Chapitre 14
Après cinq longues minutes de pause, cinq minutes durant lesquelles Leonard avait tout fait pour calmer et réconforter son fils, Jim se sentait prêt à reprendre. Le garçon avait encore le visage pâle de sa crise d'angoisse et son père, accroupi devant lui, caressait son genou pour le détendre.
« Je ne veux pas être loin de toi, Papa, murmura Jim.
— Je suis juste là, je ne te lâche pas.
— Non, je veux être plus près.
— Mais je ne peux pas m'asseoir dans ton fauteuil, Boy.
— Mais moi, je peux m'asseoir sur toi. Ce n'est pas dangereux, hein ?
— Si on fait attention, non. Il faut juste que tu ne bouges pas trop. »
Jim hocha la tête, et Leonard le devina parfaitement conscient des risques. C'était un garçon très intelligent, il ne ferait rien qui puisse compromettre sa chirurgie, ne serait-ce que par respect pour le travail de son père. Alors Leonard attrapa le coussin calé dans le dos de Jim avec précaution et le posa sur ses genoux, se demandant tout de même comment il allait pouvoir le transférer sans risque. Joshi, qui était sorti pour leur laisser de l'intimité, revint dans le bureau à ce moment-là et fronça les sourcils.
« Un problème ?
— Jim aimerait simplement s'asseoir sur mes genoux, ça ne vous dérange pas ?
— Non, surtout pas, comme je l'ai dit, tout ce qu'il faut, c'est qu'il soit bien. Vous voulez de l'aide ?
— Je vais avoir besoin de le porter, puisqu'il ne peut pas encore marcher. J'aurais juste besoin que vous posiez ce coussin sur mes genoux quand je vais m'asseoir et que vous me donniez le deuxième ensuite.
— Très bien, dites-moi si je fais une erreur. »
Leonard sourit au commissaire et lui tendit le coussin, puis se pencha vers Jim. Celui-ci tendit les bras pour les passer autour du cou de son père qui passa prudemment un bras sous ses jambes et l'autre dans son dos. Il souleva Jim sans aucun mal et se rassit. Il sentit le coussin se glisser sur ses jambes et posa lentement son fardeau dessus. Le garçon remua quelques instants, assisté des mains de son père posées sur ses hanches, puis laissa sa tête reposer sur son torse, les yeux fermés.
« Ça va, Jim ?
— Oui. Je suis mieux ici.
— Tant mieux, tu me dis si tu n'es pas à l'aise, surtout. »
Jim hocha la tête puis la souleva, laissant la place à son père pour qu'il installe le deuxième coussin dans son dos, contre l'accoudoir. Cela fait, Leonard plaça un bras autour de sa taille, laissa l'autre reposer sur ses jambes, traçant des motifs abstraits sur son genou par-dessus le tissu de son pantalon.
« Ça ira comme ça ?
— C'est parfait, Papa, je n'ai pas été aussi à l'aise depuis longtemps. »
Leonard sourit tendrement, embrassa la tempe de son fils et passa une main dans ses cheveux, les brossant vers l'arrière. Joshi le questionna du regard sur sa capacité à reprendre, et d'un signe de tête, Jim donna son accord. Le commissaire reprit alors sa place derrière son bureau et se pencha pour la seconde fois vers Jim, prêt à entendre la suite de l'histoire.
« Quand je leur ai demandé de me laisser, j'ai senti le coup le plus fort que j'ai jamais reçu dans les côtes. Je ne savais pas ce que c'était, mais j'avais jamais eu autant mal. Alors je me suis tu. À chaque inspiration, la corde me lacérait la gorge et j'avais mal dans les côtes, mais je me forçais à garder une respiration normale. »
Jim passa une main absente sur son buste, comme s'il ressentait encore la violence du coup. Son visage se tordit brièvement en une grimace douloureuse avant de se lisser à nouveau et il reprit son récit :
« Au bout d'un moment, j'ai senti l'hovercar s'arrêter. Ce n'était pas très difficile, je sentais toutes les vibrations du moteur à travers le sol. Ils m'ont sorti et... peut-être parce qu'ils sont stupides, je ne sais pas, ils ont enlevé le sac. On était dans l'ancienne laverie, à l'ouest de notre quartier. »
Leonard sentit la bile lui remonter dans la gorge à l'horreur qu'il venait d'entendre. Tout ce temps, Jim était si près de lui... Il aurait pu le trouver des centaines de fois, il passait devant à chaque fois qu'il partait au travail... Et jamais, jamais il n'avait jeté plus d'un bref regard vers le local déserté depuis deux ans.
