L'Une des leur
Commentaire de l'auteur:
Hello les amis!
Quoi? Comment ça on est plus amis du tout... ^^ Tout ça pour quelques malheureux petits mois XD le pire c'est que je ne peux même pas promettre un délai plus raisonnable pour le prochain chapitre.
Bref, quoi qu'il en soit, bonne lecture à tous!
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Elle avait dardé son regard de rapace sur moi et un rictus effroyable déformait sa redoutable figure. Les sbires d’Aro s’exécutaient déjà pour elle, mais à la dernière seconde, juste avant qu’ils ne m’atteignent et pour une raison qui m’échappait, elle semblait avoir changé d’avis.
Lorsqu’elle leva une main, tous ceux qui s’étaient précipités sous ses ordres s’arrêtèrent sèchement, brusquement. C’était presque comique de les voir entravés ainsi dans leur dessein, comme s’ils avaient heurté un mur invisible.
Elle les contrôle ! Des tréfonds de ma conscience hébétée, une part de moi miraculeusement intacte, lucide, m’avait soufflé cette affirmation.
- Toi, ordonna-elle, un doigt assassin désignant quelqu’un qui se trouvait derrière moi. Toi, amène-la-moi plutôt.
Je n’eus pas besoin de me demander à qui ce « toi » s’adressait, je le sus immédiatement. Ses mains s’emparèrent de mes poignets qu’il scella derrière mon dos avant de me pousser en avant, avec une force, une brutalité rare.
- Démétri ? suffoquai-je, Démétri, non !
Mais il ne m’entendait pas ni ne réagissait à mes supplications ; il me forçait à avancer, opérant comme il lui fut ordonné, tel un automate, sans un regard pour moi, froid et distant comme jamais il ne fut à mon égard. Elle les faisait tous obéir au doigt et à l’œil, et si j’échappais à ce traitement ce n’était en aucun cas parce que je parvenais à lui résister ; non, c’était plutôt parce qu’elle voulait me garder consciente, alerte, lorsqu’elle me fera subir le pire. Je ne m’expliquais pas cette certitude, car je ne connaissais pas cette femme ni ne comprenais le motif de sa vénéneuse aversion, mais il n’y avait nul doute en moi : je savais que je n’étais pas au bout de ma peine. Je le voyais dans ses sulfureuses pupilles ; elle est de ceux qui aiment jouer avec leur proie avant de l’abattre.
Il me jeta à ses pieds.
- C’est donc pour ça que cet Egyptien de malheur veut remuer ciel et terre ?
Elle s’accroupit à ma hauteur, le sourire dédaigneux, la mine cruelle. Elle portait une espèce de sari entièrement noir ; où les différentes étoffes de velours et de voile sublimaient une peau mâte et brillante. Ses longs cheveux drus, à l’extrême noirceur, étaient amassés dans un chignon complexe et à ma grande horreur, la tache rouge qui ornait le milieu de son front n’était autre que du sang séché.
- Je ne m’attendais à rien, mais je suis quand même un peu déçue.
Benjamin !...Que lui avait-elle fait ?...Qu’avait osé ce monstre ?!
C’était le moment d’agir et je le savais. C’était peut-être là ma seule, ma dernière chance. Son cou faussement délicat était si proche ! Ça en devenait presque une invitation. Alors que je les croyais définitivement refoulés, dénaturés, mes instincts les plus bestiaux refirent une fulgurante apparition. J’allais la tuer, la dépecer, l’anéantir ; mon corps me l’assurait, me le promettait. Je ne fus jamais aussi consciente de ma force qu’à ce moment précis. Dans un cri de rage inhumain, je fendis sur elle.
Une douleur sourde, brulante et venimeuse à la fois ; habile mélange des plus viles des souffrances, me heurta de plein fouet, me transperça de part en part ; comprimant mon thorax et tordant mon corps. La dalle céda sous mon poids avec un craquement sinistre et je me retrouvai à terre happant fébrilement l’air autour de moi, comme une noyée qui se raccrocherait à sa dernière lampée d’oxygène. Je finis par sombrer hélas et ce fut les ténèbres ; le feu et la glace, le vicieux venin et l’insoutenable soif…encore et encore, j’errai dans ce long tunnel de la plus cruelle des géhennes. Les murs me renvoyèrent l’écho de mes effroyables cris. Et puis, lorsqu’enfin la douce délivrance de la démence me tendit sa secourable main, le douloureux voile qui martyrisait mon âme fut levé, et je me retrouvai miraculeusement indemne. Contre toute attente : saine dans mon corps et dans mon esprit.
