humaine. Elle semble s'amuser, sans se soucier de rien, pas même de moi et elle me paraît soudainement plus tendre et attachante. C'est un côté de sa personnalité qu'elle cache dans son univers à elle, là où les bourgeois sont durs les uns avec les autres. Là où la drogue et le sexe sont le seul vecteur de leur vitalité. Au fond, sous sa carapace d'acier, il y a cette femme qui ne demande qu'à s'exprimer. Hernandez ne se rend pas compte du mal qu'il fait et des failles qu'il crée, puisque seule sa fortune l'intéresse.

Mes yeux se posent sur elle, qui me lance un regard. Elle me sourit, se mordille la lèvre inférieure pendant que Hugo joue son tour. Je me perds quelque peu dans ses yeux bruns qui pétillent de vie ce soir. Pourquoi s'enferme-t-elle dans la luxure si la simplicité l'épanouie autant ? Elle se gâche la vie, dirigée par son bourreau de père et je crois qu'elle le sait mais qu'à la fois, rien ne lui fera entendre raison car sans la fortune de son père, son palais s'écroule.

Ce soir, les dires de Hernandez s'estompent et se dissipent dans mon esprit. Plus je regarde Julia, moins j'ai envie de lutter. Pourquoi ne pas s'embrasser à nouveau ? Pourquoi ne pas s'enlacer ? Faire l'amour ? Sans qu'à la fin, l'un de nous ne tombe amoureux. Elle n'est pas prête à s'engager et moi, je ne veux pas m'engager. Mais entre elle et moi, même si j'aurais espéré le contraire, il y a quelque chose qui nous attire et l'attraction qu'elle a sur moi, commence doucement à prendre le contrôle sur mes désirs.

Dans ce jeu tortueux, elle est probablement la gagnante.

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