Chapitre 9

Un pas lourd, caractéristique des membres de Starfleet et de leurs bottes austères, retentit dans le couloir, coupant court à la scène qui se jouait dans la chambre d'hôpital de Jim. Leonard, qui, auparavant, avait les bras croisés sur le lit et la tête posée dessus, étudiant chaque pore de la peau délicate du visage de son fils tourné vers lui, se redressa pour s'adosser au siège, une main posée sur le bras de Jim.

La porte s'ouvrit, et Christopher Pike, tout en grâce noble de capitaine, pénétra dans la pièce. Il portait son attirail complet de gradé en parade, ses insignes brillaient dans les rayons de soleil puissants passant la barrière de la fenêtre. Son visage était avenant, souriant, tel que Leonard s'en souvenait du temps où il les visitait régulièrement pour surveiller l'évolution de Jim.

Il s'avança prudemment jusqu'au lit, se percha au bout, et son regard croisa celui du responsable légal de Jim.

« Leonard, c'est un plaisir de vous revoir.

— Plaisir partagé, Capitaine, même si j'aurais voulu que ce soit dans de meilleures circonstances.

— Je l'aurais également préféré. »

Un lourd silence prit place dans la pièce, puis Pike avertit son regard sur le jeune garçon étendu sur le lit, parfaitement immobile, à l'exception de son visage qui se tournait régulièrement vers son père, qui lui souriait à chaque fois.

« Salut, Jim. Tu te rappelles de moi, j'imagine ?

— Ils ont bousillé mon corps, grogna-t-il, pas ma mémoire.

— Jim, s'il te plaît, intervint son père à voix basse, reste calme.

— J'ai été très peiné et choqué d'apprendre ce qu'il t'était arrivé, Jim.

— Mon père aussi, sûrement plus que vous. Mais on s'en fiche, puisque vous allez m'enlever de sa garde. »

Le capitaine fixa le garçon, un air à la fois confus et imperturbable au visage. Leonard se demandait, à chaque fois qu'il le voyait, comment un homme de Starfleet pouvait montrer autant d'émotions tout en les masquant. Aucun doute que ça devait faire partie de l'entraînement à l'Académie, une de ces notions de diplomatie auxquelles il n'arriverait jamais à se plier.

« Je ne veux pas te séparer de ton père, de ta sœur, ou de qui que ce soit de ta famille, Jim. J'ai été envoyé par Starfleet pour déterminer si ça devait être fait, mais je ne prévois pas d'en arriver à de telles mesures.

— Je ne vous crois pas.

— Malheureusement, je ne peux rien te prouver. Mais je t'assure que c'est la vérité, je suis surtout ici pour te voir, pour savoir comment tu vas.

— Je pense que la vision que je vous offre est suffisante pour vous faire une idée.

— Ça suffit, Boy. »

À l'éruption de la voix de son père, Jim tourna la tête vers lui. Leonard lui fit passer tout ce qu'il pensait de son comportement par le regard, sous l'œil averti de Pike qui devait avoir une petite idée de ce que faisaient les deux hommes face à lui. Après quelques secondes, le regard de Jim revint vers le capitaine, et il soupira lourdement.

« Je vous prie de bien vouloir excuser mon comportement agressif, Capitaine. Je me suis laissé dépasser par la douleur et la peur d'être séparé de ma famille.

— Je comprends, Jim, ce n'est pas un problème. J'aurais sans doute eu la même réaction.

— Vous m'assurez donc que je vais rester avec ma famille ?

— Je dois quand même mener une enquête, j'ai un protocole à respecter, mais je vais tout faire pour que vous restiez ensemble. »

Jim hocha lentement la tête, puis la tourna vers son père, son visage se fendant d'un large sourire trahissant tout son soulagement. La bataille n'était pas terminée, mais ils avaient un allié de taille en la personne de Pike. Celui-ci se dandina quelques instants sur ses talons, comme s'il hésitait sur la marche à suivre, puis posa ses deux mains sur la barrière du lit.

« Est-ce que tu acceptes que je m'approche de toi ? Juste me tenir debout à côté de toi.

— Ça ne me dérange pas. Mais prenez la chaise et mettez-vous à côté de mon père, s'il vous plaît.