Cependant il ravala sa culpabilité pour ne pas tendre Jim plus qu'il ne l'était déjà et inspira profondément l'odeur légère de shampooing qui se dégageait de ses cheveux. La senteur de pin le détendit immédiatement.
« Ils m'ont attaché à une chaise dans un recoin, loin de la lumière extérieure. Les liens n'étaient pas traditionnels... C'était des fils de fer qui s'enfonçaient dans ma peau dès que je bougeais. Puis j'ai vu la Korrigane, dans sa peau normale. Du moins, la peau qu'elle doit porter la majorité du temps, puisque c'est celle dans laquelle elle est maintenant. Enfin peu importe. »
Jim fit un vague signe de la main, comme il le faisait à chaque fois qu'il se perdait en analyses superflues. Ses idées se bousculaient en permanence dans sa tête et il était souvent forcé de retourner dans le moment présent pour ne pas se perdre.
« Après, j'ai vu George Samuel. Il était différent de la dernière fois que je l'ai vu, il y a quelques mois, donc je n'étais pas sûr que ce soit lui. Ce sont ses yeux qui l'ont trahi. Mais je ne voulais pas me dire que celui avec qui je partage mon sang pouvait faire ça. Alors je me suis persuadé que ce n'était pas lui. Puis j'ai vu les deux Tellarites. Enfin, d'abord le plus jeune, puis Cehg est arrivé plus tard. Aucun ne s'est présenté, mais j'avais une vague impression de tous les connaître. »
Leonard et Joshi froncèrent les sourcils de concert. Comment se faisait-il que Jim les connaisse ? Est-ce que tous lui voulaient du mal bien avant cette affaire ? Avait-il été suivi depuis longtemps ? Rien de rassurant ne se dégageait, mais l'idée que les quatre criminels étaient à présent détenus arrivait à apaiser l'angoisse du père célibataire.
« Le premier jour... Ils n'ont pas fait grand-chose. Cehg et George Samuel ont modifié mes liens pour que mon corps soit tordu. J'étais un peu plus persuadé que c'était bien eux, à ce moment-là, même si je ne voulais pas y croire. »
Jim expliqua rapidement qu'il avait compris qui étaient les deux personnes à cause de son passé. Durant le peu de temps qu'ils avaient passé ensemble dans leur enfance, son frère avait forcément su qu'il avait un décalage de la colonne. Cehg avait dû avoir accès à son dossier médical depuis l'hôpital et avait facilement pu trouver la solution pour que sa colonne vertébrale soit à nouveau déplacée.
Plus le temps passait, plus Leonard était horrifié par ce qu'il entendait. Ils avaient délibérément rendu la vie de Jim insupportable. Ils savaient qu'ils le relâcheraient et qu'il souffrirait ensuite des années pour retrouver sa posture normale, ils savaient qu'il aurait des séquelles suffisantes pour qu'il se rappelle d'eux à vie.
Sans s'en rendre compte, il resserra sa prise sur la taille de Jim, qui laissa échapper un horrible couinement de douleur en se tournant vers lui. Leonard vit, du coin de l'œil, Joshi couper l'enregistrement, et il baissa son regard vers Jim qui fronçait les sourcils en se mordant la lèvre.
Leonard relâcha doucement sa prise et passa une main dans les cheveux de Jim, s'excusant à la fois des yeux et oralement de son excès de force.
« C'est rien, Papa, murmura Jim. Je sais que tu es en colère. C'est normal.
— Ce n'est pas une raison pour te faire mal, Boy, encore moins sur ton bassin. Je te promets de faire attention.
