Souvenirs, souvenirs
C'est sur le canapé du salon que Renesmée me fit découvrir son don. Dans mon esprit, les souvenirs qu'elle faisait défiler étaient comme une mauvaise et vieille pellicule. Je revis de nouveau ma transformation, en spectatrice cette fois, et je m'en rappelai aussi...comment oublier?
Au début il n'y avait de place que pour la douleur, atroce, intolérable, infinie. Ce n'était pas les adjectifs qui manquaient, et ils étaient tous incroyablement en dessous de la vérité. Je ne distinguais rien. Je ne savais pas si j'avais les yeux ouverts ou clos. Je voyais rouge : rouge comme les flammes qui me dévoraient les tripes.
- JE VEUX MOURIR! avais-je crié une énième fois.
- QU'ON LA TUE! avait Beuglé Rosalie pour me répondre.
Et puis – après ce qui me sembla être une éternité- le changement survint enfin. Mon cœur bondit vers le haut, me souleva dans son entrain, hésita sur son dernier battement et s'arrêta sec. Et ce fut comme s'il n'y eut jamais de douleur, comme si mon corps n'avait jamais connu les flammes. Ma bouche resta légèrement entrouverte, mais aucun cri n'en sortait plus.
- Ça y est! avait claironné la voix enthousiaste d’Alice, comme si ma transformation n’était qu’une simple formalité dont elle s’était enfin débarrassée.
- Dieu soit loué. J'ai cru devenir sourd ! J'ai cru devenir fou ! Cette fille doit avoir de drôle de fréquentation, elle connaît des jurons qui m'auraient fait rougir de honte si j'en étais encore capable! avait soufflé Emmet, visiblement soulagé, lui aussi.
J’avais soif et le mot était prodigieusement faible. Si je n'avais pas connu une telle souffrance, j'aurais dit que cet incendie dans ma gorge était douloureux. Mais après les flammes de l'enfer j'accueillis cette soif avec gratitude.
- Ne bouge pas! m'avait ordonné Jasper.
Lui ne semblait pas connaitre cette étrange sensation qu’était le soulagement.
- J'ai soif! avais-je objecté, comme si j'avais déjà exprimé mon envie et qu'ils m'avaient d’ores et déjà empêché de l'assouvir.
- On va arranger ça! avait promis Carlisle.
Scrutant les yeux noirs emplies d'animosité de Jasper, je m’étais demandée si la promesse de mon ange tiendrait toujours, s'il savait de quel type était ma soif.
- Ce n'est pas de l'eau que je veux… avais-je précisé, hésitante.
- Tu m'étonnes! m'avait raillé Emmett.
Des rires avaient retenti tout autour de moi et je m’étais permise un coup d'œil vers mon ange. Lui ne rigolait pas, il souriait et son sourire aurait fait chavirer mon cœur, si celui-ci battait encore et si la moindre de mes pensées n'était pas focalisée sur ma soif.
- Nous savons exactement de quoi tu as besoin, ne t'inquiètes donc pas, on va s'occuper de ça ! m'avait-il promis.
Je revins à la réalité, non sans difficultés, car ma dernière vision fut le visage angélique de Carlisle.
- Pourquoi tu tiens à revoir ça? questionna Renesmée avec une grimasse douloureuse, ça ne doit pas être un souvenir très joyeux…
Je l'examinai un moment. Elle n'était certes qu'à moitié vampire, mais elle était aussi époustouflante de beauté que si elle l'avait été à cent pour cent. Seulement ses joues roses et rebondies, ses yeux marron chocolat, son odeur divinement bonne –humaine-, la chaleur qui émanait de son corps, trahissaient son hybridité. Elle avait peut-être tous les avantages qu'offrait le fait d'être un vampire, sans pour autant avoir enduré le supplice de la transformation, mais cela ne l'empêchait pas de comprendre et de compatir.
- Ce n'est pas si affreux de s'en souvenir, avouais-je, il y a de bons cotés à tout.
- Ah oui? Comme quoi par exemple?
Avoir un peu de Carlisle en moi.
- Emmett a appris quelques nouveaux mots grossiers grâce à moi.
Elle hocha la tête, feignant un air attristé.
- Ce n'était pas réellement nécessaire, il en connaît déjà tellement!
On fut toutes les deux secouées de rire.
- Tu sais quoi? me questionna-elle.
- Non, quoi? demandai-je, perplexe.
- Je t'apprécie de plus en plus depuis que tu n'essayes plus de m'égorger !
- Je t’en ai fait baver avant de me calmer, hein ?