— Très bien, comme tu veux. »

Un fin sourire aux lèvres, le doyen de la pièce prit la chaise posée près du lit et la ramena à côté du fauteuil de Leonard, qui se décala afin de lui laisser plus de place. Cependant, sa main ne bougea à aucun moment, et Jim en parut soulagé, comme si c'était son seul lien avec la réalité. Pike s'assit, sa casquette d'uniforme posée sur les genoux, et se pencha vers l'avant, avant de reprendre sa position initiale. Il avait dû remarquer la tension grandissante qui avait pris place dans le corps de Jim.

« Alors, Jim, est-ce que tu guéris bien ?

— Papa et Neavi disent que j'évolue mieux que prévu. Je leur fais confiance.

— Qui est Neavi ?

— Une collègue Bétazoïde, intervint Leonard. Elle m'a assisté sur son opération et elle reste à nos côtés, autant pour surveiller son évolution que j'ai parfois du mal à voir que pour nous soutenir. »

Le regard de Pike se fit plus dur, scrutateur, et Leonard se sentit mal à l'aise face à son intensité. Le capitaine était impressionnant, intimidant, et être ainsi étudié n'avait rien de rassurant.

« Pourquoi est-ce que vous avez du mal à voir son évolution ? Elle n'est pas assez visi-

— Papa est trop impliqué pour voir le changement tel qu'il est, le coupa Jim, les sourcils froncés. Il ne voit que le mal parce qu'il n'aime pas me voir ainsi. Comme vous dites chez vous, il est émotionnellement compromis.

— Lorsqu'un officier de Starfleet est émotionnellement compromis, il se retire de son poste, ou un médecin le démet de ses fonctions. Si tu penses cela, ton père doit reléguer les soins à quelqu'un d'autre.

— C'est le rôle de Neavi, Capitaine. Je ne suis finalement là qu'en soutien. Mais vous comprendrez que je n'ai pas voulu ébruiter cette situation et demander de l'aide à tous mes collègues, d'autant que je n'ai finalement pleine confiance qu'en Neavi. »

Le visage légèrement ridé se tourna à nouveau vers lui, et il se sentit à nouveau flancher sous la dureté de son regard. Cependant, il ne se laissa pas faire, et se redressa de toute sa stature, aiguisant ses traits pour qu'ils ne montrent plus que sa détermination.

« Je comprends surtout que vous avez caché le kidnapping de Jim et ce qu'il subissait jusqu'à ce que vous n'ayez plus d'autre choix que de faire appel aux forces de police. Et même à ce moment-là, à aucun moment vous n'avez mentionné que votre fils, qui, rappelons-le, ne l'est pas, était un pupille de Starfleet. Peut-être aviez-vous finalement peur de devoir vous en séparer ? Vous aviez peut-être quelque chose à vous reprocher ? »

C'était un coup bas, très bas. Leonard se mordit la lèvre inférieure et prit une grande inspiration afin de ne pas laisser sa colère prendre le pas et ne pas sauter sur Pike pour le tuer en l'insultant de tous les noms. Pourtant, son envie de le faire était grande, presque incontrôlable. Mais il savait que ça n'arrangerait rien à sa situation, et s'il voulait garder Jim près de lui, il allait devoir le jouer finement.

« Je n'ai rien à me reprocher, Capitaine. J'ai tout fait pour retrouver Jim par moi-même, mais il est arrivé un stade où la situation m'a dépassé, je ne vois pas ce qu'il y a de problématique là-dedans. Quant à ce qui est de cacher que Jim est un pupille, je n'ai pas vu l'intérêt de le mentionner. Il est un enfant comme les autres, et j'en aurais fait de même si j'avais appris la disparition de n'importe quel enfant. Et Jim est mon fils, peu importe ce que vous en pensez. Je le considère comme tel, et nous avons tous les deux appris que la famille que l'on choisissait était la plus importante. »

Pike ne répondit pas immédiatement, et Leonard profita de cet instant pour se tourner vers Jim, qui le regardait, un air de fierté caché dans ses yeux. Un fin sourire agrémentait ses lèvres sans atteindre ses yeux, et son père devina qu'il était inquiet quant à la suite de la conversation.

« Pour autant, Capitaine, il me semble que vous nous avez assuré que vous ne comptiez pas nous séparer. Vos mots et le ton qui allaient avec indiquaient le contraire. Je vous prierais de ne pas nous mentir.

