Chapitre 7
« Toujours rien ?
— Bientôt... »
Neavi soupira et brossa l'épaule de Leonard d'une main légère. Vingt-quatre heures et son fils n'était toujours pas réveillé. En silence, la jeune femme vint s'asseoir près de son ami et peigna les cheveux de Jim de ses doigts, rencontrant une légère résistance au contact de la main de Leonard.
« Il va se réveiller, Len', et tout ira bien.
— Et si tout ne va pas bien ?
— On a déjà eu cette conversation, s'il y a le moindre souci, vous arriverez à tout arranger. Vous êtes la plus belle famille que j'ai jamais vue. »
Leonard haussa les épaules, pas vraiment convaincu. Il craignait le réveil de Jim autant qu'il le désirait. Il avait peur de la réaction du garçon, de la façon dont il allait accueillir sa présence. Après tout, lorsqu'il l'avait trouvé dans le bureau, il était en proie à un choc profond et sa douleur atteignait des sommets. Puis à son réveil après l'opération, il était encore trop dans les choux pour que son cerveau fonctionne normalement. Mais maintenant qu'il était reposé, sa réaction était imprévisible.
Ce fut à cet instant que l'activité cérébrale de Jim montra son réveil imminent. Puis sa respiration accéléra légèrement, et Neavi ôta sa main de ses cheveux, laissant toute la place à son père qui se dressa sur ses deux pieds, caressant la joue pâle de son fils d'un doigt tendre et délicat. Ses yeux s'ouvrirent lentement, il battit plusieurs fois des paupières pour s'accoutumer à la luminosité, ce qui fit sourire Leonard.
« Hey, Jimmy-boy... »
Son sourire retomba bien vite lorsqu'il remarqua le regard de pure terreur qu'arborait Jim. Sa respiration se fit courte, rapide, son rythme cardiaque accéléra. Leonard ne bougea pas, son regard horrifié fixé sur son fils qui cherchait à tout prix à échapper à son contact malgré ses entraves. Neavi, passant en mode médecin sans attendre, poussa son ami en arrière d'un geste brutal et se planta devant lui, cachant sa vue à Jim. Elle lui sourit tendrement et caressa délicatement sa joue, et sa respiration ralentit progressivement.
« Voilà, Jim, c'est très bien, respire profondément, parfait... »
Son souffle et son rythme cardiaque reprirent lentement un rythme normal sous les indications et les encouragements de la jeune femme, mais son regard restait toujours fixé derrière elle, sur une silhouette qu'il ne voyait pas mais devinait. Neavi capta ce regard et le ramena vers elle, souriant toujours.
« Tout va bien, Jim, tu es en sécurité, personne ne peut te faire de mal ici. »
Son bras voulut se tendre, mais elle le rattrapa bien vite et le posa à nouveau sur le lit, passant et repassant un pouce délicat sur la peau nue de l'intérieur de son coude, ce qui le calma rapidement.
« Ne bouge pas, Jim, tu es gravement blessé. Est-ce que tu peux parler ? »
D'un mouvement lent de la tête, il lui répondit que oui, mais lorsqu'il voulut l'oraliser, sa voix resta bloquée dans sa gorge sèche. Neavi attrapa le verre de glace qu'ils avaient préparé peu avant son réveil et en glissa quelques morceaux entre ses lèvres à l'aide d'une cuillère.
« Voilà, laisse bien fondre, on parlera après, d'accord ? Tu sais comment ça marche, tu en as déjà eu. »
Jim répondit par l'affirmative d'un signe de tête puis ne bougea plus le temps que la glace redevienne eau et hydrate sa gorge. Durant tout ce temps, son regard resta fixé dans la direction de son père, qui n'avait pas bougé et qu'il ne pouvait voir, mais dont il devinait la présence. Neavi le vit ouvrir la bouche à nouveau, faisant un léger geste en direction du verre, mais, dans un rire, elle l'écarta et le posa sur le chevet.
« Eh non, je sais que c'est agréable et que tu aimerais en avoir plus, mais il ne t'en faut pas trop et tu en as eu assez. »
Une fine mine boudeuse apparut sur les traits du garçon et elle lui sourit, amusée.
