L'accord
Commentaire de l'auteur:
Coucou tout le monde!! J'espère que vous vous portez bien ^^ Me revoilà avec un nouveau chapitre.
Je vous laisse lire!
Son visage d’ange à la pâleur alarmante m’apparut; décomposé. Son regard maladif, flamboyant, effrayant de haine lui aussi se dévoila à moi. Ses lèvres blanches, sans sourire, se contractèrent, frémirent, lorsqu’il me vit. Pendant une brève seconde d'inconscience, sa douleur me captiva de la plus morbide des façons; car elle était pour moi, pour moi! Quand je me repris, lorsque je me rappelai de ces autres autour de lui, ces meurtriers si proches ! Je fus prise d’une terrible envie d’hurler, de lui crier de se retourner, de ne pas leur tourner le dos. Cependant, je restai là à le dévisager, réduite au silence, séduite par l'émotion qui torturait ses traits. Par ma faute, il était ici à Volterra ! Je secouai convulsivement la tête, niant cette réalité. Refusant d’admettre qu’à cause de moi, il soit désormais sous leur bon vouloir, à leur merci.
Je m’élançai vers lui; une partie de moi espérait plus que tout qu’il s’évapore tel un mirage et que je demeure comme l’assoiffé dans son désert, insatisfaite. Je pourrai survivre à ce manque si je le savais en sécurité, loin d’ici, parmi ceux qu’il aime. L’autre partie de moi, en traitre égoïste, ne cessait de songer au réconfort que ce serait de l’enlacer rien qu’une seule fois et de me laisser aller dans ses bras.
Mais aucune des deux parties qui me lacérait n'eut sa consolation, car les mains me retinrent, me clouèrent sur place. Cette fois-ci le cri de rage m'échappa bel et bien et ma voix raisonna dans la vaste pièce, dans le hall; démente. Démente? C'était peut-être ce que j'étais en train de devenir. Car à l'instinct d'une possédée, je me démenai, me débattis afin de leur échapper. Je venais de saisir pourquoi certaines personnes basculent dans la folie, pourquoi pour certaines d'entre elles rien ne compte plus. Et mon spectacle semblait l'insupporter, le déchirer davantage. Je me savais en train d'alimenter son agonie, car il se détourna de moi, plus livide que jamais. Seulement, je ne m'arrêtai pas pour autant, je ne m'en sentais pas la force; il ne m'en restait pas pour affronter cette réalité, celle qui voulait que l'un des êtres les plus chers à mon cœur se retrouve à son tour condamné. Il était tout à fait exclu que j'assiste à ça, que je laisse faire ça!
Mon ange fit face à Aro, les yeux contractés, suppliants. Tout en le fixant, il mit genoux à terre et quand je compris ce qu’il faisait, le volcan en moi finit par cracher sa lave dévorante qui m'incendia; je voyais rouge.
- NON! hurlai-je, haletante, luttant plus fort pour me dégager, afin de l'empêcher de se prosterner devant ce monstre. Mais mes efforts furent vains, mes ruades inutiles.
- Je t'en conjure ! murmura Carlisle à l'intention du monstre dressé au-dessus de lui et sa supplique fut noyée dans mes cris d'hystérie.
- Mais, lâchez-la enfin! s'exclama celui-ci, comme pris de court, incommodé et si je ne le savais pas incapable d'un tel sentiment, je l'aurais cru gêné.
Ils s’exécutèrent aussitôt et je saisis que leur camisole de force m’arrangeait d’une certaine façon; car sans elle, une fois libérée, j’étais désemparée. Je restai donc plantée là, la tête tournante, la poitrine haletante. Une rancœur si vive me possédait qu'elle me paralysait, m'empêchait de réagir.
- Relève-toi donc, cher ami! le pria Aro. Indécis, il tenta de l'aider, mais Carlisle plus vif n'eut pas besoin de cette main secourable, sachant pertinemment qu'elle ne se voulait point charitable.
- Garde-moi, murmura-il encore à l'intention d'un Aro privé de son plaisir. Au nom de notre amitié (il dut s'obliger à prononcer les mots, il était parfaitement clair, aujourd'hui plus que jamais, qu'aucune amitié ne serait désormais possible entre les deux hommes). Permet-moi de rester à sa place…je t'en conjure…je te serais bien plus utile!
Il semblait désespéré, comme s'il fut conscient de lutter stérilement, comme si la sentence lui était déjà connue et c'était certainement le cas. Alice y a sûrement veillée. Et je lui en voulais terriblement, à elle ainsi qu'à tous les autres de l'avoir laissé venir ici. Étaient-ils totalement inconscients?!
Bloquée encore dans mon état d'effarement, je ne fus pas apte à comprendre ce qui se disait, ou plutôt, je refusais strictement d'en saisir ne serait-ce qu'un mot.
- Il n'est absolument pas question de garder qui que ce soit, s'empressa de lui répondre l'interpellé, visiblement étonné par son ton amer, par sa voix méconnaissable, cela ne l'empêcha cependant pas de fixer sa main avec un appétit renouvelé, presque de la voracité. Comme tu le sais fort bien, chacun ici est libre d'aller au bon lui semble!
Il semblait si sincère, qu'il parvint une fraction de seconde à m'abuser. J'en n'en revenais pas, le souffle m'en fut coupé! Je me figurai qu'il s'était tellement et si profondément embourbé dans son propre mensonge qu'il commençait à y croire lui-même. Il se tourna vers moi, complaisant.
- Veux-tu partir? s'enquit-il, d'un ton plein de douceur.
