L'impasse
Commentaire de l'auteur:
Oui oui je sais, sa fait très très longtempsque je n'ai pas publier de prochain chapitre et je m'en excuse. J'espère que vous avez continue à suivre l'histoire et que la suite vous plaira.
Bonne lecture.
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Elle m’observait. Étendue près de moi, elle me scrutait sans relâche. C’était une sensation des plus agréable et même si je devinai son impatience face à mon inertie, je restai impassible un certain temps, coupable de vouloir faire durer le plaisir. Mais finalement incapable de contrôler ma curiosité je lui fis face enfin.
Sa mine semblait fiévreuse, ses pupilles charbonneuses brillaient trop. On pouvait y déceler tour à tout ; l’inquiétude, l’envie et la tristesse. C’en était déroutant. Je me relevai sur un coude, tentai un sourire hésitant. Je ne savais quoi penser des émotions contradictoires qui malmenaient ses traits, ce trouble dans son regard. Je ne pus cependant m’empêcher de laisser errer mon regard sur elle. Un désir violent s’empara de moi, presque douloureux. Sa beauté était cruelle, dévastatrice.
Un petit air exaspéré se peigna sur son visage pâle, peut-être était-il un peu faux car elle ne semblait pas pressée de se dérober à mon examen, et l’effet qu’elle produisait sur moi paraissait être à son goût. Oui, cruelle elle l’était et c’était certainement ce qui faisait tout son charme. Mais bientôt, à une vitesse folle, son visage s’assombrit et ce fut comme lorsqu’un nuage inopiné voile un soleil éclatant. Ce changement brusque d’humeur ainsi que ce mutisme prolongé commençait à distiller en moi une légère inquiétude. Je sentis un pli me froisser le front.
- Pourquoi me regardes-tu ainsi? m’enquis-je le ton léger.
Je me penchai avec lenteur et prudence, caressai son visage soucieux, déposai un baiser aérien sur ses lèvres tentatrices.
- Je te regarde comment?
La réplique ne se fit pas attendre. Un sourire étira mes lèvres ; si c’était un guêpier je m’y étais précipité tête la première. Je me dérobai à sa question et cherchai ses lèvres avec soif. Elle me repoussa consciencieusement. Je ne me laissai pas dissuader pour si peu et avec effronterie m’escrimai à lui voler le baiser.
- Cruelle! murmurai-je, amusé par ses débandades mais réellement assoiffé.
- Je te regarde comment? répéta-elle avec insistance.
Son air buté était pratiquement irrésistible.
Tu me regardes différemment, fus-je tenté de dire, tu ne me regardes plus comme ce monstre que j’étais condamné à être dans tes yeux. Je me retins cependant, sans en savoir la raison. Peut-être voulais-je éviter de le lui rappeler, ou peut-être eus-je tout simplement peur de rompre le charme ; les mots avaient quelque chose de définitif, de brutal. Je ne voulais rien risquer. Et mes autres tentatives de communication, tactiles, corporelles, furent toutes parées sans scrupules.
- Angie… ne puis-je m’empêcher de souffler tout bas, tandis qu’un léger agacement s’emparait de moi.
Je voulais vivre le moment présent. Sans parler, sans penser. Juste durant un court laps de temps, car je savais que tout au tard, au bout du chemin la décision de ma vie m’attendait et je n’étais pas spécialement empressé d’aller à sa rencontre.
Je revins à l’assaut et du dos de la main frôlais délicatement le galbe sans pareil de sa voluptueuse poitrine. Elle frissonna sous la caresse, mais je savais qu’elle n’était pas prête à déposer les armes et en effet, elle ne l’était pas. Elle se couvrit d’un drap.
- Il n'y a pas d’Angie qui compte !
- Così bella… Così desiderabile… Così crudele ! susurrai-je à son oreille, d’une voix que j’escomptai séductrice.
- Dis-moi! suppliai-elle, presque, assénant une tape sur la main qui s'étant posée sur sa cuisse, essayait de s'infiltrer sous l'étoffe.
Sa voix était légèrement chevrotante, basse et douloureuse. J’aurais voulu la rassurer, chasser les doutes qui s’étaient emparés d’elle, mais comment le pourrai-je alors que je me retrouvais moi-même incapable de me rasséréner ?
- Te dire quoi ?