« Ne boude pas, tu n'es pas beau comme ça.
— Je ne ressemble à rien.
— Pourquoi tu penses ça ?
— Parce que des monstres m'ont transformé en pantin et ont brisé chaque morceau de mon corps.
— Mais ça n'enlève rien à ta beauté et à ton âme.
— Mon âme est détruite. »
Sur ces mots, il tourna autant qu'il put la tête vers la fenêtre malgré la douleur qui déforma ses traits, avant de la tourner à nouveau dans l'autre sens en entendant un sanglot étouffé et le chuintement de la porte.
Lourdement adossé au mur de la chambre, Leonard suivit comme il put la conversation malgré les larmes qu'il retenait autant qu'il pouvait.
« Tu as peur de ton père ?
— Papa ne me ferait pas de mal...
— Et pourtant, quand tu t'es réveillé, tu as eu peur de lui.
— Oui... Je ne voulais pas.
— Est-ce que tu as toujours peur de lui ?
— Oui... »
Leonard ne put en supporter plus. Abandonnant toutes ses affaires, son fils et son amie à l'intérieur, il prit ses jambes à son cou et descendit les escaliers inoccupés à une vitesse record. À mi-chemin, il s'arrêta pour tâtonner ses poches. Il hésita quelques secondes à remonter lorsqu'il ne sentit pas ses clés d'hovercar dans sa poche, puis il en décida autrement et reprit sa route.
Il passa devant Damian qui fronça les sourcils comme il le faisait régulièrement depuis le début de cette affaire, mais Leonard ne s'en préoccupa pas. Son secrétaire rejoindrait bien vite la chambre de Jim pour en savoir plus, et lui étouffait dans cet endroit clos.
Il finit par atteindre le parking, essoufflé, mais il ne s'arrêta pas pour autant. Il força encore et encore sur ses jambes et ses poumons, ignorant les regards interloqués des badauds face à cet homme aux yeux fous courant dans les rues d'Atlanta.
Finalement, après vingt minutes de course intensive, il s'arrêta devant une porte, tambourinant dessus comme un fou furieux. Ses bras, ses jambes, sa poitrine le faisaient souffrir, mais il n'abandonna pas. Il continua de frapper, encore et encore. Son regard était trouble, sa tête lui tournait, de la sueur lui coulait sur le visage et dans le dos, mais il n'y faisait pas attention.
Puis, enfin, la porte s'ouvrit, laissant apparaître une silhouette qu'il connaissait par cœur. Il voulut entrer, il voulut la saluer, il voulut... des tas de choses. Mais ses jambes le lâchèrent et il tomba à genoux. Avant qu'il n'ait pu ne serait-ce qu'essayer de se relever, deux bras l'enveloppèrent dans une étreinte chaude et les vannes s'ouvrirent.
Ses larmes se mirent à couler sans discontinuer, de douloureux sanglots le firent suffoquer, et il cacha son visage dans ses mains, incapable de se montrer ainsi face à la première femme qui avait compté dans sa vie.
« Il a peur de moi, maman... » murmura-t-il contre son épaule, retenant à grande peine ses sanglots déchirants.
Madison, comprenant la douleur de son fils, se mit à le bercer, caressant son dos, sa nuque, ses cheveux trempés de sueur, embrassa son front, lui murmura des mots rassurants à l'oreille. Mais Leonard sombrait toujours plus profondément dans sa peine, et elle remarqua les regards inquisiteurs des passants.
« Lenny', on doit rentrer, mon chéri, tu peux marcher ? »
Il hocha lentement la tête, et, s'aidant à la fois de ses mains et du support de sa mère, réussit finalement à se lever. Elle le guida à l'intérieur d'une main ferme tenant son bras, et le mena jusqu'au canapé. Elle l'y allongea, glissa un coussin sous sa tête et posa un plaid sur lui. Ses larmes ne tarissaient pas, et elle passa une main délicate sur sa joue, les essuyant avec toute sa tendresse de mère.