Exactement au même instant que sa requête me fut exposée, une étrange, alarmante sensation s'empara de moi; son intensité augmentait graduellement à mesure que ma conception des choses prenait une tournure dès plus stupéfiantes. Soudain tout changea radicalement. Mon chagrin, mon désespoir, disparurent, volatilisés comme par une sombre magie et mes convictions les plus profondes volèrent en éclats.
Il y avait tous ces autres autour de moi qui me consultaient du regard, comme accrochés à mes lèvres. Je les aimais d'un amour inébranlable, sans équivoque. J'étais l'une des leurs et j'en étais fière, si fière! Au milieu de la pièce, il y avait cet homme au visage sans couleur qui me fixait lui aussi, les traits tourmentés. Il était la menace, l'intrus. Il causait du souci à mon maître. Je le méprisais ardemment! Il constituait la honte de notre communauté; un vampire qui se refuse le sang humain, un faible! Je voulais qu'il parte! Qu'il disparaisse! Qu'il meurt!
- Angie…, susurra-il à mon intention, inconsolable.
Pourquoi me parlait-il? Je voulais qu'il se taise, j'allais le faire taire! Mais sa voix était si belle, si douce, si familière…Et juste à l'instant où elle faillit me réveiller, une autre au fond de moi, m'assura qu'il était tout ce que je détestais, tout ce que je dédaignais et je la croyais! Quel autre chois avais-je? Elle était si persuasive!
On souriait tout autour de moi, comme amusé par une secrète plaisanterie. J'aurais voulu être dans la confidence, partager leur humour.
- Angie… répéta-il encore, plus faiblement cette fois, comme si tout son courage le quittait irrémédiablement.
Ses yeux!... Son visage d'ange! …Sa voix! Je les reconnaissais, ils me rappelaient de lointains souvenirs, d'heureux souvenirs. Est-ce possible qu'il soit la menace?
Il l'est! m'assura la voix encore, mais elle s'épuisait en vain, car je venais de me réveiller, de recouvrir la vue. Je venais de comprendre pourquoi tout sonnait soudain si faux, si artificiel. Je venais de parvenir à chasser l'ombre malsaine qui voilait mes yeux de son odieuse tromperie. Comment mon ange pourrait-il jamais être la menace? Comment pourrais-je jamais cesser de l'aimer? Comment?!
Quand je parcourus la pièce à la recherche de la cause de tout cela, je la trouvai sans peine. Ses yeux étaient rivés à moi et elle semblait en proie à une terrible migraine, grimaçante. Chelsea! Une brune, au visage pointu et aux petits yeux pétillants et bridés. Elle papillonna de ces derniers, paraissant hébétée. À coté d'elle, un homme à la morphologie androgyne, la consulta du regard. Je reconnus Afton, son partenaire. Afin de lui répondre, elle se contenta d'hocher doucement la tête, en signe de négation.
Je me détournais d'eux, écœurée. Mon ange m'implorait toujours du regard, il fallait qu'il sache que je m'étais réveillée, que j'avais résisté, même si cela ne changeait rien à la donne. Ils auront ce qu'ils veulent, je le leur donnerai. Carlisle était ma limite, pour lui, il n'y a rien que je ne rechigne à faire. Je lui souris et l'exercice fut plus fastidieux que jamais. Aro, m'examinait toujours, interdit. La surprise que suscitait ma résistance, semblait –et malgré une légère incrédulité- lui être assez divertissante. Pour lui comme pour ses serviteurs, je n'étais rien d'autre qu'une bête de foire, une curiosité pour se distraire.
- N'aies pas peur de t'exprimer, me pria-il. Sache que si tu décides de partir et même si cela me chagrinerait de le savoir, je ne m'y opposerais nullement.
Il arborait cet air grave et sincère qui me révoltait tant! Je le trouvais pitoyable à déguiser ses intentions de la sorte, pourquoi ne pas jouer carte sur table?!
« Il repart seul, ou aucun des deux ne repart jamais!» m'avait-on prévenu. Ce qui était en réalité qu'une piètre consolation, était tout ce à quoi j'aspirais. Je pris une profonde, écrasante inspiration et me décidai à donner ma réponse.
- Je veux rester! mentis-je, stupéfaite de me l'entendre dire.
Des chuchotis déconcertés parcoururent les membres de la garde attroupés autour de nous. Chelsea elle-même affichait une tête qui exprimait largement sa surprise, l'air de dire qu'elle n'y était pour rien. Aro souriait avec indulgence, je n'étais pas prête à le concurrencer en matière d'hypocrisie aujourd'hui. Il était clair que le dernier endroit où je voulais me voir rester était bien Volterra. Mon affabulation n'abusait personne, je l'espérais!
- Je voudrais juste… débutai-je, la voix si serrée qu'elle m'empêchait de prononcer correctement. Je pressai les poings, baissai la tête, agacée par ma stupidité. C’était ce genre de spectacle là qu'ils prisaient et je ne réussissais pas à me contenir afin de les en priver,… juste pouvoir dire au revoir.
Adieu, serait plus juste! ne puis-je me restreindre de penser. Et quand la douleur de la constatation me submergea, me noya sous ses obscurs flots, je tentai désespérément de l'isoler dans un coin à part, pour un moment au moins. Futilement, la perspective de ce bref délai me soulagea. Je n'aurais pas à sombrer dans l'immédiat et si je m'y prenais bien, j'aurais le droit de me blottir dans ses bras une dernière fois.
