Chapitre 13

Pour la troisième fois en moins d'un mois, Leonard entra dans le poste de police d'Atlanta. Seulement cette fois, il n'était pas seul. Il poussait le fauteuil de Jim, qui, la tête baissée, triturait ses mains sans arrêt. Depuis l'incident de la veille, il n'avait pas ouvert la bouche, enfermé dans un mutisme qui rendait déjà son père malade. Mais aujourd'hui, il devrait parler, raconter, expliquer, et Leonard ne pouvait s'empêcher de craindre son état à la fin de l'audition.

L'officier en poste à l'accueil sembla les reconnaître, puisqu'avant même qu'ils ne se présentent, il fit un signe en direction du couloir derrière lui.

« Monsieur Joshi vous attend, affirma-t-il.

— Bien, merci beaucoup, » répondit Leonard, un peu surpris.

L'homme hocha la tête et les deux visiteurs reprirent leur route. Ils traversèrent le long couloir et arrivèrent face à la porte ouverte du bureau du commissaire. Leonard toqua presque timidement contre le mur après avoir jeté un rapide coup d'œil à l'intérieur et l'homme aux traits indiens leva la tête vers eux, son large souvenir avenant plaqué au visage.

« Messieurs McCoy, venez, entrez ! »

Il se précipita de l'autre côté du bureau pour enlever l'une des deux chaises et Leonard entra en poussant Jim, qui n'avait toujours pas levé la tête. Il positionna le fauteuil à la place vacante et s'assit sur la chaise à côté. Il tourna la tête vers son fils, et remarqua enfin qu'il se mordait les lèvres jusqu'à s'arracher des lambeaux de peau. Joshi aussi semblait l'avoir remarqué, puisqu'après s'être rassis, il ne dit pas un mot, son regard fixé sur le garçon.

Leonard se laissa glisser de sa chaise jusqu'à être accroupi près de lui, posa une main sur l'accoudoir du fauteuil, l'autre sur la cuisse de Jim qui sursauta au contact.

« Jim, Boy, est-ce que ça va ? »

Jim haussa les épaules sans lever la tête, mais son père en décida autrement et remonta son visage pour qu'il le regarde. Pour ce qui lui sembla être la centième fois depuis qu'il avait retrouvé son fils, il passa son pouce sur ses lèvres et les libéra de l'emprise de ses dents. Une fine goutte de sang s'en échappa et il la rattrapa du bout du doigt avant de l'essuyer sur son bras. Jim essaya de baisser la tête mais la prise de Leonard sur son menton était trop forte et il baissa uniquement les yeux.

« Jim, regarde-moi, s'il te plaît, demanda Leonard en sortant un petit pot de sa poche. Si tu n'es pas bien, on peut reporter, tu le sais.

— 'doit pas, croassa-t-il en réponse.

— Arrête de dire ça, grogna son père en étalant un baume sur ses lèvres. Le commissaire t'a bien dit que ça peut attendre encore un peu si tu ne peux pas le faire pour l'instant.

— Je veux le faire, murmura Jim alors que ses yeux s'emplissaient à nouveau de larmes. Je veux oublier. »

Leonard soupira et hocha la tête en terminant d'appliquer la crème. Il se redressa ensuite et embrassa le front de Jim avant de se rasseoir.

« Bien, Boy, mais si ça ne va pas-

— Oui, on arrête, soupira Jim. Je sais. »

Leonard était un peu gêné de se faire couper ainsi par Jim mais n'en dit rien, sachant très bien à quoi il faisait référence. Son insistance de la veille, avant la douche, avait sûrement été excessive, mais il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter.

Jim porta son regard sur Joshi, qui l'attendait, clairement dans l'expectative. Il avait sûrement suivi toute la conversation entre les deux hommes mais il n'en dit rien.

« Bien, Jim, comme tu le sais, aujourd'hui, on a prévu deux choses.

— Les identifier et tout raconter, je sais.

— Très bien. On le fait dans l'ordre que tu veux. Soit tu les identifies avant, soit après.

— Si quand je raconte, je suis... perturbé, est-ce que ça sera retenu contre moi ?

