Chapitre 17
Il était aux alentours de dix-neuf heures quand Neavi poussa la porte de la maison en rentrant de l'hôpital. Elle déposa un sac au pied de l'escalier puis s'avança vers Jim, qui dessinait à la table du salon. Il sourit en la voyant et elle se pencha pour embrasser le dessus de son crâne, remua ses cheveux quelques instants puis se redressa après avoir observé le dessin quelques secondes.
Elle entra dans la cuisine, où Leonard préparait à manger, un œil attentif posé sur Jim à travers la vitre. Il la regarda entrer avec un sourire aux lèvres, lâcha ses ustensiles et la serra brièvement contre lui avant de reprendre sa découpe.
« Bonne journée ?
— Comme une journée aux urgences, souffla-t-elle en s'asseyant sur le plan de travail. Et vous ?
— Comme une journée à la maison. Je n'ai jamais fait autant de travail de bureau en dix ans.
— Je vois. Et Jim ? »
Leonard arrêta quelques secondes son travail pour regarder son fils, soupira puis reprit où il s'était arrêté.
« Il a dessiné toute la journée. Enfin il s'est arrêté pour manger et dormir, mais c'est tout.
— Dessiner a l'air de lui faire du bien, si ça peut l'aider à surmonter laissons-le faire.
— Mouais, si on veut, soupira Leonard, résigné.
— Et toi ? Tu arrives à te détacher ? »
Les yeux baissés sur ses mains manipulant prudemment un long couteau, il exhala un souffle tremblant et Neavi le sentit sur le point de s'effondrer. Elle prit sa main droite dans la sienne, en ôta le couteau puis le tourna vers elle. Elle le serra contre lui, une main glissant de haut en bas dans son dos.
« Parle-moi, je veux t'aider. »
Il souffla encore une fois et posa sa tête sur son épaule en se mordant la lèvre.
« J'ai tellement besoin de l'avoir près de moi... J'ai eu tellement peur, et avec tout ce qu'il a raconté à Joshi, j'ai peur qu'il se rende compte qu'il fait une erreur en me gardant près de lui...
— Leo', Jim t'aime, depuis le premier jour, jamais il ne voudrait se séparer de toi. Je peux comprendre ton besoin d'être avec lui, mais vous avez vraiment besoin de vous retrouver seuls. Tu ne pourras pas toujours dormir avec lui. »
Leonard hocha la tête contre son épaule puis se redressa. Sans qu'il n'ait pleuré, ses yeux étaient rouges et brillants, emplis de fatigue.
« Tu as passé combien de temps sur ton terminal ?
— Trop longtemps, sûrement.
— C'est bien ce que je pensais. Va te poser un peu dans le canapé, ferme les yeux, je m'occupe du dîner. »
Nouveau hochement de tête et il obéit après avoir embrassé son amie sur la joue. Il traversa le salon jusqu'au canapé sous le regard inquiet de Jim, qui fronça les sourcils.
« Tu vas bien, Papa ?
— Oui, Boy, ne t'en fais pas. Juste un peu fatigué.
— D'accord. On mange bientôt ?
— Dans vingt minutes, intervint Neavi depuis la cuisine. Ne traîne pas trop à ranger tes affaires, Jim. »
Le garçon sourit en tournant la tête vers Neavi puis se remit à son dessin pour le terminer rapidement.
Leonard, lui, s'allongea sur le canapé, un bras sur les yeux, et se laissa glisser dans un repos dérangé par ses pensées. Il pensait à Neavi, à Jim, à Joanna, à son travail, au futur... Tellement de pensées se bousculaient aux portes de sa conscience... Il ne voulait pas les écouter, il ne voulait pas se préoccuper de tout cela.
Alors rapidement, il ôta son bras de ses yeux pour voir la scène autour de lui. Jim, aidé de Neavi, rangeait ses affaires dans leur carton. Il ne pouvait s'empêcher de s'imaginer tous les jours ainsi, avec Joanna se faufilant entre eux, sautant sur son père pour le réveiller...