Elle opina, toujours aussi souriante. Elle tendit aussitôt une main vers moi, je la pris de nouveau dans la mienne et les images recommencèrent à défiler devant mes yeux.
- J’étais déchainée ! murmurai-je estomaquée, lorsque je me vis à travers ses yeux –l’expression animale, les lèvres retroussées sur mes crocs, prête à lui bondir dessus.
- On peut dire ça, oui.
- Pourquoi? ne puis-je m'empêcher de demander, pourquoi tu prenais le risque de te trouver à proximité de moi ?
- Carlisle pensait que si tu t’accoutumais dés les premiers jours à l’odeur humaine, tu n’en serais que plus résistante face à la tentation.
- Mais, tout de même, tu prenais un risque fou !
Elle haussa les épaules, modeste. Elle me fit voir via les souvenirs qu'elle faisait défilés dans mon esprit toutes les précautions prises pour m'empêcher de lui causer le moindre mal.
- Ton don est réellement très …intéressant, la complémentai-je, réellement bluffée.
- Pff! fit-elle dubitative, moi je suis complètement jalouse du tien, je ne tiens pas la comparaison !
Ses mots déclenchèrent le souvenir, dans un flash à la rapidité surprenante.
On était dans le salon, un soir –J'avais alors le droit de sortir de ma prison de chambre, mais je restais sous très haute surveillance- environ quatre mois après ma transformation et je m'ennuyais ferme ; rester confinée comme ça dans une maison n'avait jamais été dans mon habitude.
J'étudiais mes chances. Franchement, je n'en avais pratiquement aucune ; avec Alice et Edward dans la même pièce. Néanmoins, il me restait une autre solution -qui me paraissait avoir encore moins de chance de succès- demander gentiment.
Quand je me levai du sofa, les yeux d'Edward étaient déjà sur moi ; il n'avait rien raté de mes réflexions internes. De tous les vampires hyper soupçonneux autour de moi c'était lui qui m'exaspérait le plus. Je détestais l'idée qu'il puisse lire la moindre de mes pensées.
- Désolé! dit-il, amusé, ce qui ne manqua pas de m'énerver davantage, sachant où mes pensées divaguaient quelques minutes plutôt. Tu sais bien que je ne peux pas faire autrement…
- À d'autre!
Ce n’est pas qu’il ne pouvait pas faire autrement, c‘est qu’il ne le voulait pas. Il fallait surveiller le turbulent nouveau-né en l’occurrence : moi.
- Ça ne me fait pas plaisir non plus de traîner dans ta tête, tu sais?
- Je trouverai un moyen de te rebuter définitivement, tu verras que tu pourras te maîtriser alors !
Sans que je puisse m'en empêcher, mon regard flâna vers l'endroit où Carlisle était assis, un livre à la main. Ça ne dura qu'un dixième de seconde, seulement ça n'avait pas échappé à Edward.
- Après ces quelques mois à partager tes réflexions, je suis complètement immunisé désormais, m'assura-il d'un air entendu.
- Je ne te conseille pas de parier là-dessus. Je sais faire preuve de beaucoup, beaucoup d'imagination !
- Je n'en doute pas...
Sal type!
Personne n'avait prêté attention à notre dialogue unilatéral –car ça se produisait souvent. Personne, sauf bien sur, ce cher Jasper. Qu'est-ce que j'avais osé penser, qu'Edward était le plus énervant? Simple méprise! Parce que cela ne faisait aucun doute que le plus emmerdant de tous était bien Jasper. Il remportait haut la main la médaille d'or du vampire le plus lourd –il jouait carrément hors compétition. Il ne me lâchait, me suivant comme mon ombre, épiant le moindre de mes gestes. Il prenait son rôle de protecteur un peu trop au sérieux à mon goût. Il est vrai que mes humeurs étaient changeantes –le lot de chaque nouveau-né - mais ce n'était pas comme si j'allais tout d'un coup péter un câble et tenter de massacrer quelqu'un.
Il me retourna le regard noir que je lui lançais sans se faire prier. Je l'ignorai et m'approchai de Carlisle. Si j'avais eu encore un cœur il aurait battu la chamade. À mi-chemin, Jasper fut à mes cotés. Un juron m’échappa, si bas qu'il fut le seul à l'entendre.
- Tu ne pourrais pas me lâcher un peu? suggérai-je, les poings serrés.
Sur ce, Carlisle leva son admirable nez de son bouquin, l'air on ne peut plus détendu.
- Ça va aller… je pense qu'on peut laisser Angie respirer un peu maintenant.
