Chapitre 1.1 : Callie
Callie
Démarrer la semaine par un contrôle de mathématiques devrait être interdit par la loi ! Ce n'est pas humain, ni moral, de m'infliger un tel supplice de bon matin.
Comme à mon habitude, je n'ai rien révisé, même si mes cahiers sont étalés, façon patchwork, sur le sol de ma chambre. Je les ai ouverts hier soir dans un bref élan de motivation, venu de je ne sais où, qui s'est évaporé aussitôt la première ligne lue. De toute façon, ce n'est pas comme si j'y comprenais quelque chose.
Je me demande souvent quel est l'abruti qui a inventé cette matière. C'était quoi son but ? Torturer les élèves ? On peut dire que c'est réussi.
Mon professeur, M. Kaufman, va encore me tomber dessus, c'est certain. Il ne peut pas m'encadrer. Pour lui, si tu es mauvais en maths, tu as raté ta vie. (Autant dire que la mienne est foutue.) Je suis sûre qu'il se masturbe en faisant des équations et qu'il récite les tables de multiplication à sa femme en guise de préliminaires. C'est un obsédé... des maths. Vous le croyez, ça ?
Il ne manque donc jamais une occasion de me rappeler à quel point je suis nulle et que, obligatoirement, je n'arriverai à rien dans la vie. C'est tellement encourageant.
Allez, c'est ta dernière année. Tu peux le faire ! me motivé-je.
Mes parents m'ont toujours dit que la positive attitude était le premier pas vers la réussite et le succès. Chez moi, cela marche moyen, voire pas du tout, mais il n'empêche que me booster est devenu un petit rituel. Et puis de la positive attitude, je vais en avoir besoin pour affronter cette matinée.
Je sais bien que je ne suis pas un cas à plaindre. J'ai une famille formidable et j'habite dans un quartier plutôt huppé de la ville. Je ne manque ni d'amour ni d'argent. Mes parents, d'anciens hippies, ont gardé quelques souches babas cool. Ils ont une philosophie de vie plutôt zen. Mon frère, Tom, est l'enfant de quatre ans le plus craquant et adorable de l'univers. C'est une boule d'énergie qui ne se pose jamais et, bien qu'il parle beaucoup trop (il me casse les oreilles à longueur de journée avec ses pépiements), sa bouille d'ange et son rire communicatif font que je ne peux lui résister.
Mais aujourd'hui sonne le glas de ma propre mort. Je l'entends déjà résonner à mes oreilles, carillon mortel qui me hurle que je vais me ramasser en beauté, que ma dernière heure est venue.
J'exagère ? À peine. Je hais les maths. C'est viscéral. D'ailleurs, là, je suis à la limite de l'attaque de panique. Respire, Callie ! Respire ! m'intimé-je en tapotant mes joues.
Chacun doit porter sa croix à ce qu'il paraît. La mienne, en ce moment, est un bloc de béton, probablement une ancienne prison - il ne manque que les barreaux aux fenêtres et l'on s'y croirait - où plus de mille adolescents en rut paradent chaque jour dans les couloirs.
Allez, c'est ta dernière année. Tu. Peux. Le. Faire !
Peut-être qu'en le répétant suffisamment, cette année scolaire sera mieux que la précédente ?
En même temps, ce n'est pas difficile. L'année dernière est à marquer dans les annales. Un vrai désastre, qui s'est soldé par un redoublement. Un de plus, youpi. J'ai vingt ans depuis hier. Je devrais être à la fac depuis longtemps... si j'avais voulu aller à la fac - ce qui, entendons-nous bien, n'est pas le cas. Mais je suis toujours en terminale, coincée dans ce lycée moisi.
À un moment, il faudrait que je songe à abandonner, oui, mais allez faire comprendre ça à mes parents. Ils sont peut-être cool, mais pour eux, avoir le bac est primordial. Alors, je m'accroche, je serre les fesses et fais de jolis sourires de façade à tous ces trous du cul qui me pourrissent l'existence, surtout M. Kaufman.