— Non, de toute évidence, non, il est normal que tu aies du ressentiment à leur égard, voire même pire, ou que tu ne sois pas bien, et on ne va pas retenir ça contre toi. De toutes façons, on sait qu'ils sont coupables, donc rien ne sera retenu contre toi. »

Jim hocha la tête et tourna brièvement son regard vers Leonard, qui l'observait sans qu'aucune émotion autre que son affection ne filtre sur son visage. Il reporta alors son attention sur Joshi et soupira lourdement.

« Je veux les identifier avant. S'il vous plaît.

— Bien, on va faire ça. On doit juste aller dans une salle un peu plus loin, tu acceptes que ton père vienne avec nous ?

— Je veux qu'il soit là, » affirma Jim d'une voix sûre en prenant la main de Leonard.

Celui-ci fut surpris par ce contact, c'était la première fois que Jim initiait un tel contact entre eux. Il y avait habituellement toujours un minimum de tissu entre eux lorsque Jim touchait son père de lui-même, il n'avait plus tenu sa main depuis des semaines sans que Leonard ne soit le premier à le faire. Il sentit ses yeux le piquer de larmes contenues mais se retint de les laisser couler et les ravala difficilement.

« Ça me va, vous venez ? »

Joshi se leva de son siège, emportant un padd dans ses bras, et lissa le haut de son uniforme. Ce geste amusa Leonard tant il lui rappelait celui que lui-même faisait à longueur de journée, et si le fin sourire de Jim était une quelconque indication, lui aussi l'avait reconnu.

Le commissaire les guida jusqu'à une pièce à l'autre bout du commissariat. À l'intérieur, il y avait seulement une fontaine à eau et une vitre sans teint comme dans les vieux holovids du vingt-et-unième siècle. Joshi arrêta les deux hommes à l'entrée et ferma la porte derrière eux avant de s'accroupir devant Jim.

« Bien, donc ils sont juste de l'autre côté de cette vitre, ils ne peuvent pas te voir, on a juste besoin que tu nous dises si c'est bien eux que tu as vus. S'il en manque un, tu me le dis, s'il y en a un de trop aussi. Si tu as un doute, pareil, ça ne pose aucun problème. Et si ça ne va pas, tu te tournes et on retourne dans mon bureau. »

Jim hocha silencieusement la tête et attrapa les doigts de son père reposant sur son épaule. Puis Joshi se décala et après avoir reçu l'assentiment de son fils, Leonard poussa le fauteuil jusqu'à la vitre. Jim prit encore quelques secondes avant de relever les yeux vers les quatre personnes de l'autre côté de la paroi.

Le garçon ferma les yeux, en proie à un haut-le-coeur bien visible qui fit se précipiter vers lui Leonard et Joshi. Le premier s'accroupit à ses côtés et posa une main sur son bras.

« Jim, regarde-moi.

— Non, Papa. Toi, regarde-les.

— Je ne peux pas les reconnaître, Boy, même pas ton frère.

— Il n'est pas mon frère ! grogna Jim agressivement. Il n'est rien, souffla-t-il plus calmement. C'est... autre chose. Regarde, s'il te plaît. »

Jim ouvrit les paupières et plongea son regard perçant dans celui de son père, le suppliant par cet unique moyen de faire ce qu'il lui demandait. Et puisque Leonard n'était pas vraiment capable de refuser quoi que ce soit à Jim, il leva les yeux vers la vitre.

« Cehg ? »

---

Leonard était aussi pâle que les murs lorsqu'il entra à nouveau dans le bureau de Joshi. Après avoir posé le frein au fauteuil de Jim, il se laissa tomber sur la chaise et se passa une main sur le visage. Une main brune se posa sur son épaule, et, après avoir sursauté, il remarqua le verre d'eau que Joshi lui tendait. Il le prit d'une main tremblante et le porta à sa bouche, avalant quelques gorgées.

Quand il retrouva un semblant d'allure humaine, il posa le verre sur le bureau en même temps que Jim posait le sien. Lui aussi était pâle, et Leonard se sentit un peu égoïste de sa réaction. Cependant, il ne put s'en préoccuper longtemps, puisque le commissaire, qui avait repris sa place dans son fauteuil, se pencha vers lui.

« Je ne savais pas que vous connaissiez ces personnes, Leonard, je m'excuse.

— Je suis désolé de ne pas te l'avoir dit tout de suite, Papa, j'avais peur de ta réaction.

