Chapitre 3

Noyée au milieu du bruit, dans l'odeur ambiante de sueur qui règne, étouffée parmi des dizaines d'inconnus, je danse.
En arrivant, je me suis sentie pleine d'adrénaline, boostée par l'alcool et par mes heures d'inactivité à rattraper. Le temps de quelques heures, je me sens vivante.

Regards complices avec Carmen ou les autres, qui m'ont amené ici.
Bousculades, face à face avec des inconnus, le temps d'un morceau.

Techno hardcore à refrains bien connus, tout le monde s'assomme littéralement au rythme de la musique.

Pas de répit, seulement danser et gueuler jusqu'à épuisement.

Après quatre shots de whisky bu (presque) cul sec, je commence à ressentir les effets secondaires de l'alcool. J'ai l'impression que ma tête bourdonne, mais comment s'arrêter en si bon chemin ?
Pour la première fois, je ne pense plus à ce qui s'est passé il y a six mois. Alors, autant en profiter, avant que mes torts et mes souvenirs reviennent demain, me hanter, m'harceler jusqu'à ce que je ne puisse plus me relever.

Je me rapproche du bar en jouant des coudes, cherchant du coin de l'œil mes joyeux compagnons qui m'ont amenée ici.
La dernière fois que j'ai vu Carmen, elle dansait comme une folle aux côtés de Leonardo. Marie et Ludivine étaient assises dans un coin, des cocktails sans alcool dans les mains. J'ai vu partir Ludo avec le serveur mignon en direction des toilettes en gloussant.
Quant à Arsène, il semble avoir disparu sans laisser de traces.

Je hausse les épaules. Je les retrouverais bien à un moment ou un autre, et puis si besoin, je rentrerais à pied !
Je commande d'une voix rauque un verre de spritz, m'affale sur un tabouret et siffle la boisson en une minutes. Quelques secondes plus tard, je me retrouve à boire un cinquième, puis un sixième verre.

Alors que j'allais en prendre un de plus, ignorant la petite voix qui me murmurait que je risquais de ne pas assumer le réveil, je sens une main se poser sur mon dos.
Je me retourne et découvre un Italien qui commence à me parler avec un sourire charmeur. Je lui réponds avec quelques rudiments, puis il m'entraîne vers la piste.
Après quelques danses, je ne sens plus mes pieds, et j'ai comme la légère impression de voir double.

Mon charmant Italien m'offre un verre, encore un autre... Puis il me prend par la taille et m'emmène vers la sortie. Je n'offre aucune résistance, heureuse de pouvoir respirer un peu d'air frais. De toute façon, je ne contrôle quasiment plus mes gestes, et la partie de mon cerveau qui d'habitude me freine dans les décisions qui auraient pu être dangereuse a l'air d'être K.O.

Mais j'ai juste le temps d'apercevoir un carré de ciel étoilé, avant qu'un corps s'interpose entre nous et la porte.

«- Arsène ?! Mais qu'est ce que tu fous, là ?»
Je demande, la voix pâteuse.

«- Je te sauve, crie ce dernier.»

Lui aussi a dû boire pas mal d'alcool, on dirait. Je lui fais un petit sourire, mais mon Italien est moins compréhensif. Il commencent tout les deux à se gueuler dessus, tandis que je reste là, incompréhensive.
Soudain, le mec essaie de reprendre mon bras et de forcer le passage, mais Arsène lâche une bordée de jurons, et bloque le passage avant d'envoyer son poing dans la figure de mon compagnon. Ce dernier s'écroule sans aucune autre forme de procès, la figure ensanglantée.
Je proteste tant bien que mal, pendant qu'Arsène me fait sortir.

«- Putain, qu'est ce qui se passe, là ?»

Le garçon ne me réponds pas, mais il m'entraîne vers la jetée du port de la ville.
Il doit être tard, ou tôt le matin, par ce qu'il n'y a personne dans les rues.
Quelques minutes plus tard, on arrive sur la petite plage.
Arsène se laisse tomber sur le sable et ferme les yeux. Je fronce les sourcils et lui demande à nouveau, un peu plus lucide cette fois :
«- Pourquoi tu m'as amenée ici ? Et ce pauvre type, tu l'as complètement défoncé...»
«- Ce pauvre type ? Andrea, t'as rien appris ou quoi ? Ce gars aurait pu...enfin merde, quoi ! Il t'as fais boire de l'alcool, non ? Évidemment, c'est plus simple, de devenir une proie avec de l'alcool en haute quantité... Il faut faire gaffe, il y a des types vraiment louches dans ces lieux. L'an dernier, Carmen a bien failli y passer, mais Leo est arrivé avant qu'il ne puisse lui faire du mal... »
«- Mais...»
«- Alors que je discutais avec un mec du coin, je t'ai vu discuter avec ce gars. Mon pote t'as vue aussi, et m'a expliqué que ce garçon était bien connu, et a trempé dans pas mal d'affaires louches. Il m'a conseillé de te sortir de là, avant que tu ne tombes dans ses filets.»