Il ne se voyait plus en couple depuis bien des années, mais il devait avouer qu'une vie de famille était de plus en plus tentante, il pensait au jour où ses enfants partiraient de la maison et qu'il se retrouverait seul. Il ne se voyait pas vieillir dans la solitude, dans une maison devenue bien trop grande pour lui.
Madison, bien sûr, se retrouvait dans ce cas, mais elle avait tout de même vécu longtemps avec son mari, et elle arrivait toujours à être active. Mais Leonard la savait malheureuse, seule dans la maison qui l'avait vu grandir, avait vu son mariage avec son père...
« À table, Leo', c'est prêt ! »
Leonard sursauta et posa son regard sur la jeune femme qui lui souriait, puis sur Jim, qui installait les assiettes sur la table. Il se redressa et commença à la rejoindre, quand on sonna à la porte.
Il fronça les sourcils. Qui viendrait chez eux à vingt-heures ? Il sentit l'angoisse retourner son estomac encore une fois.
« Tu veux que j'aille ouvrir ? », demanda Neavi en posant sa main sur son bras.
Il sursauta encore une fois et lui fit non de la tête, avant d'aller jusqu'à la porte. Il regarda par le judas et fronça encore une fois les sourcils en voyant qui se tenait derrière. Il ouvrit tout de même et serra la main à l'homme qui lui tendait la sienne.
« Capitaine Pike. En quoi puis-je vous aider ?
— Papa, c'est qui ? s'enquit la voix de Jim au loin.
— Deux minutes, Boy, j'arrive.
— Je suis désolé, Leonard, je devais venir rapidement. Je peux entrer ? »
Leonard hocha la tête. Son estomac retourné était noué, il sentait une nausée lui monter. L'expression sombre du capitaine lui soufflait déjà ce qu'il devait leur annoncer. Il le guida simplement jusqu'au salon, où Neavi n'avait pas bougé. Jim fronça les sourcils à son tour et descendit de sa plateforme pour venir saluer son ancien tuteur.
« Bonsoir, Capitaine.
— Bonsoir, Jim, je suis désolé de vous déranger aussi tard, je suis en mission urgente.
— Venez vous installer, » souffla Leonard.
Le capitaine hocha la tête et s'assit dans le fauteuil face au sofa dans lequel Leonard entraîna Neavi avec lui. Jim, lui s'installa près de son père, et sa main se glissa d'elle-même dans la sienne.
« Je suis désolé, Jim, souffla Christopher, la mine sombre. Je dois t'emmener avec moi. »
Leonard retint brutalement sa respiration, horrifié par des mots qu'il se doutait qu'il allait entendre, mais qu'il avait voulu éviter si longtemps. Mais Pike les avait dits. Neavi posa une main sur son bras en soutien, mais c'était à peine s'il la sentait, concentré qu'il était sur le visage de Jim, qui se décomposait de secondes en secondes.
« J'aurais aimé t'éviter ça, Jim, j'ai essayé de vous défendre, je te le promets, mais je n'ai pas vraiment eu mon mot à dire.
— Quand ? grogna Jim, les yeux fixés sur Christopher.
— Pardon ?
— Quand est-ce que vous m'emmenez ? »
Christopher se dandina quelques instants sur son fauteuil, visiblement mal à l'aise. Il évitait à tout prix de croiser le regard de ses trois hôtes, gardant plutôt le sien fixé sur ses mains croisées sur ses genoux.
« Ce soir, affirma-t-il soudain d'une voix mal assurée.
— Pardon ? Mais je n'ai même pas dit au revoir à Joanna, et Papa, et... Vous n'avez pas le droit ! »
Jim partit soudain, faisant rouler son fauteuil aussi rapidement que possible vers l'étage. Après quelques secondes, Leonard entendit le mécanisme de l'escalier se mettre en route, mais ne bougea pas, trop choqué par l'annonce de Pike.
Il sentait sa tête tourner, son estomac se retourner, sa vision s'obscurcir, sa gorge se serrer, ses membres s'engourdir. Il ne voyait plus Pike face à lui, il ne sentait plus la main de Neavi. Il était complètement détaché de l'horrible réalité qu'était sa vie.