— Veuillez m'excuser, Leonard, c'était un coup bas de ma part. Je veux juste savoir si Jim est vraiment en sécurité.

— Vous pourriez aussi vous excuser auprès de Jim et éviter de parler comme s'il n'était pas là.

— Oui, je te présente mes excuses à toi aussi, Jim. Tu sais, nous, on n'a pas vu les images, comme on était en mission. Mais quand je suis arrivé sur Terre et que les Amiraux m'en ont parlé, j'ai eu tellement peur pour toi...

— Les images ? Quelles images ? Papa ? Papa, de quoi il parle ? » paniqua Jim.

Leonard pinça l'arête de son nez, rassemblant ses pensées. Pourquoi Pike devait absolument lâcher tout ce qu'il avait sur le cœur maintenant ? Il ne pouvait pas attendre ? Le regard terrifié de Jim naviguait entre les deux hommes, et son père caressa tendrement l'intérieur de son coude, ses yeux toujours posés sur le capitaine.

« Capitaine, veuillez sortir s'il vous plaît. Je vous appellerai.

— Je suis désolé, Leonard, je ne savais pas qu'il n'était pas au courant.

— Pas au courant de quoi ? Papa !

— Christopher, sortez maintenant. »

Sa voix dure et sûre fut suffisante pour qu'il se décide enfin, et il se leva de sa chaise, prit sa casquette d'uniforme et sortit d'un pas hésitant. Leonard n'y fit pas attention, il avait d'autres problèmes à gérer pour l'instant. Et ces problèmes résidaient dans la forme agitée de Jim, qui cherchait à s'échapper de ses restreintes, tirant, ruant, tournant dans le lit. À ce rythme, il allait aggraver ses blessures et compromettre toute la chirurgie qui avait été faite.

Leonard se leva sans attendre plus longtemps, chargea un hypospray d'une ampoule tranquillisante qu'il garda dans sa main, puis se pencha au-dessus de Jim, le maintenant sur le lit d'une pression légère sur les bras. Le garçon avait les yeux grands ouverts, complètement terrifié, si bien qu'il abandonna bien vite le combat. Il savait de toutes façons que son père avait bien plus de force que lui.

Quand il fut parfaitement calme et immobile, malgré son regard agrandi par la peur, Leonard leva une main, la gardant toujours dans le champ de vision de son fils, et vint gentiment caresser sa joue. Jim soupira d'aise et ferma les yeux, avant de les rouvrir, plongeant son regard dans celui de son père.

« Qu'est-ce qu'il voulait dire, Papa ? murmura-t-il d'une voix serrée.

— Ils ont diffusé des holos de... de tes séances de torture, hésita Leonard, fermant les yeux pour chasser les images de son esprit.

— Tu mens...

— J'aurais aimé te mentir, Jim. Mais c'est la vérité. »

Un court silence tendu prit place entre les deux hommes, et Leonard secoua la tête, chassant les souvenirs persistants de ces atroces vidéos.

« Tu les as vues. »

Ce n'était pas une question. Il connaissait déjà la réponse. Le comportement de son père le criait.

« Oui, j'ai vu tout ce qu'ils ont diffusé.

— Qui d'autre les a vues ?

— Hum... Pour la plupart, on ne sait pas vraiment, c'était sur les réseaux sociaux.

— Pour la plupart ?

—La dernière... Celle dans mon cabinet... Ils ont piraté tous les écrans du pays. Tout le pays les a vues. »

Jim eut un air horrifié au visage, comme s'il prenait conscience du nombre de personnes qui l'avait vu, nu, torturé, ensanglanté, brisé, terrifié. Leonard continua de caresser sa joue avec toute sa tendresse de père malgré la pulsion meurtrière qu'il sentait grandir en lui.

« Papa... murmura Jim d'une voix restreinte. Je crois que je sais qui a fait ça. »

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« Maman, enfin tu réponds ! »

Leonard faisait les cent pas au pied de l'hôpital, tournait en rond comme un lion en cage, son téléphone à l'oreille.

« J'étais au téléphone avec Jo', Lenny'. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

— J'ai besoin que tu ailles au commissariat pour moi, Maman. Tu dois parler à Joshi.

— Pourquoi ? Il n'est plus tellement sur l'enquête.