Un drôle de frisson me traversa le corps. Sentant l'émotion qui m'avait envahi, Jasper fronça les sourcils –il savait peut-être mon humeur, mais ne la comprenait pas, et c'était tant mieux- il était du coup moins enclin à s'éloigner, mais obtempéra finalement, non sans me jeter un regard menaçant au préalable.
- En parlant d'air…débutai-je, après m'être concentrée sur ce que j'allais dire -quand je parlais à Carlisle un minimum de concentration s'imposait. Je me demandais si je pouvais sortir chasser avec vous?
- Et puis quoi encore?
- Jazz! S'indigna Alice.
Carlisle ne les regarda ni l'un, ni l'autre. Toute son attention était focalisée sur Edward et celui-ci en venant à ses cotés, répondit à sa question muette.
- Je pense qu'elle pourra se maîtriser, elle n'a pas l'intention de nous fausser compagnie.
Quand je compris ce qu'il lui avait demandé je me retournai derechef vers Carlisle, celui-ci me gratifia d'un sourire d'excuse et j'oubliai pourquoi je lui en voulais.
- Désolé d'avoir à recourir à ce genre de moyen, je fais ça pour ton propre bien, se justifia-il. Tes instincts sont toujours aussi puissants et je ne voudrais pas qu'il arrive malheur. Un jour tu comprendras.
- Je comprends déjà! répliquai-je sans pouvoir m'en empêcher, et je vous remercie de tout ce que vous faites pour moi.
Je me perdis dans la contemplation de ses prunelles fauves, subjuguée par sa magnificence, et je ne pus m'empêcher de divaguer encore. Edward toussa. Je le toisai furieuse et complètement gênée.
Arrête ça! pensai-je aussi fort que possible, sors de ma tête sur-le-champ.
Il écarquilla ses yeux, la bouche légèrement entrouverte, semblant ahuri.
Quoi? Je te croyais immuniser...
Je ne voulais pas que Carlisle commence à se demander pourquoi son fils faisait une tête de poisson rouge.
- Ce n'est pas ça! Son étonnement ne s'était pas encore dissipé. Tu viens de me bloquer, juste à l'instant. Pendant quelques secondes je n'arrivais plus à t'entendre.
Je ne trouvai rien à riposter, quelqu'un me devança.
- Peut-être qu'elle ne pensait à rien pendant ces quelques secondes, suggéra Emmett guère impressionné.
- C'est toi qui ne penses à rien, espèce de tas de muscle sans cervelle!
Edward sourit.
- Non, c'est impossible! Elle pense toujours à quelque chose quand Carlisle…continua-il, préméditant ma réaction.
La ferme! hurlai-je presque dans ma tête.
Les mots d'Edward semblèrent s'étrangler dans sa gorge, il ne put reprendre qu'après quelques secondes. Tout le monde avait laissé ses activités de coté pour s'intéresser à notre conversation.
- Incroyable! s'étonna-il un grand sourire aux lèvres.
- Quoi? m'exaspérai-je.
- Cette fois-ci c'était différent, tu viens de m'empêcher de parler.
- Je ne vois pas comment j'aurais pu faire un truc pareil !
- Pourtant, tu l'as fait!
J'hasardai un coup d'œil vers Carlisle, toujours aussi gênée. Il s'était levé à moitié, les mains à plat sur la table et nous toisait avec une curiosité non dissimulée, presque de l'avidité.
Comment ça fonctionne? me demanda-il, le regard brillant.
- Je…je n'en ai pas la moindre idée, balbutiai-je, étourdie par l'intensité de son intérêt.
Edward se lança dans une explication détaillée et gênante, non sans un petit sourire sournois. C'était d’après lui, une sensation très étrange, comme si son cerveau était engourdi et qu’il ne pouvait plus penser qu'à une seule chose; obtempérer à ma demande.
- …elle m’a demandé de me taire et cela a entrainé une réaction physique. J'avais l'impression d'être devenu muet tout d'un coup. L'espace d'une seconde je ne pouvais plus rien dire.
- Fascinant ! commenta Carlisle, tu penses pouvoir recommencer ?
- Je… veux bien essayer.
Je toisai de nouveau Edward, essayant de trouver un quelconque ordre à lui donner. L'image de mon ancien chien s'imposa soudain à moi, flou et lointaine. Je souris, cela devrait convenir.
Assis! lui ordonnai-je sans grande conviction.
À la seconde même où l’ordre fut formulé, Edward plia les genoux et se retrouva par terre. Il écarquilla les yeux pendant une fraction de seconde, puis partit d'un grand rire.
- Stupéfiant! s'amusa Carlisle, et le fait que ce compliment s'applique à quelque chose que j'avais fait m’emplit de joie.
