Chapitre 11
« Tu es prêt à rentrer chez toi, tu crois ? »
Jim, assis dans le fauteuil roulant dans lequel il resterait encore un bon moment, délaissa le sac posé sur le lit qu'il remplissait des quelques affaires personnelles que son père lui tendait. Il posa son regard sur Neavi, qui le regardait faire depuis le fauteuil attitré de Leonard, son éternel sourire aux lèvres.
« J'en suis sûr ! Je sais que Papa a tout arrangé à la maison, et j'ai vraiment hâte de retrouver notre tanière ! »
Les deux adultes de la pièce rirent quelques instants, puis Leonard ébouriffa ses cheveux d'un geste tendre et affectueux. Il n'avait pas dit à Jim tout ce qu'il avait fait pour qu'il se sente à l'aise chez eux, mais son fils savait qu'il avait adapté l'agencement pour qu'il puisse se déplacer facilement et être autonome.
Et il n'y avait pas que la maison qui avait été modifiée. La veille, il avait fait un détour par le garage, où il avait demandé une adaptation de son hovercar afin de simplifier la vie de Jim. Ainsi, le siège passager avait été enlevé, des cales installées et une rampe ajoutée. Il pouvait maintenant monter seul dans la voiture, ou avec un minimum d'aide, et surtout, ne pas être bougé sans cesse entre le fauteuil roulant et le siège du véhicule.
Tout cela était gardé secrètement par Leonard et Neavi, qui avait été mise dans la confidence lorsqu'il avait dû lui demander de garder un œil sur Jim pendant qu'il était parti. La jeune femme lui avait offert l'expression la plus attendrie qu'il ait vue sur elle depuis qu'il la connaissait, et à cet instant, il s'était trouvé un peu papa poule à en faire autant pour son fils. Puis finalement, il avait réalisé qu'il se fichait de l'avis des autres, tant que Jim se sentait à l'aise, sans compter que le regard de Neavi n'était que bienveillance.
Lorsque l'ensemble des affaires de Jim furent rangées dans son sac, il tourna un regard implorant vers son père, qui, bien que connaissant très bien ce qu'il allait lui demander, lui fit signe de parler.
« On y va, Papa, s'il te plaît ? Je veux rentrer à la maison.
— On ne dit pas « je veux », Boy, on dit « j'aimerais », sourit-il.
— J'aimerais rentrer à la maison, s'il te plaît, Papa.
— C'est mieux, c'est bien mieux. Je te laisse dire au revoir à Neavi, alors. »
Le garçon offrit un grand sourire à son père puis fit pivoter son siège vers la jeune Bétazoïde, qui attendait patiemment, les bras ouverts vers lui. Il avança son fauteuil jusqu'à se tenir devant elle, et elle se mit à genoux pour le prendre contre elle. Elle fourragea quelques instants dans l'arrière de ses cheveux avant de se reculer, restant suffisamment proche de lui pour que leurs nez ne soient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre.
Elle ramena alors sa main sur sa joue, caressant la fine cicatrice sur sa pommette de son pouce, puis elle embrassa son front et reprit sa position. Les yeux de Jim étaient plongés dans ceux de Neavi, prêts à absorber tout ce qu'elle pourrait lui dire.
« Jim, tu es le garçon le plus fort que je connaisse. Tu peux tout surmonter, je le sais. Ce qui va arriver dans les prochaines semaines ne va pas être facile, mais ton père sera là, et tu sais que tu peux lui faire confiance pour t'aider et te protéger. Mais si un jour tu as besoin de parler à quelqu'un d'autre, j'ai entré mes coordonnées dans ton padd. Appelle-moi à n'importe quelle heure, si je ne peux pas te répondre, je te rappellerai, mais n'hésite surtout pas. Je suis là pour toi, Jim, je veux t'aider si tu en as besoin. »
Le regard de Jim s'embua quelque peu d'émotion, ainsi que celui de son père, juste face à lui. Il avait vraiment pris une bonne décision, ce jour-là, quand il avait demandé à son amie de l'assister. Il n'aurait pu rêver meilleure aide. Neavi sourit encore puis prit le garçon contre elle une seconde fois, et à l'allure détendue que son visage eut soudain, Leonard sut qu'elle lui avait transmis quelques-unes de ses ondes bienfaisantes.