Je levai difficilement la tête vers le Aro médusé qui m'examinait, tentai désespérément d'adoucir mon expression, de paraître comme lui, aimable.
- Mais, bien entendu!...bien entendu! s'exclama-il sitôt, maîtrisant avec brio la stupéfaction qui voulait assaillir ses traits délicats. C'est tout naturel!
Il s'effaça. Ses suivants les plus proches en firent de même, afin de nous laisser le semblant d'une intimité et comme c'était la dernière qu'on aura, je ne rechignai pas à faire le spectacle encore. Je m'approchai hésitante et il m'étreint aussitôt, comme s'il sentait mon besoin d'être serrée.
- Je suis navré…! me confia-il dans un souffle.
Je sais! avais-je envie de répliquer, seulement je n'arrivais pas à reprendre haleine. Je m'hissai plus haut, sur la pointe des pieds et accrochai sa nuque.
- Je ne suis pas en train de t'abandonner, me promit-il, dans un murmure.
Je pouvais facilement percevoir qu'il n'était pas en train de me consoler, mais qu'il me faisait bel et bien une promesse, celle de revenir.
- Non! m'y opposai-je immédiatement, inutilement trop haut.
Comme en réponse, le silence dans la pièce se fit plus mordant, attentif.
- Non, répétai-je plus bas, il ne faut pas!
Je me dérobai à son étreinte pour examiner son expression. Il semblait déterminé, presque résigné.
- J'aurais voulu éviter ça, je le désire encore, mais il ne reste plus d'autres alternatives. On ne nous laisse pas le choix.
- On a toujours le choix! C'est vous qui me l'avez appris, vous vous souvenez?! tentai-je, essayant de lui rappeler qu'il m'avait déjà sauvé une fois et que ma gratitude à son égard était infinie, ainsi il n'avait pas à sacrifier sa vie ou celle de sa famille.
- Alors, j'ai choisi! éluda-il, contournant mes protestations avec agilité, si je ne l'avais pas fait, je n'aurais jamais pu le dissuader de venir et il serait là à l'heure qu'il est… (Je n'avais pas besoin d'éclaircissements, j'arrivais aisément à comprendre qu'il me parlait de Benjamin). Ne lui en veux pas, il voulait plus que tout venir pour être à tes cotés. Seulement, son don est si incroyablement puissant ! Imagines-tu de quelle manière il pourrait être exploité ici ?
J'imaginais plus que bien et l'éventualité de lui en vouloir ne m'a jamais effleuré l'esprit.
- S'il est avec nous, on a une chance…(Sa voix était si peu assurée qu'il ne semblait pas y croire lui-même)…une petite chance certes, mais une tout de même.
- Je ne veux pas que vous mourriez pour moi!
Faire ne serait-ce qu'imaginer de perdre l'un d'eux à cause du désir de grandeur d'un fou à lier, me révulsait.
- Personne ne mourra! me mentit-il, pour cela il faut que tu me promettes de faire tout ce qu'ils te diront de faire. Ne lutte pas, ça ne sert à rien. De mon coté je te promets de revenir le plus tôt possible!
Je m'apprêtais à protester, lorsque je m'aperçus qu'on commençait à s'agiter, à chuchoter autour de nous. Et s'ils changeaient d'avis? S'ils décidaient que deux otages valaient mieux qu'un seul? Je ne pouvais permettre de les laisser arriver à cette conclusion. Il fallait qu'il s'en aille au plus vite! Tout de suite!
- Dites-leur à tous…débutai-je, sans savoir ce qu’il fallait dire.
- Je leur dirais! m'assura-il, m'évitant le supplice des mots.
- Et pour Benjamin…ne le laissez pas faire quelque chose de stupide!
- Je ferais de mon mieux!
À travers son épaule, je vis un Caius plus furieux que jamais s'incliner vers Aro pour lui glisser quelques mots à l'oreille. Ce dernier tapota gentiment la main de son frère comme pour l'enjoindre au calme. Il devenait plus qu'urgent de se séparer, de le faire s'en aller d'ici.
- Il faut partir maintenant !
- Je voudrais rester, je t'assure! me jura-il et je pouvais distinguer sa sincérité, la douleur dans sa voix. Mais, j'ai promis de rentrer…Pardonne-moi!
- Je comprends.
Aro, conscient que mes au revoir prenaient fin, se leva pour faire les siens.
- Ta visite m'honore Carlisle, saches que tu seras toujours le bienvenu ici!… À très bientôt, j'ose espérer?
Mon ange ne faisait aucun effort pour dissimuler la haine, l'aversion, qui malmenait ses traits. Dans ses yeux brûlait une étrange flamme, celle de la résolution et de la peur.
- Bientôt, oui, finit-il par dire dans un murmure, mais sa réponse ne fut pas adressée au monstre sur son trône, mais plutôt à moi.
***
Je sentais le regard de mon frère qui pesait sur moi, lourd de reproche. Caius restait fidèle à lui-même; toujours aussi impatient, aussi irréfléchi. Pour un esprit impérieux tel que le sien, tout devait se faire selon son bon vouloir et à la seconde même ou il en éprouvait l’envie, ainsi il omettait souvent que les plus grandes des victoires étaient celles qui se faisaient attendre, désirées.