— Merci, Papa. »
Après un hochement de tête des deux hommes, Jim se pencha pour prendre quelques gorgées d'eau puis se repositionna contre son père, complètement blotti contre lui, sa tête enfoncée dans son épaule. Joshi lui demanda s'il était prêt à reprendre et le garçon hocha la tête sans la redresser. Le commissaire relança l'enregistrement et après une grande inspiration, Jim reprit.
« Après... Je n'ai pas beaucoup de souvenirs, en fait. Ils m'ont frappé, ça j'en suis sûr, ils m'ont aussi un peu coupé, sur les bras, puis ils ont passé du courant dans les fils qui me retenaient. Après, je n'ai plus aucun souvenir, j'ai dû m'évanouir, je pense... J'avais tellement mal, aussi... Quand je me suis réveillé, je ne sais pas si c'était le jour ou la nuit... C'était quoi, Papa ? » demanda-t-il en regardant Leonard.
Celui-ci fronça les sourcils et regarda quelques secondes Joshi, qui lui fit signe de répondre comme il le pouvait à Jim. Il baissa alors son regard vers son fils et caressa sa joue tendrement, essayant de le ramener dans la réalité.
« Je ne sais pas, chéri... Je n'étais pas là, tu sais... »
Jim hocha la tête puis se repositionna contre son père, les sourcils froncés. Il sembla réfléchir encore quelques secondes, puis il réagit soudainement.
« C'était la nuit, je me souviens !
— C'est bien, Jim, » sourit Leonard en embrassant son front.
Le garçon ne s'attarda pas plus longtemps sur ce détail et reprit son récit.
« Quand je me suis réveillé, ils m'ont encore battu, surtout sur le visage, on aurait dit qu'ils voulaient que ça se voie au maximum. Puis ils ont installé une caméra devant moi et ils m'ont encore frappé. Mais je commençais à avoir l'habitude, je ne sentais plus grand-chose. »
Jim haussa les épaules et mordit sa lèvre avant de reprendre :
« Quand ils ont vu que je ne sentais plus rien... Ils ont recommencé à me couper... Sur les bras et le visage, un peu. Et je crois que j'ai perdu connaissance après. »
Il se coupa de lui-même dans son discours et fronça les sourcils. Un peu mal à l'aise, Joshi se pencha plus en avant et sourit gentiment à Jim.
« Jim, est-ce que tu te rappelles qui faisait tout cela ?
— Surtout la Korrigane et le deuxième Tellarite, le jeune. Cehg restait toujours en retrait pour dire quoi faire et George Samuel observait de loin. Mais ça n'a pas duré longtemps. »
Jim reprit brièvement sa respiration et ferma les yeux.
« Juste après tout cela, ils ont tous les deux pris des sortes de bâtons, je ne sais pas exactement ce que c'était, mais quand ils les ont posés sur moi, j'ai ressenti la plus grande douleur que j'ai jamais ressentie. Ils les ont posés sur mes tempes et... J'ai senti un courant électrique tellement puissant me passer dans la tête... J'ai hurlé, j'ai essayé de me débattre, mais les fils de fer s'enfonçaient dans ma peau et me lançaient des décharges... Je pense que j'ai convulsé, je ne suis pas sûr, mais après, mon corps a lâché... Et j'étais tellement heureux de ne plus rien ressentir... »
Un bref air horrifié passa sur le visage de Jim qui grimaça avant qu'il ne se tourne entre les bras de son père, se blottissant contre son torse. Leonard fut surpris mais glissa sa main de haut en bas dans son dos, embrassant le dessus de sa tête.
« Tu veux faire une pause ? » demanda Joshi, ce à quoi Jim répondit d'un hochement de tête bref. Il remua quelques instants pour s'installer plus confortablement, menant Leonard à bouger lui aussi ses bras.
« Papa ?
— Oui, Jim ? murmura Leonard.
— Ce qui va venir... C'est horrible... Si tu veux sortir, fais-le... Mais n'oublie jamais que je t'aime. »
Leonard était de plus en plus inquiet par ces mots. Que s'était-il passé pour que Jim en vienne à une telle peur ? Bien sûr il se doutait que ça avait à voir avec la Korrigane, mais qu'avait-elle fait pour détruire toutes les convictions de Jim à ce point ?