Je commence peu à peu à comprendre ce à quoi j'ai échappé.
«- Merde...Merci.»

Il me fait un sourire fugace.
«- De rien. Fais plus attention, à l'avenir. Moi aussi, j'aime boire, mais je fais gaffe et je tiens bien.»

«- Ouais. T'as raison.»

On reste là, à regarder les étoiles, à écouter le bruit des vagues. J'ai un mal de crâne lancinant, mais j'essaie de ne pas y penser. Le souffle d'Arsène me caresse la nuque, et la lune nous observe silencieusement. Je ne peux pas ignorer notre proximité, je sens une chaleur monter dans mon corps, que je repousse de toutes mes forces.

Soudain, brisant le moment, le téléphone d'Arsène se met à sonner. Il décroche, la voix calme et posée :

«- Allô ? Marie ?»

«-...»
«- Ah merde.»
«- ...»
«- C'est bon, elle est avec moi.»
«- ...»
«- Je t'expliquerais.»
«- ...»
«- Ok. On arrive !»

Arsène tourne la tête vers moi.

«- C'était Marie. Apparemment, Carmen s'est complètement mise minable, Ludivine s'est fait sa première cuite. Ludo s'est barré avec le serveur chez ce dernier. Ils ont besoin de nous pour s'occuper et conduire la voiture, par ce que Leonardo s'est cogné la tête et ne peux pas conduire, et Marie n'aime pas conduire de nuit.»
«- Ok. Allons-y, alors.»

On marche jusqu'au parking où est garé le beau cabriolet des années 60 de Leonardo, dans laquelle il nous a emmené à l'aller. C'est son petit bijou, et d'après les autres, il en prend soin comme la prunelle de ses yeux.

En arrivant, force est de constater que Marie n'a pas menti : Carmen rigole toute seule comme une folle, Ludivine est appuyée sur elle et hoquette de rire. Leonardo est appuyé sur la voiture, la mine sombre, et Marie essaye tant bien que mal de calmer ses amies. En nous voyant débarquer, elle pousse un soupir soulagé et vient à notre rencontre.

«- Vous étiez où ?»
«- Sur la plage, répond Arsène évasivement. Andrea était un peu fatiguée et a bien bu aussi, alors on est sortis dix minutes respirer un peu. Mais, eux, qu'est ce qui leur est arrivé ?»

«- Eh bien... Ils ont littéralement perdu le contrôle d'eux même. Carmen était avec Leonardo, et elle s'est saoulée à la bière. Quand il a voulu l'aider, il s'est tapé la tête contre un mur, je sais pas trop comment. Quant à Ludivine... eh bien, au début, on était toutes les deux, et puis à un moment, j'ai été aux toilettes. Quand je suis revenue, je ne la trouvais plus. En fait, elle discutait avec une fille et elles ont bu plus que raison. Évidemment, Ludi n'avait jamais bu de sa vie, tout comme moi, alors elle ne se doutait pas... Et son frère... Il y a une heure, il est venu nous voir pour dire qu'il allait dormir chez Angelo, son nouveau petit copain. J'ai essayé de l'appeler, mais il ne répondait pas...»
«- Tu m'étonnes... Je pense qu'il était un peu occupé.»
Arsène esquisse un léger sourire.

«- Oh... Ouais, t'as raison. Enfin bref, j'ai failli paniquer quand je ne vous ai pas trouvés, toi et Andrea.»
Elle se tourne vers moi.
«- D'ailleurs, ça a été pour toi, ce soir ?»

«- Euh, ouais ouais.»

Même si l'air a pu m'éclaircir les idées, je me sens mal et je sens que je vais passer le restant de la nuit avec mon mal de tête. Heureusement, je ne risque pas trop de vomir, par ce que tout comme Arsène, je tiens bien l'alcool. Mais huit verres, c'est quand même beaucoup, donc j'ai intérêt à bien boire si je ne veux pas me taper des allers-retours entre mon lit et les chiottes.

En parlant de lit...
«- Merde, je jure à voix basse.»
«- Qu'est ce qu'il y a ? me demande Arsène. »
«- Il est quelle heure, là ?»
«- Deux heures du matin et quelques.»

«- Je viens de réaliser que mon hôtel ne va pas pouvoir me laisser rentrer, là.»

Marie sourit.
«- Pas de soucis, vient dormir chez nous ! On est dans la villa des parents de Leonardo, à nous sept. Vue sur mer, la plage à cent mètres, et surtout aucun parent !»
«- Heu... je veux bien oui. Si ça ne dérange pas et...»