Je devinais dans mon dos, le petit visage heureux de Jane et ses yeux de démon fixés sur moi. Accablée, je me mis à pleurer et à gémir ma peine sans retenue.
- Relève-toi donc, misérable, me sommèrent les cruelles lèvres, viens donc plutôt à mes pieds me supplier de t’accorder la mort.
- Allez au diable ! m’époumonai-je. Démon !
Je n’eus pas plutôt fini de soulager ma haine que le prix de ma répartie me fut administré en bonne et due forme.
- NON !...Non, pitié… Arrêtez ! Je ferais ce que vous voulez…je vous en supplie !...
- Très bien, se ravit-elle sans pour autant me soulager, et de quoi me supplies-tu au juste ?
- De m’accorder…agonisai-je.
- Oui ? -La mort. -Soit ! puisque tu le demandes aussi poliment… Viens donc à mes pieds que j’exauce ton vœu.
Je me trainai, piteuse, jusqu’à ses derniers.
- Vois-tu, impertinente petite sotte ? Tes amis se sont permis le plus fou des audaces ; ils ont osé s’attaquer à Ayushi et Ayushi n’oublie ni ne pardonne jamais l’irrévérence. Tu vas payer pour lui, pour eux, chèrement. Tu lui es précieuse pour on ne sait quelle raison, alors je vais te prendre à lui. Je le ferais lentement, longuement. Tu verras. Mais, ne t’inquiète pas, je lui laisserai un petit bout de toi, ainsi il saura apprécier mon châtiment. Il en aura le temps en tout cas ; l’éternité…quelle jolie perspective, ne trouves-tu pas ?
Elle m’avait âprement empoigné par les cheveux, rapprochant mon visage du sien, si bien que son haleine aux effluves sanguins me chatouillait les narines. Du fin fond de mon désespoir, je ne pus empêcher le soulagement de m’envahir ; elle voulait se venger sur moi, cela signifiait donc qu’elle n’avait pu le faire sur eux.
- Cependant, mes représailles ont un gout amer, je dois l’avouer, continua-elle avec un soupire las…Je te pensais exceptionnelle, unique, pour avoir été capable de déchainer tant de passion –son regard avide, concupiscent, se posa un instant sur un Démétri placide au regard vague-, mais je m’aperçois que tu n’as rien de spécial, absolument rien de spécial…pourquoi souris-tu donc ainsi ? N’en as-tu pas encore eu pour ton compte ?...Jane, mon petit ?!
Un moment je me suis persuadée de parvenir à dominer ce corps en perdition, à le soumettre à ma volonté, à mon désir violent de ne pas succomber, de rester digne, mais le fantasme ne tarda pas à voler en éclat. Elle ne relâcha pas sa prise lorsque je me débattis sous la torture. Elle me scrutait, admirative qu’elle était des prouesses de Jane. Tandis que j’hurlai à la mort, son délectable plaisir se laissait lire sur chacun de ses traits.
- Vous vous trompez ! sanglotai-je, la voix rauque, déformée par le supplice.
- Et à quel sujet précisément ? me railla-elle.
- Je le suis, spéciale…
Intriguée, elle leva une main pour prier Jane de s’interrompre. Plongeant son regard moqueur et féroce dans le mien, elle s’enquit :
- En quoi, hein, pauvre perdue ?
- Lâche-moi, ordonnai-je, lâche-moi donc démon et je te montrerai en quoi !
Elle desserra immédiatement sa prise –c’était un ordre- laissant échapper un hoquet de surprise. Ce léger moment de désarrois, cette petite hésitation, fut tout ce à quoi j’aspirai. Tout se passa alors très vite. Mon corps bondit en avant, mes mains encerclèrent son cou et dans un cri de triomphe, terrible et sauvage, son odieuse tête se retrouva à gîter sur le sol de marbre. Mais, la haine m’aveuglait toujours et je ne pus me résoudre à en rester là. Je m’enlisai inexorablement dans un redoutable tourbillon d’égarement ; dément et jouissif. Je la réduis en morceaux : déchirant de mes crocs, de mes mains tout ce qui pouvait l’être de son immonde personne. Je n’entendis pas les craquements sonores du corps que je désarticulais, pas plus que je ne vis les lambeaux que j’y arrachais, galvanisée par une rage telle que rien d’autre ne subsistait.
