Chapitre 18
« Leo', viens te coucher, il est une heure... »
Leonard soupira et ne releva même pas la tête de son dossier pour répondre avec un vague geste de la main.
« Oui, oui, j'arrive dans cinq minutes. »
Il entendit Neavi soupirer derrière lui puis une main apparut devant son nez et enleva le padd diffusant une multitude de dossiers de patients de sa vue. Il protesta en se tournant brutalement mais elle ne fit que l'éloigner un peu plus. Son visage était renfrogné en une mine désapprobatrice et ses sourcils froncés.
« Ça fait une heure que tu me dis que tu arrives dans cinq minutes, viens dormir.
— Je n'ai pas envie de dormir.
— Je ne te laisse pas le choix. Tu opères demain matin à huit heures donc tu lèves ton cul de cette chaise et tu viens te coucher. »
Un profond grognement retentit au fond de la gorge de Leonard mais il se leva néanmoins après avoir jeté ses lunettes sur le bureau.
« Ça sert à rien de t'énerver, Leo', prends soin de toi et on n'en arrivera pas là. »
Il ne lui répondit pas et partit avant elle à l'étage. Il passa rapidement par la chambre de Joanna qui dormait profondément, dans celle de Jim par réflexe même si rien n'y avait bougé depuis une semaine, puis il rejoignit sa chambre où Neavi était assise sur le lit, enroulée dans un kimono typique de sa planète.
Il s'arrêta quelques instants sur ses jambes nues, sur ses formes parfaitement mises en valeur, mais il fit semblant de rien et rejoignit sa commode. Il en sortit un haut noir, se déshabilla de sa chemise et de son pantalon dans lesquels il se sentait si engoncé et enfila le tee-shirt.
Sous le regard scrutateur de son amie qu'il faisait tout pour éviter, il rejoignit son côté du lit, se glissa sous les couvertures, se roula en boule dos à Neavi et éteignit la lumière, feignant de tomber dans le sommeil.
Il entendit Neavi soupirer, puis il sentit le lit s'affaisser, la dernière lumière fut éteinte, et elle murmura un « bonne nuit » qui se perdit dans le silence de la chambre.
Mais comme depuis une semaine, le sommeil le fuyait. Il n'était pas sûr d'avoir dormi dix heures sur les sept derniers jours. Il n'arrivait plus qu'à tomber d'épuisement. Alors il se tournait et se retournait dans le lit, essayant de chasser ses pensées sombres uniquement illuminées par le magnifique sourire de son fils-qui-ne-l'était-plus.
Cet état s'était empiré quatre jours plus tôt, lorsqu'il avait reçu les papiers de Starfleet stipulant que Jim était officiellement sous la tutelle de Christopher Pike. Il avait reçu le même jour son livret de famille, dépouillé de la page où Jim apparaissait. James Tiberius McCoy était redevenu James Tiberius Kirk, enfant orphelin et pupille de Starfleet.
Depuis, il avait repris le travail à plein régime. Il prenait les patients de Cehg qu'il avait laissés pour compte suite à son arrestation, passait autant de temps que possible en salle d'opération, et ce n'était qu'une question de jours avant qu'il ne se retrouve de garde de nuit. Il se tuait à la tâche, mais il était bien, parce qu'au moins, tant qu'il travaillait, il ne pensait pas à la situation familiale catastrophique dans laquelle il était.
Et puisque le sommeil le fuyait, il travaillait sur les dossiers des anciens patients de Cehg, ceux qu'il était persuadé qu'il avait saboté simplement pour lui mettre des bâtons dans les roues. Il avait déjà un certain nombre de rendez-vous dans la semaine pour travailler sur le sujet, et à mesure que la pile s'agrandissait, sa satisfaction explosait.
Mais rien n'arrivait à combler le vide en lui, et tous les soirs, lorsqu'il rejoignait enfin son lit, il ne pouvait anesthésier ses sensations et ses pensées. Il lui arrivait de boire pour oublier, mais rien ne fonctionnait.
Neavi essayait tous les soirs de le raisonner. Tous les soirs, elle le suppliait d'arrêter de travailler autant, elle lui enlevait ses verres d'alcool, elle le traînait dans le lit, mais rien n'arrivait à lui faire entendre raison.