— Il est le seul à pouvoir nous aider sur ce coup-là. Il en référera à Starfleet s'il faut, mais on doit faire vite. »

Il s'assit sur le bord d'un parterre de fleurs, une main plongée dans les cheveux, la tête basse. Il craignait pour la vie de tous ses proches, il n'avait pas le temps de parlementer.

« Maman, Jim pense savoir qui est dans le coup, enfin du moins un d'eux. Il connaissait son identité, il sait tout.

— Dis-moi tout, chéri, je prends la route.

— George Samuel Kirk. Il est persuadé que c'est lui. »

Il y eut un silence à l'autre bout du fil, et Leonard commença à paniquer, avant que la voix de sa mère retentisse à nouveau :

« Lenny', dis-moi que c'est le bruit autour de toi qui a fait que j'ai mal compris. Dis-moi que ce n'est pas le propre frère de Jim qui a fait ça. »

Il posa sa main sur ses yeux fermés, frottant ses paupières, avant de la déplacer sur son front, massant ses tempes endolories.

« J'aurais aimé te dire que oui, Maman.

— Mais quel genre de frère peut faire ça ?

— Je ne sais pas, Maman, mais ce n'est pas la priorité. S'il est bien responsable de l'état de Jim, il faut l'arrêter au plus vite.

— Comment Jim peut en être aussi sûr ? »

Leonard plongea dans les souvenirs de sa conversation avec Jim, qui étaient encore bien vifs dans sa mémoire. Son envie de tuer était devenue de plus en plus importante et incontrôlable alors que lui-même commençait à se persuader de l'identité du responsable, si bien qu'il avait dû sortir pour apaiser la peur de Jim.

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« Papa... murmura Jim d'une voix restreinte. Je crois que je sais qui a fait ça.

— Qui, Boy ?

— Mon frère, enfin tu sais, mon frère biologique, George Samuel. »

Leonard était confus. Bien sûr, Jim lui avait déjà parlé du premier fils de ses parents, mais il ne voyait pas pourquoi celui-ci irait détruire son frère à ce point.

« Comment est-ce que tu sais ça ?

— Je l'ai vu. J'étais persuadé que ce n'était pas lui, du moins j'essayais de m'en persuader, mais maintenant je sais que c'était lui.

— Pourquoi tu sais ça, Boy ? Pourquoi tu en es sûr maintenant ?

— Avant sa mort, ma mère disait toujours qu'on était brillants, tous les deux. Elle nous a appris les bases de la programmation, et ensemble, on piratait des petits systèmes. D'après elle, avec de l'entraînement, on aurait pu connaître les codes les plus sécurisés de Starfleet. »

Jim parlait frénétiquement, comme s'il devait donner ses informations au plus vite, et Leonard fronça les sourcils.

« Jim, ce n'est pas pour vous discréditer, aucun de vous deux, mais il y a sûrement d'autres personnes très brillantes dans le domaine de l'informatique, et qui seraient capables de faire ça.

— Il a piraté ton padd, il y a quelques mois, pour me parler. Il s'entraînait, Papa, j'en suis sûr. Je n'ai pas compris à ce moment-là, mais ça ne peut être que ça.

— Jim, calme-toi, le plaida Leonard après avoir vu son rythme cardiaque accélérer sur le moniteur. Pourquoi tu ne me l'as pas dit, à ce moment-là ?

— Je ne pensais pas que c'était important, il m'a dit qu'il voulait juste me parler et prendre de mes nouvelles. Je ne te l'aurais pas caché si j'avais su.

— C'est pas grave, Jim, mais maintenant tu me dis tout, d'accord ?

— Promis. »

Jim se tut quelques instants, puis il fronça les sourcils, et ses yeux s'illuminèrent de cette lueur qui criait qu'il avait une idée de génie.

« Papa, donne-moi ton padd.

— Je ne peux pas te le donner, Boy, tu dois laisser tes doigts au repos.

— Alors prends ton padd, il va falloir que tu fasses exactement ce que je te dis. J'ai une façon d'être certain que c'est lui. »

Sans hésiter, Leonard attrapa sa tablette sur la table de chevet et vint s'asseoir près de Jim, de façon à ce qu'il puisse voir ce qu'il se passait sur l'écran. Tout en lui donnant les instructions, il lui expliqua comment il allait pouvoir déterminer si George Samuel était bien responsable.