« Je vais te faire une tisane, chéri. Après je m'occuperai de tes pieds et on parlera. »
Ce ne fut qu'à cet instant que Leonard remarqua la douleur dans ses pieds. Lorsqu'il les regarda en soulevant le plaid, il se rappela qu'il n'avait pas mis ses chaussures avant de partir. Ses chaussettes étaient couvertes de sang, mais il ne s'en préoccupa pas. Son cœur, son cerveau le tiraient plus profondément dans les abysses sombres du monde, lui rappelaient que son propre fils était terrifié par sa présence.
Madison finit par revenir, une tasse dans chaque main et une trousse de premiers secours glissée sous son bras. Elle s'accroupit près de la forme tremblante de son fils et caressa sa joue au teint cireux avant de se pencher en avant pour embrasser son front. Leonard ouvrit lentement les yeux, laissant échapper de nouvelles larmes qui s'étaient accumulées sous ses paupières.
« Lenny'... Calme-toi, ça ira mieux dans quelques temps.
— Il a peur de moi...
— Je sais, mais te mettre dans de tels états ne t'aidera pas. Tu as besoin de te reposer, loin de tout ça, tu es au bord de la crise de nerfs, là.
— Il a peur de moi...
— Lenny', est-ce que tu m'entends ? » murmura-t-elle d'une voix transpirant l'inquiétude.
Mais Leonard ne réagit pas. Il continuait de répéter inlassablement les mêmes mots, dans un murmure à peine audible, les yeux fixés sur un point que lui seul voyait. Madison soupira un grand coup. Elle n'obtiendrait rien pour l'instant. Alors elle brossa les cheveux de son fils en arrière, remonta le plaid sur ses épaules, et, attrapant la trousse de secours, se déplaça jusqu'à l'autre bout du canapé. Elle souleva la couverture, et poussa un nouveau soupir.
Le tissu des chaussettes était complètement arraché, la plante de pied lacérée en plusieurs endroits. Des serpents de sang rouge s'écoulaient lentement des plaies, glissant sur la peau abîmée dans un spectacle macabre. Avec grande précaution, elle ôta le tissu collé, élicitant un glapissement de douleur de la part du blessé, puis nettoya chaque plaie d'un geste doux. N'ayant pas accès aux régénérateurs dermiques que son fils chérissait tant, et doutant même de leur efficacité sur de telles blessures, elle appliqua un onguent dont la recette se transmettait de génération en génération depuis des années dans la famille.
Elle disparut à nouveau du salon, puis revint quelques minutes plus tard, mains nettoyées et portant une boule de tissu épaisse. Elle la défit, et, usant à nouveau de toute sa gentillesse, glissa les chaussettes douces sur les pieds meurtris. L'effet de l'onguent serait multiplié, ainsi emprisonné. Cette technique n'était plus tellement utilisée au vingt-troisième siècle, mais elle était tout de même très efficace, et elle n'avait rien d'autre sous la main.
Cette préoccupation apaisée, elle put retourner auprès du visage de Leonard, qui, s'il avait arrêté de pleurer, était parfaitement immobile. On aurait même pu douter sur le fait qu'il était en vie. Même sa respiration semblait s'être arrêtée. D'une tendre caresse sur la joue, elle attira son attention, et ses yeux se posèrent sur elle.
« Ça va mieux ? »
Il ne répondit pas, haussant simplement les épaules, et elle posa ses lèvres sur son front. Elle se glissa ensuite sur le canapé, et l'aida à se redresser, l'asseyant contre elle. Il se laissa faire, s'appuyant allègrement sur son épaule, et elle sourit, glissant son doigt de haut en bas sur son flanc. Se penchant en avant, elle attrapa la tasse abandonnée sur la table basse et lui tendit. Il la prit dans ses mains, savourant la chaleur qui se frayait un chemin à travers ses doigts.
« Merci, Maman, susurra-t-il d'une voix rauque.
— Bois, chéri, on parlera plus tard. »
Leonard ne se fit pas prier et posa ses lèvres sur la porcelaine encore chaude. La première gorgée le brûla, les suivantes l'apaisèrent. Cette odeur, qui s'infiltrait en lui par chaque pore de sa peau, lui rappelait indéniablement la maison. La rose et la pêche se mélangeaient, comme autant de senteurs lui rappelant son enfance passée dans les campagnes géorgiennes, dans les champs de ses grands-parents.