Les seuls moments où il réussissait à décrocher étaient ceux qu'il passait avec Joanna. La jeune fille avait décidé de rester avec son père tant qu'il ne remontait pas la pente et elle tiendrait promesse malgré sa peine qui se voyait de façon constante. Son visage était strié d'inquiétude et de tristesse mais elle restait près de Leonard.
Il se tourna une première fois dans le lit. Puis une seconde. Il grogna. Il se tourna encore une fois. Et encore une. Sur le dos, il fixait le plafond, comme il le faisait toutes les nuits. Le vide en lui s'agrandissait à chaque seconde passant. Bientôt, le trou noir qui s'était formé l'engloutirait et il serait perdu à tout jamais.
Un bras fin se glissa sur son torse, un corps chaud se coula contre ses côtes, et un visage à demi-ensommeillé et caché derrière une masse de cheveux se posa sur son bras. Il sourit sans vraiment en avoir envie et rapprocha Neavi de lui, tout de même content de l'avoir près de lui.
« Tu ne dormiras pas, n'est-ce pas ? » murmura-t-elle au bout d'un moment.
Il ne répondit pas, il n'en avait pas besoin, elle connaissait déjà la réponse.
Elle se redressa en s'appuyant sur lui, s'assit en tailleur près de lui et trafiqua quelques instants ses cheveux jusqu'à ce qu'ils soient attachés et qu'elle ne les ait plus dans le visage.
« Je n'aime pas te voir comme ça, Leo'...
— Excuse-moi, murmura-t-il, sincèrement désolé. J'aimerais être de meilleure compagnie.
— Et moi j'aimerais être de suffisamment bonne compagnie pour que tu arrives ne serait-ce qu'un tout petit peu à passer au-dessus de tout ça. J'ai mal pour toi de te voir souffrir ainsi. »
Leonard soupira, haussa les épaules et se redressa. Il s'appuya contre la tête de lit, les yeux baissés sur ses mains liées qu'il tordait sans arrêt.
« Tu es parfaite comme tu es. T'avoir avec moi m'aide beaucoup.
— Mais pas assez. Sinon tu ne serais pas dans cet état. Parle-moi, Leo', s'il te plaît. »
Un nouveau soupir et il attira Neavi plus près de lui. Il prit ses mains entre les siennes, comme si elles pouvaient lui transmettre tout le courage qu'il lui manquait.
« Je ne me suis jamais autant senti soutenu que depuis une semaine. Jo', Jocelyn, ma mère, toi... Vous êtes formidables, toutes les quatre. Mais... Il y a un tel vide en moi... Je n'ai jamais ressenti ça. C'est comme si on m'avait arraché les entrailles... J'ai l'impression que je vais m'effondrer au moindre effort, et mon seul moyen de tenir c'est en étant agressif et en travaillant jusqu'à l'épuisement. Je suis désolé d'être un si mauvais ami en ce moment. »
Neavi soupira, sourit gentiment et prit son visage entre ses mains. Il fronça les sourcils et voulut les enlever, mais elle l'en empêcha d'un simple regard et se rapprocha de lui.
« Fais-moi confiance. » souffla-t-elle simplement.
Et avant qu'il n'ait pu réagir, un souffle chaud heurtait son visage et des lèvres douces se posaient sur les siennes. Les pouces de Neavi se mirent à glisser sur ses joues et un soupir d'aise lui échappa avant qu'il ne rende son baiser à son amie. Il ne s'était jamais rendu compte à quel point il en avait envie, à quel point il en avait besoin.
Le baiser restait chaste, délicat, presque timide, mais il y avait une envie de plus, comme une promesse de quelque chose de plus fort, et Leonard, se lançant désespérément à la recherche de ce contact plus intime, glissa ses bras autour de la taille de Neavi pour la rapprocher de lui.
Elle se laissa glisser sur les draps jusqu'à ce que leurs poitrines se touchent, et leur baiser s'approfondit enfin. Leonard se sentait bien, terriblement bien, une douce chaleur se propageait en lui et venait couvrir le trou béant dans sa poitrine sans pour autant le combler, juste assez pour qu'il le sente sans se focaliser dessus.