Ce quelque chose ne me demandait aucun effort, c'était naturel, jusqu'à lors ignoré, mais faisant partie de moi.
- Je te remercie beaucoup! me lança soudain Edward, me tirant de mes réflexions, dont il n'avait rien perdu. Tu me prends pour un chien maintenant ?
Emmett pouffa de rire, Alice et Bella se joignirent à lui, puis comme contaminé tout le monde rigola, sauf, bien sur…Jasper. Il m'examinait, le regard prudent. Son visage d'adonis semblant avoir perdu ses dernières couleurs.
- Tu veux bien essayer sur moi? me pria Carlisle.
Mais, avant que je ne puisse répondre à sa requête, je me retrouvai par terre. Les poignets enfermés dans la prise de fer de ses mains, les cuisses emprisonnées entre ses jambes, je ne pouvais plus bouger. J’avais perdu le seul avantage que j'avais sur lui –ma force de nouveau-né. Je n'arrivai pas à comprendre le geste de Jasper, ni le mélange de méfiance et de peur dans son regard. Je haletai de stupeur.
Le silence autour de nous s'était fait assourdissant ; je n'étais pas la seule à trouver la réaction de Jasper complètement absurde. Celui-ci semblait ne pas se rendre compte qu'il me broyait littéralement les cuisses. La rage déformait les traits de son visage, qui n'était qu'à quelques centimètres à peine du mien. Il semblait si terriblement impressionnant ! L'éclat féroce dans ses yeux m'effara, je me surpris à frémir.
- Elle ne pensait pas à mal! lança enfin Edward brisant le silence, il semblait à la fois exaspéré et amusé. Ne sois pas stupide et lâche-la maintenant. Tu lui fais mal.
- Non! objecta Jasper la mâchoire serrée, vous ne semblez pas conscient de ce qui se passe sous vous yeux. Si elle peut nous faire faire tout ce qu'elle veut…on doit réagir. Elle est à peine sortie de sa phase de nouveau-né et vous vous amuser à tester son pouvoir comme si c'était un jeu. C'est dangereux! Je ne peux pas laisser faire ça.
- Ça suffit maintenant! grognai-je, rageuse. Tu vas me faire le plaisir de me lâcher tout de suite.
L'étreinte de ses jambes se desserra sans plus attendre. Il en resta bouche bée ; car il y avait mis toute sa force et faillit me couper en deux. Il s'était levé –contre son gré- sans broncher, le regard hostile, la posture toujours menaçante. La seconde après, Alice fut à ses cotés. Elle chuchota quelque chose à son oreille, le fit se détendre un peu. Cependant, il se borna à l'écarter derrière son dos, pour la protéger de moi. Elle inclina sa petite tête, me souris et leva les yeux au ciel. Je me relevai à mon tour, hésitant à bouger plus que nécessaire. Jasper ne m'avait toujours pas quitté des yeux, mais la récente découverte de mes facultés me donna l’impression d’être toute puissante.
- Tu dois des excuses à quelqu'un ! claironna la voix dans son dos.
- Pardon!
Il n'avait pas l'air désolé du tout. J'avais plutôt l'impression que tout ce qu'il regrettait c'était de ne pas m'avoir arraché la tête pendant qu'il en avait encore le loisir.
- C'est rien! grommelai-je entre mes dents, ce n'est pas ta faute si t'es atteint de paranoïa compulsive.
Tous les autres éclatèrent de rire et l'atmosphère s'allégea un peu.
- Bien! décréta Carlisle un sourire au coin, comme si aucun affrontement ne venait de se dérouler sous ses yeux. Je me demande quelles sont les limites de ton pouvoir…
- Comment ça?
- Il y a toujours des limites à un pouvoir, rétorqua-il, amusé par mon ton vexé. Par exemple on sait que tu peux en user par la parole ou par la pensée et pas que dans le cas d’Edward, par conséquent ça ne concerne en aucun cas son propre pouvoir. Ça c'est le bon coté. Mais si je te demandais par exemple d'essayer de nous donner un ordre à tous en même temps, ça serait intéressant de voir ce que ça donnerait…(Jasper ne semblait pas du tout partager son avis)…quelque chose d'anodin.
Un ordre anodin, hum…Sans regarder personne en particulier, je pensai très fort: tapez tous dans vos mains! Rien ne se produisit.
- Ça n'a pas marché...,clarifia Edward.
- Tu vois? me fit remarquer Carlisle. Il y a des limites.
Jasper paraissait plus que content de le savoir.
Petit idiot!