Sauf que mon joli sourire, bien que je lui octroie nombre de pouvoirs magiques, ne sauvera pas mes notes. Dommage. Et malgré mon redoublement, mes résultats scolaires, sans être catastrophiques non plus, sont toujours insuffisants.
- Callie, mon p'tit sucre, faut te dépêcher, sinon le bus va partir sans toi ! crie mon père depuis le bas de l'escalier.
- Oui, oui, une minute, j'arrive, dis-je en enfilant mes Converse passées d'âge.
J'attrape mon sac fourre-tout, qui fait office de sac d'école, de sac à main, de sac poubelle, et jette négligemment les fameux cahiers de maths qui ne me serviront à rien. Mais bon, vaut mieux être prévoyant : en cas de pénurie de P.Q., cela peut servir.
- Ah, la voilà ! m'acclame mon père quand je les rejoins dans la cuisine.
Il me serre affectueusement dans ses bras. Ma mère vient se poster derrière lui et attend sagement son tour pour le câlin du matin.
J'ai des parents très tactiles, qui adorent également nous affubler, mon frère et moi, de surnoms ridicules. Aujourd'hui, je suis bonne pour « p'tit sucre ». Hier, c'était « Pepita »... Quant à celui qu'ils me réservent pour demain, je ne suis pas pressée de le découvrir. Pour autant, je les laisse faire et m'en accommode facilement. Pourquoi pas, si cela peut leur faire plaisir. Et puis, après tout, c'est une preuve d'amour comme une autre.
Alors que ma mère m'étreint comme si elle ne m'avait pas vue depuis dix ans, mon père jette un coup d'oeil par la fenêtre, puis me détaille d'un œil critique.
- Je crois que tu aurais dû mettre un jogging, car tu vas devoir courir, rigole-t-il.
- Euh, non. Je n'ai pas sport aujourd'hui.
Il fronce les sourcils et frotte son bouc, qu'il vient fièrement de se laisser pousser, d'une main distraite.
- Mais pour rattraper le bus, un jogging est peut-être plus pratique qu'un slim ultramoulant.
- Comment ça pour rattraper le bus ? Non, c'est pas vrai !
Je geins comme une enfant, la tête entre les mains.
- J'ai une interro à la première heure ! Je fais comment, moi, maintenant ?!
- Tu cours ?
- Ha ha ha, très drôle, marmonné-je, dépitée.
On ne peut pas dire que le sport et moi soyons amis. Je manque de coordination... et de courage. Déjà, marcher peut être une épreuve. Alors courir ? Même pas en rêve.
À mon âge, me direz-vous, j'aurais déjà pu passer le permis. Surtout que ma voiture, cadeau de mes parents chéris pour mes dix-huit ans, rouille depuis lors dans l'allée du jardin.
Mais ce n'est pas faute d'essayer ! Six fois que je le passe. Six fois que l'inspecteur (sûrement un membre de la famille de Kaufman) me recale. En plus, je tombe toujours sur le même. À croire qu'ils n'ont qu'un inspecteur dans la région !
Le fait que j'aie une fâcheuse tendance à confondre ma droite et ma gauche ne m'aide pas non plus : « Après l'intersection, tournez à droite. Non, l'autre droite, mademoiselle Meunier ! »
Et puis, il y a tous ces fichus panneaux auxquels il faut prêter attention, tout en ayant les yeux fixés sur la route et en surveillant les côtés. Afin de ne pas renverser ou accrocher accidentellement : un piéton, une moto, un vélo, un tracteur ou l'éléphant qui aurait le malheur de se trouver sur ton chemin. Désolée, mais je n'ai pas des yeux bioniques. C'est un claquage du nerf optique assuré, et mes yeux, moi, j'y tiens.
Quant au créneau, création maléfique dont l'unique but est d'engraisser les caisses des auto-écoles et des compagnies d'assurance, on en parle ?