Le silence autour de moi s’était fait de plomb. Si je n’avais pas qu’ils étaient là, derrière moi, je me serais cru seule dans une pièce vide. Retrouvant mes esprits et mes peurs par la même infortune, j’hésitai à me retourner et à les affronter. Je m’écartai des restes de ce qui avait été un moment plutôt ma tortionnaire, paniquée. Qu’attendaient-ils pour me tomber dessus ? Je venais d’anéantir un don proprement inestimable et je savais quelle valeur avait ce genre de compétences aux yeux du roi de Volterra. Elle contrôlait peut-être certain d’entre eux par la force, mais rien ne me garantissait que cela ne se faisait pas avec le consentement d’Aro lui-même. Je me rendis à peine compte que je venais de commettre mon premier meurtre, car ma victime n’avait rien d’humain et ce dans tous les sens du terme. Je n’avais pas encore assimilé ce fait, mais je savais déjà que je ne regrettais rien. C’était elle ou moi, et contre toute attente je tenais encore à mon semblant d’existence, aussi infernale puisse-il être.
Alors, rassemblant tout mon courage, je fis face aux conséquences de mes actes. Statufiés, ils observaient le théâtre de mon aveuglement, ouvertement éberlués. Lorsque je surpris le regard de Jane sur moi, je ne pus m’empêcher un réflexe d’esquive, mais ses yeux écarquillés m’avaient déjà quittée avec empressement. Ce fut Démétri qui rompit les rangs le premier. Son visage d’adonis avait perdu ses dernières couleurs.
Il vint en coup de vent à mes côtés et sans me quitter de son regard hagard ; du bout des doigts, il palpa mon front, mes joues, mes lèvres, comme pour s’assurer que le tout était encore à sa place, l’expression insondable. Une ruche bourdonnante fourmilla sous ma peau. Par surprise, je me dérobai à son touché, un peu plus vigoureusement que ce que j’aurais souhaité. Il ne s’en formalisa pas cependant, et ses mains n’hésitèrent pas à reprendre leurs places. Emprisonnant mon visage, il m’astreignait à ne pas me détourner, à le regarder dans les yeux. Ses pupilles étrangement dilatées, d’un noir intense et brillant ne laissaient pratiquement plus voir de l’iris qu’un mince trait bordeaux. Son pouce imprima sur ma joue une longue caresse d’une infinie douceur.
Je ramenai mes mains sur les siennes, entravant son geste, tentant de lui signifier l’embarras dans lequel je me trouvais à être manipulée ainsi sous le regard attentif des siens, surtout après ce qui s’était passé quelques minutes plutôt. Mais il ne semblait pas s’en formaliser, car je le vis, impuissante, se pencher vers moi et joue contre joue se frayer un chemin jusqu'à mon oreille.
- Tu sais que je ne savais rien, n’est-ce pas ?...tu sais que je n’y pouvais rien ?
- Démétri…pas maintenant !
Je chuchotai à mon tour, consciente du culot de ma présomption ; vivrai-je assez longtemps pour qu’il puisse y avoir un plus tard ?
- Dis-moi que tu ne me crois pas impliqué dans tout ça, insista-il.
- Démétri…
On commençait à chuchoter, à s’agiter autour de nous, mais incapable de me dérober de son emprise, je ne pus voir ce qui se passait. Je le devinai très bien cependant. Une odeur d’encens brute, à l’arôme aussi entêtant que déplaisant envahit l’air. Du coin de l’œil, j’entraperçus l’épaisse fumée pourpre qui ondulait au-dessus d’un feu crépitant qu’on alimentait sans aucun doute possible des restes d’Ayushi.
- Je te crois, le pressai-je, je te crois Démétri.
C’était la vérité. J’étais certaine qu’il ne me livrerait pas à la mort s’il en avait le choix ; mais si c’est Aro qui le lui ordonne, en serait-il de même ?...Non, bien sûr que non. C’était là que se situait la limite de sa sympathie à mon égard et ça aussi j’en étais certaine.