J'étais déçue par toutes ces restrictions. Mon don de ne pouvait s'appliquer qu'à une seule personne à la fois et il fallait que je la regarde dans les yeux, sans oublier que son efficacité était temporaire. Carlisle remarqua mon désarroi.
- Ne soit pas déçue ! Ton pouvoir est tout bonnement extraordinaire, je n'ai jamais rien vu de tel. Je me demande si Eleazar a déjà vu pareilles capacités?
- Super! lança soudain Emmet, exagérant son soupir de soulagement. J'ai eu peur de devoir être gentil avec toi.
Je me tournai vers lui, lui lançai un regard courroucé entre les fentes de mes yeux, et instantanément il porta une main sur le chignon parfait de sa dulcinée qu'il ébouriffa vivement.
Rosalie poussa un petit cri de surprise et sitôt lui envoya une claque en plein visage. Le bruit n'était pas du tout celui d'une gifle normale, on aurait dit deux rochers qui seraient rentrés en collision. Un silence de plomb emplit soudain la pièce.
- Pour la claque je n'y suis pour rien ! m'empressai-je de préciser, mains levées, au cas où Jasper retomberait dans sa méfiance.
Ce dernier m'étonna. Les bords de ses lèvres frémirent soudain, puis incapable de se retenir, il éclata de rire. Suivit par tous les autres, Emmett y compris, en se massant la joue. Rosalie fulminait de rage en essayant d'arranger ses cheveux « petite pétasse! », crus-je l'entendre murmurer, tandis qu'un rire plus proche de l'aboiement semblait ne plus vouloir en finir. C’était celui de Jacob.
J'essayai sur Bella, mais comme on s'y attendait tous, elle était complètement hermétique à mon pouvoir. Cela fit énormément plaisir à Jasper, qui semblait penser qu'il y aurait toujours quelqu'un pour m'arrêter au cas où je serais prise d'une envie folle de les massacrer tous.
- Mais? marmonna-elle après mon échec attendu, l'air pensif. Si elle a toujours eu ce don, comment se fait-il qu'elle ne nous ait pas persuadés de la laisser sortir?
Tout le monde -ou presque- paraissait étonné, l'air de se demander pourquoi il n'y avait pas pensé le premier, j'étais dans le lot. Mais Carlisle était loin d'être surpris, il dut se demander ça la seconde même ou nous avons découvert mes aptitudes. Il souriait devant notre effarement à tous, et je me mis à imaginer la catastrophe que cela aurait été si je m'étais rendu compte de mes facultés le premier mois. J'en frémis de dégoût.
- Le nouveau-né moyen est trop obsédé par sa soif pour se concentrer sur quoi que ce soit d'autre. Or, je suppose qu'il faut un minimum d'attention pour exercer un tel pouvoir, supposa-il.
Sa théorie sonnait plutôt comme une affirmation tant il ne pouvait se trouver d'autres explications. Le médecin et son fils se regardaient soudain intensément, leur façon muette de discuter en épargnant tous les autres –et surtout parce qu'elle m'écartait moi- m'exaspérait.
Il n'y a absolument aucune raison pour qu'elle le sache! lâcha soudain Edward d'un ton dur, que je ne l'avais jamais vu utiliser. À ta guise, si t'as confiance… continua-il après quelque seconde, dédaigneux. Dans le pire des cas si elle veut les rejoindre, je suppose que c'est son choix.
- Est-ce qu'on peut participer? demandai-je un peu sur la défensive. J’avais la très nette impression qu'ils parlaient de moi.
Carlisle tourna vers moi son sublime visage. Il paraissait tergiverser.
- Angie, se lança-il enfin, tu es au courant qu'il y a d'autres clan de vampires qui… disons… ne partagent pas notre répugnance pour le sang humain?
J'opinai, ne voyant pas très bien ou il voulait en venir.
- L'une d'elles, le clan Volturi est une famille très ancienne, qui s'est autoproclamée défenderesse de notre secret. Elle se permet de punir ceux qui s'égarent du bon chemin, selon ses propres critères. Pour pouvoir assujettir notre communauté, ils recherchent activement des dons... des talents qui peuvent servir leur cause et rajouter à leur prestige, comme le tien par exemple.
Carlisle choisissait ses mots avec précaution.
- Et alors? ...Vous voulez que je parte?
Un sentiment d’abandon s’empara aussitôt de moi, vif, déchirant.
- Bien sur que non!
- Alors, pourquoi vous me parler de ces Volturi?