- Je te trouve parfaitement inconséquent mon frère…Imprudent! me sermonna-il exaspéré. (Il s'était levé et faisait les cents pas devant moi, réellement irrité). Tu l'as laissé s'en aller, sans même savoir en quoi consistent ses intentions…As-tu définitivement perdu ta clairvoyance? Où celle-ci est elle seulement faussée dès qu'il s'agisse de cet excentrique?...Le considères-tu encore comme un ami? Redoutes-tu de le perdre? N'as-tu donc pas vu ce que j'ai perçu dans ses yeux?...Aro! Il est plus que temps d'en finir avec lui, ainsi qu'avec son clan!...Cet Egyptien est l'un dès leur à présent, et il est évident que la fille n'est pas un appât suffisamment convainquant pour l'attirer ici. Vas-tu rester là, les bras croisés à les laisser étoffer leur pouvoir?
Il s'interrompit une seconde, espérant peut-être une réponse, ou voulant seulement alimenter la théâtralité de son monologue. Je savais qu'il n'avait pas encore fini de déverser le flot de ses réprimandes et comme il était mon frère depuis plusieurs siècles maintenant, je le connaissais suffisamment pour comprendre son besoin de me morigéner ainsi. Cela le soulageait, le rassurait et quand il en aura assez, il sera apaisé et apte à m'entendre. Fort de cet enseignement, je le laissai donc poursuivre sans une once de lassitude; Caius est ainsi fait, prompt à l'emportement et j'ai depuis longtemps appris à l'apprécier comme il est.
- Il y'a une décennie de cela, il a pu lever une armée pour nous confronter, nous insulter. Qui sait combien d'autres se sont ajoutés à cet amazone qui peut concurrencer notre Alec, ou à cette humaine qui a gagné son immortalité grâce à toi et qui peut bloquer les meilleurs d'entre nous? Réveille-toi donc mon frère, je ne te reconnais plus!...Carlisle s'est offert à toi sur un plateau d'argent, tu aurais dû en profiter pour étêter son clan, pour leur priver de leur leader une fois pour toute!...L'histoire ne t'a-t-elle donc rien appris? Privés de leur guide, ils auraient été aveuglés par la tristesse, perdus par leur désir de vengeance...J'avoue que je ne te comprends pas, tu tenais là ta chance!...je ne suis pas – comme tu le sais- de ceux qui s'effarouchent inutilement, mais en finir avec eux devient une urgence.
Il prit une nouvelle pause, sembla hésiter.
- Qui est cette fille pour lui ?
- Il y'a un très fort lien qui les unie. Elle est comme sa protégé et il est son sauveur, son ange comme elle se plait à l’appeler.
Il eut un rictus dédaigneux. Avec un geste pressé, il me pria de lui épargner cette mièvrerie.
- Et s'il éprouvait ne serait-ce que le centième de l'amour qu'elle a pour lui, il reviendra pour elle et il nous offrira tout ce à quoi on aspire depuis si longtemps, sans qu'on ait à se déplacer mon cher frère, ainsi personne ne sera sacrifié.
Il leva un sourcil en saisissant mes desseins.
- Serais-tu en train de me dire que tu prévois de les épargner ?
La stupeur de la constatation le figea, le laissa sans voix et Caius ne restait jamais à court de mots.
- Caius, ne perd pas le sens des proportions mon cher et assis-toi donc je te pris!…Tu me donnes le tournis ! lui intimai-je.
Il s’exécuta, grincheux.
- Je trouve qu’il serait réellement dommage de détruire un groupe aussi singulier ! Carlisle reste et malgré ses drôles de principes, très cher à mon cœur…
Il eut une grimace, sceptique.
- Il l’est, vraiment ! insistai-je. Ce serait du gâchis pur et simple que de le perdre, lui, ainsi que les siens. Imagine quelle richesse ils pourraient apporter à l’ancestrale Volterra ! Songe à ce qu’on pourrait apprendre de cette stupéfiante hybride, mi-humaine, mi-vampire !…Si nous leur accordions une chance de s’intégrer parmi nous, je pense que l’admirable Alice, ainsi que les plus talentueux d’entre eux seront mieux disposés à nous rendre service plutôt que si nous massacrions leur famille, n’es-tu pas de mon avis cher frère ?
Il eut une moue dubitative, nullement convaincu.
- Marcus ! Vas-tu donc te réveiller et lui dire qu’il perd la tête ?...Il veut faire entrer le loup dans la bergerie, s’insurgea-il.
Celui-ci sursauta légèrement et tourna son visage aux traits inexpressifs vers nous. Je m’inquiétais pour lui. Malgré tous mes efforts, il persistait à vouloir côtoyer les fantômes du passé. Je craignais qu’ils ne réussissent à avoir raison de lui, qu’ils ne le perdent pour de bon. Davantage exaspéré par son silence, Caius alla chercher une âme secourable auprès de sa douce Athenodora.
- Pourquoi gâcher lorsqu’on peut l’éviter ? le questionna-elle, radieuse de malice.
Sulpicia rejoint mes rires.
- Gagnerai-je jamais contre toi ?…même ma propre femme préfère se rallier à ton avis...
Son indignation réussi même à éveiller Marcus le temps d’un bref éclat de rire.
- Le bon sens l’emporte toujours ! lui certifia-il.
***
- Tu t’imagines avoir sauvé Carlisle de ce qui l’attend? s'enquit la voix enfantine -affreusement dédaigneuse- de Jane au-dessus de moi. Aro l’a peut-être laissé partir aujourd’hui, mais ne te fais pas trop d’illusion, le temps de cet excentrique est compté désormais.
Son ombre malsaine forma un halo sombre tout autour de moi. Je levai lentement les yeux vers elle; elle me toisait pernicieuse et furieuse et mes pupilles se noyèrent dans les siennes. Doucement son expression diabolique s'altéra en une franche surprise, teintée de terreur.