« Je suis désolé, Leonard, je les ai suppliés de vous laisser plus de temps.
— Je sais, je vous fais confiance, murmura-t-il d'une voix qui lui semblait distante.
— Je vais vous laisser le temps de vous dire au revoir. La navette décolle dans une heure trente du centre d'Atlanta.
— Restez, Capitaine. »
Pike hocha la tête et le laissa partir seul à l'étage. Neavi resta en bas, et il l'entendit proposer un rafraîchissement à leur hôte. Il n'y fit pas plus attention et rejoignit la chambre de Jim, d'où il entendait des pleurs et des gémissements étouffés. Il poussa doucement la porte et vit Jim, dans son fauteuil, une marée de vêtements étalée à ses pieds près de l'ilot que représentait sa valise.
Il releva la tête vers son père et s'effondra sur lui-même, secoué de violents sanglots qui tordirent le cœur de Leonard. Une main, plongée dans son thorax, enserrait son organe et le broyait si violemment qu'il sentait le sang s'en expulser avec une violence folle, l'envoyant chanceler contre le meuble de son grand-père.
Il tomba finalement à genoux face à Jim et le prit dans ses bras, le serrant à l'en briser. Jim referma ses bras sur lui et posa sa tête contre son épaule. Ses pleurs les secouaient tous les deux alors que Leonard essayait de rester fort et de retenir les larmes traîtresses qui menaçaient de s'écouler sur ses joues.
Finalement, après un temps dont tous deux avaient perdu le compte, Jim se redressa, les yeux rouges et bouffis, le visage pâle, les cils brillants sous les larmes qui s'y accrochaient toujours.
« Je suis désolé qu'on en arrive là, chéri. J'espère que tu arriveras à me pardonner de ne pas avoir su te protéger.
— Ce n'est pas de ta faute, Papa, murmura Jim en prenant la main de son père. Je sais que tu n'y es pour rien. Tu n'as rien à te faire pardonner.
— Je t'aime, Jim, je t'aime tellement. Promets-moi que tu te battras, je veux que la prochaine fois qu'on se voie, tu marches à nouveau.
— On ne se reverra pas, Papa... Mais ce n'est pas grave, j'aurais au moins vécu six ans loin de cet orphelinat et surtout avec vous. Tu diras bien à Jojo' et Gran' Madi que je suis désolé de ne pas leur dire au revoir. »
Leonard hocha simplement la tête, la gorge trop serrée d'émotion pour pouvoir dire le moindre mot. Jim hocha la tête à son tour puis se remit à sa valise, aidé par son père. Il y jetait ses vêtements au hasard, sans vraiment faire attention à ce qu'il faisait. Leonard les reprenait et les pliait proprement.
Jim prit son padd sur sa table de chevet et le fit rejoindre ses vêtements avant de fermer la valise. Leonard fut étonné de ne pas le voir prendre ses affaires de dessin mais ne dit rien. Il le regarda simplement sortir de la pièce, sa valise sur les genoux, et il le suivit.
En quelques secondes, ils se retrouvèrent de nouveau au rez-de-chaussée. La mine sombre de Pike s'était accentuée et Neavi paraissait au bord des larmes quand elle se tourna vers eux. Elle se précipita vers Jim, s'accroupit et l'attira dans une étreinte forte, ses longs doigts effleurant la peau de sa nuque.
Leonard n'entendit pas ce que Jim murmura à son oreille mais elle se recula, attrapa son visage entre ses mains, et, tout en essuyant les larmes qui continuaient de couler sur ses joues, hocha la tête. Puis elle se redressa, la lèvre emprisonnée entre ses dents, et vint se tenir près de Leonard alors que Jim avançait vers Pike en hochant la tête.
Le capitaine se leva du fauteuil en reposant sa casquette d'uniforme sur sa tête puis s'approcha de Leonard, qui, appuyé sur le mur près de l'escalier, regardait la scène sans vraiment la voir.