- Le jour ou je t'ai transformé je t'ai exposé toutes les possibilités qui s'offraient à toi, j'en fais de même aujourd'hui. Je ne voudrais pas t'infliger un choix de vie qui ne te convient pas. Il faut que tu comprennes que tu n'es prisonnière ni de cette maison, ni de nos principes. Certes, on t’a retenu les premiers mois, mais c'était parce qu'à cette époque tu n'aurais pas pu faire ton choix en toute lucidité, maintenant je crois que tu es suffisamment à même de prendre la décision qui te conviendra.
- Je veux rester...
- Alors tu es ici chez toi! me dit-il simplement.
- Vous en avez douté ? demandai-je d'un ton réellement vexé.
- À un très faible degré, avoua-il.
Ses yeux luisaient étrangement, était-il ému?
Quelques minutes plus tard, j’eus droit à ma première chasse au grand air. Mais avant, Carlisle m'avait retenue quelques instants et m'avait renseigné sur leurs antécédents avec le clan Volturi. J'appris donc que ces Italiens faillirent les massacrer. Je m'en étais offusquée, frémissante de rage devant tant d'injustice et de cruauté. Il m'avait laissé faire en silence, indulgent devant mon emportement, un sourire amusé aux lèvres et de la gratitude dans le regard.
- Je sais qu'ils paraissent sans foi ni loi exposés de cette façon, mais ils n'ont pas toujours été ainsi, m'apaisa-il. Quoi qu'il en soit, la suprématie des Volturi fait partie de ces choses que tout vampire doit savoir. Leur loi régit notre monde.
Le souvenir changea encore. On était à la villa désormais, dans ce même salon ou j’étais réellement assise en ce moment. Un soir, il n’y a pas si longtemps. Je me rappelle tout particulièrement de ce jour. Bien que plus rien n’échappe à ma nouvelle mémoire d'immortelle, cette soirée était par plus d'un aspect, mémorable.
C’était le soir ou Benjamin était venu nous rendre visite. Ce n'était pas la première fois que je le voyais. En effet, il était venu quelques mois plutôt nous rendre une brève visite et depuis ce jour-là, ses visites se multiplièrent, gagnèrent en longueur. Il venait parfois accompagné, parfois seul, je le connaissais donc déjà. Cela ne signifiait pas pour autant que je puisse lutter contre l'envie de loucher sur son hypnotique présence. J'avais beau être un vampire moi-même et peut-être que j'étais aussi attrayante que les sublimes personnes qui m'entouraient, ça ne m'évitait pas d'être stupidement subjuguée par sa beauté.
Emmett qui était assis dans un fauteuil pile poile en face de Benjamin et moi, avait beaucoup de mal à se contenir. Agité comme un vrai gosse, il se trémoussait d'excitation, incapable de se retenir. Je savais à présent pourquoi ce bougre se comportait ainsi et pour cause, j'avais découvert la supercherie quelques jours avant cette soirée. C'était pourtant si évident! Je m'en voulais de ne pas avoir compris plus tôt.
Ce n'était pas un hasard si Emmett ne pouvait plus tenir en place dès qu'on recevait Benjamin, ni une coïncidence non plus qu'Alice insiste lourdement pour m'habiller à chaque fois, me foutant une honte terrible avec ses robes de cocktail. Ils voulait me caser avec ce pauvre garçon qui ne devait pas s'en douter plus que moi!
Je ruminais ma vengeance tandis que Benjamin nous détaillait les derniers mois de sa pénible existence. Il n'y avait qu'un mot capable de les résumer : fuite. Les Volturi sont à ses trousses depuis un moment déjà. Ils l'ont repéré -ou ont repéré son don plutôt- le fameux jour où ma nouvelle famille faillit disparaître pour de bon, décimée par la soif de pouvoir de ces assassins. Il pensait, il n'y a pas si longtemps de ça, que tout bien considéré son pouvoir ne devait pas les intéresser plus que ça, qu'il n'aurait jamais affaire à eux. Et malgré ce qu'avait pu lire Edward dans l'esprit d'Aro le jour de la confrontation, les Cullen avaient partagé son avis avec soulagement, car les Italiens ne s'étaient pas manifestés des années durant.
Trop occupés à faire régner la justice ! pensai-je, ironique.
Mais voilà qu'ils se souviennent de lui, qu'ils le pourchassent. Je ne pus m'empêcher d'être prise de pitié pour lui. Le plus surprenant dans tout ça, c'est qu’il ne paraisse pas le moins du monde se lamenter sur son sort, ou de céder à la panique. Détendu, souriant, rieur, nullement inquiet. Comme s'il ne mesurait pas les enjeux de ce soudain intérêt, comme s'il ne réalisait pas pleinement le critique de la situation. Il aurait pu tomber dans l'angoisse sous mes yeux, que je n'aurais pas ressentis une telle compassion à son égard. Sa dignité, son assurance, me laissaient sans voix, me troublaient un peu.