« Tous les pirates laissent une trace, chacun a sa propre trace. Je connais celle de Sam par cœur, j'ai presque la même. Là, entre dans cette page, s'interrompit-il. On ne peut pas passer totalement inaperçu, c'est impossible. Tourne ton padd, s'il te plait, je vois mal. »

Leonard s'exécuta et lui montra l'écran recouvert de lignes de code auxquelles il ne comprenait rien. Jim, lui, semblait parfaitement dans son élément, étudiant chaque chiffre tout en murmurant des mots incompréhensibles aux oreilles de son père.

« C'est bien lui qui a piraté, quand il m'a parlé, sa trace est ici. Maintenant, retourne à l'accueil, on doit retrouver l'encodage de piratage de la dernière fois. »

Il suivit les instructions, ne cherchant même pas à comprendre ce qu'il faisait. Tout cela le dépassait, il était incapable de faire la moitié du tiers de ce que faisait Jim. Demandez-lui de remettre en état une jambe broyée, il pourra y faire quelque chose, mais tous ces chiffres et lettres n'avaient aucun sens pour lui.

« Il l'a fait pour moi... murmura enfin Jim après d'interminables minutes, les yeux exorbités.

— Qu'est-ce que tu veux dire, Boy ?

— Regarde la structure. Il a encodé en K, pour Kirk, et il a utilisé nos marques et celle de Winona. Personne n'en aurait fait autant, ça fait des mois qu'il prépare ça, c'est impossible autrement, c'est bien trop compliqué à faire, trop précis.

— Ce qui signifie ?

— Qu'il ne va pas s'arrêter là. »

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« Tu veux dire que le frère de Jim lui a laissé un message ?

— En quelques sortes. Jim s'est souvenu d'un truc qu'il lui a dit pendant qu'il le torturait, c'est vague dans sa mémoire mais ça a un rapport avec leurs parents. Ça pourrait revenir mais on n'a pas le temps d'attendre. Il a peur qu'il s'en prenne à d'autres que lui.

— Comment ça d'autres que lui ?

— Maman, qui est la famille de Jim, maintenant ? »

Une exclamation de surprise se fit entendre du côté de Madison, suivi d'un court silence, puis le bruit caractéristique du trafic d'Atlanta.

« Maman, tu es toujours là ?

— Oui, chéri, désolée, je viens d'arriver au commissariat. Donc d'après Jim, on pourrait tous être en danger ?

— C'est une possibilité à prendre en compte. Je vais prévenir Jocelyn pour qu'elle fasse attention à Jo', et on ne sait jamais, peut-être qu'elle pourrait aussi être touchée.

— Préviens ton frère, aussi. Moi, je vais essayer de tout restituer à Joshi.

— Merci, Maman, fais attention à toi. »

Sur ce, Leonard raccrocha, plongea sa tête entre ses mains. Quand allait-il s'échapper de cet enfer ? Le bout du tunnel était si loin, et il s'éloignait si vite... Il n'en voyait presque plus la lumière. Alors il décida de rejoindre la lumière, qui, il l'espérait, serait à ses côtés tout au long de sa vie, et le guiderait jusqu'au bout.

Il prit une grande inspiration et retourna dans l'hôpital, direction la chambre de Jim. Comme il en avait pris l'habitude, il prit les escaliers, les grimpant deux par deux. Il arriva à l'étage pédiatrique rapidement, et continua sa route jusqu'à la chambre dans laquelle il entendait un léger bruit de fond.

La porte s'ouvrit devant lui, il entra, et vit Jim, toujours autant immobile dans son lit. La seule différence était l'écran au mur, qui diffusait un documentaire à propos des débuts de l'exploration spatiale et du premier contact avec les Vulcains. Leonard rejoignit le chevet du lit, Jim tourna la tête vers lui, un fin sourire au visage, et son père passa une main dans ses cheveux.

« Tu as mis ça tout seul ? demanda-t-il d'une voix calme et posée.

— Non, Neavi est venue vérifier ma perfusion, je lui ai demandé en même temps. Elle a dit qu'elle reviendrait bientôt pour mes jambes, mais elle voulait que tu sois là.

— C'est gentil de sa part de t'avoir aidé. Et pour tes jambes, c'est pour les remettre à niveau ?