Puis elle se recula, posa un baiser sur la joue de Jim dont les joues rosirent, et se releva enfin. Elle se tourna alors vers Leonard, qui essuya rapidement la larme qui s'était formée dans le coin de son œil. Son air le plus innocent ne suffit pas à masquer son état, et elle pointa un doigt accusateur vers lui.
« Et ça vaut aussi pour toi, sale teigne ! Tu m'appelles, tu ne me sors pas encore ton discours comme quoi tu ne veux pas me déranger ! Tu ne me déranges pas, peu importe ce que tu penses. Et tu me tiens au courant de l'avancée, je ne veux pas apprendre que ce petit génie est remis sur pattes par Joanna ! »
Il n'eut pas le temps de se sentir offensé par ce dont elle l'accusait, puisqu'elle l'attira dans une étreinte écrasante, à laquelle, surpris, il mit quelques secondes à répondre. Il perçut, du coin de son œil, le regard amusé de Jim, avant qu'elle ne mène sa tête sur son épaule.
« Ça va aller, Len', murmura-t-elle dans son oreille. Ne te laisse pas aller, tu n'es pas seul. Si ça ne va pas, demande de l'aide, ne laisse pas la situation se détériorer. »
Il hocha timidement la tête et elle le relâcha avec une petite tape à l'arrière de la tête.
« Filez, maintenant, je crois que vous avez beaucoup à rattraper. »
Les deux hommes se sourirent puis Leonard glissa la bandoulière du sac à son épaule et attrapa les poignées du fauteuil, le tournant vers la sortie. Après un dernier regard vers Neavi, qui n'avait pas bougé, ils sortirent de la pièce en direction du turbolift le plus proche. Après quelques secondes d'attente, celui-ci s'ouvrit, et Leonard installa le fauteuil pour qu'il ne puisse pas bouger durant la descente.
Lorsque la machinerie se mit en marche, il s'accroupit devant son fils et attrapa ses mains, les serrant juste assez pour que Jim fasse attention à lui sans lui faire mal.
« Boy, je veux que si à un moment, n'importe lequel, tu ressens la moindre douleur, le moindre inconfort, tu me le dises. C'est très important.
— Plus que d'habitude, tu veux dire ?
— Oui, bien sûr, parce que je sais que tu as mal en permanence. Et si quelque chose ne te plaît pas à la maison, si tu es dérangé par quelque chose, tu me le dis aussi. Ce qui compte le plus, c'est que tu te sentes bien.
— C'est promis, Papa, je te dirai tout. »
Satisfait de cette réponse, Leonard serra Jim contre lui brièvement, murmurant un minuscule « Je t'aime » à son oreille, puis se releva, forçant légèrement sur ses genoux protestataires. Un petit craquement se fit d'ailleurs entendre dans l'articulation, mais il l'ignora pour se concentrer sur son fils. Il était accoutumé à ce genre de choses sans grande importance, il n'y avait aucune autre urgence que celle de prendre soin du garçon pas encore tiré d'affaire qui le regardait.
Le turbolift finit par s'ouvrir sur l'accueil un peu trop actif à cette heure-ci, et Leonard vit Jim se tendre face au monde qui allait et venait. Il tourna la tête de quelques centimètres pour regarder son père, et, sans attendre qu'il ne parle, celui-ci l'emmena dans un couloir attenant, bien plus vide et calme. Là, il s'agenouilla à nouveau devant lui, caressant son visage pâle.
« Papa, il y a trop de monde, là-dedans, on va me reconnaître ! Je ne veux pas qu'on me voie comme ça, en plus après Starfleet saura tout, encore ! Papa, on ne peut pas passer par là !
— Boy, calme-toi, respire, tout va bien.
— Mais non, Papa ! C'est une catastrophe, on ne peut pas sortir !