- Jane! s'interposa Démétri, ignorant visiblement que la menace avait changé de camp, que la victime aussi.
Je n'avais nul besoin de sa pitié, ni ne désirais son secours. Je le méprisais de tout mon être pour ses pitoyables tentatives qui visaient à m'amadouer.
- Jane?...Jane? Sa voix était à présent inquiète, comme s'il venait de s'apercevoir du subtil changement dans le tour de force.
Jane, sans lui répondre, s'agenouilla malgré elle par terre, les yeux exorbités. Haletante et comme obéissant secrètement aux fils invisibles d'un marionnettiste. Elle porta ses mains à sa tête, prise d'un terrible mal, chancelante, tandis que je lui infligeai mon traitement, pareil à celui qu'elle a l'habitude de distribuer impunément, gratuitement. Pour tous ceux qu'elle a un jour maltraité, je voulais qu'elle goûte l'enfer, qu'elle se noie dans la noirceur de ses flammes. Elle se recroquevilla, rivalisa de hurlements et de suppliques en tout genre; incompréhensible et misérable. J'avais appris fortuitement cette nouvelle facette de mon don; si mon ordre implique un paradoxe trop fort, celui à qui il est adressé se retrouve piégé entre l'obligation de s'y plier et l'impossibilité de le faire, et il en souffre. Je ne savais pas avec quelle intensité, mais je savais que c'était affreux, pratiquement insurmontable. Je l'ai fait subir un jour à Emmett sans le vouloir. Je me souviens que ce dernier m'a supplié de le libérer et Emmett ne me suppliait jamais.
Arrivant avec peine à s'extraire de son état de stupeur, le traqueur se rapprocha, agrippa mes épaules.
- Cela suffit! me pressa-il, me secouant sèchement afin de se faire entendre, arrête ça je te pris!
Sans en saisir la raison, je m'exécutai. Il me relâcha, s'agenouilla près de Jane qui pleurnichait comme un enfant.
J'étais loin, très loin de la promesse informulée faite à mon ange; celle de ne pas lutter, de rentrer dans les rangs et j'allais - d'ici peu- subir les affres des représailles. Tentant de temporiser, d'échapper à cet inéluctable moment, je m'évaporai aussi vite que je le pouvais. L'instinct de survie avait repris le pas sur tout le reste et ma seule crainte à présent était de devoir réclamer cette même pitié que je dénigrais quelques instants plutôt. Et ce sombre message que je voyais au fin fond des yeux du traqueur; pas tout à fait de la contrariété, ni de la déception, plutôt un froid regret, me terrifiait. Si lui, le plus miséricordieux à mon égard, me regrettait déjà, c'est que j'étais définitivement perdue.
Je ne visais aucune destination précise, je voulais juste fuir ce regard condamnateur, aussi loin que possible. Le décor flottait autour de moi, indistinct, se mêlant au tumulte incessant qui brouillait mes idées. Après avoir traversé de longs couloirs, descendu d'interminables marches, je me retrouvais soudain projetée dans un hall insolite; différent, par contraste avec le reste du château. Il était parfaitement commun aux halls d'accueils modernes propres aux humains, ou du moins aux plus raffinés d'entre eux. Une douce musique baignait la vaste pièce de la légèreté de ses notes entraînantes, et derrière un brillant comptoir s'affairait une silhouette aux formes harmonieuses; une femme, une humaine.
Au début, je ne compris pas son agitation, son effervescence immodérée et maladroite; car je n'y prêtais aucune importance, toute mon attention était focalisée sur la sortie à quelques mètres de moi, mais très vite elle réussit à accaparer mon intérêt. L’humaine à qui appartenait la silhouette et qui me dévisageait avidement, tenait d'une main tremblante un petit couteau à la lame argentée qu’elle venait juste d’aller chercher au fond de son sac. Je pouvais lire dans ses yeux la peur, la vraie; celle qui nous prend quand c’est la fin. Et autre chose aussi, quelque chose qui me fut difficile à décrypter. La rage que procure la force du désespoir peut-être ? Elle se mit tout d'un coup à marmonner, à répéter des mots dans une langue inconnue, les lèvres tremblantes, la respiration irrégulière.
- Sarei presto il tuo uguale il mio immortale (*)…disait-elle, forte d’une étrange conviction.
Trop déboussolée pour m’inquiéter de la présence d’une humaine ici dans le temple des vampires les plus sanguinaires, je tentai de la prévenir qu’elle n’avait aucune crainte à avoir, que je n’étais en aucun cas une menace pour elle, mais elle ne m’en laissa pas le loisir et s’évertua aussitôt à me prouver mon erreur. Elle brandit soudain la lame. Je ne réagis pas, confiante dans l’idée que je ne l’obligerai pas à s’en servir et qu’elle ne pourra en aucun cas me causer du tort à l’aide de cet insignifiant objet. Seulement, au lieu de diriger son arme vers moi, elle dégagea son cou de ses longs cheveux et la porta à ce dernier. Interdite face à ce spectacle, je vis ses yeux verts disparaître sous ses frémissantes paupières, tandis que l’étincelante lame forçait le délicat rempart de sa peau dorée.