La tasse se vida bien trop vite à son goût, mais lorsqu'il eut avalé la dernière gorgée, il se sentit bien plus calme. Son anxiété et sa peine étaient toujours là, mais il se sentait capable de les gérer. Madison prit la tasse de ses mains, et il remarqua qu'elles tremblaient bien moins qu'à son arrivée. Combinée à la douceur de sa mère, la tisane avait réussi à l'apaiser.
« Tu aurais vu son regard à son réveil...
— Tu t'attendais à ce qu'il ait peur de toi, tu me l'as dit toi-même.
— Pas à ce point. Il a confirmé à Neavi qu'il avait peur de moi même s'il sait que je ne lui ferai pas de mal.
— C'est déjà une bonne chose s'il en a conscience. Tu n'auras pas à reconstruire toute la confiance qu'il avait en toi.
— Hum... »
Leonard ne réagit pas vraiment, les yeux dans le vide. Sa bouche s'ouvrit plusieurs fois avant de se refermer, il hésitait à parler. Puis finalement, il glissa son visage dans le cou de sa mère, et, se sentant à l'abri de tous les regards, il osa enfin.
« Maman, Nea' a découvert autre chose.
— Dis-moi.
— Jim a été violé, » murmura-t-il après quelques secondes de silence.
Madison retint le glapissement d'horreur s'échappant de sa bouche d'une main posée sur ses lèvres, puis redressa le visage de son fils pour le regarder dans les yeux. Le sérieux qu'elle y trouva ne laissait planer aucun doute. Il était sûr de lui.
« Oh mon dieu...
— Je veux tuer ces enfoirés, Maman. Je te jure, je n'ai jamais eu autant envie de tuer quelqu'un. Je veux les faire souffrir autant qu'ils l'ont fait souffrir et les tuer. »
Leonard arborait un regard fou, un regard que sa mère n'avait jamais vu. Il était déterminé à mettre sa menace à exécution, peu importe ce qui lui en coûterait. Madison passa une main douce et tendre dans le dos de son fils et elle sentit ses muscles se relaxer lentement.
« Ne dis pas ça, ne fais pas ça, chéri. Ne fais pas ça aux enfants, ils ont besoin de leur père près d'eux. Si tu fais cela, tu ne les verras plus, et tu te seras abaissé à leur niveau. Tu es une personne formidable, Leonard, tu es celui qui apaise la douleur, pas celui qui l'inflige.
— Mais ce qu'ils ont fait à Jim...
— Ce qu'ils ont fait à Jim est terrible, et malgré tout ce qu'il subit qu'il subit à cause d'eux, tu ne dois pas leur rendre. Rappelle-toi de ton serment, si tu le brises, tu ne pourras plus jamais exercer, ton métier est toute ta vie, tu ne survivrais pas sans.
— Mes enfants sont ma vie. Je ne peux pas laisser ceux qui l'ont torturé impunis.
— La police les trouvera. Et s'ils ne le font pas avant toi, tu les y emmèneras. Ne brise pas ta vie et les leurs, pas comme ça. »
Il ne répondit pas, s'enfonçant juste un peu plus dans l'étreinte rassurante de sa mère. Il savait qu'elle avait raison, qu'il ne pouvait pas faire ça à ses enfants, qu'il serait même probablement incapable de faire de mal à qui que ce soit, mais ça n'apaisait en rien ses pulsions meurtrières. Il les sentait affluer sous sa peau, le démanger. Un coup d'ongle sur son épiderme trop sensible et un torrent d'émotions destructeur serait libéré. Le seul rempart à cette vague, la seule digue, c'était sa famille, et il s'y raccrochait comme un naufragé s'accrochant à un rocher. Cette ruée ne menaçait pas que les pirates qui lui avaient volé Jim, elle le menaçait lui aussi, et il sentait son contrôle s'échapper à chaque fois qu'il lâchait son roc.