Arsène coupe court à mes protestations.
«- Bah, pas de soucis, plus on est de fous, plus ris, pas vrai les filles ?»
Dit il en s'adressant à Carmen et à Ludivine.

«- Ouais, gueule la brune.»

Il rit, tandis que Leonardo hoche la tête.

«- Allez, en route ! Andrea, tu monte sur le siège passager ?»
«- Eh, c'est ma bagnole !»
Proteste son ami à mi-voix.
«- Oui, mais les dames d'abord, mon vieux !»
«- Ok, ok. Pour cette fois, il ajoute en me souriant.»

«- Super, merci Leonardo ! Mais je préfère laisser la place à Marie. C'est elle qui s'est occupée de tout le monde et en plus, elle est restée sobre.»

Cette dernière me lance un regard chargé de gratitude, et s'écroule sur le siège passager.

On charge tant bien que mal Carmen et Ludivine, puis la voiture démarre en un crissement de pneus.
«- Doucement, Arsène, rappelle Marie. Dois-je te rappeler que toi aussi tu as bu plus que raison ?»

Il fait une mine boudeuse.
«- D'accord, maman !»

Mais malgré l'avertissement, il y reste sourd et enchaîne les drifts et les virages serrés à toute allure sur la petite route de bord de mer. Je m'accroche tant bien que mal à mon siège, ou plutôt à la portière sur laquelle je suis assise, et ce pendant la dizaine de minutes que dure le trajet.

L'environnement est paisible, seulement troublé par le bruit du moteur de voiture et par les cris des filles. Les grillons se font un festival de musique, donnant au bord de mer que l'on longe une ambiance de films des années 60.

Mais malgré cette quiétude apparente, je dois serrer les dents pour chasser l'inquiétude qui m'étouffe dans cette course de voiture effrénée.
Je ne dois pas y penser...
Surtout pas...


On finit par arriver devant un petit chemin pour accéder en haut de la colline. Arsène enclenche une vitesse, et la voiture gravit sans difficulté le raidillon. Il se gare devant une énorme villa, tout en verre et en métal.

Ébahie, je contemple la bâtisse.
«- Jolie baraque, hein ?»
Me dit le garçon, l'air narquois.
«- Ouais, c'est le cas de le dire.»'

«- Elle est aux parents de Leo. Ils vivent en France, maintenant, mais c'est une de leur résidences.» Ils nous ont proposé d'y passé l'été.»
«- Cool. Vous devez vraiment vous éclater.»
«- Carrément. C'est clair que c'est les plus belles vacances de ma vie.»

«- Hé ! Crie Marie. Aidez-moi à faire descendre les autres bourrées, là !»

On s'approche. Leonardo tient fermement Carmen par le bras. J'attrape Ludivine par un bras, Marie par l'autre et Arsène va ouvrir la porte.

Je cligne des yeux pour essayer de rester éveillée, et cela ne loupe pas quand je découvre l'entrée de la maison: c'est une petite pièce donnant directement sur l'immense salon-cuisine avec baie vitrée, donnant sur une terrasse avec piscine et vue sur la mer, avec un immense champ au-delà.
La cuisine est équipée d'un îlot avec les équipements dernier cri, et le salon d'un énorme écran plasma gigantesque, et de grands fauteuils et canapés.

La maison est toute de plein pied.

Marie prend la parole.
«- Ok, Andrea, tu peux m'aider à ramener Ludivine dans sa chambre, s'îl te plaît ? Leo, occupe toi de ta chérie. Arsène, occupe toi de nous préparer des grands verres d'eau, plus un ou deux sandwichs, je crève la dalle.»
«- D'ac', blondinette !»
Répond gaiement Arsène.

On s'avance dans le grand couloir, Ludivine désormais quasiment évanouie entre nos bras.
«- Alors, m'explique Marie. Ludivine dors dans la deuxième chambre.»

On rentre dans la pièce sans allumer la lumière, pour déposer son amie dans lit. Je me charge d'enlever ses chaussures, pendant que Marie lui fait boire un verre d'eau apporté par Arsène.

«- Heureusement que tu es là, Andrea. Ça m'est arrivé une fois de tous devoir les ramener avec Ludi, même Arsène. À chaque fois, c'est la même chose, je me retrouve à les ramasser à la petite cuillère. Mais bon, c'est mes amis. Je les adore tous, même si ils ont le don de revenir dans un état désastreux des soirées !»
«- Tu m'étonnes. Je bois beaucoup, et ça m'est souvent arrivé, l'année dernière. Je me rappelle que ma meilleure amie, qui ne buvait pas, devait s'occuper de moi et...»