- Mais… m'étouffai-je dans le souvenir de Nessie, estomaquée. Je trouve ça complètement insensé ! De quel droit osent-ils faire ça? De quel droit se permettent-ils de s'approprier les dons des gens de cette manière?
De quel droit les traquent-ils comme de vulgaires objets à rajouter à leur collection? Je n'en revenais pas! Ma famille autour de moi me jeta un regard mi-amusé, mi-exaspéré. Indulgents de mon apparente naïveté.
"Les Volturi font ce qu'ils veulent, ce qu’ils croient juste, sans jamais s'incommoder du qu'en dira t'on, me diront-ils par la suite, quand notre invité s’en alla. S'ils pensent que le pouvoir de l'Egyptien peut servir leur cause, ils le prendront, pour le bien de tous, soutiendront-ils sûrement."
À notre étonnement à tous, notre invité s'esclaffa de bon cœur, comme si je venais de sortir là, la meilleure vanne de la soirée. Il me toisa, une drôle d'étincelle dansant soudain dans ses yeux onyx à la profondeur envoûtante. Par respect pour nous et à mon grand soulagement, il n'avait jamais les yeux rouges en notre présence, me laissant l'opportunité d'oublier un court instant la nature de son régime alimentaire. Je l'appréciais mieux en niant cet aspect là de sa personne.
- Un juge ne peut être jugé, n'est-ce pas? Me questionna-il hilare, faisant référence aux Volturi.
Je vis les autres se lancer des regards en biais, comme les sales conspirateurs qu'ils étaient.
- À vrai dire, cela me distrait beaucoup de voir leur tentatives échouées, me confia-il, un sourire délicieux tordant soudain ses lèvres charnues.
Je me vis secouer presque imperceptiblement la tête afin de reprendre mes esprits, les vis étouffer leurs rires moqueurs. Quand celui d'Emmet lui échappa, Rosalie lui écrasa le pied, usant de toute la douceur dont elle était capable et par conséquent le lui broya littéralement. Je pensais les avoir admirablement bien ignoré, mais mes mains qui agrippèrent le rebord du sofa me prouvèrent le contraire.
- Tu…tu leur aurais échappé?
Quelqu'un pouvait-il réellement rencontrer les Volturi et en réchapper?
Il parut plus que ravi de l'intérêt que je lui portais, son visage juvénile s'illuminant tout d'un coup. Il pivota davantage de mon coté, me faisant définitivement face.
- Oui. Je pourrais presque soutenir que leur traqueur et moi somme bons amis à présent, s'amusa-il.
Son rire enfantin claironna, noyant la fin de sa phrase.
Leur traqueur? Sans nul effort j'arrivais à me rappeler de lui, bien que le souvenir que j'en avais ne soit pas mien; Renesmée me l'avait fait découvrir. J’ai d'ailleurs découvert presque la totalité des Volturi à travers ses propres souvenirs. Il s'appelle Démétri, il fait partie de la garde de la royaltie. Je pouvais aisément me remémorer les traits divins de son visage d'une blancheur de craie. Ses cheveux d'un châtain sombre et en bataille. Ses hautes pommettes, saillante qui le magnifient davantage. Son regard dur, calculateur, infiniment provoquant. Ses fines lèvres vermeilles, sensuelle, dénuées de toute imperfection. Les sublimes fossettes qui creusent son visage à chaque fois qu'un sourire hautain menace de faire son apparition. Ses fins sourcils qui encadrent ses yeux. Ses yeux d'un rouge luisant, cruels, qui lui donnent l'air proprement démoniaque.
À cet instant-là une terrible vague de haine m'emplit. Je le détestais pour tout le mal que les Volturi ont pu causer grâce à son don. Je l'abhorrais avec une fureur rare, pour tout le souci qu'il causait à Benjamin, qui n'avait d'autres tors que de s'être joint à ma famille au moment le plus dur qu’elle eut jamais à affronter.
- Il me pourchasse seul et je ne pus m'empêcher d'être tenté par l'idée de le confronter.
Cette fois-ci, je ne fus pas la seule à paraître hébétée. Il rit de mon expression, joyeux. Rien ne semblait capable d'entamer sa bonne humeur, rien, même pas le meilleur traqueur au monde.
- Tu as quoi? m'indignai-je presque.