- Eh bien !…eh bien ! Aro s’avança, gracieux et détendu, tapant dans ses mains avec un enthousiasme non feint, un grand sourire aux lèvres. Je crois bien qu’on a sous-estimé cette petite, n’est-ce pas aussi votre avis chers frères ?
Caius, occupé à converser avec les deux épouses, y répondit avec un rictus méprisant, tandis que Marcus se bornait à fixer sans ciller le brasier de fortune dans lequel se consumait les lambeaux du corps d’Ayushi, proprement envoûté par le spectacle.
À l'approche d'Aro, je me tendis comme un arc.
- Ne crains rien, me souffla Démétri en réponse.
Il s’était positionné dans mon dos, tout contre moi et ses mains encerclaient mes bras. S’il recevait l’ordre d’en finir avec moi, rien au monde ne lui serait plus facile dans cette posture là. Le regard espiègle d’Aro me scruta, s’attardant avec malice sur les mains que Démétri posait sur mon corps. La délicate peau de son visage menaçait de se craqueler sous l’effort, mais le grand sourire était toujours-là, retroussant ses minces lèvres sur une denture éclatante. Je ne pus m’empêcher un tressaillement.
- Je crois que je m’exprimerai par la voix de tous si je te disais qu’on te doit une fière chandelle, ma chère Angie…
Un murmure d’approbation parcourra ses loyaux sujets. Je ne me détendis pas pour autant, plus sceptique que jamais.
- Comme tu as sans doute dû l’interpréter, nous avons été contraints de tolérer sous notre toit la présence d’une convive assez…hum, indésirable, dirons-nous.
Je suivis malgré moi son coup d’œil féroce vers le bucher improvisé. En jetant le dernier morceau d’Ayushi dans les flammes dévorantes, Gianna m’offrit son plus beau sourire, empli d’une dérangeante idolâtrie. Je me détournai vivement.
- Oh, bien sûr, nous aurions fini par régler ce léger imprévu –Félix grogna son assentiment-, mais je dois avouer que ta manière expéditive a son petit charme…
Quelques rires fusèrent de ci de là parmi l’assemblée attentive des Volturi.
- Je n’ai pas vraiment eu l’impression qu’elle se heurtait à une vive opposition, grommelai-je, sèche.
La légèreté avec laquelle ils résumaient la situation m’horripilait au plus haut point. Et à ma grande surprise ma voix résonna dans la salle avec assurance, presque avec insolence.
- On ne profane pas la citadelle de Volterra sans impunité et elle n’y aurait pas fait exception!
Il n’avait pas parlé plus fort mais sa voix qui s’était faite plus dure et plus froide que jamais claqua comme un cruel fouet dans un silence total.
- Son entreprise était pure folie ! tôt au tard, son emprise aurait faiblie.
Il agita une main avec agacement, en marmonnant dans sa barbe quelques mots dans un Italien incompréhensible. Je frémis en me tassant sur moi-même, soudain nettement moins assurée, accentuant de ce fait et sans le vouloir le contact avec un Démétri désormais aussi fébrile que moi. La pression de ses doigts s’accrue autour de mes bras, comme s’il voulait m’enjoindre à un calme qu’il n’éprouvait pas lui-même. Mais, soudain, à une vitesse ahurissante l’expression sévère d’Aro s’altéra du tout au tout et il partit d’un rire tonitruant. Toujours prudente, son assemblé hésita à partager son revirement d’humeur.
- Ha !Ha !Ha ! s’amusa-il, l’œil brillant. On a vraiment beaucoup de chance de t’avoir parmi nous ! Décidément, ton audace n’a d’égal que ton charme ma chère Angie.
Il se tourna vers son auditoire.
- Cette petite a su faire valoir sa valeur ce soir, leur annonça-il, théâtral, désormais et au même titre que chacun de vous elle a le droit au respect et à la considération qui incombe à un Volturi. Je souhaite donc qu’on lui réserve la plus chaleureuse des bienvenues…En se retournant vers moi, tout sourire, il ajouta d’un air entendu : même si certains ont d’ores et déjà devancés mon souhait.
Le léger souffle que produit le rire contenu de Démétri me caressa le cou.
***
Dès que je la vis émerger de la petite dépendance, je lui fis signe de me rejoindre à la lisière du bois, loin des oreilles indiscrètes.