— Je crois, oui. Est-ce que ça va me faire mal ? »

« Question piège », pensa Leonard. Il était bien décidé à ne pas mentir à Jim, mais un tel mouvement de ses jambes avait toutes les chances d'être très douloureux pour lui, et sa tolérance actuelle n'était pas celle de d'habitude. Il était fatigué, stressé, encore sous le choc, rien qui n'aiderait.

« Je ne vais pas te cacher que ça risque de te faire mal, oui. Ça fait plusieurs jours que tu n'as pas du tout bougé, et tes membres inférieurs ne sont pas encore guéris. Mais on va te passer un décontractant, et puis on te passera des antalgiques après. Et si jamais c'est vraiment trop douloureux, tu nous le diras et on anesthésiera à partir de ton bassin. »

Jim fronça les sourcils, intégrant l'information, puis un doux et lumineux sourire vint éclairer son visage, ce qui fit sourire son père à son tour.

« Je suis super fort, alors j'en aurai pas besoin !

— Boy, sourit Leonard, tu es très fort, mais c'est vraiment très douloureux ce qu'on va te faire, alors si tu as mal, ne te retiens pas de le dire parce que tu veux montrer que tu es fort. Je sais que tu l'es, c'est tout ce qui compte.

— Promis, Papa, mais j'aimerais y arriver sans.

— On verra tout à l'heure, Boy, pour l'instant repose-toi avec ton documentaire. »

Jim sourit encore puis tourna la tête vers l'écran, se plongeant volontiers dans la quantité astronomique d'informations que la voix calme d'un officier de Starfleet à la retraite offrait. Lorsqu'il le voyait ainsi, Leonard ne pouvait s'empêcher de penser que Jim, un jour, suivrait les pas de ses parents biologiques.

Jim vouait une haine à Starfleet, de cela, il n'avait aucun doute. Si aujourd'hui, il avait une famille qu'il aimait profondément, l'organisation spatiale avait tué son père, détruit sa mère avant de la tuer à son tour, saboté sa santé, rien qui ne donnait envie de l'intégrer. Par la suite, il s'était retrouvé dans un orphelinat dans lequel il était souvent laissé pour compte, sans aucun moyen de développer ses aptitudes exceptionnelles dans bien des domaines.

Mais il avait aussi cette passion pour l'espace, pour l'exploration, pour l'ingénierie, et une capacité incroyable à mener des troupes. Il avait cela dans le sang, et Leonard savait qu'une entrée dans Starfleet lui permettrait de pleinement s'épanouir, de devenir la personne qu'il était destiné à être. Il n'était pas fait pour rester à terre, c'était impossible.

« Boy ? demanda Leonard, toujours dans ses pensées.

— Oui, Papa ? répondit-il en tournant la tête.

— Est-ce que tu aimerais entrer dans Starfleet ?

— Non. Enfin, c'est compliqué. Ça me fascine, mais... Ils m'ont trop enlevé. Et je ne suis pas sûr que je pourrais vivre loin de vous, sans aucune nouvelle, avec le risque qu'il vous arrive quelque chose, ou que je disparaisse au milieu de l'espace, avec une communication tous les trois mois et une permission d'une semaine tous les six. »

Leonard trouva qu'il était bien renseigné sur la durée des missions et les autorisations de communication pour quelqu'un qui ne souhaitait pas faire partie de l'organisation. Cependant, il n'en dit rien.

« Et si on était avec toi ? Tu crois que ça te rassurerait ?

— Jo' ne voudrait pas entrer là-dedans, je crois, et tu as peur de l'espace. Et puis, on ne serait même pas sûrs d'être assignés sur les mêmes vaisseaux. Sans compter que ça n'empêche pas qu'il vous arrive quelque chose.

— Oublie tout ça. Si on est avec toi, sur le même vaisseau, ça te plairait ?

— Et Gran' Madi' ?

— Boy, ne pense pas à ta grand-mère, juste nous, imagine, juste nous trois, est-ce que tu aimerais faire partie de Starfleet ?

— ... Oui, souffla Jim. »

Son père n'en fut pas étonné une seule seconde. Jim avait peur de l'abandon et de la solitude, forcément, l'idée d'être avec sa famille le rassurait.

« Mais de toutes façons, tu as peur de l'espace, reprit le garçon.

— Boy, je surmonterais tout pour vous, tu le sais bien. Et puis, je ne veux pas que vous ne preniez trop sur vos études, donc ça ne sera pas avant plusieurs années. J'ai le temps de travailler sur ma peur.