Mais il promit. Parce que la dernière chose qu'il voulait était que Jim lui en veuille de quoi que ce soit.
Après cinq petites minutes, Jim se redressa, un air sûr au visage. Il fit signe à Joshi de relancer l'enregistrement, et, après avoir difficilement déglutit, reprit l'histoire où il l'avait laissée.
« Quand je me suis réveillé, plus tard, je n'avais aucune idée du temps qui était passé... Ils avaient occulté toutes les ouvertures, je ne savais plus si c'était le jour ou la nuit... Je pensais à Papa et Joanna, j'avais tellement peur pour eux... Mais avant que je puisse m'inquiéter plus, j'ai remarqué que j'avais bougé... Je n'étais plus sur la chaise, j'étais sur une table en métal. »
Jim ferma les yeux et eut un haut-le-coeur bien visible. Il entrouvrit la bouche pour laisser passer une expiration tremblante puis prit une grande inspiration par le nez.
« J'étais nu. Entièrement. »
Leonard eut le souffle coupé. Il savait ce qui arrivait. Il comprenait. Il dut lui-même combattre la nausée qui le prit à la gorge sous le regard inquiet de son fils et du commissaire. Mais il leur signala que tout allait bien d'un vague signe de la main.
Après quelques secondes de silence supplémentaires, Jim prit une seconde inspiration, et, les yeux dans le vide, continua.
« Cehg... a été le premier. Je me suis débattu, mais je ne pouvais rien contre lui. C'était... tellement douloureux... Je le sentais partout... Sur moi... En moi... C'était... »
Il ne finit pas sa phrase, étouffant difficilement un sanglot dans sa gorge. Malgré son horreur et son angoisse grandissante, Leonard fit courir sa main dans le dos de Jim en de minuscules cercles apaisants.
« Puis... murmura Jim en fermant les yeux. Après, c'était George Samuel... Il y avait tellement de haine... Il me faisait tellement mal... Je sentais ses mains s'enfoncer dans mes hanches... Et j'avais envie de vomir... Mais je ne pouvais pas... Alors je m'étouffais avec... »
Une larme glissa le long de sa joue mais il n'y fit pas attention, et, les yeux toujours fermés, continua :
« J'ai senti des mains sur ma tête, qui me relevaient... Et je me suis vomi dessus... Puis les mains ont reposé ma tête... Et... J'avais les yeux presque fermés... Mais... Papa était là... Et il ne pouvait plus rien m'arriver... Parce que Papa me sauverait toujours... Il m'avait promis... »
Ses yeux se mirent soudainement à se vider de toutes les larmes qu'ils avaient accumulés, et Leonard sentit ses joues s'humidifier comme un miroir. Mais il ne devait pas sombrer, il devait aider Jim. Alors il n'y prêta aucune attention et essuya plutôt les joues de son fils, qui furent trempées quelques secondes après.
« Mais... Mais quand George Samuel s'est enfin arrêté... C'était pire... C'était... C'était pire que ce que j'avais jamais connu... Parce que... Parce que Papa a pris sa place... »
Leonard ferma ses yeux qui continuaient toujours d'échapper leur douleur. Comment pouvait-on faire tant de mal à Jim ? Comment ?
« Cette fois... Il y avait comme... comme une envie de... de bien faire ? Je ne sais pas vraiment mais... Il essayait d'être tendre... Il me disait que c'était pour mon bien... Et que ça faisait des années qu'il en rêvait... Et... Et j'ai tellement regretté d'avoir accepté l'adoption... Je voulais... Je voulais retourner sur le Kelvin... Je voulais le tuer... »
Le discours de Jim était décousu, Leonard ne comprenait pas s'il voulait le tuer lui ou George Samuel. Père et fils hoquetèrent de douleur simultanément, et lorsque Leonard leva les yeux vers Joshi, il trouva comme une brillance dans son regard. Ils devaient donner une belle vision, ainsi.