- Alors ? demandai-je sans préambule.
Tu vas toujours droit au but à ce que je vois, très cher cousin…
Sa voix mentale était amusée, cependant je me sentis légèrement confus. La situation aurait mérité que j’y mette plus de formes, mais l’état de fébrilité ambiant n’aidait pas vraiment. Je ne voulais pas tourner autour du pot. Elle parut comprendre.
Il n’est pas gay, si tu veux tout savoir…loin de là !
Son sourire était éclatant, son humeur radieuse.
Je n’ai jamais rencontré un homme avec autant…d’appétit.
- Tanya…soupirai-je, amusé et gêné à la fois.
Elle laissa échapper un petit rire ravi.
Je sais bien que ce n’est pas ce qui t’amène. C’est juste que cela me manque de jouer avec tes nerfs…C’est rare de nos jours ; les centenaires pudibonds.
- Je suis pudibond maintenant ? m’enquis-je ébahi.
Je déclenchai son fou rire pour de bon.
- On n’a rien à craindre d’Alexandre, m’informa-elle, reprenant fastidieusement son sérieux. C’est un gentleman.
- Vraiment ?
J’étais plus que sceptique au vu de la facilité avec laquelle il s’était séparé de son ancien compagnon.
- Vraiment. Il a seulement eu l’infortune de croiser le chemin d’un être peu scrupuleux, envieux et possessif. Sergei était un menteur invétéré. Il lui faisait croire à certains mythes sur les vampires et lui cachait d’autres vérités sur sa nature. Il veillait à le tenir éloigné de ses semblables et propageait la rumeur de son incroyable don afin de dissuader les esprits zélés de les approcher. Il méritait sa mort, aussi cruelle fusse-t-elle.
- Il t’a donc tout avoué ?
Mes dons sont peut-être plus subtils que ceux de vous autres, s’amusa-elle, avec une œillade significative, il n’empêche qu’ils n’en sont pas moins puissants.
Et le souvenir sulfureux dont elle me gratifia pour illustrer son propos, approuvait ses dires.
***
De nouveau retranchée loin du plus grand nombre de Volturi possible, mon désarroi fit place à de vifs questionnements. Ce qui était regrettable cependant, était le fait que le seul capable de me fournir les réponses semblait prompt à les monnayer au prix cher.
- D’où venait cette…femme ?
Il s’était attelé à me frictionner de ses caresses, comme pour me réchauffer ou me réconforter. À mon grand dam, il y parvenait plutôt bien. Je fis obstacle à ses mains avides cependant, ce que je m’apprêtais à demander ne souffrait aucune étourderie ou maladresse.
- D’Inde, je crois, concéda-il de mauvaise grâce.
Comme escompté, il ne semblait pas réellement enthousiaste à l’idée de s’engager sur le sujet.
- Elle parlait de …Benjamin, soufflai-je lourdement.
Prononcer son prénom, repenser à lui était déjà une souffrance en soi, un affront, alors le faire là dans les bras de son pire ennemi se révéla être pratiquement insupportable. Mais je n’avais pas d’autre choix, je devais savoir ce qu’il en était. Je ne pouvais me résoudre à faire taire la voix d’Ayushi qui résonnait encore dans mon esprit. Tes amis se sont permis le plus fou des audaces ; ils ont osé s’attaquer à Ayushi et Ayushi n’oublie ni ne pardonne jamais l’irrévérence. Tu vas payer pour lui, pour eux, chèrement...
- Comment est-ce arrivé ? Pourquoi voulait-elle se venger à leur dépends ?
- Il semble qu’ils soient allés à sa rencontre, qu’ils l’aient menacée.
- Ils ont… ? Mais, enfin ! Pourquoi ?
Ce fut visiblement la question de trop, celle au sujet de laquelle je ne devais avoir aucune précision. Il se dégagea de mon contact, pris ses distances et se mura dans son silence.
- Pourquoi ne veux-tu rien me dire ? Ne suis-je donc qu’une Volturi de seconde zone ?