— Ne vous excusez pas, aucun de vous deux. Je savais que ce type me vouait une certaine rancœur, je ne pensais pas qu'il irait jusque-là.

— Vous voudriez bien m'en dire plus ? »

Leonard ferma les yeux, prit une grande inspiration, puis releva son regard vers Joshi. Il sentit le toucher réconfortant des doigts de Jim sur son bras et lui sourit brièvement. Son fils était bien au courant des problèmes que Cehg posait à son père jour après jour et détestait l'air abattu qu'il avait si souvent lorsqu'il rentrait chez eux.

« Cehg ne m'a jamais accepté au sein de l'hôpital. Il était là avant moi, et quand j'ai commencé, il m'a pris pour un arriviste et a tout fait pour me pourrir la vie. Il prenait autant de patients que possible pour que je n'en aie pas et que je me fasse virer, il a saboté certains de mes instruments, ça ne s'est jamais bien passé entre lui et moi. »

Tout en l'écoutant parler, Joshi prenait des notes sur son terminal. Leonard aurait voulu lui dire d'arrêter, que c'était inutile, même s'il était bien conscient d'avoir été victime d'une forme de harcèlement, mais il n'avait jamais voulu l'oraliser et n'avait jamais rien raconté à part à ses enfants. Tout dire ainsi à un officier de police n'avait rien de plaisant pour lui.

« Sauf que quand j'arrivais à avoir des patients, je travaillais bien. Certains disaient que je faisais des miracles et même si je déteste qu'on dise ça de moi puisque je ne fais que mon métier, il faut dire que je réussissais ce que je faisais, j'avais travaillé pour, je n'aime pas l'échec, alors j'y arrivais. Et petit à petit, la direction s'est rendue compte de beaucoup d'erreurs qu'il avait faites, de patients mal soignés, d'erreurs de diagnostic, alors ils ont demandé à ce que les patients soient redirigés vers moi. »

Joshi hocha la tête tout en continuant ses notes, et Leonard sentit la prise de Jim se renforcer sur son bras. D'une courte pression de ses doigts, le garçon arrivait à réduire la tension qui l'habitait.

« C'est là que tout a commencé à s'aggraver. Surement par jalousie, je ne sais pas, il a commencé à être insultant, à monter nos collègues contre moi, à essayer de me discréditer. Beaucoup m'ont tourné le dos pour se tourner vers lui, presque tous, en fait, sauf Neavi Savom, la Bétazoïde dont je vous ai parlé. Les quelques autres qui ne se joignaient pas à sa cause ne faisaient pas non plus d'efforts pour me défendre, mais je me suis habitué. »

L'officier leva une main tout en continuant de taper, stoppant efficacement le médecin. Après quelques secondes, il baissa le bras et fixa son regard sur Leonard, qui se rapprocha imperceptiblement de Jim sous les yeux scrutateurs de Joshi.

« Pensez-vous qu'un autre de vos collègues puisse être impliqué ?

— Je ne pense pas, je n'espère pas. Autant ils peuvent être méprisables, mais je ne pense pas qu'ils iraient dans de tels extrêmes.

— Bien. Continuez. »

Leonard prit quelques secondes pour se refaire une allure en respirant profondément puis reprit son histoire :

« Même si j'avais toujours le soutien de la direction, il n'a pas cessé ses sabotages, et il a été jusqu'à faire des erreurs sur des patients pour me faire crouler sur le travail, jusqu'au jour où j'ai mis un stop à tout cela. Je ne voulais pas que les patients soient victimes de sa jalousie, j'avais deux jeunes enfants à m'occuper, enfin, Jim et Joanna avaient huit ans, je ne pouvais pas me permettre de continuer comme ça, j'étais épuisé, je ne voyais plus mes enfants, je ne pouvais plus. »

Jim effectua une courte pression sur le bras de son père qui tourna la tête vers lui. Le garçon avait un petit sourire rassurant aux lèvres, et Leonard fut absorbé par cette vision, avant que Joshi ne se racle la gorge. Le médecin réagit enfin et se tourna vers le bureau, un sourire coupable aux lèvres.

« Pardon, je me suis perdu quelques secondes.

— Ce n'est rien, allez-y.