Pike tendit la main vers lui, lui serra, puis posa sa deuxième main dessus et se pencha légèrement en avant.
« N'abandonnez pas, Leonard. Bon courage pour la suite. »
Leonard ne fit aucun signe montrant qu'il avait entendu les mots de l'homme face à lui mais relâcha sa main. Pike lança un bref regard à Neavi qui hocha la tête dans sa direction puis partit vers la porte après avoir pris la valise de Jim qui le suivait.
Les deux médecins étaient derrière eux, Neavi empêchait Leonard de s'effondrer d'une poigne forte dans son dos, mais il se sentait lui-même flancher à chaque pas vers la sortie. Son estomac était complètement retourné et un poids oppressait sa poitrine, l'empêchant de respirer. Mais il ne tomberait pas devant Jim. Il ne pouvait pas lui faire ça.
Son fils se tourna vers lui avant de monter dans l'hovercar portant un logo de Starfleet au rétroviseur, et lui fit signe de venir le voir. Leonard obéit, comme sur pilote automatique, et s'accroupit devant lui. Jim prit sa main entre les siennes et posa son front contre le sien. Quand il prit la parole, sa voix était faible et enrouée.
« Je t'aime, Papa. Merci pour tout.
— Ton adoption a été la meilleure chose qui me soit arrivée avec la naissance de ta sœur. Je t'aime, Jim. »
Leonard déglutit difficilement, gêné par la boule qui grossissait à chaque seconde dans sa gorge. Il se releva et Pike apparut à ses côtés pour aider Jim à monter. Un dernier regard, et la porte était fermée devant lui.
Avant qu'il n'ait eu le temps de réagir, l'hovercar disparaissait au coin de la rue. Jim était parti.
Leonard tomba à genoux et un hurlement déchira ses cordes vocales alors que les larmes se mettaient à dévaler ses joues.
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Sans savoir comment, Leonard se retrouva dans son lit, enroulé dans une multitude de couvertures et enserré dans une étreinte puissante mais douce. À travers le brouillard de ses larmes, il reconnut sa chambre, dont les volets avaient été fermés.
Il ne savait pas combien de temps était passé depuis le départ de Jim. Il ne savait pas ce qu'il avait fait depuis. Il était vide. L'arrachement de ses liens avec Jim avait laissé un trou béant dans sa poitrine. Rien ne pourrait jamais le combler.
Un visage apparut soudain devant ses yeux. Il leva une main pour la poser sur la joue face à lui et ses doigts apprécièrent le grain de cette peau.
« Jim... ?
— Shh... Dors, Leo', tu en as besoin. »
Cette voix... Ce n'était pas celle de son fils. De nouvelles larmes se formèrent dans ses yeux, sa respiration se bloqua dans sa gorge, et il se mit à pleurer et trembler sans pouvoir se retenir.
Les bras qui l'enserraient toujours l'aidèrent à se redresser, sa tête fut posée contre une peau chaude et douce, et il se sentit bercé par la personne. Il inhala l'odeur qui remontait jusqu'à son nez et il se sentit apaisé. Peu importait qui était-ce, il se sentait juste protégé.
« Calme-toi, Leo', calme-toi, je suis là. »
Il reconnut enfin cette voix. Neavi. Elle était restée. Elle était là. Peut-être que ce n'était qu'un cauchemar ?
« Jim...
— Shh... Dors, Leo'.
— Jim ! »
Avant qu'elle n'ait le temps de réagir, il se hissa sur ses pieds instables et n'attendit pas de regagner un semblant d'équilibre avant de se précipiter hors de la pièce. Au passage, il se prit le pied du lit et le chambranle de la porte, mais il n'y fit pas attention et continua sa course.
La chambre de Jim était sombre, mais suffisamment claire pour qu'il puisse y voir. Son regard embrassa la pièce, les vêtements abandonnés au sol, le padd disparu, le lit parfaitement fait, et la réalisation le frappa une seconde fois. Il était vraiment parti.