Je n’aurais apparemment pas pu trouver mieux à dire pour capter de nouveau toute son attention. Il se retourna vers moi, prestement et me fixa, scrutateur. Abasourdie, je me rendis compte que mes paroles avaient trouvées en lui un écho inattendu. Quelque chose qui tenait de l’espoir ? Ne lisait-il pas l’ironie dans ma voix, ne voyait-il pas le bluffe dans mon propos ? Comment pouvait-il ne serait-ce qu’imaginer que je puisse me compter parmi les siens ? Que je puisse le vouloir ou seulement l’envisager ? Je me retins de justesse de le lui cracher au visage, de lui dire que rien de ce qu’Aro pouvait m’offrir ne pouvait me corrompre, ni m’aveugler ; je devais à tout prix savoir le lien qui unissait ma famille à l’immonde Ayushi, peu importe les bassesses auxquelles je devais me livrer. Je devais jouer toutes mes cartes, car je pressentais que l’information qu’il me taisait était d’une importance capitale.
- Alors ? insistai-je, poussant plus loin ma chance de le voir ainsi déstabilisé. Tu peux bien me le dire, je suis prisonnière ici alors qu’est-ce que ça changerait de toute façon ?...
Je pris sur moi d’adoucir ma voix et tout en maudissant l’hypocrite manœuvre, je repris doucement place au creux de ses bras. Il était aussi raidie qu’il paraissait être et ses lèvres ne se de serrèrent pas d’un millimètre lorsque désespérée je me décidai de tenter le tout pour le tout. Il m’écarta aussitôt, sans rudesse mais avec suffisamment de fermeté pour me dissuader de jouer à ce jeu plus longtemps. Sottement, je me surpris à en être vexée ; je n’avais pas une once d’emprise sur lui, même de la plus triviale des façons. Face à l’ascendant sans bornes d’Aro, je ne faisais pas le poids.
- Ne fais pas ça, me pria-il dans un murmure, c’est indigne de toi.
Je m’étais promis de me faire violence, de tout accepter sans broncher et afin de savoir ce qui était advenu de Benjamin et des miens j’aurais tout enduré en silence, mais ses mots ravivèrent en moi une haine sans nom, aussi sombre et terrible que celle qui m’a permis de mettre Ayushi en pièces. Elle grondait. Souveraine et inquiétante, elle excitait mes pires instincts.
- Sais-tu seulement ce qui est digne ou indigne de moi, hein ? Me connais-tu, ne serait-ce qu’un peu ? Comment oses-tu, toi, petite marionnette au service du diable, me parler de ce qui est digne et de ce qui ne l’est pas ?
Dans ses yeux noirs, il y avait un lustre éclatant comme de la soie. Une lueur si vivace qu’elle parvenait à percer l’opacité compacte de ses pupilles. Comme une étoile piégée dans un abysse, ne puis-je m’empêcher de penser, captivée. Son expression se passait de mot. Je parvenais finalement à l’ébranler, à faire s’envoler sa trompeuse sollicitude.
Je savais ce que j’avais à faire. Je savais que je n’avais pas d’autre choix et pourtant, ce fut stupéfiant pour moi de constater combien cela fut difficile à entreprendre. Comment pouvais-je me sentir coupable de trahison envers mon propre ravisseur ?
Est-ce Aro qui ne veut pas que je sois mise au courant ?
Ce n'était plus une demande, mais un ordre ; je lui faisais gouter mon don qu'il avait si longtemps sous-estimé.
- Oui, confirma-il d’une voix atone.
Sous le coup de la surprise, ses yeux restaient agrandies, figés dans leur stupeur.
- Pourquoi Benjamin et les autres sont allés voir cette femme ?
- Ils voulaient son soutien pour la révolte qu’ils comptent menée contre nous…
Ses tendons blanchis, attestaient des efforts qu’il faisait afin de se dégager de mon emprise. Ses paupières s’étaient rétrécies, les ailes de son nez étaient pincées à l’extrême et sa poitrine était haletante. Mais sa colère manifeste et véhémente ne me toucha, ni ne m’effraya point. J’étais juste…déconnectée. Oui, c’était le mot ; déconnectée de cette absurde réalité. Glissant contre le mur, je retrouvai lentement le sol.
Mon ange n’avait pas oublié sa promesse. Contre toute raison, il persistait à s’engager dans une voie sans issue. À présent qu’Aro le savait, qu’il avait une longueur d’avance sur les miens, ils étaient tous perdus.