— Finalement, je suis allé le voir, j'ai mis les choses à plat avec lui, je lui ai dit qu'il n'avait pas à être ainsi, que jamais je ne voudrais prendre sa place, enfin, j'ai acheté la paix. Suite à cela, nos collègues sont revenus me voir pour me demander conseil sur certains patients, et même si lui ne le faisait pas et m'ignorait toujours, ça ne me posait pas problème tant que je pouvais travailler dans de bonnes conditions. »

Leonard attrapa le verre d'eau devant lui et en prit quelques gorgées avant de reporter son attention sur l'homme face à lui. Joshi attendait la suite, une lueur curieuse brillant dans son œil.

« Maintenant que j'y pense, j'aurais dû me douter qu'il avait un rôle dans cette histoire.

— Comment cela ?

— Le jour où... Jim a été enlevé, à ma pause méridienne, il m'a demandé de l'aide sur le cas d'un patient Tellarite, ce qu'il n'a jamais fait. Il m'a affirmé qu'il avait mis son disciple sur le cas parce qu'il était de la même espèce, ça m'a étonné, mais après tout pourquoi pas. »

Joshi le stoppa à nouveau quelques secondes le temps de taper la fin de sa phrase avant de lui faire signe de continuer.

« Cet homme a probablement encore une fois souffert à cause de son ressentiment à mon égard. Quand j'ai repris le cas, j'ai immédiatement vu que l'opération qui avait été réalisée était digne d'un boucher, et elle a été faite par ce type que vous avez arrêté. Cehg sait comment je suis, il savait que je demanderais à voir le patient le soir même, ce qui leur laisserait suffisamment de temps pour attaquer Jim et Joanna. »

L'officier hocha la tête puis posa son regard sur lui. Il avait un air presque haineux au visage, et Leonard sentit Jim se tendre à ses côtés. Joshi laissa échapper un souffle lourd et son visage se détendit, permettant à Jim d'en faire de même.

« Je vous assure qu'ils vont rester tous les deux pour un bon moment sous notre garde. Au-delà des actes commis sur James, il a avant ça fait preuve de harcèlement envers vous et usé de son savoir médical pour causer du mal à des patients. Ça ne peut pas rester impuni. Le problème, c'est qu'il me faudrait des preuves de ce que vous avancez. Je vous crois, j'ai confiance en ce que vous dites, je vois que vous êtes sincère, mais ça ne suffira pas devant un juge. »

Leonard soupira en plongeant sa tête entre ses mains puis la redressa après quelques secondes, et on aurait dit qu'il venait de vieillir de dix ans.

« Est-ce que ça peut attendre ? Je n'ai pas la tête à ça en ce moment, je ne travaille pas, je veux juste m'occuper de mes enfants.

— Oui, bien sûr, de ce que vous me dites, les faits remontent à plusieurs années, on n'est pas à quelques semaines près. Il ne faut pas traîner bien sûr, parce qu'un jour les faits seront proscrits, mais prenez votre temps, votre situation est très délicate.

— Merci, sincèrement. »

Joshi hocha la tête en souriant et se tourna vers Jim qui avait la tête baissée, attendant le moment où il devrait parler.

« Je vais vous laisser quelques minutes pour que vous alliez prendre l'air, tous les deux, avant la suite, si tu es toujours prêt, Jim.

— Oui, murmura le garçon en relevant la tête, ça ira.

— Très bien. Alors je vous attends ici, prenez votre temps et revenez quand vous vous sentez prêts.

— Merci, répondit Leonard avec gratitude, on fera au plus vite. »

Le commissaire leur offrit un nouveau signe de tête et Leonard emmena son fils à l'extérieur. Il le poussa jusqu'à un banc sur lequel lui-même s'assit, installant Jim face à lui. Il prit l'une de ses mains entre les siennes et caressa ses doigts portant encore les cicatrices de son opération.

« Ça va, Boy ?

— C'est difficile de les voir à nouveau.

— Je me doute. Je n'étais pas vraiment pour que tu les voies.

— J'avais besoin de le faire. J'avais besoin de les voir enfermés. Je ne voulais pas que toi tu les voies.

— Pourtant tu as demandé à ce que je vienne avec toi. »

Jim soupira et détourna son regard quelques secondes avant de le reposer sur son père, qui attendait patiemment sa réponse.

« J'avais besoin de t'avoir près de moi, parce que je me sens en sécurité quand tu es là. Mais je ne voulais pas que tu saches que c'était Cehg.