Je ravale mes paroles l'estomac noué.
«- Tout va bien ?»
S'inquiète la jeune femme.
«- Ouais, bien sûr.»

Je baisse la tête, pendant qu'on sort de la chambre.

« Attends, pendant qu'on y est, je te montre le reste de la villa.»
«- Carmen et Leo dorment ensemble dans cette chambre. Ludi est ici, et moi là. Là, il y a son frère, et Arsène dort dans la dernière chambre à gauche.»

On débouche dans le salon.
«- Par contre, je sais pas où tu vas pouvoir dormir. Peut-être dans le lit de Ludo, comme il n'est pas là, ce soir. Il y a le canapé, sinon.»
«- Drea, si tu veux, j'ai un grand lit double, je peux le partager !»
Lance Arsène effrontément.
«- Oh, tu me dégoûtes, Arsène. Quel goujat !»
Râle Marie.

Je retiens un petit sourire. Je suppose que je n'aurais pas dû imaginer accepter une seule seconde, mais je ne peux pas m'en empêcher. Ce mec est un cliché vivant de la star de cinéma, à la foi sexy et mystérieux.
Je dois me concentrer de toutes mes forces pour ne pas laisser mes fantasmes envahir mon esprit.

«- Sinon, je peux te laisser mon lit, si tu veux ?»
Propose la blonde.
«- Non, non pas de soucis, je vais dormir dans le salon.»
«- Ok, super. Les toilettes sont au fond à droite, et si tu veux te prendre une douche, c'est la porte d'à côté. Personne ne l'utilise, vu que normalement il n'y en a une par chambre.»

Elle s'affale sur un fauteuil.
«- Alors, il vient, ce sandwich, Arsène ?!»
«- Il court, il court !»
Il pose rapidement trois assiettes de focacce (Un genre de pain/galette italien) au jambon.
Je croque dedans à pleine dents, réveillant instantanément mon mal de tête.

«- Tu as mal à la tête, Andrea ?»
Devine Marie.
«- Un peu, oui.»
«- Vu les verres que tu t'es enfilé, tu dois avoir un marteau qui te frappe le crâne.»
Se moque Arsène.
«- T'as pas mal, toi ?»
«- Si.»
«- Bon, ben je vous ramène deux aspirines, alors, soupire son amie.»

Elle revient avec deux verres, qu'on vide simultanément.
«- Où est Leo ?»
«- Parti se coucher avec Carmen, je crois.»
«- Le pauvre. Il va se coltiner son haleine de bière toute la nuit.»

Ils éclatent de rire.
«- Ça fait combien de temps qu'il sont ensemble ?»
Je demande, histoire d'entretenir la conversation.
«- Ça doit faire deux ans.»
«- Ah ouais ? Ça veut dire que vous vous connaissez tous depuis longtemps ?»
«- Hum... réfléchit Arsène. Je suis meilleur pote avec Leo depuis la primaire, quand il est arrivé en France avec ses parents, qui ont déménagé pour leur travail. Ils gèrent une grosse chaîne d'hôtels, je crois. On a rencontré les autres au lycée, en seconde. Carmen était amie avec Marie et Ludivine. Ludo, comme c'est son jumeau, s'est lié d'amitié avec nous. Au fur et à mesure, on est tous vraiment devenus amis, et c'est la première fois qu'on part en vacances ensemble. On habite tous dans les Hautes-Alpes, à Briançon.»

«- Et toi, Andrea ? Tu viens d'où ? Qu'est ce que tu fais là ?»
«- Oh... J'habite en Savoie. Je suis en vacances jusqu'à la semaine prochaine ici, toute seule.»
Je n'ose pas en dire plus. Chaque question me ramène au passé, et je ne veux plus y penser.

«- Bon, ben, on va peut-être se couche, non ? Je suis crevée, annonce Marie en bâillant.»
Elle se lève du canapé.
«- Bonne nuit !»
«- Bonne nuit Andrea.»

Ne reste plus que moi et Arsène.
«- C'est cool que tu reste un peu avec nous, me murmure-il.»
«- Oui. Vous en avez, de la chance... j'aurais aimé faire pareil avec mes amis.»
«- Tu... aurais aimé

Je secoue la tête.
«- Je ne préfère pas en parler.»
«- Ok. Je comprends. Bonne, nuit, Andrea, dit Arsène d'une voix douce.»
«- Bonne nuit.»

Il s'éloigne, mais je l'interpelle une dernière fois.
«- Et... Arsène?»

«- Oui ?»

«- Merci encore. Pour tout.»

«- Mais de rien, Andrea. Ce fut un plaisir de rencontrer une demoiselle telle que toi !»

Il me sourit, avec cet air mystérieux et doux à la fois, puis s'en va. A ce rythme là, je ne suis pas sûre d'esquiver sa proposition très longtemps...



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