Puis après un temps qu'aucun des deux ne pouvait définir, ils se séparèrent enfin et leurs fronts se posèrent l'un contre l'autre. Neavi fit doucement descendre ses bras pour venir les placer autour de son cou, et ils restèrent ainsi, collés l'un à l'autre, laissant leurs corps se mêler dans un calme uniquement rompu par leurs respirations.
Puis ils s'allongèrent dans les bras l'un de l'autre, la tête de Leonard posée sur la poitrine de Neavi qui faisait lentement courir ses doigts dans ses cheveux et sa nuque.
« Donc tu m'as embrassé... murmura-t-il avec le fantôme d'un sourire aux lèvres.
— Je t'ai embrassé... Mais tu m'as embrassée aussi.
— Vrai... Tu le voulais ?
— Je ne l'aurais pas fait sinon. »
Un vague « hum » s'échappa de la gorge de Leonard alors qu'il hochait la tête, et il passa un bras autour de la taille de son amie, faisant lentement glisser la pulpe de ses doigts sur son ventre dénudé de son haut qui était remonté. Il aperçut un frisson courir sous sa peau et ne put s'empêcher de sourire.
« Tu aimerais plus ?
— J'ai toujours voulu plus, Leo', souffla-t-elle, un sourire dans la voix. Mais je ne savais pas si toi aussi.
— Je ne m'en étais jamais rendu compte avant... tout ça... Mais quand tu me câlines, quand tu me rassures, quand tu m'envoies tes ondes... Il y a comme une chaleur en moi que je n'ai jamais ressentie. Tu le ressens toi aussi ? »
Leonard releva son visage vers Neavi, qui lui souriait tendrement, sa main toujours plongée dans ses cheveux qu'elle relevait mèche par mèche en de petits épis.
« Je le ressens différemment, mais je le ressens.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Tout se passe dans ma tête, sourit-elle en tapotant sa tempe. Enfin, presque tout. J'ai toujours senti que nos esprits étaient très compatibles, et quand je suis avec toi, je suis bien, je suis beaucoup plus calme et j'arrive mieux à gérer tout ce qui m'arrive dans la tête. J'ai toujours senti que tu étais celui. Mais c'est des choses de télépathes, ça. »
Il hocha la tête en signe de compréhension puis la reposa comme précédemment, reprenant ses caresses sur la peau de son ventre qui continuait de se contracter au rythme du passage de ses doigts.
« Donc on est quoi ? demanda-t-il au bout d'un moment.
— Que penses-tu de rester amis mais disons... un peu plus ? Le temps de vraiment apprendre à se connaître, tout ça.
— On se connait déjà bien, ça fait plus d'une semaine qu'on vit ensemble et on est amis depuis plusieurs années.
— Justement, on fait un peu tout dans le désordre. Et puis, je dois avouer que j'ai un peu peur de dire qu'on est un couple. »
Leonard fronça les sourcils et se redressa sur un coude, la tête penchée sur le côté comme un chien ne comprenant pas son maître. Neavi rit doucement et passa une main sur sa joue, lissant la ride d'inquiétude qui s'y formait.
« Tu comprends, Leo', toi, tu as déjà été en couple, marié, tu as des enfants... Moi, je n'ai jamais eu de relation sérieuse. Ça me fait un peu peur. Et puis, je ne veux pas m'imposer comme une belle-mère auprès de Joanna maintenant, je ne pense pas que ce soit le moment. »
Leonard sentit sa bonne humeur retomber soudainement et il se laissa tomber sur le dos, les mains sur les yeux et la gorge serrée.
Ne pas pleurer, ne pas pleurer, ne pas pleurer...
Une larme s'échappa de son œil gauche, vite suivie par une autre, et un torrent s'écoula enfin sous ses mains qui ne faisaient rien pour le contenir.
Quatre jours qu'il se retenait, il fallait bien que tout s'échappe un jour.
Il sentit les mains de Neavi se poser sur ses poignets et les tirer lentement vers elle, puis elle plaça ses bras autour de sa taille, s'allongea sur lui et embrassa ses joues, rattrapant chaque larme faisant son chemin sur sa peau pâle. Ses mains vinrent se glisser dans ses cheveux, les brossant vers l'arrière, et il sentit des images joyeuses déferler dans sa tête.