La provocation faisait toujours merveille sur elle. Elle n’est jamais plus belle que lorsque la colère assaille son visage. Sa main se tendit vers ma joue, dans le dessein évident de me faire payer mon audace, mais et à mon grand étonnement, la gifle se transforma au moment ultime en douce caresse. Ce fut à ce moment-là, comme sous l’impulsion d’un électrochoc que la lumière d'une subite, fulgurante constatation, inonda mon être, s’imprégna en moi, et je compris tout ce qu'il y avait à comprendre. J'aurais voulu y être hermétique, savoir lutter encore, redevenir celui que j'étais avant de saisir. Mais, c'était impossible d'y revenir par un simple acte de volonté. Le chemin qui m'avait mené jusqu'à cette stupéfiante observation était une impasse et reculer pour y échapper m'était interdit.
Je l’aimais!
Le reconnaitre enfin fut un soulagement. Oui je l’aimais, plus que je ne l’aurais cru possible, plus qu’il ne devait être permis. Mais était-ce suffisant ? Me laissera-t-on jamais me racheter à son égard ?
- Ah, Angie! Soupirai-je, encerclant son visage de mes mains, posant mon front contre le sien. Pourquoi toutes ces questions, hein? Certaines choses n'ont pas besoin d'être dites. Il est très suffisant de les ressentir.
De cet aveu elle resta muette. J’en profitai. Je fendis sur ses lèvres avec une avidité renouvelée, tentant de repousser à bras le corps l’impitoyable retour à la réalité qui me narguait derrière le rempart des portes.
***
- Il est sur ses gardes et il ne s’apaisera que lorsqu’il connaitra nos intentions, soupira Carlisle en venant à ma rencontre.
Il parlait de Benjamin qui nous évitait de son mieux, autant que faire ce peut. On était une variable qu’il n’avait pas incluse à sa formule. Et comme il n’arrivait pas à deviner notre but réel, sa prudence quoi que justifiée, frôlait la paranoïa.
- Ce n’est pas faux, acquiesçai-je, et qu’en est-il justement de nos intentions ?
L’heure n’était plus aux réflexions. Il fallait absolument qu’on tranche.
- Ce serait de la folie de tenter quoi que ce soit sans murement y réfléchir au préalable. Ils sont si nombreux et tous si jeunes, ça m’étonne qu’ils n’aient pas encore attiré d’attentions.
- Oui, c’est vraiment surprenant qu'ils ne se soient pas fait repérer…ils ont eu de la chance, trop même.
Il fronça les sourcils, légèrement déstabilisé.
- Tu penses qu’il est possible qu’ils sachent pour eux et qu’ils attendent seulement le bon moment pour agir ?
L’idée n’était pas aberrante.
Nous étions tous deux biens placés pour savoir que les Volturi avaient leurs moyens d’information propres, et ils étaient incroyablement efficaces. Sans cela, ils ne seront pas devenus ce qu’ils sont aujourd’hui.
Si c’est le cas notre venue ici va accélérer le processus, songea-il avec lassitude.
- Peut-être, conclus-je, mais Alice prétend que c’est là que nous devons nous trouver, même si elle ne semble pas savoir exactement ce que nous devons y faire.
- Tu crois vraiment?
C’était la première fois depuis une éternité que je le voyais sourire ainsi, d’une manière aussi franche et spontanée. Je suivis son regard, amusé. Un petit peu plus loin, sur le terrain vague à l’arrière de la cour, Jasper faisait des merveilles de prouesses et arrivait à parer aux attaques simultanées de trois nouveau-nés. Quelques-uns semblaient attendre leur tour. Il s’était attelé à leur entrainement le lendemain même de notre arrivée.
- Jasper a pris sa décision, ce qui signifie…
- Qu’Alice aussi, finis-je pour lui, en faisant la lumière sur les points d’ombres qui me taraudaient depuis un moment. Elle a prévu tout ça. Elle n’a jamais eu l’intention de les sacrifier, elle l’a toujours exclu.
Je n’en revenais pas de ne le suspecter qu’à l’instant. Nos soucis étaient devenus si compacts ces derniers temps que je n’arrivai apparemment plus à suivre la cadence au point de me laisser surprendre par ma propre famille.
- Elle a réussi à t’avoir toi aussi, s’émerveilla-il, c’est incroyable.
- C’est vrai, admis-je avec un demi-sourire. Elle a fait fort ce coup-là. J’aurais dû me douter ; elle a appris de nouveaux hymnes nationaux, ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille.
Il rit de bon cœur.
Tu crois que Jasper était au courant depuis le début, qu’ils avaient prévus ça à deux ?Cette possibilité semblait étrangement lui mettre du baume au cœur. Ils sont si soudés, si pleins de ressources…si ça tournait vraiment mal, ils pourraient s’en sortir, oui, surement…Aro les voudra…ça ne sera pas si terrible après tout, pourvu que l’un de nous…
Je lui empoignai doucement l’épaule, il se reprit.