« Et... Et je ne pouvais plus m'arrêter de vomir... À chaque coup... Et il me caressait le visage... Tellement tendrement... Et... Et George Samuel me tenait... Pour que je ne m'étouffe pas... Et il brossait mes cheveux en arrière... Comme avant... Et il me murmurait dans l'oreille... Il disait que... que... »
Jim s'arrêta plus longtemps que précédemment, les yeux fermés, luttant visiblement contre une nausée, les joues détrempées, les cheveux humides d'une fine pellicule de sueur.
« Il disait que j'aurais dû rester avec lui... Que j'aurais pas dû accepter l'adoption... Que c'était à cause de ça que j'étais là... Que j'aurais dû me douter que Papa me voulait que pour mon corps... Qu'il avait étudié qui il était, qu'il était un... un violeur d'enfants... Et... Et je le croyais... Parce que tout ce que je voyais... C'était Papa qui entrait et sortait de moi... Et qui me faisait mal... Tellement mal... Et il avait raison... J'aurais dû rester avec lui... »
Jim se tourna brutalement entre les bras de Leonard, enfonçant son visage dans sa chemise qui s'humidifiait rapidement. Son père referma son étreinte autour de lui, le serrant contre son torse à l'en briser. Comment Jim pouvait-il encore le regarder dans les yeux et lui dire qu'il l'aimait après cela ? Comment pouvait-il le laisser le déshabiller tout en ayant la crainte qu'il n'aille plus loin ?
Cette situation devenait hors de contrôle pour le père de famille. Il ne voulait plus rester auprès de Jim, pas après ce qu'il venait de dire...
« Mais... murmura la voix de Jim étouffée par le tissu de la chemise. Quand... Quand ça s'est arrêté... Quand ils m'ont tous les deux lâchés... J'ai su... J'ai su que ce n'était pas Papa... Parce qu'autant je pouvais croire qu'il était un... un violeur d'enfants après ce que je venais de vivre... Autant je savais que jamais il ne me laisserait baigner dans mon vomi... Parce qu'il dit toujours que c'est un nid à bactéries... »
Un petit rire s'échappa des lèvres de Jim entre ses larmes, suivi par celui de son père. Il savait qu'un jour ça servirait à ses enfants de leur répéter cela. Il ne s'était simplement pas douté que ça serait dans une situation si dramatique, mais après tout, si Jim avait réussi à surpasser tout cela grâce à sa paranoïa médicale, pourquoi pas ?
Puis Jim sortit à nouveau son visage du torse de son père, dont la chemise était tachée de larmes et de morve. Il essuya ses larmes et se moucha avec le mouchoir que lui tendait Leonard après l'avoir remercié du regard. Puis il déglutit à nouveau, prit une grande inspiration qu'il relâcha lentement.
« Mais... Ils ont dû décider que ce n'était pas assez... Parce qu'ils ont repris leurs barres qu'ils avaient utilisé plus tôt. Et encore une fois... Ils se sont acharnés sur moi. Ils ont d'abord visé tous les points sensibles de mon corps. Des pieds à la tête. Je n'arrivais pas à contrôler mes tremblements, j'avais des spasmes tellement violents... Chaque nerf était comme une langue de feu... Le moindre toucher me faisait hurler de douleur, mais j'avais beau essayer de tomber dans l'inconscience, je n'y arrivais pas... »
Il passa ses deux mains sur son visage et lorsqu'il les ôta, Leonard vit que sa lèvre était emprisonnée entre ses dents. Cependant, cette fois-ci, il ne dit rien, sachant que Jim en avait besoin.
« Ils m'ont encore coupé... À l'extérieur et... et à l'intérieur... Je sentais... Je sentais un mélange de sang et de... et de leur sperme s'échapper... Et j'ai vomi encore une fois... Puis... Puis j'ai senti la barre en moi... Le métal râpait à l'intérieur... Et je saignais encore plus... J'avais mal... J'avais tellement mal... Puis ils l'ont passé plusieurs fois... Et au bout d'un moment ils ont commencé à envoyer du courant... »
Le côté médecin de Leonard commençait à comprendre bon nombre de problèmes que Jim rencontrait depuis qu'il l'avait retrouvé, il connaissait les effets de l'électricité sur le corps humain. Mais le père en lui n'avait qu'une envie : retourner dans cette pièce et réduire ces enfoirés en bouillie.