— Mais Jo' ne voudra pas, et puis, dans quelle branche veux-tu qu'elle aille ?

— On en parlera avec elle quand tout ça sera réglé, et ta sœur est très intéressée par la médecine. Enfin, ce n'est pas pour tout de suite, tu as le temps d'y réfléchir. Mais ça ne me dérangerait pas tellement d'entrer dans Starfleet pour toi. »

Jim sourit, un air soulagé au visage, et Leonard passa une main dans ses cheveux, appréciant la texture épaisse et soyeuse des mèches blondes. Le garçon reporta son attention sur le documentaire, mais il n'eut le temps de se plonger dedans, puisque la porte s'ouvrit, laissant place à Neavi, qui eut un sourire radieux au visage en voyant père et fils aussi proches.

« Salut vous deux ! Tu vas bien, Len' ? demanda-t-elle en s'approchant.

— Je vais plutôt bien, lui répondit-il en la serrant brièvement contre lui. On descend les pattes du petit monstre, alors ?

— Je pense que c'est le bon moment, dit-elle en lui tendant un padd. Tiens, c'est les relevés des passages de tricordeur que j'ai faits tout à l'heure. Tout me paraît bon.

— Ça me parait bon aussi. Boy, tu es prêt à descendre tes jambes ?

— Plus que prêt ! »

Sa réponse soudaine, sûre et pleine d'enthousiasme fit sourire les deux médecins, même s'ils savaient bien qu'il ne serait plus autant enclin à l'idée du mouvement d'ici quelques minutes. Pour autant, ils profitèrent de cet instant avant qu'il ne passe, et se placèrent de chaque côté du lit. Ils débarrassèrent tout ce qui pourrait les gêner, puis Leonard attrapa l'hypo que Neavi lui tendait et se pencha au-dessus de Jim.

« Boy, c'est le décontractant dont je t'ai parlé. Ça ne va pas t'endormir, juste détendre tes muscles et tes nerfs pour qu'on les manipule plus facilement. On va attendre juste une minute pour commencer après l'avoir injecté pour que ça fasse effet. Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu le dis, si tu as trop mal aussi. On ne veut pas que tu sois inconfortable. Et on va t'expliquer tout ce qu'on va faire. Ça te va ? »

L'air confiant de Jim avait disparu à l'instant où son père avait mis la seringue hypodermique dans son champ de vision, et son regard était maintenant angoissé. Rien d'étonnant avec ce qu'ils s'apprêtaient à faire, mais ça ne rassurait pas totalement Leonard, qui se demandait s'ils n'allaient pas devoir finalement pratiquer une anesthésie.

« Ça me va, murmura enfin Jim. Mais, Papa, est-ce que tu pourras tenir ma main ?

— Je ne peux pas, répondit Leonard, une vague de culpabilité déferlant sur lui. Mais je peux te parler, tout le temps.

— Ça m'ira, je crois. »

Leonard lui offrit un sourire rassurant, puis posa l'hypo sur la peau de son cou et se pencha pour embrasser son front. Il injecta le contenu de l'ampoule tout en caressant sa joue de son autre main, et il sentit le souffle soulagé de Jim contre son cou.

« Ça va aller, Jim, chuchota-t-il contre son oreille. Je suis là, je reste là. »

Il se redressa enfin et regarda les membres tendus de Jim se relaxer. Le processus terminé, il fit signe à Neavi, et tous deux se mirent à travailler de concert, indiquant à Jim chaque action qu'ils faisaient et son intérêt. Le garçon avait les dents serrées, les yeux embués, il laissait échapper de petites plaintes, mais jamais il ne les arrêta. Ainsi, après plusieurs minutes de travail délicat, Jim retrouva ses jambes à la place qu'elles occupaient normalement.

« Tu as été très fort, le complimenta Leonard à l'oreille. Je suis tellement fier de toi.

— C'est parce que tu as fait attention, Papa, murmura Jim en échappant une larme. Mais j'ai vraiment mal, est-ce que je pourrais avoir l'antalgique que tu m'avais promis ?

— Bien sûr, Boy, j'attends juste que Nea' me le ramène. Je te le donne juste après.

— Je pourrai dormir, après ?

— Rien ne le contredit, tu pourras dormir si tu y arrives et si tu es fatigué. »

Jim hocha la tête et voulut lever une main pour essuyer sa joue humide, mais son père l'en empêcha d'une main posée sur son bras et passa son pouce sous ses yeux.