- Ce ne serait pas la première fois. Leur désaccord n’était peut-être qu’un stratège qui sait… ? répondis-je inutilement, afin de chasser ses pensées.
- C’est peut-être pour le mieux, avoua-il soulagé, si nous voulons combattre les Volturi pour une juste cause, nous ne devons pas emprunter une voie qui est leur. S’ils nous ont d’ores et déjà repérés, nous devrions faire de notre mieux pour les recevoir en bonne et due forme, et ces nouveau-nés ont besoin d’entrainement.
Sur ce, nous nous dirigeâmes vers le reste du groupe avec la ferme intention d’être fin prêt lorsque l’heure aura sonnée.
***
Mes lèvres effleurèrent ses élégantes courbes ; alléchantes, artistiques. Allèrent butiner avec une délicatesse qui se voulait punitive, sa fleur de peau. Sa bouche entrouverte laissait échapper un léger halètement, un gémissement contenu aussi doux à mes oreilles que la plus virtuose des musiques. Ses yeux étaient clos et son visage lumineux était contracté sous le courroux d’une douloureuse extase.
- Est-ce que je peux savoir où tu vas comme ça ? soudain sa main qui fourrageait dans ma chevelure, m’agrippa sèchement.
- À diable ! répondis-je en déposant un baiser sur son petit ventre.
Ses yeux se rouvrirent instantanément, ses cuisses se celèrent l’une à l’autre et se firent complètement imperméable. Elle m’obligea à remonter à hauteur d’yeux.
- Tu es complètement fou, m’informa-elle dans un murmure.
- Oui, avouai-je, complètement.
Elle répondit à mon baiser avec un enthousiasme non feint, et son corps redevint mou et avenant contre le mien. Fou je l’étais, mais uniquement d’elle. Je reposai ma tête contre sa poitrine ; satisfait, pour l’instant. Je me laissai bercer par ses respirations ; car elle respirait. C’était agréable, tellement…humain et inutile, mais agréable tout de même.
On resta ainsi un moment. Un silence parfait nous enveloppait, peut-être moins quiet qu’il ne donnait l’air. Sentait-elle comme moi l’éminence de quelque chose qui semblait planer sur nos têtes (un peu comme l’oppressante odeur de pluie juste avant que ne vienne l’orage) mais sans pouvoir en saisir la teneur ?
- Je crois que le mieux serait d’en parler à Aro, m’entendis-je dire.
Il n’y avait pas d’autre alternative. Si nous avions un jour cru que de garder Angie parmi-nous ferait rappliquer l’Egyptien, cet espoir est perdu depuis déjà longtemps et le moindre forfait contre sa famille me ferait perdre toute espérance en ce qui la concernait. Il est vrai que cela ne m’acquittait pas envers les miens, j’avais un rôle à jouer, une tâche à accomplir, la plus importante peut-être, la plus indispensable. Mais tous mes bons services passés ne m’octroyaient-ils pas le droit à un léger écart de conduite ?
Sa respiration eut un arrêt brutal.
En se relevant vivement, elle vrilla son regard au mien et à la manière dont ses iris vacillaient frénétiquement en inspectant les miens; je sus que je venais de proférer quelque chose de si aberrant à ses yeux qu’elle s’en retrouvait sans voix.
- Tu n’y penses pas sérieusement ? finit-elle par susurrer.
Elle semblait glacée, figée sur place.
- Il est loin d’être l’homme que tu crois…il te surprendrait, lui affirmai-je avec conviction. Il ne m’a jamais refusé quoi que ce soit, le respect entre nous a toujours été mutuel et il n’y a aucune raison pour que ça change maintenant. Si je lui fais part de mon envie de prendre le large, juste pour quelque temps, il ne s’en formalisera point.
Elle tituba jusqu’à moi, m’agrippa fermement les épaules.
- Promet-moi, de ne jamais rien lui dire, quoi qu’il arrive, quoi que tu penses. Jamais ! Promet-le moi ! une peur inouïe avait assiégé sa voix.
- Angie, calme-toi et écoute-moi…
- Non, toi écoute-moi Démétri. Si tu ne devais le faire qu’une seule fois, fais-le maintenant, supplia-elle. Sa voix s’était faite murmure et les tremblements qui agitaient son corps n’avaient rien de feint. Et si je représente quelque chose pour toi, si j’ai jamais compté à tes yeux ne serait-ce qu’un peu, tu dois m’écouter ! Promet-le-moi !