— Je préfère le savoir maintenant que le jour du procès, tu sais.

— Je m'excuse de ne pas te l'avoir dit.

— Je ne t'en veux pas, vraiment pas. Et... George ? Il avait l'air dévasté. »

Le visage de Jim se déforma en une expression haineuse avant de retrouver sa douceur naturelle, ce qui inquiéta Leonard. Il ne voulait pas que Jim soit victime d'un trouble de l'humeur, en plus de tout. Mais il fut bien vite rassuré par les mots de son fils.

« Ne l'appelle pas George, s'il te plaît, Papa. George était mon père. Lui, il n'est rien, il ne mérite pas notre nom.

— Pardon, Jim, je ne voulais pas te blesser.

— Ce n'est rien. Qu'il soit dévasté, je m'en fiche un peu. Ses motivations n'étaient pas si mauvaises, il aurait fait autrement, je me serais intéressé à lui. Mais après ce qu'il m'a fait, il peut être jeté vivant au beau milieu de l'espace, jamais je ne m'en préoccuperais. »

Leonard hocha la tête, comprenant complètement le point de vue de Jim même s'il n'avait pas pleine connaissance des motivations du premier fils de ses parents. Il se doutait qu'il les connaîtrait au cours de l'entretien avec Joshi, c'était bien suffisant. Puis il se rappela les paroles de Jim et fronça les sourcils.

« Jim, tu as dit qu'il ne mérite pas votre nom.

— Oui, tu ne penses pas ? George et Winona étaient de belles personnes, ils ne méritent pas qu'on ternisse leur histoire pour lui.

— Si, bien sûr que si. Mais, tu ne t'appelles plus Kirk, Jim, tu portes mon nom.

— Oui, je sais, affirma Jim en fronçant les sourcils à son tour. Ça te dérange ?

— Non, je suis très heureux que tu t'appelles McCoy, ça me rend très fier. Mais, je veux dire, est-ce que tu regrettes, toi ? Est-ce que tu veux redevenir Jim Kirk ? Je peux te rendre ton identité si c'est ce que tu veux. »

Autant que cette affirmation puisse lui faire du mal, il le ferait si Jim le voulait. Il ne voulait pas que son fils lui en veuille de quoi que ce soit, et il avait soudainement l'impression de lui avoir volé son identité et sa famille. Mais un sourire réconfortant et amusé prit place sur les lèvres de Jim et il se pencha en avant pour serrer son père contre lui.

« Jamais je ne regretterai de porter ton nom, Papa, murmura-t-il contre son oreille. C'est la plus belle chose qui me soit arrivée depuis ma naissance, je suis un McCoy, je le ressens au plus profond de moi. Mais il y a une part de moi qui est Kirk, je le ressens, je serai toujours lié à eux. Et je ne veux pas qu'on ternisse leur image et notre nom, tout comme je ne veux pas qu'on fasse ça à notre famille. J'ai deux familles, je ne veux pas qu'il arrive quoi que ce soit aux deux. »

Leonard se sentit stupidement ému par les mots de Jim. Il avait tant de maturité en lui, il trouvait toujours les mots justes pour le rassurer et lui faire oublier tous ses doutes, au point qu'il se demandait parfois qui des deux était le père. Il serra Jim contre lui en retour, caressant son épaule d'une main hésitante puis le garçon se recula et prit son visage entre ses mains.

« Je t'aime, Papa, je veux garder ton nom, murmura-t-il. Jamais je ne regretterai de porter ton nom, souffla-t-il pour la seconde fois. Tu es celui qui m'as élevé, je suis ton fils, je porte ton nom. »

Il embrassa la joue de son père et se serra à nouveau contre lui, menant des larmes dans les yeux des deux hommes. Ils avaient l'habitude d'exprimer leurs sentiments l'un pour l'autre, c'était important pour eux, mais cette déclaration était emplie d'une telle sincérité, d'un tel amour...

« Je t'aime, James, souffla Leonard à son tour. Je t'aime tellement, et je veux que tu gardes mon nom autant que tu le souhaites. Si un jour tu voulais reprendre ton ancien, je t'encouragerais, mais j'en souffrirais.