Un brin de lumière venu du couloir échoua sur un objet, le fit briller, et Leonard s'y précipita pour le prendre entre ses mains. Dans le cadre, Joanna, Jim et lui étaient tout sourire face à l'objectif de Madison. La bile lui remonta dans la gorge et il envoya l'holo de toutes ses forces sur le mur. Le bruit des morceaux de verre échouant au sol fit écho à ceux de son cœur brisé en mille morceaux mais ne fit rien pour apaiser sa douleur.
La veilleuse suivit, puis les draps, les vêtements, et tout ce qui tomba sous sa main. Des cris déchirants retentissaient dans la pièce, des larmes tombaient au sol, des gouttes de sang, puis un homme. Un homme vide, un homme à qui on avait tout enlevé, un homme détruit. Il tomba à genoux au milieu du carnage qu'il avait lui-même créé.
Son corps était secoué de violents sanglots, il criait, il tirait sur ses cheveux, il frappait sa tête sur le sol. Plus rien ne comptait.
Puis il entendit une petite voix. Une voix qu'il connaissait, qu'il aimait, et il entrevit une minuscule lumière au milieu de l'obscurité dans laquelle sa vie était plongée.
Des mains se posèrent sur son dos et un corps se pressa contre le sien, et il l'enserra à son tour en basculant d'avant en arrière.
« Joanna... Mon bébé...
— Je suis là, Papa, je reste avec toi. Ne pleure plus. »
Sa voix était enrouée de larmes, il l'entendait, mais elle était si douce, si rassurante... Elle le détesterait à coup sûr quand elle saurait.
« Jim...
— Je sais, Papa, ne dis rien. Respire. »
Comment était-ce possible ? Tout cela était de sa faute. Elle devait le détester. Il se haïssait lui-même. Mais sa main si douce et mature d'enfant dans ses cheveux était si calme malgré les faibles tremblements qu'il y sentait et elle le détendait et il sentait sa respiration s'apaiser, son hystérie destructrice refluer.
Puis une autre main tremblante se posa sur son épaule, un autre corps, bien plus grand, se pressa contre le sien, et il se laissa fondre dans ce nuage d'attention qui l'enveloppait. La chaleur que lui procurait la deuxième personne le réconfortait tellement qu'il se coula contre elle.
Des doigts longs et délicats se frayèrent un chemin à l'arrière de son crâne et il se sentit apaisé par ce toucher si simple et réconfortant. Puis ils bougèrent légèrement et il les reconnut. Ils avaient si souvent massé son crâne, si souvent guéri ses plaies d'enfant, si souvent caressé sa joue pâle...
« Maman...
— Je suis là, chéri. Ça va aller. Tu crois que tu peux te lever ? »
Leonard releva lentement la tête, et, au travers du brouillard qu'était sa vision, aperçut le visage calme bien que marqué par la peine de Madison. Elle lui souriait si tendrement qu'il se sentit obligé de lui répondre. Puis il hocha la tête et se remit sur ses pieds, appuyé sur sa mère qui lui tenait les poignets.
Lorsqu'il tourna la tête, il vit Jocelyn et Neavi, l'une à côté de l'autre dans l'encadrement de la porte. Honteux du spectacle qu'il leur offrait, il baissa la tête. Une main posée sur son épaule le fit la relever, et son amie lui sourit gentiment, de cet air si avenant qu'elle arborait en permanence.
« Ce n'est rien, Leo', c'est normal. C'est une bonne chose que tu relâches.
— J'ai brisé toutes les affaires de Jim. Je n'avais pas le droit de lui faire ça.
— Rien qui ne soit pas réparable, chéri, murmura Madison. Je vais m'occuper de ce qui a été cassé, ça ne se verra même plus. »
Leonard haussa les épaules et soupira puis se baissa pour commencer à ramasser son désordre, vite arrêté par une main le redressant.
« Va avec ta maman dans ta chambre, va te soigner les mains, on va tout ranger ici avec Jocelyn.