« Shh... Calme-toi, Leo'... On va trouver une solution, je te le promets. Mais là, tu es épuisé, tu as besoin de dormir.
— Je ne veux pas dormir... souffla-t-il à travers ses larmes.
— Je sais. Mais tu me fais confiance ? »
Leonard hocha la tête et des images de Jim, Joanna et lui durant leurs vacances remontèrent à la surface de son esprit. Il fronça les sourcils, ne comprenant pas comment Neavi pouvait lui transmettre cela, mais il lui faisait confiance, il savait qu'elle ne ferait pas n'importe quoi dans sa tête.
Dans un premier temps, ses larmes continuèrent de couler face à ces souvenirs qu'il aimerait tant revivre, puis un grand calme se propagea en lui et il se sentit lentement glisser dans le sommeil. Il ferma les yeux et laissa la douce chaleur que lui procurait Neavi l'endormir.
Avant de sombrer, il entendit une voix souffler « Tu trouveras une solution » à son oreille, mais il n'était pas tellement sûr qu'elle était réelle.
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« Nea', tu as une bonne mémoire ? »
Neavi sursauta et se tourna vers Leonard, qui venait d'arriver dans la cuisine sans plus s'annoncer. Elle lui offrit une moue désapprobatrice et amusée puis s'avança vers lui, son sourire habituel collé aux lèvres.
Il ne put s'empêcher de hausser un sourcil en la voyant enrouler ses bras autour de sa taille mais en fit de même et baissa légèrement la tête pour la regarder dans les yeux.
« Tu as une bonne mémoire ? insista-t-il, un peu hésitant.
— Bonjour, Leo'. Comment as-tu dormi ? »
Leonard réalisa à cet instant l'empressement dont il avait fait preuve et se pencha pour embrasser Neavi, la serrant délicatement contre lui, les yeux fermés.
« J'ai bien dormi, merci, souffla-t-il enfin quand ils se détachèrent.
— J'en suis ravie. Et si tu me disais pourquoi tu as besoin de ma mémoire au lieu de trépigner dans toute la maison maintenant ? »
Il eut un petit air coupable avant que l'importance de la situation ne lui revienne et il se remit à bouger d'un pied sur l'autre.
« Hum, tu te rappelles, la semaine dernière, quand Pike est parti avec Jim ? »
Neavi fronça les sourcils quelques instants puis hocha la tête, le laissant continuer.
« Il a dit quelque chose avant de sortir de la maison mais je n'arrive pas à retrouver ses mots exacts.
— Si tu parles du moment où il t'a serré la main, il t'a dit de ne pas abandonner et de garder du courage pour la suite.
— Alors c'était bien ça ! s'exclama soudain Leonard en levant les bras au ciel. On va retrouver Jim ! »
Un grand sourire s'étira sur son visage, il étouffa presque Neavi dans une étreinte à la limite de l'hystérie, puis il se mit à aller et venir dans le salon en murmurant des mots compréhensibles que de lui sous le regard dubitatif et presque choqué de Neavi.
Dans sa tête, son plan se montait déjà et il se voyait revenir à la maison avec son fils dans son hovercar, comme six ans plus tôt. Il imaginait déjà la joie de Madison à le revoir, toutes les soirées qu'ils passeraient sous les étoiles comme ils l'avaient toujours fait. Ce serait magnifique !
Mais sa rêverie fut bien vite coupée par deux mains se posant sur ses bras, l'arrêtant net dans ses déambulations. Il releva la tête vers Neavi, qui avait les sourcils froncés, elle avait presque l'air inquiète.
« Explique-moi, Leo', je ne comprends pas ce que tu veux dire.
— Mais enfin, Nea', c'est évident ! Quand il a dit de ne pas abandonner, ça voulait dire que je devais relancer une procédure d'adoption ! »
Et avant qu'elle ne dise le moindre mot, il repartit dans ses trépidations, allant et venant dans la maison, un grand sourire aux lèvres et sautillant presque sur place par moments.
Une fois de plus, Neavi l'arrêta, et cette fois, elle était définitivement inquiète. Il le lisait dans ses yeux noirs.
« Leo', arrête.