« Et... Et au bout d'un moment je ne sentais plus rien... J'étais comme anesthésié... Mais... Mais je savais qu'ils ne s'arrêteraient pas là... C'était certain... Et puis... J'ai senti la barre plus loin en moi... Et... Et après... Je ne pouvais plus rien contrôler... »
Jim s'arrêta, mordit sa lèvre pour contrôler ses larmes. Leonard avait bien compris ce dont il parlait, il était médecin, il savait jusqu'où ces histoires pouvaient aller. Mais il se doutait que ce n'était pas suffisant pour Joshi. Il avait besoin de la verbalisation des faits, mais surtout il ne savait pas de quoi parlait Jim. Et son impression se confirma bien vite.
« Qu'est-ce que tu veux dire, Jim ?
— Je me faisais dessus ! cria-t-il soudainement dans un accès de rage. Je me pissais et je me chiais dessus ! C'est assez clair comme ça ? »
Sur ces mots, il enfouit encore une fois son visage dans la chemise de son père, les joues rouges de honte et de colère. Leonard enveloppa son corps dans une étreinte aussi chaude et rassurante que possible et se mit à le bercer lentement.
Joshi coupa rapidement l'enregistrement et vint s'accroupir près des deux hommes, une main prudente posée sur le genou de Jim. Le garçon ne bougea pas mais Leonard lui fit signe de parler.
« Je suis désolé de te faire revivre tout ça... J'aurais aimé qu'on puisse faire cela autrement...
— Je dois le faire...
— Je sais que c'est important pour toi. Mais je sais aussi que c'est terriblement difficile. Je vais te laisser une pause, d'accord ? »
Le hochement de tête qu'il reçut fut la seule réponse. Leonard lui demanda d'un signe de lui tendre le verre d'eau de Jim, ce qu'il fit sans attendre. Le père releva le buste de son fils d'un geste tendre et plaça le verre contre ses lèvres. Jim l'attrapa d'un geste maladroit et hésitant, les yeux fermés, et prit quelques gorgées avant de le rendre à Leonard et de se repositionner contre lui.
Le garçon poussa un petit soupir de contentement au passage de la main de son père à l'arrière de ses cheveux, les doigts fourrageant gentiment dans les mèches épaisses.
« Tu es fatigué, Boy ?
— Oui... Mais je ne dois pas dormir.
— Je t'ai réservé ma journée entière, Jim, déclara Joshi. Si tu as besoin de dormir ne serait-ce que trente minutes avant de reprendre, ça ne me dérange pas. »
Jim entrouvrit les yeux, cligna rapidement des paupières à la lumière qui agressa ses rétines, puis son regard se fixa sur les traits indiens du commissaire face à lui.
« Mais je ne peux pas dormir ici...
— Si, ça ne me change rien. Si tu veux juste t'endormir sans bouger, fais-le. Tu as vécu des choses que beaucoup n'auraient pas supporté et tu as encore besoin de repos pour retrouver tes forces. Alors si tu dois prendre ce repos ici, c'est avec plaisir que je te laisse faire. »
Un petit sourire vint illuminer les lèvres de Jim et il redressa la tête pour questionner son père du regard. Celui-ci hocha la tête, et, contenté par cette réponse, Jim reposa sa tête sur l'épaule de son père et ferma les yeux, glissant déjà dans le sommeil.
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Une fois Jim bien endormi, Joshi prit la chaise qu'il avait posée dans un coin plus tôt et la plaça près de Leonard, qui continuait de caresser les cheveux de son fils tout en le berçant.
« Je vous le dis à vous, parce que je ne pense pas que ça soit bénéfique pour James de le savoir, mais on a reçu les résultats du psychiatre mandaté sur l'affaire. Il a beaucoup parlé avec le frère de James, pour essayer de comprendre ce qui l'avait poussé à aller aussi loin.