— Mais si ça ne plaît pas à Jim comme c'est rangé... »
Les regards qu'il reçut des trois femmes lui rappelèrent que peu importait si ça ne plaisait pas à Jim, puisqu'il ne rentrerait pas. Alors, la tête baissée, il remercia son amie et son ex-femme à voix basse puis sortit de la pièce, suivi de Madison et Joanna.
Dans le couloir, la petite fille vint se glisser sous son bras, et il se pencha en avant pour la prendre contre lui. Il n'avait plus qu'un enfant, mais il ne pouvait pas l'abandonner. Joanna s'accrocha fermement à son cou et il inhala l'odeur encore teintée d'enfance qu'elle dégageait. Il se sentit un peu plus apaisé par sa présence.
Il récupéra la trousse à pharmacie dans la salle de bain puis rejoignit sa chambre où Madison l'attendait, assise sur son lit. Il s'installa près d'elle, Joanna assise sur ses genoux, et regarda enfin ses mains.
De minuscules morceaux de verre étaient plantés dans ses paumes, les plaies étaient incrustées de fibres de tissu, et tout cela était couvert de son sang qui continuait de s'écouler lentement.
Joanna descendit des genoux de son père, ouvrit la trousse à pharmacie, et en sortit une pince qu'elle désinfecta avec de l'alcool. Leonard fit un mouvement dans sa direction pour le récupérer mais elle l'éloigna avec un grognement ressemblant plus à un miaulement de chaton.
« Ce n'est pas à toi de faire ça, Jo', laisse-moi faire, ou Gran' Madi'.
— Je sais le faire, Papa, et je veux prendre soin de toi. Donne ta main.
— Je-
— Donne ta main. »
La voix de Joanna était si autoritaire que Leonard obéit, sous les gloussements difficilement masqués de sa mère. Il lui lança un regard peu amène qui ne fit que la faire rire un peu plus, et il soupira, résigné.
La jeune fille prit la main blessée dans la sienne, et, avec une délicatesse et une attention que Leonard ne lui connaissait pas, ôta chaque débris de ses plaies. Elle était si douce qu'il sentait à peine le passage de la pince.
Quand chaque plaie parut vide, elle écarta doucement les chairs pour vérifier la propreté et la profondeur, puis elle les nettoya, et cette fois-ci, Leonard ne put retenir le grognement qui lui échappa. Le liquide brûlait ses chairs à vif et faisait s'écouler le sang encore emprisonné à l'intérieur.
Joanna, toujours plus attentive, essuya délicatement ses paumes blessées puis posa des strips et banda chacune des mains. Elle était si concentrée sur sa tâche, si professionnelle, que Leonard ne s'attendait pas au baiser qu'elle déposa dans chacune des paumes avant de les reposer sur ses genoux. Cette attention enfantine fit sourire son père, qui l'attira contre lui.
« Merci, ma chérie. Tu es très douée.
— C'est normal, Papa. Maman m'a dit que je resterai ici aussi longtemps que tu voudras, ça ne la dérange pas.
— Je reste ici aussi, chéri, intervint Madison. Neavi doit travailler et elle ne veut pas te laisser seul. »
Leonard grogna et se laissa tomber en arrière sur le lit. Allongé sur le dos, il fixa le plafond.
« J'ai trente ans, je sais me gérer seul. »
Il entendit des mouvements de tissus, puis la voix de Madison qui n'était qu'un murmure.
« Va voir Maman et Neavi, je dois parler avec ton père. Ferme la porte derrière toi, s'il te plaît. »
Quelques secondes plus tard, un poids affaissa le matelas et sa tête fut tournée vers Madison, qui le fixait de son regard déterminé et compatissant.
« Neavi m'a dit pour tes problèmes de stress. Ça et le départ de Jim, c'est suffisant pour te faire t'effondrer. Elle s'est occupée de toi pendant plus d'une heure et tu ne t'en es même pas rendu compte. Tu ne vas pas bien, Lenny. Donc je vais rester avec toi et t'aider à remonter la pente. On va trouver une solution. »
Leonard haussa les épaules puis se tourna dans le lit, évitant le regard de sa mère. Il entendit Madison soupirer derrière lui mais il ne s'en occupa pas.