Malgré tout, je ne désespère pas. Enfin si, je désespère carrément, mais rappelez-vous la positive attitude, tout ça, tout ça. Allez, on y croit ! Je l'aurai un jour, je l'aurai !
En attendant, je dois prendre le bus pour faire les cinq kilomètres qui séparent ma maison du purgatoire. Sauf que là, je l'ai clairement dans l'os. Je suis verte. La journée ne pouvait pas s'annoncer pire : contrôle de maths et bus raté.
Dire qu'il n'est que 7 h 40.
Au secours.
Ma mère a repris sa place devant la gazinière. Elle adore cuisiner, c'est un vrai cordon-bleu. Ce qui tombe bien, puisque j'adore manger. Je m'affale sur la chaise située près d'elle et me sers un pancake que je couvre de sirop d'érable, un de mes péchés mignons. Je l'engloutis en deux bouchées et m'en ressers un autre. Quitte à être en retard, autant l'être le ventre plein.
Il ne me reste que quinze minutes avant le début des cours. Je calcule vite fait dans ma tête combien de temps il me faut à pied pour me rendre au lycée.
Encore des maths. Fait chier.
- Oh, p'tit sucre, qu'est-ce qui t'arrive ? T'es toute rouge d'un coup, ça va ?
- Je compte. Du moins, j'essaye.
J'imagine déjà la fumée me sortir par les oreilles.
- Merde, ça me soûle ! J'abandonne.
Un début de migraine me fait grimacer et je masse mes tempes par petits mouvements circulaires pour évacuer la tension.
- Ton langage, Callie ! me réprimande ma mère.
Elle déteste la grossièreté. Autant dire qu'avec moi, elle est servie. Je jure comme je respire. C'est naturel, peut-être même inné. Voilà au moins une chose pour laquelle je suis douée, et je n'en suis pas peu fière. Toujours voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, telle est ma devise.
- Mède ça soûle, mède ça soûle, mède ça soûle ! chantonne mon petit frère qui passe en trombe du salon à la cuisine.
Oups, je ne l'avais pas vu celui-là.
Ma mère me fusille du regard. Ou du moins, c'est ce qu'elle imagine. Je n'ai jamais osé lui dire que son regard « qui tue », avec ses sourcils froncés à l'extrême, lui donne juste l'air constipé. Je ne voudrais pas la vexer.
- Tomichou, ce n'est pas mède mais meRde, d'accord ? intervient mon père, toujours pragmatique.
Il tourne la tête vers ma mère, qui lui lance son fameux regard qui tue, et hausse les épaules en guise d'excuse.
Je me racle la gorge pour attirer leur attention, puis lève le menton dans ma plus belle imitation de la maîtresse d'école fâchée :
- Bon les enfants, quand vous aurez fini de vous faire les yeux doux, on pourra peut-être se concentrer sur un sujet important. Au hasard, moi. Je rappelle que j'ai loupé mon bus et que j'ai un examen dans... (Je jette un coup d'oeil à ma montre.) Nom de Dieu, bordel de m...
Ma mère, toujours sur le qui-vive, me bâillonne de sa main avant que je ne puisse laisser libre cours à mon vocabulaire de charretier.
- Non, non, non ! Ne finis pas ta phrase, me menace-t-elle. Il fait trop beau pour entendre de si vilains mots sortir de ta bouche.
Je tends le cou pour observer le ciel depuis la fenêtre. Il pleut.
- Sept minutes, je bafouille entre ses doigts. Il ne me reste que sept minutes ! C'est la mer...
Elle resserre sa prise sur ma bouche de telle sorte que la fin de mon mot s'étrangle dans un murmure inaudible.
- Quand tu auras fini de jurer, ma fille, on pourra peut-être y aller ? C'est mon jour de congé, je t'amène, me sauve mon père.
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La suite dans la partie suivante ;)
Un grand merci à @AgnesTravers pour cette magnifique bannière, ainsi que la couverture du roman ! 😍😍
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