Aussitôt une odeur de paradis se déversa allègrement dans l’air, dansante, chatoyante. Elle m’enivra, me pénétra. Je ne tentai même pas de saisir le sens de son geste, de son offrande et l’idée de résister ne fut en aucun cas une option. Tout ce que je savais c’était que son cou suait déjà des perles de sang et qu’il était tout à fait exclu que je commette l’affront d’en perdre ne serait-ce qu’une goutte. En un clin d’œil, mes lèvres rencontrèrent son cou et du même coup son sang. Sans une once de résistance elle s’accrocha à moi, balança la tête en arrière, comme pour m’inviter à mordre, à marquer sa peau de mon empreinte et je ne me fis pas prier plus longtemps; désireuse de plus d'élixir au goût d’ambroisie. Je m’en abreuvai jusqu'à en perdre l’esprit, ne prêtant aucunement garde aux convulsions qui animaient ce corps que je n’allais pas tarder à vider de toute substance et qui commençait à lentement s’affaisser contre le mien.
Ah! Comment c'était bon de laisser libre cours à ses instincts les plus perfides, les plus enfouis.
Ce fut sa présence et elle seule qui m’aida à me dérober un court instant aux sables mouvants qui m’engloutissait dans leur spirale infernale. Et j’entendis comme dans un vague rêve, une hallucination, ma voix qui résonnait, qui le suppliait de mettre fin à ça, de m’empêcher de commettre cette abjection. Il était mon dernier espoir, le dernier auquel m'accrocher, ma dernière tentative avant de me laisser sombrer définitivement. Ce serait mon suprême effort, car l'appel du sang était irrésistible et une partie de moi -plus majoritaire que jamais- voulait, non, plutôt exigeait, que je me laisse damner. Je m'escrimai à la contrarier une ultime fois, afin de pouvoir m'abuser plus tard, quand les remords me rangeront, me pourriront de l'intérieur. Je criai donc son prénom, implorai sa pitié avant que l'autre partie ne l'emporte, que ma volonté ne flanche, et que mes lèvres ne retrouvent de nouveau ma fontaine de jouvence. Je me sentais revivre, régénérée. Et à cet instant précis j'arrivais plus qu'aisément à comprendre ceux qui se laissent aller à la fatalité que leur impose notre nature; celle de plier devant ce que l'on ne peut contourner bien longtemps.
Puis-je réellement m'en vouloir? Est-ce si mal que ça au fond? Le mal et le bien persistent-ils lorsqu'on se bat contre l'inéluctable?
À mon plus grand regret, ma prière fut entendue, exhaussée. Dans un éclair aveuglant, suivit d'une course effrénée, on me priva de ma divine damnation. La bête en moi se débattit, se tordit de mécontentement, mais lentement, tandis que je m'éloignais de la tentation, ainsi que des pensées impures qu'elle m'inspirait; je réussis à me ressaisir un tant soit peu et de reprendre un semblant de lucidité. Cette dernière me permit de m'éveiller et de constater que le décor autour de moi avait changé et que je ne reconnaissais pas les lieux.
L'endroit était plongé dans une semi-obscurité, ici comme pratiquement partout ailleurs dans cette maudite citadelle, il n'y avait pour seul éclairage que de modestes bougies. Mais, ça n'entravait en aucun cas ma perception des choses, ni ne gênait ma prospection. La pièce était une vaste chambre, dont l'espace était encombré par divers objets. Des objets qui tous –sans exception- étaient recouverts d'une conséquente pellicule de poussière. Meubles, livres, instruments de musique, tableaux; le tout était cendré de poussière. Habituée à la propreté maladive d'Esmée, je n'eus aucun mal à constater que cela faisait bien longtemps que le plumeau n'avait pas sévi par ici.
Mon inspection ne dura qu’une seconde et très vite, en me rendant compte que j'étais assise sur une surface qui n'avait rien d'immobile, je reportai instantanément mon attention sur quelque chose de moins futile que la décoration de la pièce. Et ma stupéfaction en rencontrant la paire d'yeux qui me fixait avec insistance fut fulgurante.
Le propriétaire de ces yeux, ainsi que des genoux sur lesquelles j'étais assise, ne semblait pas du tout trouver la situation inconvenante, ni ne paraissait partager mon angoisse. Il me vrillait du regard, parfaitement placide. Il me rappelait ces vedettes de la nouvelle ère, à la beauté dévastatrice et provocante. Mais je m'efforçai de reprendre mes esprits, de fuir mes superficielles pensées. Et lorsque je me remémorai le concours de circonstances qui m'avait emmené jusqu'ici; ce que j'avais fait à Jane, ensuite à cette humaine qui avait toutes les chances d'être morte à l'heure qu'il est, je tentai de me relever, de m'éloigner, horrifiée à l'idée des conséquences qu'allaient entraîner mes actes.
En resserrant légèrement la prise de son bras autour de ma taille, il m'en empêcha. Liquéfiée de terreur, je le vis se pencher vers moi, se frayant un chemin jusqu'à mon oreille.
- Pourquoi t'obstines-tu? me souffla-il à cette dernière.
Sa proximité…Ses lèvres qui frôlaient ma peau…Sa respiration mesurée qui caressait mon cou. Cela me figea à tel point que la raideur m'en devenait gênante, douloureuse. M'obstiner à quoi? avais-je envie de lui répliquer. Incapable de parler, de m'astreindre à trahir la déferlante d'émotions qui m'habitaient (Certaines m'étaient bien familières, telle la haine et la répulsion, d'autres étaient trop contradictoires pour que je puisse me les avouer) et qui animeraient sans doute ma voix si je le faisais, je gardai le silence.
Après une interminable attente, durant laquelle je dus endurer son souffle contre ma peau, il consentit à s'écarter, juste un peu, afin de me juger du regard encore.
- Je crois que tu me dois quelques explications…
- Je ne te dois rien du tout! crachai-je, farouche.