— Alors je le garderai. Je ne veux pas que tu souffres pour moi. Plus jamais. »

Jim se recula pour la seconde fois et Leonard eut un petit sourire attendri en voyant la larme qui se frayait un chemin sur sa joue lisse. Il l'attrapa du bout du pouce et embrassa son front, laissant ses lèvres caresser la peau douce du garçon. Puis chacun se redressa pleinement et rougirent simultanément. En pleine rue, ils venaient de s'avouer l'étendue de leur amour l'un pour l'autre, et ça avait un petit côté intimidant.

« On y retourne ? demanda enfin Leonard après quelques secondes de silence.

— On y retourne. »

Leonard se leva et fit le tour du fauteuil pour en attraper les poignées mais il se fit arrêter par la main de Jim sur son poignet alors qu'il passait près de lui.

« Je t'en supplie, Papa, peu importe ce que je vais dire à l'intérieur, n'oublie jamais cette conversation. Si je le pouvais, je te demanderais de rester dehors, mais j'ai besoin de toi près de moi, et je veux que tu saches. Mais n'oublie pas que je t'aime, et que tu es la personne qui compte le plus pour moi. »

Malgré son inquiétude suite aux mots du garçon, Leonard hocha la tête. Les yeux de Jim étaient si expressifs, et ils le suppliaient tant, il ne pouvait le décevoir. Alors il accepta, même s'il craignait désormais bien plus cet entretien qu'il ne l'avait jamais fait.

---

« Bien, souffla Joshi quand ils furent de retour dans son bureau. On va attaquer la partie la plus difficile. Surtout, Jim, tu prends tout ton temps, on n'est pas pressés, si tu as besoin d'une pause, on le fera, tout ce qui compte, c'est que tu te sentes bien. »

Après un regard anxieux vers son père qui lui tendit une main, Jim hocha la tête. Joshi sortit un padd d'un tiroir et le posa devant eux.

« Vu ce dont tu vas nous parler, je vais enregistrer ton témoignage. Je ne veux pas avoir à te couper comme je l'ai fait avec ton père, tu comprends ?

— Oui, merci.

— Bien. Surtout, tu ne t'inquiètes pas de savoir si tu parles assez fort, le micro est très perfectionné, il captera tout. Tu y vas à ton rythme, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu le dis, une pause, un verre d'eau, peu importe. Tout ce qu'il faut, c'est que tu nous dises tout ce qu'ils t'ont fait. Pas forcément dans le détail, pas forcément dans l'ordre, mais on doit savoir les grandes lignes. »

Nouveau hochement de tête de la part de Jim, qui resserra sa prise sur la main de Leonard. Celui-ci sentait l'angoisse monter en son fils et faisait tout pour le détendre, passant et repassant son pouce sur le dos de sa main.

« Est-ce que je pourrais avoir un verre d'eau maintenant ? demanda Jim d'une voix serrée.

— Bien sûr, ne bouge pas. »

Joshi se tourna vers sa fontaine et tira un verre qu'il posa près du padd. Jim l'attrapa d'une main tremblante et le porta à ses lèvres, soutenu par la main libre de Leonard qui l'aida pour ne pas tout renverser. Le garçon prit quelques gorgées puis reposa le verre. D'un signe vague, son père fit signe au commissaire de le remplir à nouveau, ce à quoi l'homme obéit. Puis il s'assit dans son siège et se pencha vers Jim, qui se mordait à nouveau la lèvre.

« C'est quand tu veux, Jim, c'est toi qui gères, nous on reste en retrait. Leonard, je sais que vous avez parfois du mal à contenir vos émotions, mais il va falloir que vous le fassiez. Si vous n'y arrivez pas, sortez, même si ce n'est que pour quelques secondes. »

Père et fils hochèrent la tête, puis Jim prit une grande inspiration, tourna la tête vers Leonard qui le soutenait toujours par leurs mains liées et se lança.

« Le jour où ils m'ont... enlevé, j'ai blessé mon ami Nathan au bras. J'ai donc pris un rendez-vous pour lui avec Papa, il y est allé, et quand il est revenu, il nous a dit, à Joanna et moi, qu'il viendrait nous chercher. On a l'habitude que Papa nous prévienne dans la journée, donc quand tous nos amis sont partis en hoverbus, on a attendu devant le collège, parce qu'il est souvent en retard, à cause d'un patient imprévu, ou d'embouteillages, enfin, on sait comment faire... »

Il prit une nouvelle inspiration et détourna son regard de son père pour le poser sur leurs mains.