— Jim n'a pas de frère, il n'a qu'une sœur. George Samuel a perdu ce titre le jour où il a enlevé un enfant de son propre sang. »
Joshi hocha la tête avec un soupir peiné. Sans doute comprenait-il le point de vue de Leonard, même s'il ne savait pas qu'il était partagé par Jim.
« Et donc, qu'est-ce que ça dit ?
— Il semblerait qu'il ait à la fois des troubles de la personnalité borderline et des troubles bipolaires. Le psychiatre nous a dit qu'il faudrait qu'il le voie plus longtemps et plus régulièrement pour en être certain, mais c'est son premier diagnostic. »
Leonard hocha la tête. Il n'était pas spécialisé dans ce domaine, mais ce qu'il avait fait semblait correspondre à ce qu'il connaissait de ces deux troubles.
« Ça n'excuse rien, vous savez. Jamais je ne pourrai le pardonner d'avoir fait ça à Jim. Ça a au moins le mérite de commencer à expliquer certaines choses... Pas toutes. Ce qu'il a fait... C'est un monstre, pour moi. Ni plus, ni moins. Les trois autres aussi.
— Rassurez-vous, c'est aussi mon avis. Je ne comprends pas suffisamment ces histoires de troubles psychiques pour pardonner quoi que ce soit. Tout ce que je vois, ce sont les conséquences de ces actes, et c'est impardonnable. »
Leonard hocha la tête dans une grande inspiration et posa ses lèvres sur le front de Jim. Il était déjà satisfait que Joshi soit de son côté et ne le pousse pas à dire que George Samuel n'était pas coupable. Il l'était. Il était celui qui avait fomenté ce complot contre Jim, celui qui avait monté de toute pièce un enlèvement et lui qui avait été si violent envers son propre sang. Il était coupable.
« Il a donné ses motivations dans tous ces actes, comme les trois autres. Ça ne fait que l'incriminer encore plus. Il a dit qu'il voulait faire payer à Jim d'avoir accepté une autre famille que la sienne, mais aussi vous faire payer vous. Cehg s'est contenté de dire que vous le méritiez. Les deux autres ont des antécédents judiciaires de violences aggravées. »
Un grognement s'échappa de la gorge de Leonard sans qu'il ne puisse le contrôler. Parler de motivations... On pouvait en vouloir à quelqu'un, mais personne n'irait jusqu'à de telles atrocités. Oui, George Samuel était malade, aucun doute. Cehg aussi.
« Vous saviez, pour tout cela ? murmura Joshi en s'appuyant sur le dossier de la chaise.
— Je ne savais pas ce qu'il s'était passé réellement, soupira Leonard. Je savais qu'il avait été violé et qu'ils avaient joué avec ses sphincters... Je ne savais juste pas comment... »
Leonard soupira une seconde fois et appuya sa joue contre le front de Jim, qui remua quelques instants avant de replonger dans le sommeil.
« Je suis désolé pour tout ce qu'il vous arrive. Je n'ose même pas imaginer ce que ça a été de le trouver comme ça et de le soigner...
— C'est la pire chose qui puisse être donnée de voir à un père. Je ne sais pas si vous avez des enfants, mais je vous souhaite que ça ne vous arrive jamais. »
Joshi hocha la tête et posa une main sur le bras de Leonard en soutien.
« Je n'en ai pas... Et quand je vous vois si fusionnels tous les deux...
— J'ai l'impression d'être tombé en Enfer il y a un mois et de ne plus pouvoir en sortir... Vous voulez savoir, la dernière fois que j'ai parlé à Jim avant tout ça... Je l'ai menacé de le punir parce qu'il se disputait avec sa sœur... »
Leonard ne pouvait s'empêcher de penser qu'il avait porté malheur à Jim en lui parlant ainsi. Et si Jim pensait que c'était la punition qu'il lui avait choisie ? Il se passa une main sur le visage et soupira encore une fois.
« Vous devriez vous reposer, vous aussi, souffla Joshi avec un sourire compatissant.