Après plusieurs dizaines de minutes passées dans le silence de l'étreinte réconfortante de Madison, Leonard se redressa, massant sa nuque endolorie. Il sentait ses émotions refluer à l'arrière de ses pensées, se sentait en sécurité face au danger qu'il représentait. Madison embrassa son front comme elle l'avait tant fait alors qu'il n'était encore qu'un enfant, et il se sentit baigner dans son attention et son amour.
« Pardon, Maman, je suis désolé, je n'aurais pas dû agir ainsi.
— Tu avais besoin de réconfort, j'étais là pour te le donner. Je préfère ça plutôt que tu dises de telles choses devant Jocelyn et Joanna.
— Je devrais aller les voir, je dois leur dire que Jim est réveillé.
— Et tu vas y aller pieds nus en courant ? »
Dans un réflexe, il baissa les yeux sur ses pieds, et remarqua enfin que sa mère en avait pris soin. Visiblement, son absence avait été bien plus longue que ce qu'il avait cru.
« Tu n'aurais pas dû les soigner.
— Oui, bien sûr, ironisa-t-elle. Et te laisser te vider de ton sang et infecter tes plaies, tu as raison.
— Je l'aurais fait.
— Et comment ? Tu n'as rien de plus que tes fringues sur toi, je parie même que tu n'as pas tes papiers d'identité. Tu aurais pu passer pour un échappé d'asile, Lenny. »
Leonard sentit son contrôle s'échapper à nouveau, et une vive irritation vint ternir son discours.
« Ça va, je sais que j'avais l'air malade, je pense que j'en avais le droit ! Je veux bien t'y voir, moi !
— Parle-moi autrement, Leonard, je suis ta mère et je n'accepterai pas que tu me parles comme ça ! Je sais que tu vas mal, je le comprends, je le vois, mais je ne te laisserai pas faire ! »
Il baissa la tête comme un enfant pris en faute, puis redressa son visage, et Madison put y voir toute sa culpabilité. Il ouvrit la bouche pour s'excuser, mais elle chassa ses mots d'un geste de la main. Elle savait qu'il s'en voulait, elle connaissait les mots qu'il allait dire, elle ne voulait pas les entendre, ça ne servait à rien.
« Je ne peux même pas aller voir Jo', je ne peux pas retourner à l'hôpital. J'ai été tellement stupide...
— Tu n'as pas été stupide, Lenny'. Beaucoup auraient réagi comme toi. Je vais t'emmener chez toi pour tes chaussures, je t'emmènerai à l'hôpital et chez Jocelyn et on rentrera à la maison.
— Mais je dois retourner près de Jim ! s'affola-t-il, les yeux grands ouverts.
— Non, tu ne retourneras pas près de Jim, pas maintenant. Tu dois te reposer dans un environnement sain et calme, et la chambre d'hôpital de ton fils n'en est pas un. Donc tu vas dormir ici, je vais prendre soin de toi et on en reparlera. »
Leonard voulut se lever pour appuyer ses arguments mais la douleur dans ses pieds se fit trop forte et il se rassit, choisissant plutôt de plonger son regard dans celui de sa mère.
« Maman, je ne peux pas le laisser seul. Ils n'ont pas été arrêtés, imagine s'ils reviennent le chercher !
— L'hôpital a une sécurité, Lenny', il n'y a rien à craindre.
— Ils ont réussi à entrer dans mon bureau et le torturer dedans sans que personne ne remarque rien, c'est pas ce que j'appelle une sécurité. »
Madison se tut quelques instants, forcée de reconnaître qu'il n'avait pas tort. Leonard était perdu, incapable de trouver une solution acceptable pour tous. Il ne pouvait pas encore demander à Damian ou Neavi de rester avec Jim, ils n'étaient pas sa famille, ils n'avaient pas à faire cela pour lui.
« Je te ramènerai à l'hôpital. Mais je resterai avec toi.
— Non, je ne veux pas que tu le voies comme ça.
— Jim est mon petit-fils et je veux le voir, peu importe ce que tu en penses. J'ai vu ces images, okay ? J'ai travaillé avec ton père, je sais ce que c'est.