— Jim, écoute-moi, d'accord ? Tout va bien se passer, parce qu'on va passer rapidement. En plus, Starfleet sait déjà, grâce à Christopher. Mais ne t'inquiète pas, je gère, tu sais que je ne laisserai plus rien t'arriver si je peux y faire quelque chose. Alors respire, et tu me dis quand tu es prêt à retourner là-bas. »
Jim hocha la tête puis prit une grande inspiration avant de la relâcher. Son père, sachant très bien ce qui pouvait l'aider, prit sa main et la posa sur son torse, juste au niveau de son cœur. Celui-ci avait un battement lent et régulier, et Jim, avec un peu d'aide, rattrapa bientôt ce rythme. Et après quelques respirations profondes supplémentaires, il hocha la tête.
« Je suis prêt, Papa. »
Leonard hocha la tête à son tour puis se releva et reprit sa place derrière le fauteuil, mains bien serrées sur les poignées. Et c'est ainsi qu'ils traversèrent l'accueil, sans plus qu'un rapide regard inattentif posé sur eux, et ils arrivèrent bientôt dehors. Leonard coula un regard sur l'endroit où il s'était trouvé quelques secondes avant de retrouver Jim battu et brisé, il y a si peu de temps. Il avait pourtant l'impression que c'était une éternité plus tôt.
Aujourd'hui, cet endroit n'était que le signe d'un passé tumultueux qu'il préférait oublier, alors il ne s'y attarda pas et reporta plutôt son regard sur Jim, qui respirait à pleins poumons l'air naturel d'Atlanta, s'enrichissant de toutes les senteurs qu'il comportait. Ses yeux étaient fermés, et son père savait qu'il écoutait chaque son, qu'il savourait la sensation du vent léger et du soleil sur sa peau laissée trop longtemps à l'abri.
Après quelques minutes ainsi, il releva la tête vers son père, lui offrant un magnifique sourire qui lui en arracha un à son tour.
« C'est tellement bon d'être dehors, Papa, ça faisait tellement longtemps...
— Je sais, Boy, profite autant que tu veux.
— ... Mais j'aimerais rentrer à la maison, Papa, vraiment. On peut y aller ?
— On y va, Boy, tu as encore plein de choses à découvrir. »
Jim fronça légèrement les sourcils puis haussa les épaules et laissa son père le guider jusqu'au parking où l'hovercar les attendait, parfaitement garée. Leonard s'arrêta près de la portière du côté passager, mit le frein au fauteuil, puis sortit la rampe du coffre sous le regard attentif de Jim. Il ouvrit ensuite la porte, installa la plaque métallique et se recula, laissant Jim voir ce qu'il lui avait préparé.
Le garçon, abasourdi, les yeux grands ouverts, avança jusqu'à pouvoir voir à l'intérieur, remarqua les cales, et reposa son regard embué sur son père.
« Papa, tu as fait tout ça pour moi... ?
— Je ferais tout pour toi, Boy, tout.
— Mais ton hovercar... Tu dis toujours qu'il ne faut pas y toucher...
— Je sais, mais tu en as besoin, alors je le fais. »
Face aux larmes qui se mirent soudain à dévaler les joues de Jim, Leonard ne put s'empêcher de se pencher à nouveau pour l'enlacer, refoulant lui-même l'humidité s'accumulant dans ses yeux.
« Je ferais tout pour toi... Absolument tout...
— Merci, Papa... Merci pour tout... Je t'aime tellement, je suis tellement heureux que tu sois venu me chercher là-bas...
— C'est l'une des meilleures actions que j'ai faites de ma vie... Pour rien au monde je ne reviendrais en arrière... Je t'aime, mon fils, je t'aime tellement... »
Tous deux restèrent longtemps ainsi, enlacés sur le parking bondé de l'hôpital central d'Atlanta, se satisfaisant de cette proximité si intime qui leur avait tant manquée. Puis, enfin, ils se détachèrent, Jim essuya les larmes de ses joues, et, un grand sourire aux lèvres et aidé de son père, monta la rampe et s'installa à sa désormais place attitrée, parfaitement calé. Leonard le ceintura par sécurité, et enfin, ils prirent la direction de leur maison.
Le trajet n'était pas bien long, mais Leonard le rendit plus long en prenant tout son temps afin de ne prendre aucun risque. On n'était jamais à l'abri d'un accident et il ne faisait pas encore totalement confiance au nouvel équipement de l'hovercar, il ne s'agissait pas de mettre Jim plus en danger que ce qu'il n'était déjà.