— Croyez-moi, ce n'est pas l'envie qui m'en manque, rit Leonard sans chaleur. Je ne peux juste pas dormir. Dès que je ferme les yeux, je le vois sur ce putain de fauteuil, recroquevillé sur lui-même, complètement terrifié à l'idée même que je puisse m'approcher... Et quand j'arrive à m'endormir, je me réveille au moindre bruit avec la terreur qu'il ait encore disparu... »
Ses yeux s'emplirent une seconde fois de larmes mais il les combattit en se mordant violemment la lèvre. Il passa une main contre le flanc de Jim et l'arrêta juste sous ses côtes bougeant au rythme des battements calmes de son cœur.
« Vous avez besoin d'aide, Leonard.
— Il a besoin d'aide. Moi, je n'ai besoin de rien d'autre que mes enfants près de moi. Il a souffert, bien plus que quiconque n'ait jamais supporté, entrez dans un réacteur nucléaire et vous souffrirez moins que lui. Alors je n'ai pas le droit de me plaindre. »
Le commissaire soupira face à l'entêtement du médecin.
« Vous savez aussi bien que moi que les témoins et les accompagnants souffrent autant que les victimes. Ne me dites pas que vous ne l'avez pas vu dans votre métier.
— Je l'ai vu, mais ce n'est pas pour autant que je dois clamer avoir autant vécu que Jim. Il était à deux rues de moi. Deux rues. Cette laverie, je la vois tous les jours. Pas une seule fois je n'ai remarqué que les vitres étaient obstruées. Si j'avais prêté ne serait-ce qu'un dixième de mon attention dessus, il n'aurait pas été violé par son frère et moi. »
Leonard détourna son regard de Joshi après son excès de colère. Il se détestait tellement, à cet instant. Enfin, ça faisait des semaines qu'il se détestait. Ses envies de meurtre étaient de plus en plus confuses, et il lui arrivait, parmi les mares de sang entourant les quatre criminels, de voir son propre visage. Et pas une seule fois il n'en avait été horrifié.
« Leonard, vous n'avez rien à vous reprocher. Ils en avaient après Jim, Jim uniquement, et ils auraient trouvé un autre moyen. Ils voulaient le briser et vous le rendre uniquement une fois qu'il serait détruit.
— J'ai tout à me reprocher.
— Je- »
Avant que Joshi n'ait pu répondre, les yeux de Jim se mirent à papillonner et s'ouvrirent lentement. Son visage se tourna immédiatement vers celui de son père, qui avait baissé la tête et souriait tendrement à son fils, caressant sa joue de son pouce. Son humeur avait totalement changé, du moins, c'était ce qu'il montrait. Il ne voulait pas montrer sa faiblesse à Jim.
« Hey, Prince Dormant, murmura-t-il affectueusement. Bien dormi ?
— Ton épaule est très confortable, sourit-il encore un peu endormi. J'ai un peu mal au crâne, par contre.
— Sûrement un surplus d'émotions, supposa Leonard en fouillant dans la sacoche accrochée au fauteuil de Jim. Tiens, j'ai un antalgique, si tu veux. Ça fait suffisamment longtemps que tu as pris l'autre, si tu en as besoin.
— Est-ce que je pourrai en prendre un en rentrant à la maison, si je le fais ? »
Après avoir réfléchi quelques instants, Leonard hocha la tête et Jim tendit la main vers lui. Il déposa le comprimé dans sa main et lui donna le verre d'eau, et en quelques secondes, la médication avait trouvé son chemin. Jim se frotta les tempes un instant puis son regard se posa sur Joshi, qui, attentif, attendait qu'il se manifeste.
« Je vais pouvoir reprendre.
— Il faut juste attendre cinq minutes que le comprimé fasse effet, » compléta Leonard.
Le commissaire hocha simplement la tête et retourna à sa place. Il remplit le verre de Jim puis le reposa devant lui, s'attirant un sourire de gratitude de la part du garçon.
En effet, cinq minutes plus tard, la tension visible sur les traits de Jim avait régressé et il était prêt à reprendre son témoignage. Il se tenait complètement collé à Leonard, qui glissait une main distraite de haut en bas sur son flanc.
Après encore quelques respirations profondes, Jim se redressa légèrement et fit signe à Joshi de relancer l'enregistrement.
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