— On doit faire vite, Nea', affirma-t-il, la mine grave.
— Leo', écoute-moi, s'il te plaît. Je suis vraiment très contente que tu retrouves ta motivation et ton sourire, mais imagine si ce n'est pas ça... »
Leonard fronça les sourcils sans comprendre. Neavi était la voix de la raison d'entre eux. Lui agissait sur impulsion, même dans leur travail, elle était toujours là pour le tempérer et lui rappeler les étapes à suivre. Mais là, il ne voulait pas entendre son raisonnement.
« C'était forcément ça.
— Leo', je sais que tu veux retrouver ton fils et c'est normal, mais imagine s'il a dit ça pour que tu ne sombres pas. Tu étais vraiment mal l'autre soir, ça fait des semaines, il voulait juste exprimer son soutien.
— Non, Nea', il voulait forcément dire que je pouvais le retrouver ! S'il te plaît, Nea', est-ce qu'on peut au moins l'appeler pour savoir ce qu'il pensait ? S'il te plaît. »
Neavi soupira face au regard implorant de Leonard, qui avait attrapé ses mains et essayait de lui transmettre tout son espoir par ce simple contact. Elle sembla réfléchir quelques instants, soupira une seconde fois, puis redressa son regard vers lui.
« On l'appellera-
— Merci, Nea' ! Je savais que-
— Stop ! s'exclama-t-elle, une main levée. On l'appellera, mais plus tard. Demain, même, tu es de repos. Il est sept heures, ça peut attendre. Va plutôt réveiller Joanna, je la déposerai au collège en partant travailler. »
Avec un dernier baiser volé à Neavi, Leonard partit à l'étage. Avant de rentrer dans la chambre de Joanna, il prit quelques instants pour reprendre ses esprits. Même si ça le peinait de l'avouer, Neavi avait raison, et il ne voulait pas donner de faux espoirs à sa fille.
Alors quand il fut calmé de sa petite hystérie joyeuse, il entra dans la pièce encore plongée dans le noir. En passant près de la fenêtre, il commanda son ouverture et se rapprocha du lit, où Joanna commençait à se brasser, dérangée par la luminosité qui se propageait dans sa chambre.
Il s'accroupit à côté de sa tête qui dépassait à peine des couvertures et passa doucement sa main dans ses cheveux, ôtant la mèche qui tombait devant son visage. Joanna poussa un petit grognement puis ses yeux papillonnèrent et s'ouvrirent lentement.
« Bonjour, ma chérie, murmura Leonard, un fin sourire aux lèvres.
— 'jour, Papa. »
Joanna glissa lentement dans son lit, s'étira quelques instants, puis elle passa ses bras autour du cou de son père, qui la serra volontiers contre lui. Il caressa son dos, profitant de ce moment de calme où sa fille était encore plus câline qu'à l'accoutumée.
Puis, dans un bâillement, elle se recula et attacha ses cheveux pour qu'ils ne la gênent plus.
« Tu m'emmènes au collège ? demanda-t-elle d'une voix encore ensommeillée.
— Non, c'est Neavi qui va t'emmener, je commence tôt. Ça ne te dérange pas ? »
Elle fit « non » de la tête puis s'assit et glissa ses pieds dans ses pantoufles avant de se lever. Leonard la suivit jusqu'au rez-de-chaussée, où le petit déjeuner les attendait sur la table. Neavi se tenait appuyée contre le plan de travail, une tasse fumante entre les mains.
Joanna salua la jeune femme puis s'assit devant son bol fumant de chocolat chaud et commença à manger. Leonard, lui, passa derrière elle et s'approcha du plan de travail sur lequel était appuyée Neavi.
« Excusez-moi, mademoiselle, ma machine à café est juste derrière vous, souffla-t-il, profitant du demi-sommeil de Joanna pour taquiner son amie.
— Ah bon ? Mais je n'ai pas envie de bouger, moi. »
Tous deux se sourirent puis Leonard l'enlaça par la taille et lança la machine d'une simple pression du doigt. Plutôt que de se reculer pour attendre plus loin, il resta ainsi, et Neavi, taquine, frôla ses lèvres de son nez.
« Nea', s'il te plaît... chuchota-t-il en jetant un œil derrière lui.