« Je ne peux pas encore te laisser bouger les bras, je suis désolé.

— Mais je n'ai plus mal, Papa...

—Je sais, mais on n'a pas encore vérifié l'état de tes épaules et de tes nerfs. Une fois que ça sera fait, si tout va bien, je te laisserai bouger à nouveau.

— Et mes mains ?

— Même problème, mais je pense que ça sera bon. Je le ferai pendant que l'antalgique fera effet, si tu veux.

— S'il te plaît, Papa, » murmura-t-il en fermant les yeux.

Son attitude résiliente mais autoritaire fit sourire son père. Il était capable de faire plier quiconque à sa volonté, et sans même hausser la voix, une capacité que Leonard lui enviait. Il avait lui-même une forte tendance à ordonner sur des tons bien trop hauts, à grogner, à soupirer, ce qui irritait plus son entourage que le faisait obéir. La seule exception à la règle étaient ses enfants, contre qui il était incapable de hausser le ton. Il soupirait, il grognait, mais jamais il ne criait.

Quelques minutes plus tard, Neavi entra à nouveau dans la pièce, un hypo chargé à la main et son large sourire au visage. Elle tendit la seringue à son collègue puis attrapa le tricordeur et le passa autour des jambes et du bassin de Jim, dans un silence uniquement brisé par le son faible de l'appareil en marche. Leonard délivra le contenu de l'ampoule dans le cou de Jim en lui caressant la joue, et les traits de son visage se détendirent en quelques secondes.

« Merci, Papa. »

La voix de Jim était douce, calme, presque imperceptible tant elle était basse, mais ces deux simples mots apportèrent un grand réconfort à son père. Ses yeux demeurèrent fermés, et le moniteur indiquait qu'il glissait lentement dans le sommeil. Neavi tendit une main et vint la faire glisser sur le biceps de l'autre médecin de la pièce, qui tourna la tête vers elle. Son visage était composé mais un grand soulagement s'y voyait.

Son examen terminé, Neavi fit un signe de tête satisfait à Leonard et l'entraîna dans un coin de la chambre pour ne pas réveiller Jim.

« Il évolue très bien, vraiment. Son bassin n'est pas consolidé encore, mais ça viendra vite. Je ne pense même pas qu'il gardera de séquelles.

— Et ses jambes ?

— Son genou a un peu bougé dans le processus, donc par sécurité, je pense qu'il vaudrait mieux lui laisser l'attelle au moins vingt-quatre heures, mais il n'en a presque plus besoin. Je vais te transférer les données du trico' pour que tu te fasses ton propre avis, mais c'est le mien. »

Leonard poussa un léger soupir et vit Neavi tendre une main. Elle attrapa la sienne, et commença ses appuis sur ses points d'acupuncture, ce qui ne manquait jamais de le calmer.

« Je suis soulagé que tu me dises ça. Je vais scanner ses épaules et ses doigts, suivant le point où ça en est, j'aimerais lui enlever les attelles demain. Comme ça, il ne restera plus que le bassin et on pourra commencer à travailler sur les cicatrices.

— Tu me transmettras ton rapport, je l'annoterai et je te le renverrai. Mais je ne doute pas qu'on puisse s'y mettre d'ici demain, s'il a évolué de la même façon sur l'ensemble du corps.

— Je ferai ça. Merci pour ton aide, Nea'.

— Je ne vais pas te le dire cent fois, je le fais parce que c'est important pour moi et parce que je déteste voir la souffrance sur vos visages, à tous les deux. Pas pour des remerciements ou de la reconnaissance. »

Touché, Leonard l'attira dans une étreinte amicale, la serrant contre lui. Elle referma ses bras autour de lui, posant ses mains entre ses omoplates, et il se sentit baigné dans un océan de gentillesse et de tendresse. Cette sensation avait quelque chose de rassurant et troublant, mais il ne s'échappa pour autant, la serrant même plus fort contre lui.

Puis elle se recula, un sourire au visage, se hissa sur la pointe des pieds et embrassa sa joue avant de quitter la chambre, glissant le tricordeur entre ses mains. Leonard rougit légèrement, pas tellement habitué à ce genre d'attention, puis se ressaisit et rejoignit le chevet du lit.

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