« Sauf qu'au bout de vingt minutes, il n'était pas là, et ça, c'est inhabituel. Alors on l'a appelé, plusieurs fois, mais il n'a pas répondu, alors on s'est inquiétés. On avait peur qu'il lui soit arrivé quelque chose. Mais Papa nous a toujours appris à ne pas céder à la panique, alors on s'est dit qu'il avait peut-être oublié, ou qu'il avait eu une urgence, donc on a voulu rejoindre nos amis. Mais tous les transports étaient déjà partis, alors on est partis à pied. »

Leonard ferma les yeux et avala difficilement sa salive. Une boule s'était formée dans sa gorge, et malgré toutes ses tentatives de la déloger, elle restait accrochée. Et quelque chose lui disait qu'elle n'était pas près de partir. Près de lui, Jim pressa sa main et reprit le cours de son histoire.

« Au début, tout allait bien, on était dans la ville, il y avait du monde. Et puis, on a commencé à sortir de la ville. On a l'habitude de cette route, même si Papa râle souvent parce qu'il a peur quand on passe par là, mais c'est plus court. Mais ce jour-là, j'avais comme un sentiment de malaise, je n'étais pas vraiment bien, je me sentais observé. Je l'ai dit à Joanna, et elle aussi n'était pas très bien, mais on n'y a pas plus fait attention. »

La culpabilité vint s'écraser comme une masse sur Leonard à ces mots. Ses enfants l'avaient senti venir, il aurait pu les aider et lui avait été obnubilé par son travail ! Il se promit que jamais plus il ne laisserait un patient passer avant eux.

« Puis on a passé les limites de la ville. Et là... Une hovercar s'est arrêtée près de nous. Noire, aux vitres teintées. Je ne me suis pas méfié, c'est souvent qu'on nous demande le chemin par là-bas. Alors je n'ai rien fait. Je suis resté là, attendant qu'ils nous demandent la route. »

Les yeux de Jim s'emplirent de larmes et il passa la pointe de sa langue sur ses lèvres, une certaine culpabilité inscrite sur son visage. Lorsqu'il reprit la parole, sa voix était encore plus serrée.

« Ils sont descendus. Ils étaient trois, tous masqués. J'ai su qu'il y avait un Tellarite parce que le tissu n'arrivait pas à couvrir ses poils. Il m'a attrapé de ses horribles pattes, je me suis débattu, Joanna a voulu me rattraper, mais un autre l'a jetée par terre et a écrasé son genou avec son pied. J'ai hurlé, j'ai voulu la rejoindre, mais il m'a serré plus fort contre lui et a couvert ma bouche. Il m'a jeté sur le sol de l'hovercar et m'a recouvert la tête d'un sac. »

Jim s'arrêta dans son récit et tendit une main tremblante vers le verre d'eau. Leonard, voyant son trouble, le prit et le porta à ses lèvres. Le garçon le remercia d'un signe de tête quand il eut avalé l'eau et son père vit toute sa souffrance dans ses yeux. Il ne put retenir la boule présente dans sa gorge de tomber dans son estomac face à cette vision.

Cependant, il n'en dit rien et hocha simplement la tête, se repositionnant comme avant. Jim serra sa main plus fort et se mordit la lèvre avant de reprendre son histoire.

« On m'a mis un lien autour de la gorge pour que le sac ne bouge plus. Ils ont trop serré, je respirais mal. J'avais peur d'être dans le noir, j'avais peur de ce qui allait m'arriver, j'avais peur pour Joanna, pour Papa... Je voulais juste qu'on me laisse sur le bord de la route, que je puisse rentrer à la maison... Je leur ai dit... Je leur ai dit que je ne pouvais rien pour eux... Mais je les ai entendus rire, et j'ai eu l'impression d'être tombé en Enfer. »

Un sanglot échappa à Jim, il plongea son visage dans ses mains, sa respiration se coupa quelques secondes avant de reprendre à un rythme erratique et Leonard fit signe à Joshi de couper l'enregistrement.

Il lui avait demandé de ne pas intervenir, mais il ne laisserait pas la santé de son fils en danger.

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