— Oui, Leo' ?
— J'ai envie de t'embrasser.
— Fais-le.
— Joanna... »
Neavi eut un sourire amusé aux lèvres et se redressa pour regarder par-dessus son épaule, avant de reprendre ses frôlements incessants.
« Elle mange, dos à nous, et elle dort à moitié.
— Je croyais que tu ne voulais pas avoir un rôle de belle-mère ?
— C'est vrai... Mais j'ai tellement attendu de voir un signe que tu étais attiré par moi.
— Je sais, je suis désolé. Je ne voulais pas imposer quelqu'un aux enfants, donc même si tu me plaisais, j'osais pas t'aborder autrement. »
Elle pencha la tête sur le côté, son visage trahissant toute son incompréhension, et il déposa un baiser chaste sur ses lèvres à l'air légèrement boudeur. Les joues de Neavi se teintèrent de rose avant que l'impression ne reflue.
« Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?
— Tout ce que tu fais pour moi. »
Neavi sourit en rougissant pour la seconde fois puis enfouit son visage dans le cou de Leonard, qui rit légèrement tout en caressant la pointe de ses cheveux.
« Tu sais que tu es adorable ? »
Un vague grognement lui répondit et il rit encore plus en la serrant contre lui.
À cet instant, un petit « ding » retentit et il attrapa son café fumant sans lâcher celle qu'il considérait comme sa compagne.
« Tu ne veux plus de ton thé ? souffla-t-il contre son crâne.
— Être contre toi n'empêche rien.
— C'est vrai. Mais Jo' va vraiment finir par se douter de quelque chose. »
Neavi soupira légèrement et se détacha de lui, les lèvres légèrement recourbées.
« Boude pas, Nea'. »
Leonard planta un baiser sur ses lèvres puis rejoignit sa fille à table, sa tasse à la main.
Il vit Neavi rester quelques instants dans la cuisine puis elle les rejoignit enfin, les joues roses et un sourire idiot au visage.
Ils n'allaient vraiment pas garder leur secret longtemps.
---
« Je sais pour Neavi et toi. »
Leonard sursauta à l'entente soudaine de la voix de Joanna. Depuis qu'il était passé la chercher au collège en sortant du travail, elle n'avait pas décroché un mot, coincée dans un mutisme qu'il s'était attendu à rencontrer toute la route.
Il lui jeta un bref coup d'œil avant de se concentrer à nouveau sur la route, les sourcils froncés.
« Qu'est-ce que tu sais ?
— Que vous êtes ensemble. Vous n'êtes pas très discrets. »
Ils n'avaient vraiment pas gardé leur secret longtemps.
« Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je vous ai entendus, hier soir. Et puis, vous embrasser dans la cuisine, c'était pas très malin si vous vouliez le garder pour vous. »
Leonard se sentit rougir et ne répondit pas, trop gêné de s'être ainsi fait attraper. Il se sentait comme un adolescent pris en faute, comme le jour où Madison avait découvert sa relation avec Jocelyn.
« Mais c'est cool. Vous êtes mignons ensemble. Tant qu'elle te rend heureux, ça me va. Et tu es heureux. Enfin, je crois. Tu es heureux ? »
Il ne sut que répondre. Il ne pouvait pas dire qu'il était heureux, il ne pouvait ôter de ses pensées l'absence de Jim, qui creusait un trou de plus en plus profond au fond de lui. Mais Neavi apportait de la joie dans sa vie, avec son grand sourire et toute sa douceur.
« J'aime l'avoir près de moi.
— Tu l'aimes ? »
Il prit quelques secondes pour réfléchir. Il n'avait pas pensé à ses sentiments. Il avait envie d'avoir Neavi près de lui, il avait envie de l'embrasser, il aimait quand elle était là, c'était suffisant. Mais...
« Oui. Oui, je l'aime.
— Alors je suis heureuse pour vous, » conclut Joanna dans un sourire.
Et elle reposa sa tête contre la fenêtre, la bouche fermée jusqu'à leur arrivée chez eux.
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« Salut, toi. »
La voix de Neavi n'était qu'un murmure alors qu'elle se collait à Leonard, leurs lèvres se frôlant tendrement. Il sourit et posa ses lèvres contre les siennes, les yeux fermés.