- Angie…(elle était accrochée à mes lèvres)…c’est vraiment insensé de t’en faire comme ça… ( ses yeux vacillèrent et ses cernes, sa pâleur, parurent plus marqués que jamais. Elle baissa la tête). Angie…
Elle ne repoussa pas mon contact, mais sa froideur soudaine ne m’échappa pas.
- Tu dois avoir raison, c’est surement moi qui en fais trop, fit elle ironique, sa voix était aiguë, serrée. Sa main glissa doucement et quitta la mienne. Je dois me tromper sur le compte d’Aro, ce n’est pas comme s’il avait démoli toute ma vie…
Une onde de chaleur me parcourut l’échine, un voile troubla ma vue et je mis un moment pour comprendre que c’était ainsi que se manifestait ma honte jadis, du temps de mes émotions humaines. Elle sembla s’en apercevoir, s’en repentir même. M’atteindre n’était pas son intention, et cela ne fit qu’ajouter à ma confusion.
- Je sais que c’est dur pour toi de le voir sous sa vraie nature, peut-être y a-t-il du bien en lui après tout (elle n’en pensait pas un mot), mais lui révéler nos intentions serait suicidaire. Tu n’as pas idée de ce qu’il serait capable de faire pour t’empêcher de quitter Volterra. (Elle s’approcha avec précaution, comme un démineur sur son champ de mines.) N’as-tu jamais rien su pour Didyme ?
- Pour Didyme, demandai-je, interloqué. Que n’ai-je pas su sur Didyme ?
- Elle a voulu partir elle aussi, avec Marcus…
- Vraiment ? dis-je surpris par l’information, mais davantage encore par le fait qu’elle vienne d’elle.
- Oui, c’est normal que tu n’en saches rien. Il n’y a qu’Aro qui ait jamais rien su du projet du couple. Démétri…chuchota-elle, comme sur un ton d’excuse, comment t’expliques-tu que Marcus soit encore là et qu’elle soit morte ?
- Morte? répétai-je bêtement…mais enfin c’est absurde, Didyme n’est pas morte. Elle est partie, il y a des années de cela, brisant par ce fait ce pauvre Marcus, mais elle est toujours en vie, quelque part…
- As-tu jamais pu retrouver sa trace ? demanda-elle avec entêtement.
- Non, mais ça ne signifie rien, elle a très bien pu développer un pouvoir qui annihile le mien, ou rejoindre un quelconque vampire qui en avait un…on sait maintenant qu’il en existe de cette sorte.
Elle hocha lentement la tête, l’expression douloureuse.
- Démétri, on t’a menti. (Elle reprit ma main dans la sienne). Si Aro apprend quoi que ce soit, s’il nous suspecte…je t’en pris, je ne veux pas être une deuxième Didyme, alors promets-moi !
***
Ses lèvres gardaient une parfaite immobilité, mais j’eus néanmoins l’impression qu’il me souriait. Je l’observai encore plus attentivement, convaincu qu’il s’agissait là de quelque puissante illusion qu’il était possible de déjouer à force de pénétration ; mais plus je regardais, plus il paraissait sourire. Les mots d’Angie avaient failli insinuer en moi un léger doute, mais à présent que je faisais face à Aro, j’étais incapables de leur attribuer le moindre crédit. Avec Marcus, il était le premier à pâtir du départ de Didyme ; comment pourrait-il être l’assassin de sa sœur ?
Ma décision n’en devenait que plus dure à assumer. J’étais plus crispé que jamais, et la culpabilité me ravageait de l’intérieur. J’essayai de mon mieux de ne rien laisser transparaitre de mes tourments internes.
- Tu trouves donc que c’est le moment, répéta-il pensivement, ses prunelles embrumées me quittèrent et allèrent se fixer au loin. Il garda le silence un instant avant de se retourner vers son frère…qu’en penses-tu Caius ?
- C’est plus que largement le moment, répondit celui-ci avec un brin de froideur.
- N’est-ce pas trop dangereux par ces temps incertains d’envoyer ce cher Démétri au-devant d’une tâche si ardue…
Caius fit claquer sa langue, agacé. Cela me laissa songeur, et l’impression omniprésente que quelque chose m’échappait m’envahit de nouveau. Je refusais cependant de plier devant ce pressentiment et je le refoulais du mieux que je pus. C’était moi qui dissimulait une traitrise et non pas eux.
- Maitres, me permis-je d’une voix assurée, je saurais me montrer à la hauteur.
- La prudence est de mise, insista Aro, le danger est plus périlleux qu’il ne parait.
- J’en convient et le conçoit parfaitement. Si j’ai les bons éléments en main, je n’ai aucun doute quant à mon succès.
- Comment comptes-tu t’y prendre ? s’intéressa-il.