Jim, lui, était parfaitement silencieux. Presque mal à l'aise, si son regard hésitant était une quelconque indication sur son état d'esprit. Il observait le paysage autour de lui, le dos droit, les mains nettement posées sur ses genoux. Rigide, il ne menait jamais ses yeux jusqu'à son père. « Étrange comportement », pensait celui-ci, après toutes les marques d'affection qu'il lui avait offertes. Mais il savait Jim dans un état mental encore instable, et il choisit de ne pas le prendre pour lui.
Cependant, ils finirent par passer les limites d'Atlanta, et surtout l'endroit où Jim s'était fait enlever. Leonard, déjà dérangé à chaque fois qu'il passait ici, se sentit encore plus mal. Une vive nausée le prit à la gorge, et ce ne fut que le glapissement de Jim près de lui qui calma la protestation de son estomac. Le regard fixé sur l'extérieur, son fils semblait plus que tourmenté, ce qui, dans le fond, n'avait rien de bien étonnant.
Alors Leonard, ne voulant surtout pas prolonger cette épreuve, mit un coup d'accélérateur, et, sans pour autant les mettre en danger, fila en direction de leur maison. Il n'hésita pas une seconde lorsqu'il se gara dans l'allée, et bien vite, la porte passager de l'hovercar fut ouverte, la rampe installée et le fauteuil désengagé de ses cales. Mais Jim ne bougea pas. Le visage plongé dans ses mains, il semblait se retenir de toutes ses forces de hurler.
Son père prit donc la décision de le sortir lui-même. Il ne voulait pas qu'un voisin ne les remarque, ne vienne les voir, ne prenne pitié, ils n'avaient pas besoin de ça. Alors il descendit le siège, remit tout en place et poussa Jim jusqu'à l'intérieur.
Il fut une nouvelle fois accueilli par l'agencement modifié du salon, et il ne put retenir un petit soupir de lassitude et de déception. Il s'était attendu à la même réaction de la part de Jim que lorsqu'il lui avait montré les modifications de l'hovercar, à ce même regard pétillant, il le voulait, parce que c'était le signe qu'il restait au moins un peu de joie en Jim. Mais il allait devoir attendre, parce que la priorité était de réconforter son fils et de l'aider à passer au-dessus de ce qu'il venait de voir.
Il poussa alors le fauteuil jusqu'au milieu du salon, où il put s'accroupir devant Jim, ôtant gentiment les mains de son visage. Le garçon n'eut aucune résistance, et son père put enfin voir les émotions inscrites sur lui. Peur, terreur même, déception, culpabilité. Sa peau était pâle, ses yeux rouges, et Leonard savait qu'il se retenait de laisser échapper les larmes qui menaçaient de tomber à tout moment. Mais on ne pouvait rien contre la gravité, et une goutte finit par tracer son chemin sur sa joue. Leonard passa son pouce sur la peau lisse avec une grande tendresse, chassant la larme traîtresse.
« Je suis désolé, Boy.
— Il n'y a pas d'autre route, Papa, c'est normal... »
Malgré ses mots de résilience, sa voix suintait de souffrance, et son père l'attira contre lui, faisant reposer sa tête sur son épaule. Il passa une main tendre dans son dos, évitant la brûlure qui résistait à tous les traitements, et les muscles de Jim se détendirent lentement.
« Tu n'as pas à être désolé, Papa, affirma-t-il en se redressant. De rien, je veux dire. Tu n'es pas responsable, peu importe ce que tu en penses. Même si tu étais venu nous chercher au collège, il aurait trouvé un autre moyen de m'atteindre. Ce n'est pas un de ces cas où la personne est au mauvais endroit au mauvais moment, c'était moi qu'il voulait. Il m'aurait forcément trouvé. »
Le regard si bleu de Jim était tendre lorsqu'il le posa sur son père, et il lui offrit un sourire fatigué, une main encore bandée posée sur sa joue.