— Justement, c'est Jim. Je ne veux pas que tu le voies comme ça, je ne veux pas que Joanna le voie comme ça, je veux que personne ne le voie comme ça. »
Elle soupira, posant une main sur la cuisse de son fils, grattant le tissu du jean du bout de ses ongles. Leonard tenta de s'échapper de ce toucher mais Madison ne fit que le retenir.
« Tu ne peux pas toujours nous protéger, Lenny'. Il fait partie de notre famille, on doit le voir, autant pour son bien que pour le nôtre. Il a besoin de voir des personnes qu'il connaît et qu'il aime. On le verra à un moment ou un autre.
— Ça ne veut pas dire que vous devez le voir dans un si mauvais état.
— Il sera toujours en meilleur état que la dernière fois qu'on l'a vu. On a besoin de le voir maintenant que tu es en train de le soigner. La dernière image qu'on a eue de lui était insoutenable. »
Son fils soupira. Il n'avait vraiment pas envie que qui que ce soit ne voie Jim, c'était une vision choquante que de le voir aussi immobile et sans défense, lui qui habituellement était la vie incarnée. Mais il savait que sa mère ne lâcherait pas le sujet tant qu'il n'aurait pas accepté.
« C'est d'accord. Mais tu ne restes pas à l'hôpital.
— Je reste avec toi. Tu ne resteras pas seul une seule seconde, je ne veux pas que tu te laisses aller à des pensées moroses.
— Maman...
— C'est non-négociable. »
Il soupira à nouveau. Aucun choix ne se présentait à lui, autre qu'accepter que Madison ne reste avec lui. Alors malgré sa réticence, il hocha la tête, et elle sourit, fière d'elle.
« Reste là, je reviens tout de suite. »
Et il obéit, parce qu'il savait qu'une fois de plus, il n'avait d'autre choix. Après seulement quelques minutes, Madison revint, et, l'aidant à marcher sur ses pieds instables, le guida jusqu'à sa propre hovercar, et ils prirent la direction de la sortie sud d'Atlanta.
---
Depuis le couloir, Leonard et Madison pouvaient entendre, s'ils tendaient l'oreille, la conversation qui se jouait dans la chambre de Jim. D'après la voix qui se frayait un chemin à travers les murs, il parlait avec Neavi. Il hésita quelques instants avant d'entrer, mais la porte était déjà ouverte devant lui et les deux occupants de la pièce le regardaient.
« Hum... Salut, murmura-t-il en levant une main hésitante.
— Salut, Len', tu as l'air bien plus reposé, sourit Neavi.
— Oui, on peut dire ça... »
Il sourit timidement, s'avança vers le lit et se tint au bout de celui-ci, appuyé sur les barreaux métalliques, suffisamment loin de son fils pour qu'il ne puisse pas avoir peur.
« Nea', tu n'es pas contre des visites pour Jim ?
— C'est toi son médecin, Len', pas moi, je n'ai fait que t'assister. Mais dans le principe, non je ne suis pas contre.
— D'accord, merci. »
Leonard s'autorisa quelques instants pour respirer un grand coup et reprendre une pseudo-assurance, avant de se tourner vers le garçon allongé dans le lit.
« Je suis venu avec Gran' Madi', Jim, est-ce que tu accepterais de la voir ?
— Elle ne peut pas me voir comme ça !
— Elle sait que tu as eu de nombreuses opérations, Jimmy, c'est elle qui a insisté pour te voir.
— Vraiment ? Alors je veux bien. Je serais content de la voir.
— Je vais aller la chercher alors, on te laissera avec elle ensuite.
— D'accord papa, merci. »
Son père sourit, presque faussement. Il avait repéré la lueur apeurée dans les yeux de Jim, et il savait qu'il en était responsable. Mais il ne se laissa pas abattre, pas une seconde fois, et il sortit de la chambre, faisant entrer Madison.
Celle-ci afficha un grand sourire en voyant son petit-fils, et il lui répondit, toute trace de peur envolée. Leonard avala difficilement la boule qui s'était installée dans sa gorge et passa la porte, s'asseyant juste à côté de l'entrée. Bientôt, il vit Neavi le rejoindre, et il lui sourit légèrement, cherchant avant tout à la rassurer. Elle s'assit près de lui, à même le sol, et attrapa sa main pour jouer avec ses doigts. Lorsqu'il se sentit se détendre sous ses doigts, il comprit qu'elle travaillait sur ses points d'acupuncture.