Je me savais en train de contrarier la seule personne qui n'essayait pas de me causer du tort dès que l'occasion s'en présentait; à la différence de tous ces autres qui semblent conspirer afin de me rendre folle. À l'exemple d'un Aro qui me laisse revoir mon ange pour ensuite cruellement me l'arracher, ou d'une Jane qui prévoie de faire de ma torture son passe-temps favoris, ou encore de cette humaine qui s'est égorgée sous mes yeux sans d'autre but sensé que celui de me persécuter. Mais, je ne pouvais me résoudre à feindre l'obligeance, de me rendre coupable d'hypocrisie afin de m'attirer ses bonnes grâces. Il était l'un dès leur; vil, cruel et je le détestais de tout mon être.
Tremblante, je tentai de me dérober au piège de ses mains. Ces dernières, souples et agiles, ne tardèrent pas à venir gentiment m'emprisonner les poignets.
- D'accord!…d'accord! s'empressa-il de scander, s'essayant à une voix rassurante. Tu ne me dois absolument rien du tout. Seulement, peux-tu, s'il te plait, m'expliquer?
- Pour cette femme, je ne voulais pas!….Elle s'est fait ça toute seule!…Je veux dire, elle avait ce coteau et je n'ai pas compris…Je n'ai pas pu l'arrêter et puis elle saignait…et…et…
Le souffle perdu, j'interrompis ma médiocre litanie. J'étais parfaitement crédule de me figurer qu'il puisse croire à cette explication. Qui le pourrait d'ailleurs? Elle était l'humaine, j'étais le vampire et son sang, preuve de ma culpabilité, se lisait présentement dans mes yeux.
- Et tu avais soif, finit-il pour moi.
- Je ne l'aurais jamais touché! me défendis-je aussitôt. Comment aurais-je pu me maîtriser?…Elle s'est tranchée la gorge devant moi!
- Calme-toi! me susurra-il, imperturbable. Sur ses lèvres passa l'ombre d'un sourire.
- Je ne mens pas! persistai-je, en proie à l'agonie.
Je me débattis encore afin de reprendre mes mains.
- Je te crois ! s'excusa-il en me retenant, ce n'est pas cela qui m'amuse.
Il me consultait toujours, comme s'il s'attendait à ce que je demande de quoi il s'agissait. Seulement, je ne voulais pas spécialement savoir ce qui l'amusait dans l'effondrement de ma vie.
- Tu viens d'offrir à Gianna ce qu'elle a toujours souhaité… Sacré pari qu'elle a fait là! L'enjeu était ni plus ni moins que sa propre existence.
- Cette femme veut…mourir? balbutiai-je, perdue.
- Non, elle veut juste devenir l'une des nôtres, m'expliqua-il en tentant fastidieusement de garder son sérieux, elle a cru qu'elle aurait plus de chance de survie, si c'était toi -un vampire qui a l'habitude de s'abstenir du sang humain- qui la mordait.
Il serra ses fines lèvres, les yeux étincelants d'humour.
- Oh! lâchai-je, tellement déconcerté que j'en arrivais à oublier que j'entretenais une conversation avec l'un de mes ravisseurs et que j'étais assise sur ses genoux, les mains dans les siennes. Comment pouvait-elle…savoir ? m’inquiétai-je.
- Félix est très bavard ! m’apprit-il, horripilé, mais très vite, le sourire moqueur fut de retour. Et puis, tu n’es pas vraiment de ceux qui passent inaperçus.
Oui, une folle qui pleure dans les couloirs, hilarant !
- Giana ne pouvait pas se douter que ceux qui se privent sont les plus enclins à perdre maîtrise.
Il n'était pas en train de me sermonner, ni de me railler, il trouvait juste ça…drôle?
- Elle va mourir ?
Il dégagea l'une de ses mains, qui vint replacer la mèche qui échappait fréquemment à mon oreille. Ses doigts glissèrent ensuite sous mon menton afin de me faire relever la tête. J'étais trop découragée, trop accablée pour réagir à ça.
- Et si c'était le cas, hein? s'enquit-il, de cette voix embrumée et voilée qui le caractérisait. Serait-ce si grave que ça? Elle l'aurait bien cherché, non? Alors, pourquoi te mettrais-tu dans cet état?
Je fermai les yeux, la respiration saccadée. Devant mes paupières closes, un étrange tourbillon sévissait, noir, engloutissant. Je savais ce qui allait se produire, je le pressentais, dans mon cœur, dans ma chaire et je savais aussi que rien ne pourrait lui faire obstacle. Je le sentis s’incliner de nouveau vers moi, son souffle venant doucement courir sur ma peau. Je contractai davantage mes paupières, les nerfs à vif.
- Tranquillise-toi donc, elle ira bien ! Félix est avec elle à présent, elle sera transformée.
Je me demandai ce qui était pire, avoir craint d’être devenue une meurtrière, ou avoir l’assurance d’être à l’origine de l’éclosion d’un nouveau monstre. Seulement, il me fut stupéfiant de remarquer à quel point toutes ces choses avaient soudain perdues de leur importance, lorsque l’imminence d’un nouvel affront ne faisait plus de doute.
- Qu’est-ce qu’il faudrait ? me demanda-il, après m’avoir fait jouir d’un oppressant silence.
- Qu’il faudrait ? répétai-je sottement.
- Oui, dit-il, un rire dans la voix, pour te nourrir.
Ses yeux se rapetissèrent et dans ces derniers je pouvais deviner toute son intelligence, sa finesse d'esprit.