« Joanna sait, souffla-t-il contre ses lèvres.
— Pour nous deux ?
-— Pour nous deux. Elle est heureuse pour nous. »
Neavi sourit et passa ses bras autour de la taille de Leonard, le rapprochant encore un peu plus d'elle. Leurs fronts se posèrent l'un contre l'autre, leurs nez se frôlèrent, et ils s'embrassèrent de nouveau.
Leonard se sentait comme un drogué en manque de sa dose. Il cherchait le contact permanent, cherchait la sensation de ces lèvres douces, de cette peau chaude, de cette étreinte tendre.
Il n'avait jamais ressenti cela, et aussi perturbant que cela puisse être, il le cherchait toujours plus. Il aimait ce besoin qui l'animait.
Un raclement de gorge derrière lui le fit sursauter, et il se détacha brutalement de Neavi pour tomber sur le regard amusé de Joanna.
« Faites attention, vous allez finir par fusionner. »
Et elle partit en gloussant vers le salon, laissant son père et sa compagne médusés et plantés au milieu de la pièce.
« On est grillés ?
— On est grillés. »
Dans la maison devenue si silencieuse, des rires retentirent.
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« Leonard, Neavi.
— Capitaine Pike, » salua Leonard en retour.
Tous trois firent un signe de tête respectueux à travers l'écran. Sur leurs visages se lisait la fatigue, Leonard et Neavi étaient couchés lorsqu'ils avaient reçu l'appel de l'officiel de Starfleet et étaient descendus en toute hâte pour lancer la communication dans le salon.
« Je m'excuse de vous déranger aussi tard, mais nous avons un problème avec Jim et nous pensons que vous êtes le seul à pouvoir le résoudre.
— Il n'y a pas de mal, Capitaine. Quel est le problème ? »
Un air contrit passa sur le visage de Pike et il soupira.
« Jim ne va pas bien. On le met dans son fauteuil dès le matin, mais il ne bouge pas du tout ou alors on le retrouve dans son lit en milieu de journée. Il refuse toute activité et sa rééducation. Il reste juste immobile et muet à longueur de journée. »
Ce fut au tour de Leonard de soupirer, et il enfouit son visage entre ses mains, les coudes posés sur ses genoux. Neavi posa une main dans le creux de des reins, ses longs doigts graciles massant doucement la tension qui y grandissait.
« Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse, Capitaine ? Je n'ai plus aucun droit sur lui et je suis à l'autre bout du pays.
— J'ai pensé que vous pourriez peut-être lui parler. À travers l'écran, bien sûr, mais essayer de le raisonner. »
Un nouveau soupir et Leonard accepta en hochant la tête.
« C'est d'accord. J'aimerais vous parler, ensuite.
— Bien sûr, je vais transmettre votre appel sur le padd de Jim, puis je le reprendrai.
— Merci, Capitaine. »
Pike acquiesça puis l'écran devint noir. Leonard laissa sa tête retomber sur l'épaule de Neavi, qui l'enlaça tendrement.
« Tu as encore l'occasion de faire quelque chose pour lui, Imzadi. »
Il hocha la tête et déposa un baiser au creux de son cou alors que l'écran revenait à la vie. Il ne réagit pas immédiatement et continua ses baisers sur la peau de Neavi qui avait fermé les yeux. Mais une petite exclamation de joie les fit sursauter et reporter leur attention sur l'écran, où Jim était apparu.
Son visage était pâle, ses yeux cernés de noir et injectés de sang, ses cheveux ébouriffés. Autant de signes de son mal-être que Leonard reconnut au premier coup d'œil.
Mais il avait aussi un petit sourire, à mi-chemin entre l'amusement et l'attendrissement, et Leonard se sentit rougir une fois de plus sous son regard insistant.
« Salut, Boy, lança-t-il enfin après un long silence.
— Vous êtes ensemble ? s'enquit Jim sans attendre.
— Je crois qu'on peut dire ça, oui. »
Leonard tourna la tête vers Neavi qui lui sourit, puis vers Jim, et le garçon sourit encore plus.
« Vous êtes beaux ensemble, j'ai toujours su que vous finiriez en couple.