« Tu vas mieux ?
— J'ai parlé avec ma mère et vu Joanna, soupira-t-il en haussant les épaules. Ça ne m'a pas fait de mal.
— Je pense plutôt que ça t'a fait beaucoup de bien.
— Comment tu peux savoir ça ?
— J'ai senti ta détresse, tout à l'heure. J'ai rarement ressenti de telles émotions venant d'un autre esprit, je t'ai presque suivi à la trace pendant ta course. Ce que je reçois maintenant, c'est de la détresse, certes, mais contrôlée. »
Leonard soupira de lassitude. Il avait oublié, l'espace d'un instant, les capacités télépathiques de son amie. Il savait que si elle ne lisait pas ses pensées en détail et ne se le permettrait jamais sans son autorisation, elle ressentait ses émotions les plus fortes sans pouvoir totalement le contrôler. Et même sans cela, ce ne serait que logique venant d'une amie que de s'assurer de son bien-être.
« Len', tu ne sais pas tout.
— De quoi tu parles ? Tu as encore trouvé quelque chose ?
— Non, c'est à propos de la conversation qu'on avait, sur sa peur de toi.
— Je ne veux pas savoir que mon propre fils a peur de moi ! » s'écria-t-il.
Il se dressa sur ses deux pieds et se mit à faire les cent pas dans le couloir. Il ne voulait pas connaître tous les détails, il ne voulait pas savoir que son fils était terrifié par sa propre présence. Mais Neavi en avait décidé autrement. Elle se leva et vint se placer devant lui, le retenant de ses deux mains posées sur ses épaules.
« Stop, Len', calme-toi. Écoute-moi.
— Je ne veux pas !
— J'ai dit « stop », Leonard. »
Mais il ne se calma pas, continuant d'arpenter le couloir de long en large comme un lion en cage. Il sentait son sang bouillir dans ses veines, son cerveau tourner à toute allure. Plus aucune pensée cohérente n'arrivait à se fixer, chaque image se succédait sans jamais s'arrêter. Puis finalement, une vive douleur sur sa joue le fit relever la tête, et il capta le regard à la fois désolé et décidé de Neavi.
« Désolée, Len', tu ne m'as pas vraiment laissé le choix. Maintenant, tu t'assois et tu m'écoutes. »
Il obéit, ne souhaitant pas recevoir une nouvelle gifle. Il se sentait un peu humilié par ce geste reçu d'une femme étant la douceur incarnée, d'autant plus devant des infirmiers du service qu'il voyait glousser au bout du couloir. Il leur jeta un regard peu amène tout en s'asseyant, et Neavi reprit sa place devant lui, reprenant sa main, et il se sentit à nouveau détendu.
« Comment est-ce que tu connais les points d'acupuncture humaine ?
— De la même façon que tu connais la médecine de la moitié des peuples de la Fédération, sourit-elle. Je vis sur Terre depuis des années, ça m'a toujours intéressée, alors je l'ai appris. »
Leonard hocha la tête en souriant légèrement, ne sachant pas vraiment quoi répondre. Bien vite, le visage de son amie reprit tout son sérieux, et il perdit son sourire.
« Bon. C'est un peu difficile, mais ce n'est pas vraiment de toi qu'il a peur.
— Comment ça ? Il t'a pourtant dit qu'il avait peur de moi, je l'ai entendu !
— Mais tu es parti avant qu'il ne termine. C'est bien plus compliqué que ça.
— Arrête de tourner autour du pot s'il te plaît, Nea', gronda-t-il, perdant patience.
— Il y avait un Korrigan. Il a pris ta forme pour le torturer. »
Un silence suivit sa déclaration. Leonard ne savait pas quoi dire, il imaginait maintenant la souffrance que sa vision pouvait donner à Jim. Il avait cru qu'il était celui qui le torturait, qui le blessait, qui le tuait à petit feu. Aucune surprise qu'il était terrifié par sa présence maintenant.