***
- Nous y somme, résuma Carlisle, fataliste. Cette fois nous ne pouvons plus reculer, nous devons prendre une décision.
- Quelles sont nos options ? s’enquit de nouveau Esmée.
Elle n’était pas sans savoir que nos options étaient limitées, sa réplique n’était qu’une manœuvre malhabile afin de repousser l'échéance.
- Je ne prétends pas savoir quelle est notre meilleure option, mais je crois bien que Benjamin ne nous attendra pas bien longtemps, intervint Alice.
Son regard vitreux, cerné, attestait de son état de fatigue moral.
- D’après ce que j’ai vu, il semble avoir de plus en plus de mal à maîtriser ses nouveau-nés. C’était plutôt prévisible, un seul peut déjà poser beaucoup de soucis lors de ses premiers jours, alors une dizaine, une vingtaine…enfermés de plus sous le même toit. C’est pratiquement ingérable comme situation, et s’il ne veut pas qu’ils se détruisent les uns les autres, il doit agir vite…Il va agir vite.
- Nous ne pouvons laisser faire ça, nous devons agir nous aussi ! s’insurgea Rose, incapable de retenir sa fureur plus longtemps.
Vraiment ? s’inquiéta Bella, étonnée de voir Rosalie nous pousser à l’action alors qu’elle s’était montrée si viscéralement opposée à la moindre intervention, au moindre plan esquissé. Évidemment, elle n’avait juste pas saisie le sens de ses propos, car Rose n’avait en aucun cas changé de directive, on ne pouvait rien attendre d’elle de ce côté-là. Pour un esprit buté tel que le sien, les jugements ne se faisaient qu’une seule et unique fois.
- Oui, nous devons aller l’arrêter. Je vous avais prévenu. Il a définitivement perdu l’esprit s’il croit pouvoir se pointer à Volterra avec une vingtaine de nouveau-nés, assoiffés et incontrôlables. Les a-t-il seulement entraînés ? Comment peut-il être certain qu’ils ne vont pas lui fausser compagnie à la première occasion venue ? Où croit-il que tout cela peut le mener franchement ?
- En réalité, il ne compte pas réellement combattre les Volturi, éclaircis-je, il veut juste créer une diversion suffisante afin de pouvoir trouver Angie et la délivrer. Pour la vengeance, cela attendra. Ça a toujours été son plan.
- Ça ne le rend que plus délirant ! s’outragea-elle, acculée. Il va juste réussir à livrer votre plan suicidaire à Aro. Il va tous nous faire décimer ! Nous devons aller l’arrêter et étouffer définitivement cette affaire avant qu’elle n’arrive aux oreilles des Volturi.
Et si on doit en finir avec lui par la même occasion on s’en privera pas…Songea-elle avec la force du désespoir, de la peur, peut-être est-ce après cela qu’il cherche après tout ?…Sinon comment expliquer son comportement autodestructeur ?
- Ce qu’elle dit n’est pas insensé, nota Jasper.
Il savait combien c’était difficile de gérer un groupe de nouveau-nés, il savait combien se serait aisé pour les Volturi -avec leur expérience et leurs incroyables dons- de les terrasser jusqu’au dernier.
- Jazz ?! s’exclama vivement Alice.
- Je sais ce que tu penses Alice, je suis de ton côté, l’apaisa-il doucement, ça ne m’empêche pas de trouver du sens dans ce que dit Rosalie. Si Benjamin s’apprête à devenir un handicape pour nous, s’il s’avère réellement qu’il n’y ait aucun espoir dans ce qu’il a entrepris, nous devrons agir en conséquence. Nous ne pouvons le laisser livrer notre plan, ainsi que son don au Volturi. Ça pourra nous être fatal.
- Je n’ai rien vu d’aussi précis, rappela-elle, et dans sa voix on devinait toute son amertume, son désarrois. Mes visions n’ont jamais été aussi changeantes, aussi peu fiables. On ne peut plus se baser dessus d’ores et avant…
Mais comme pour la contredire, la vision fut là, plus claire, plus précise que jamais ; elle nous emporta tous deux dans un tourbillon de découvertes.
- J’ai eu tort, nota-elle simplement, avec un sourire sans joie, nous allons finir par nous mettre d’accord finalement.
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Commentaire de l'auteur:
Merci d'avoir lu ^^
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