« Je t'aime, Papa, et je sais que tu t'en veux, mais tu ne dois pas. Si je suis en vie et ici aujourd'hui, c'est grâce à toi, même si Joanna et Neavi ont eu leur rôle à jouer. Mais tu m'aurais trouvé, je le sais. Et je déteste voir toute cette culpabilité dans tes yeux. »
Leonard eut un fin sourire amusé et il prit la main de Jim dans la sienne, caressant sa paume du bout du pouce.
« C'est à moi de faire ces discours-là, Boy. Mais merci de me dire tout cela, même si ça ne pourra pas effacer toute ma culpabilité. Mais tout ce qui compte, c'est toi, parce que moi, je déteste voir tout ce que je vois dans tes yeux, aucune des émotions que tu ressens n'a sa place chez toi. Tu es un garçon solaire, tu es fait pour avoir les yeux brillants et un grand sourire aux lèvres. Tout ce que je vois en ce moment, c'est un garçon bien plus vieux, empli de toutes sortes de souffrance, et même si tu es toujours mon fils et que tu le seras toujours, ce n'est pas cela que je veux voir sur toi. »
Il passa une main dans les cheveux de Jim, repoussant quelques mèches en arrière, appréciant leur texture familière, et le garçon soupira autant d'aise que de lassitude.
« Je sais, Papa, je vais tout faire pour redevenir celui que j'étais avant.
— Boy, je ne veux pas que tu redeviennes comme avant, parce que ça voudrait dire supprimer tout cela, et je ne le veux pas. Ça fait partie de toi, il faut simplement que tu l'intègres. Tu ne dois pas te laisser briser, tu dois en faire une force.
— Tu m'aideras ?
— Bien sûr que je t'aiderai, Boy, je ne vais pas te lâcher. »
Le sourire fin qu'offrit Jim était communicateur, et Leonard ne put s'empêcher de lui retourner. Il se redressa alors pour embrasser son front, puis se repositionna comme précédemment, grognant face à la protestation de ses genoux.
« Tu as l'air fatigué, Jim, tu veux aller dormir un peu ?
— Tu en as autant besoin que moi, Papa, sourit-il. J'ai bien entendu tes articulations, toute la journée, depuis quand n'as-tu pas eu de vraie nuit ?
— On se fiche de ça, c'est toi qui comptes.
— Je dors si tu dors. Deal ?
— Deal. »
Père et fils se tapèrent dans la main doucement, et Jim osa enfin un regard autour de lui.
« Mais d'abord, je vois que ça a beaucoup changé ici, j'aimerais bien en voir plus. »
Leonard sourit et se redressa, ébouriffant les cheveux de Jim au passage. Il tourna alors le fauteuil pour que le garçon voie tout le salon, et il émit un petit sifflement appréciateur.
« Est-ce que tu as tout agencé pour que je puisse passer partout avec le fauteuil ? demanda-t-il, les yeux pétillants.
— Toute la maison. Même ma chambre et celle de Jo'.
— Tu es le meilleur, Papa, mais tu sais, je ne peux pas aller à l'étage. »
Sans qu'aucune réponse ne soit donnée, le fauteuil pivota à nouveau, et Jim vit la plateforme sur le bord de l'escalier. Il tourna alors la tête vers son père, un large sourire aux lèvres.
« Vraiment ? s'enquit-il d'une voix enthousiaste. Juste pour moi ?
— Vraiment, Boy. Je ne pouvais pas mettre un ascenseur, alors je me suis dit que ça serait une bonne alternative. T'as juste à monter le fauteuil dessus, il prendra l'information une fois que tu seras calé, et il t'emmènera à l'étage.
— Mais c'est énorme, Papa, ça a dû te coûter une fortune !
— Ça, je le réserve à mon jugement. Je te l'ai dit, tu as besoin, je le fais.
— Merci, alors, même si je persiste à dire qu'il n'y avait pas besoin d'autant. »
Leonard échappa un rire léger face à la réaction prévisible de Jim. Il détestait qu'on lui offre quoi que ce soit, il voulait toujours que tout vienne de lui. C'était quelque chose que son père admirait chez lui, cette capacité à refuser des faveurs. Mais il le faisait pour son confort, et il refusait les plaintes de Jim. C'était le moins qu'il puisse faire.