- Regardez-là moi qui s'inquiète pour lui, n'est-ce pas adorable? Pouffa Emmet, un sourire terrible venant lentement étirer ses lèvres insolentes.
Je vis mes yeux sur le point de me sortir de la tête, lorsque je me retournai vers lui, furibonde, totalement outragée par son audace. Mes pupilles rencontreraient les siennes -étrangement brillantes- et il leva précipitamment une main pour se gifler violemment. Le bruit qui suivit la rencontre de son énorme paume avec sa joue fut assourdissant. Un silence de mort régna soudain dans la pièce. Ma famille était habituée à ça, pas leur invité; ils étaient à l'affût de sa réaction.
- Je ne vais pas les laisser prendre mon don sans le leur avoir fait goûter au préalable, ce ne serait pas courtois de ma part. Tu n'es pas de mon avis? rigola-il, quittant le visage tordu par la rage d'Emmet, pour focaliser toute son attention sur moi.
- Et qu'est-ce que tu lui as fait? demandai-je intriguée, sans quitter l’imbécile - liquéfié sur place -des yeux. Je savais qu'il allait me faire ma fête quoi qu'il en soit, rien n'urgeait donc, il n'était pas nécessaire que Ben assiste à ça.
- Pour résumer, souffla-il, malicieux, tandis qu'Edward s'esclaffait en voyant le souvenir de la confrontation dans ses pensées. Disons, qu'il a eu besoin de se recoiffer.
Il se dégageait de lui une sorte de légèreté enfantine qui ne me plaisait que trop. J'aimais ça: sa désinvolture, son goût du danger, sa témérité. Ça déclenchait d'étranges sensations en moi.
D'autres rires se joignirent à celui du télépathe. Seule Esmée trouvait la situation plus tragique que comique, elle pâlit. Tant d'insouciance devait la troubler, je la comprenais un peu, je partageais son effarement. Cela avait de quoi choquer, même pour moi; qui ignorais tout du vrai sentiment de terreur que véhiculaient les Volturi.
- Pourquoi ce souvenir? Je ne me rappelle t'avoir demandé quoi que ce soit sur ce sujet, questionnai-je, innocente.
En réalité et pour ne pas me mentir, je comprenais un peu. Elle rit, vaguement gênée. Tandis que dans son souvenir, elle, ainsi que tous les autres s'excusaient pour des prétextes plus aberrants les uns que les autres, afin de me laisser seule avec un Benjamin; pris de court, mais incontestablement ravi.
- Je vais me raser les jambes ! s'était exclamé Emmet en guise d'excuse en me foudroyant de son regard sardonique.
Je m'étais retrouvée à court de mots, incapable de réagir face à son insolence. Bouillonnante de rage, je vis les autres quitter la pièce avant de céder à l'hilarité qu'ils couvaient depuis trop longtemps.
Elle lâcha ma main et je la voyais de nouveau.
Vous êtes de piètres acteurs, vous m'avez foutu la honte! même les meubles ont compris vos manigances...
En réalité le sentiment de gène qu'ils avaient provoqué en nous laissant tout seuls pour leurs urgences bidons, ne dura même pas une seconde qu'il s'évapora sans laisser de trace. Ben est la décontraction incarnée, il faut vraiment y mettre du sien pour être embarrassé en sa compagnie.
Il m’avait présenté un collier qui était comme il l'avait précisé: une Khamsa ou main de fatma; une sorte d'amulette que les habitants d'Afrique du nord ou du moyen orient utilisent comme talisman afin de se protéger du mauvais œil.
- C’est une sorte d’amulette protectrice, les femmes en portent très souvent en Egypte, avait-il éclairci en me la tendant.
Je l'avais pris avec précaution, tant elle paraissait coûteuse et fragile –entre mes mains tout l'était. Je n'avais pas encore compris qu'elle m'était destinée. Je l'avais laissé choir au creux de ma paume. Son pendant était une minuscule main en or finement ciselée, avec un œil en rubis incrusté par-dessus.
- C'est très joli, avais-je commenté, en la lui rendant.
Il avait ris, secouant sa main pour la refuser, moqueur.
- Je n'en reviens pas de ce que vous faites, je suis sidérée. Vous n'avez aucun scrupule à me jeter comme cela au bras du premier venu, pour peu qu'il soit un vampire, male, ayant approximativement le bon âge?
- Non! On n’en a aucun.
- Et de toutes les fichues familles de vampires, il a fallu que je tombe sur vous. Quelle veine !
Commentaire de l'auteur:
Cc tous le monde! Merci d'avoir lu et n'hésite pas a commenté! Le prochain chapitre sera posté demain. En attendant bonne vacances!
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