— Merci, Boy, mais tu dois te douter qu'on n'est pas là pour te parler de ça. »
Jim soupira, la caméra bougea, et après quelques instants, l'image redevint nette et ils virent Jim dans une autre position, visiblement assis sur un lit.
« Hum ?
— Christopher nous a dit que tu n'allais pas bien.
— Ils m'ont séparé de ma famille, je ne vais pas leur faciliter la vie. »
Le regard du garçon était dur même à travers l'écran et Leonard s'entendit grogner sans pouvoir se contrôler. Il sentit la main de Neavi glisser de nouveau dans son dos et se relaxa quelques instants.
« Tu m'as promis que la prochaine fois qu'on se verrait, tu marcherais.
— Sois réaliste, Papa, la prochaine fois qu'on se verra, ça sera quand je serai majeur. Ça n'arrivera pas avant dix ans, j'ai le temps de marcher d'ici là. »
Leonard rejeta la tête en arrière, respira profondément, puis la redescendit.
« Ne me parle pas comme ça, Jim. Je ne suis peut-être plus ton père légalement mais je ne te laisserai pas ruiner ce qu'on a construit ces six dernières années.
— Je me fiche de ce qu'on a construit. Je n'ai plus de parents, je suis un Kirk, Samuel a gagné. Je vais passer les dix prochaines années dans un orphelinat, c'est tout. Il faut bien que tu t'habitues, on ne se reverra pas. Et je ne suis même pas sûr de vouloir te revoir. »
Un nouveau grognement retentit dans la pièce, cette fois venant de Neavi. Ses yeux si sombres exprimaient une colère sans fin.
« Parle autrement à ton père, Jim, n'oublie pas qu'il a tout fait pour toi. Si c'est pour autant lui manquer de respect, ça ne sert à rien qu'il essaie de te raisonner. Et si ça te touchait si peu, tu ne passerais pas ton temps à larver dans ta chambre. Mais puisque tu penses ça, je crois qu'on peut te souhaiter une bonne nuit. »
Et avant que Jim n'ait le temps de répondre, elle éteignit la caméra. À côté d'elle, Leonard fixait le vide, sans aucune réaction, et elle enroula ses bras autour de son torse, l'attirant contre elle. Sa main se glissa dans ses cheveux, lissant les mèches rebelles qui formaient des épis.
« Il ne le pensait pas, murmura-t-elle à son oreille. Il t'aime, tu lui manques énormément.
— Tu l'as senti d'aussi loin ?
— Pas besoin d'être télépathe pour le voir. Il est plongé dans une profonde détresse, il essaie de te repousser pour ne pas souffrir de la séparation. »
Leonard haussa les épaules et enfouit son visage dans le cou de Neavi, enivré par son parfum naturel si délicat.
« Ça va aller, Imzadi. Mais on doit le sortir de là. On lance la conversation avec Pike ? »
Il sortit son visage et hocha la tête un petit sourire aux lèvres. Neavi fit un geste vers le padd, mais Leonard l'arrêta, une main posée sur son poignet.
« Attends ! Qu'est-ce que veut dire « Imzadi » ?
— Ça signifie « Bien-aimé », chez moi. C'est un peu l'équivalent de « Chéri », par exemple, sur Terre. Est-ce que ce surnom te dérange ? »
Leonard prit son visage en coupe, le rapprocha de lui, et ses lèvres brossèrent les siennes en même temps que son front.
« J'aime beaucoup ce surnom, Imzadi, » souffla-t-il contre ses lèvres.
Leurs bouches se rencontrèrent enfin alors que tous deux souriaient, leurs yeux se fermèrent, leurs lèvres se caressèrent. Une main de Leonard s'échappa de sa joue pour venir se glisser sous son haut et Neavi, tel un miroir, en fit de même.
Leurs peaux étaient chaudes l'une contre l'autre, un brasier s'était allumé entre eux, les consumait de l'intérieur, les menait à s'entrechoquer, mais jamais ils ne se détachèrent.
Puis, pour la seconde fois de la soirée, un raclement de gorge retentit, et la voix de Christopher Pike les interrompit.
« Je crois que vous avez lancé une communication. »
Leurs joues rougirent simultanément.
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