---
Il ne se souvenait pas de s'être endormi, mais lorsque Leonard se réveilla, le jour pointait à travers les volets et Joanna était blottie contre lui. La jeune fille avait l'air tout sauf paisible avec son teint pâle et son visage froncé, et il se doutait que cet état avait à voir avec les évènements de la veille au soir.
Alors il décida de la laisser dormir autant que possible, elle avait besoin de repos et ce n'était pas lui qui allait lui refuser. Il sortit aussi doucement qu'il le pouvait du lit, la repositionna sous les couvertures puis sortit de la chambre en prenant garde de bien fermer la porte.
Sans qu'il ne puisse se contrôler, il se retrouva dans la chambre face à la sienne. Il y avait comme une force incroyable qui l'attirait dans la chambre de Jim, le poussait à y entrer et à s'y recueillir, comme il le faisait à chaque fois qu'il allait déposer des fleurs sur la tombe de son père. Il ne voulait pas penser à Jim comme il le ferait d'une personne décédée, mais chacune de ses actions, chacun de ses gestes, le ramenait continuellement à cela.
Il poussa la porte pour trouver l'intérieur de la pièce parfaitement nettoyé, parfaitement rangé. Il y avait des trous dans la décoration là où sa colère s'était trop exprimée et où les objets étaient cassés, mais à part ça, rien ne montrait le carnage qui s'était déroulé la veille.
Comme il le faisait à chaque fois qu'il venait réveiller son fils, il ouvrit le volet et fut gracié par un temps abominable. Des trombes d'eau s'échouaient sur le sol bien trop sec du jardin et formaient une rigole au bord de la terrasse. Le vent brassait les arbres avec une telle force qu'ils s'écrasaient les uns contre les autres, envoyant voler des feuilles partout autour d'eux.
Leonard soupira face à ce spectacle et entrouvrit seulement la fenêtre pour aérer avant de sortir de la pièce. Il descendit au rez-de-chaussée, grogna lorsqu'il se prit la plateforme de Jim dans les jambes, puis une seconde fois à la vue du verre d'eau de Pike abandonné sur la table du salon, puis son regard tomba sur Madison, qui, assise à la table du salon, était occupée à réparer la veilleuse de son fils.
Elle releva la tête de son travail quelques secondes le temps de le saluer puis s'y remit, et Leonard se sentit terriblement coupable à l'idée de lui donner autant de travail. Il s'approcha d'elle à pas de loup, comme pour ne pas la déranger, se pencha au-dessus d'elle, déposa un baiser dans ses cheveux grisonnants puis s'assit à ses côtés, un bras posé sur le dossier de la chaise.
« Tu n'as pas à faire tout ça, Maman, il ne s'en servira plus.
— Ça me fait plaisir de le faire, chéri, souffla-t-elle d'une voix d'où suintait toute sa concentration. Et puis, s'il se rend compte qu'il l'a oubliée, on pourra lui envoyer.
— Il n'en voudra pas, soupira Leonard en posant sa tête entre ses bras sur la table. De toutes façons, il m'a toujours dit qu'il ne fallait pas avoir d'effets personnels à l'orphelinat. »
Il entendit près de lui les outils de sa mère être posés sur la table puis une main délicate se posa sur sa nuque et la massa, et il se sentit se détendre lentement.
« C'est pour ça qu'il n'a rien emmené de ses affaires, tu crois ? Il a laissé toutes ses holos, toutes ses affaires de dessin, toutes ses peluches... On dirait presque qu'il n'est pas parti.
— J'espère que c'est cela et que ce n'est pas qu'il nous en veut trop pour avoir un quelconque lien avec nous.
— Jimmy ne penserait jamais ça, Papa, » intervint une petite voix au loin.
Leonard et Madison relevèrent la tête en même temps, surpris, et virent Joanna au pied de l'escalier, encore vêtue de son pyjama et les yeux pas tout à fait ouverts. Elle s'approcha d'eux et vint s'installer sur les genoux de son père après avoir embrassé sa grand-mère.