« Il n'est pas installé, mais il y a aussi un adaptateur à la table de la salle à manger, pour que tu puisses être à hauteur normale, et tu peux aussi le mettre dans la cuisine si tu veux faire à manger.
— Merci, Papa, c'est merveilleux... déclara Jim d'une voix incrédule. Tu as pensé à tout...
— Je l'espère, du moins. »
Sur ce, il guida le fauteuil jusqu'au mécanisme de l'escalier. Il montra par la même occasion le fonctionnement à Jim, puis la plaque se mit à bouger, faisant sursauter le fils et ricaner le père. Ce son élicita un sourire chez le garçon, puis enfin, Leonard commença lui aussi à monter les escaliers. Le temps qu'il arrive en haut, Jim avait déjà sorti le fauteuil de ses cales et était en train de descendre de la plateforme. Son père le laissa faire, bien conscient qu'il avait besoin de son indépendance.
Puis il ouvrit la première porte, la salle de bain, où tout avait été adapté.
« Tu vois, Boy, ce système est le même que celui de la cuisine, indiqua Leonard en pointant une plateforme accompagnée d'une rampe près de la vasque. Et tu peux rentrer dans la douche seul, aussi. J'ai aussi changé le rangement, toutes tes affaires sont dans les étagères du bas. »
Jim coula sur lui un regard reconnaissant, un fin sourire aux lèvres, et il hocha la tête, contemplant tout ce que son père avait fait pour lui. Puis Leonard sortit, vite suivi par Jim, et il le mena dans sa propre chambre, ouvrant la porte devant lui et accourant pour ouvrir les volets. La lumière encore douce du soleil vint s'échouer sur le meuble du grand-père de Leonard, et les yeux de Jim s'ouvrirent en grand face aux changements que sa chambre avait subis.
« Tu n'aimes pas ? demanda Leonard, un peu inquiet face à son expression.
— Tu plaisantes, Papa ? C'est super ! »
Il avança dans la pièce, passant sa main sur le bois lisse et ciré de son meuble fétiche, puis sur les draps de son lit parfaitement tirés, et releva son regard vers son père.
« Si ça ne te plaît pas, on pourra changer un peu. J'ai mis le tapis dans le coin pour ne pas gêner ton fauteuil, mais on pourra le bouger encore.
— Papa, c'est formidable. Vraiment. Tout est parfait pour que je ne puisse pas être gêné. Et tu as pensé à tout ranger comme j'aime.
— J'ai aussi déplacé tes vêtements, je les ai mis dans la commode, et j'ai mis tes cours dans l'armoire. Il n'y a que tes affaires de dessin qui sont restés dans la commode.
— C'est parfait, juste parfait. Par contre, Papa, où est ma peluche lapin ? Je ne la vois pas avec les autres.
— Hum, ça, c'est Jo' qui l'a. Elle voulait l'avoir près d'elle, ça la rassurait. Je lui demanderai de te la rendre.
— Non, laisse-lui, c'est très bien ! Je la comprends, c'est normal. »
Jim sourit à son père, Leonard hocha la tête, puis ils sortirent de la pièce pour entrer dans la chambre de Joanna.
« Bon, ici, je n'ai pas changé grand-chose, j'ai juste bougé le tapis et le lit pour que tu puisses passer.
— En même temps, on ne va pas trop en demander à Jo', c'est sa chambre, quand même. Et si elle veut remettre comme avant, ça ne me dérange pas.
— Je lui ai demandé avant de le faire, elle m'a dit de tout faire pour que tu sois bien, et qu'un peu de changement ne faisait pas de mal.
— Je la remercierai, alors, » sourit-il en sortant à nouveau de la chambre.
La dernière pièce était la chambre de Leonard, qui elle, avait subi de gros changements. Le lit, auparavant collé au mur, était désormais au milieu de la pièce. La commode avait été déplacée pour laisser de l'espace autour du lit, le tapis avait été enlevé, le bureau complètement poussé dans un recoin, et le siège qui l'accompagnait n'était plus là, comme dans la chambre de Jim. Il n'y avait rien qui ne puisse gêner le passage du fauteuil.
« Tu n'avais pas à faire tout ça, Papa.
— C'est important pour moi.