- Je partirai en reconnaissance…seul. Je les trouverai, évaluerai leur force et reviendrai avec les informations qu’il faut pour échafauder un stratagème qui vous épargnera le souci de vous déplacer.
Aro partit d’un rire chaleureux.
- Ça c’est parlé ! s’exclama-il ravi, comment oses-tu cher frère douter après un tel discours ?! Tu m’as convaincu, va et garde-toi bien de me désappointer devant ce pessimiste !
Sur cette recommandation et avec un sourire forcé, une courbette raide, je partis.
***
Ses grands yeux lumineux me fixaient, pleins d’une curiosité toute enfantine, emplit de confiance. Il avait levé sa petite tête vers moi, écarté de ses doigts malhabiles les boucles sombres de ses mèches rebelles et m’avait fixé, comme si parmi tout le reste (l’horreur qui l’entourait) il n’y avait que moi à regarder. Les cris fusaient, le sang coulait et le visage de l’innocence n’avait d’yeux que pour moi.
Un moment sous le regard de l’enfant je restai figée. Je me sentis enveloppée dans une bulle, engloutie par sa candeur et épargnée. Oui, c’était le mot. J’étais épargnée, hermétique à l’abomination qui faisait rage autour de moi. Pourtant je sentais la nécessité d’agir, de me réveiller, faire quelque chose contre ces monstres qui se disputeraient bientôt sa vie, avineraient son sang et son âme sans embarras. Mais briser ce moment m’était intolérable. Une petite voix en moi me susurrait, essayait de me rappeler que face au sang, je n’étais moi-même qu’un monstre. Jamais je ne fus aussi faible devant la tentation.
On m’épargna la peine de prendre une décision; un hurlement strident le fit. Les yeux sereins de l’enfant quittèrent les miens, soudain dilatés par la peur et la confusion. Ses petites lèvres mimèrent un mot silencieux. Mama ! Le cri retentit de nouveau, étouffée. Le petit garçon hésita quelques pas vers la source de la supplique, puis s’arrêta. Il renifla vivement, puis éclata en larme. Si j’en avais encore un, ses pleurs m’auraient brisé le cœur en mille morceaux ; j’agis par instinct. Je vis le moment avec un effroyable sentiment de déjà vu. Je m’élançai vers l’enfant, essayai d’être délicate en m’emparant de lui, me relevai la tête nichée dans son cou tandis que les ombres nous assiégeaient.
Je savais que j’arrivai trop tard, ils ne comptaient pas l’épargner et ses suppliques l’avaient rappelé à eux. Les pleurs de l’enfant redoublèrent dans mes bras ; j’étais dure, froide, inhumaine et il le sentait. L’instant de répit fut bref. Je sentis bientôt le petit garçon me glisser des mains tandis qu’on s’en emparait. Je leur fis face, résignée.
- Lâche-le, se contenta d’ordonner Chealsea.
Derrière elle se tenait Jane et son regard ne souffrait aucune réplique. Je me sentis vide tout d’un coup, vide et impuissante. Ma prise se relâcha, je lui abandonnai l’enfant. Je m’apprêtai à les suivre comme un drôle de somnambule, inconscient et masochiste ; mais il fut là et sa main se referma sur mon bras. Son tors étouffa mes sanglots.
- Empêche-les ! Ce n’est qu’un enfant…
- Je ne peux pas, soupira-il d’une voix fatiguée. On ne doit pas attirer l’attention.
Je relevai les yeux vers lui, et eut la certitude d’avoir tenu cette promesse que je m’étais faite en le rencontrant pour la première fois. Je l’avais rendu aussi triste qu’il était permis, je m’étais surpassée dans ma tâche.
- On ne doit pas …?
- Non, surtout pas, ce soir on part, répondit-il simplement, affectant de parler comme si ce n’était presque rien, un détail.
Pourtant je voyais la peur dans ses yeux, une peur immense qui néanmoins laissait transpercer une infime espérance.
***
Je retins mon souffle comme si j’aurais pu par là mettre fin a ma vie et surtout à ma conscience, à cette conscience claire, d’une clarté épouvantable, qui percevait tout et qui, cependant, ne comprenait rien. Je voyais toutes ces images défilées à une vitesse folle. J’en avais déjà vu tant ; certaines s’étaient réalisée d’autres pas, rarement elles ne furent si limpide et pourtant si inconcevables. Je restai muette, alors que ce cris dans ma gorge, se démenait, me griffait de toute la force de son horreur, bataillant pour claironner au grand jour.
Une main se posa sur mon épaule, je sursautai.
- Alice ? Tout va bien ?
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Commentaire de l'auteur:
Merci d'avoir lu.
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