Il passa gentiment une main dans ses cheveux, remit une mèche derrière son oreille et sourit à sa fille, qui posa un baiser sonore sur sa joue.
« Tu le penses vraiment, Chérie ?
— Bien sûr ! Jim nous aime, je le sais, et je sais aussi qu'il ne nous en veut de rien. Il est déçu et triste de partir mais il se doutait que ça arriverait.
— Comment tu sais tout cela, Jo' ? » demanda-t-il en fronçant les sourcils.
La jeune fille baissa les yeux sur ses mains qu'elle tordait, fit une courte grimace puis releva la tête vers Leonard, les yeux brillants.
« Il m'a appelée quand il est parti d'ici. Il m'a dit qu'il était en route vers le centre de transport et que Pike l'avait autorisé à faire un appel en attendant leur arrivée. »
Les yeux de Leonard s'agrandirent en grand à ces mots. Il n'aurait jamais cru que Pike le laisserait appeler sa sœur, il pensait plutôt qu'on allait le forcer à couper tout contact avec eux.
« Il était comment ? Enfin je veux dire, il allait mal, ça se voyait ?
— Oui, il avait pleuré, ça c'est sûr, mais il avait l'air déterminé aussi, mais je ne sais pas à quoi. Il m'a juste dit qu'il devait retourner à San Francisco et il m'a demandé de te dire qu'on se retrouverait dans dix ans là-bas si ce n'était pas avant. Je n'ai pas compris pourquoi. »
La réalisation mit quelques instants à monter jusqu'aux connexions instables du cerveau de Leonard, puis il eut comme une illumination, et remercia son fils d'être un génie.
« Chérie, je sais ce qu'il voulait dire. Il y a quelques temps, tu m'as parlé que tu aimerais être infirmière, n'est-ce pas ?
— Oui, ça me plairait, j'aime m'occuper des gens.
— Et tu es très douée pour ça, sourit Madison, faisant sourire Joanna à son tour.
— Chérie, s'il te plaît, tu as encore du temps, mais il va falloir que tu y réfléchisses. J'en ai déjà parlé avec Jim, et il serait d'accord. »
L'expression que Joanna arborait était clairement confuse, et Leonard s'en voulait de ne pas réussir à bien s'expliquer mais surtout de devoir lui parler de ça aussi abruptement.
« Jim aimerait travailler dans Starfleet, c'est son rêve. Mais il ne veut pas le faire si on n'est pas avec lui.
— Tu veux dire qu'il aimerait qu'on intègre tous les trois l'Académie dans dix ans ?
— Visiblement, c'est son plan.
— Si c'est le seul moyen de retrouver mon frère, je le ferai. »
Père et fille sourirent simultanément puis Joanna sauta de ses genoux et rejoignit la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Leonard ôta la veilleuse de la table ainsi que les outils de Madison, bondissant presque sur ses pieds, mais il fut bien vite arrêté par une main enserrant son bras et le tournant.
Il fronça les sourcils face au regard de sa mère et s'échappa de sa prise dans un geste presque colérique.
« Qu'est-ce qu'il te prend de leur mettre de tels espoirs dans la tête ? chuchota-t-elle sur un ton trahissant son incompréhension et sa colère.
— Je ne leur mets pas d'espoirs dans la tête, répondit-il sur le même ton. On rentrera dans Starfleet tous les trois.
— Si tu ne le savais pas, ce n'est pas si évident que ça de rentrer là-dedans. Et puis qu'est-ce que tu racontes, tu ne peux même pas monter dans une navette, tu ne vas pas aller sur un vaisseau spatial au beau milieu du vide !
— Je le ferai pour mes enfants, maman. Une phobie se combat, et je vais la combattre pour retrouver mon fils et rendre son sourire à ma fille. »
Et sans attendre la réponse de Madison qui resta clouée sur place, Leonard rejoignit la cuisine pour aider Joanna.
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