« J'ai parlé avec lui, Len'. Il a bien conscience que ce n'était pas toi, que tu serais incapable de lui faire la moitié de ce qu'ils lui ont fait. Mais il a du mal à voir la différence entre toi et lui.
— Comment est-ce qu'il fait pour ne pas me détester ? murmura-t-il, sous le choc.
— Il sait que ce n'était pas toi, je te l'assure. Il a vu la différence. Déjà parce qu'il te connaît, mais aussi parce qu'il avait une façon de bouger, de parler, qui ne te correspondait pas. Il se raccrochait à cette idée pour ne pas sombrer.
— Il a tellement dû souffrir...
— Mais on est là pour l'aider maintenant, ça ira. Il était très content de voir ta maman, déjà. »
Leonard émit un léger son d'assentiment du fond de sa gorge, pondérant ses mots. Il devait avouer qu'il avait vu toute la joie contenue de Jim à la vue de Madison. Ils avaient une relation très fusionnelle, il n'était pas vraiment étonné de cette réaction. Une seconde personne vint occuper ses pensées, et il redressa les yeux vers Neavi, qui attendait ses prochaines paroles.
« Joanna m'a demandé si elle pouvait venir le voir. Je n'ai pas su quoi lui répondre. Ça leur ferait du bien à tous les deux de se voir, ils sont tellement proches... Mais en même temps, je ne veux pas qu'elle soit choquée par une telle vision. »
Neavi sourit, comme si elle s'attendait à de telles réflexions. Elle avait souvent ce regard qui lisait en vous, qui semblait pouvoir tout connaître de votre vie, alors même qu'elle ne faisait que vous scanner de son regard inquisiteur et curieux.
« Je pense que tu devrais en parler avec Jim, déjà. Peut-être qu'il ne se sent pas prêt à la voir, et auquel cas tu ne devras pas le brusquer. Et ensuite, parle-en à Joanna, explique-lui que son état n'est pas vraiment beau à voir, explique-lui tes craintes. Tes enfants sont très intelligents, Len', ils comprennent tout cela.
— Je vois. Donc tu ne penses pas que ça soit une mauvaise idée ?
— Je ne pense pas, si tous les deux sont d'accord, je pense même que c'est une bonne idée. Ils sont fusionnels, ça ne pourra que les aider. Et puis, on va bientôt descendre les jambes de Jim.
— D'accord, merci de ton conseil, » sourit-il timidement.
Elle répondit à son sourire de façon plus franche, puis l'attira dans une nouvelle étreinte rassurante. Cette fois, pas de vague télépathique de réconfort, simplement la chaleur d'un corps partagée avec l'autre, simplement la présence d'un soutien indéfectible.
Ce fut ce moment que choisit Madison pour sortir de la chambre, un grand sourire plaqué aux lèvres, qui s'agrandit en voyant les deux formes assises à même le sol. En entendant le bruit de la porte, Leonard redressa la tête en sursautant, tombant sur le regard amusé de sa mère. Ses joues prirent une légère teinte rosée, et Neavi sourit à son tour, déposant un baiser sur sa joue.
« On va aller voir Jim, tu as beaucoup à lui dire je crois. »
Son ton était léger, et il s'en sentit rassuré. Elle ne le blâmait pas pour ses réactions parfois étranges, elle n'était là que pour le soutenir et l'aider. Alors il prit la main qu'elle lui tendait et se releva, l'embrassant à son tour sur la joue.
« Merci, Nea', merci d'être là.
— Quand tu veux, Len'. Allez viens, maintenant. »
Sur ce, elle prit sa main dans la sienne et l'attira dans la chambre, attisant un nouveau feu aux joues du jeune père, et un sourire amusé sur les lèvres de sa mère. Puis tous trois entrèrent dans la chambre, la porte se ferma derrière eux, et Leonard croisa le regard amusé de son fils, dans lequel il ne détectait plus qu'un arrière-fond de peur. Il ne put s'empêcher d'être profondément soulagé. Peu importe ce dont il avait parlé avec sa grand-mère, ça l'avait forcément aidé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top