- N’importe quel…animal, hésitai-je, ne pouvant me restreindre de craindre un canular.
Il était si dangereusement proche, que je fus apte à discerner le moindre fabuleux trait de son visage. Je détournai les yeux, troublée. Je voyais bien qu’il faisait de son mieux pour que sa proposition ne prenne pas des allures d’accord tacite, mais ses intentions n’en restaient pas moins évidentes. Comme un pécheur le ferait pour aguicher son poisson, il m’agitait un appât; j’avais beau avoir flairé le piège cela ne m’empêcha pas de mordre l’hameçon à pleines dents. Après avoir goûté le sang, le vrai, je saisis que j’aurais désormais toujours soif de ce dernier. Mais, voilà qu’il se mettait à m’offrir ce sursis, cette échappatoire inespérée. Pouvais-je me permettre de refuser ?
- Soit! Je t'amènerai ce qu'il te faut.
Sa proximité déclenchait d’odieuses réactions en moi. Je haïssais ce corps qui me trahissait en me galvanisant ainsi ! Je serrai les poings, les dents, détournai davantage mon visage.
- Et cesse de me considérer ainsi, je ne te veux aucun mal...tout au contraire.
Peut-être qu’il n’entendait pas me faire du mal, mais je savais que cela n’allait pas l’empêcher de m’en faire malgré tout. Je pressentais que la douleur qu’il allait me causer pourrait aisément rivaliser avec la torture de Jane, la surclasser même. Je m’étais encore une fois trompée dans mon jugement, il n’était certainement pas le plus clément à mon égard. Mais je baissai ma garde inconsciemment, et comme s’il avait senti ce furtif moment de faiblesse, il saisit à pleines mains la chance qui s’offrait à lui. À peine un souffle fut-il échangé que ses lèvres s’aplatirent sur les miennes; assoiffés, désireuses, étrangères. Avec une lenteur atroce, une habilité divine, il me subtilisa un baiser aérien, du bout des lèvres.
Je devais être un monstre aussi impur et immoral qu’il l’était pour avoir permis ça, pour avoir pris plaisir à ça !Il encercla mon visage, irradiant de satisfaction. Les reflets rougeoyants que les chandelles vacillantes projetaient sur ses traits, achevaient de le rendre envoûtant.
Ce n’est rien, tentai-je de me persuader, rien ! Absolument rien ! me répétai-je. Bientôt mon ange reviendra, il m’extirpera de ce cauchemar et Ben me pardonnera, oui il le fera! …Il lavera mon péché, me consolera ! Il ne pouvait en être autrement… Bientôt ce monstre se lassera, me délaissera !
Pour me contredire, il fendit sur mes lèvres de nouveau, insatiable. De ce point de jonction naquirent bientôt les ondes concentriques qui se répandirent en moi. L’une de ses mains, celle qui n’était pas occupée à assurer sa prise, glissa sur mon flan, en une longue, pénétrante caresse. En cet instant il pulvérisa la moindre once de volonté en moi et je lui rendis son baiser, consentant à perdre le peu d’estime qui me restait de moi. Mon corps ne m’obéissait plus, soumis à une pulsion animal; dominante et indomptable.
Un râle de contentement lui échappa, étouffé. Et il s’ingénia immédiatement, avec une lasciveté redoutable à me prouver à quel point l’enfer pouvait avoir un goût de paradis. Il prit mes lèvres, encore et encore! Langoureux, impudique, diabolique. Que ce fut ironique de constater comment mon corps se mettait soudain à revivre, à joyeusement ressentir, lorsqu’en contre partie mon être, harassé de tristesse, se vidait de toute vie, de toute envie. Il y eut un bruissement, un léger coup de vent, qui affola la flamme des bougies, lorsqu’il bougea. Il m’étala lourdement sur le lit et ses lèvres qui se baladèrent à leur gré, m’exaltaient, exhortaient mon corps à cette souillure charnelle.
- Non ! gémis-je, non, s’il te plait ...
Ainsi donc et sans prévenir, les remparts de ma volonté se remirent en place. Je fuis ses lèvres, repoussai ses mains. Il s’écarta aussitôt, surpris. Son regard n'allait pas sans rappeler celui qu'on jetait aux hystériques d'antan, considérées alors comme possédées par le diable.
- Excuse-moi ! me pria-il, s’efforçant de reprendre contenance, semblant ne pas trop savoir pourquoi il réclamait mon pardon.
Il se releva au pied du lit. Je me remis moi-même sur mon séant, ne pouvant me restreindre à le suivre du regard. Il glissa une main dans sa chaotique crinière, indécis.
- Tu peux rester ici si tu veux, finit-il par dire, en accordant un bref regard à la pièce. Je crois…que je ferais mieux de partir.
Il hésita et comme je ne répliquais rien, il se décida à faire volte face afin de rejoindre la porte.
- Où vas-tu? m’entendis-je dire, stupéfaite que ces mots parfaitement déplacés aient franchis le rempart mes lèvres.
Il se retourna, tout aussi étonné que moi.
- Te chercher quelque chose pour apaiser ta soif, comme convenu ! me rappela-il sur un ton d'évidence, comme si cela tombait sous le sens.
Et le désir dans ses yeux, resté inapaisé, semblait me garantir qu'au royaume du sacrilège, mon péché n'était que fatalité. Ainsi donc, toute mon énergie devra servir à lui prouver son erreur.
(*) Je serais bientôt ton égal mon immortel.
Commentaire de l'auteur:
Voilà!! Je vous remercie du fond du coeur pour votre attention, à bientôt!
Bisous!
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