— Papa, je ne vais pas vivre dans ta chambre, tu aurais pu la laisser comme avant.
— Mais comme ça, si tu veux venir, tu peux.
— Je ne vais pas prendre ton bureau, Papa, tu n'avais pas à enlever ton siège.
— On ne sait jamais. Je préfère que tout soit prêt.
— C'est adorable, Papa, mais ça me gêne...
— Tu n'as pas à être gêné. Tout ça, toutes ces adaptations, ce n'est que normal.
— Merci, Papa, pour tout. »
Leonard sourit et attira son fils contre lui. Jim embrassa la joue de son père puis celui-ci se retira, se tenant devant lui.
« Je suis désolé, je n'ai rien changé dans les toilettes, je ne pouvais rien faire, alors je devrai t'accompagner...
— Papa, sourit Jim d'un ton à la limite de l'exaspération, tout ça, c'est déjà trop, il n'y a rien de plus à changer. Et puis, tu es médecin, ça ne me dérange pas. Ne culpabilise pas pour des choses qui n'ont pas lieu d'être.
— Merci, Boy, » soupira son père, presque soulagé.
Jim fit un court hochement de tête puis fit pivoter le fauteuil vers le lit, souriant déjà à l'idée de ce qu'il comptait faire.
« On dort ensemble dans ton lit, Papa ? Comme avant ?
— Avec plaisir, Boy. J'en rêvais. »
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Deux heures plus tard, Leonard ouvrit lentement les yeux sur le visage détendu de Jim. C'était une expression qu'il aimait chez lui, mais il craignait le jour où les derniers évènements le rattraperaient. Parce qu'à ce moment-là, Jim serait envahi de souvenirs plus terribles les uns que les autres, qui ne manqueraient pas de gâcher ses jours et ses nuits. Mais il préférait ne pas y penser pour l'instant, se repentir dans cette douceur et ce calme qui émanaient de la forme immobile de Jim.
Choisissant de le laisser se reposer encore un peu, Leonard se leva, ôtant à regret sa main de son bras nu, et enfila son pantalon traînant sur sa commode. Ses yeux tombèrent sur la pile nette et parfaitement pliée des vêtements de Jim, qu'il avait posée sur le bord du meuble, aligné avec l'angle du plateau métallique. Cette vision l'amusa. Au moins, Jim n'avait pas perdu son sens de l'ordre, ce trait qui le définissait tant.
Après un dernier regard coulé sur Jim, qui n'avait pas bougé, parfaitement calé entre les deux traversins qu'il avait demandés afin de ne pas risquer de se faire mal, Leonard sortit à pas de loup de la pièce. Il laissa la porte entrouverte pour entendre tout ce qu'il pourrait se passer à l'étage et descendit au salon. Il pensa alors au sac qui avait été abandonné dans le coffre de l'hovercar, et sortit pour aller le chercher.
L'air était bien plus chaud que la dernière fois qu'il s'était trouvé dehors, et il étouffa une courte plainte en avançant vers son véhicule. Il ouvrit alors le coffre, récupéra ce qu'il était venu chercher et retourna dans la maison. Là, il ferma les volets du rez-de-chaussée jusqu'à la moitié des vitres, permettant à la lumière de rentrer sans trop chauffer les pièces. Puis il prit le sac et entreprit de ranger chaque item à sa place.
À force de vivre auprès de Jim, il avait lui-même pris l'habitude de tout ranger à une place exacte, et voir la maison reprendre son allure habituelle lui plaisait, ça lui donnait une impression de normalité. Il ne faisait aussi aucun doute qu'à son réveil, Jim aimerait voir la maison comme il avait l'habitude de la voir, lui-même retrouverait sa place bien plus facilement.
Quand il fut satisfait de la place de chaque objet, il entreprit de faire un peu de ménage, toujours dans le plus grand silence. Après avoir autant délaissé la maison et son état, il ne voulait pas passer la moindre lampe à ultraviolets sur les surfaces de la maison par peur de ce qu'il pourrait y trouver. Alors il s'employa à tout nettoyer, et quand l'odeur de désinfectant fut plus forte que n'importe quelle autre odeur dans la maison, il s'autorisa une pause bien méritée.
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