8.1
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Le silence régnant dans la pièce fût brisé par un énorme soupir suintant le désespoir et l'agacement. Ji Min porta la main à sa bouche, il ne s'attendait pas à ce que ça soit si bruyant, et osât un regard vers Yoon Gi, qui avait finalement levé les yeux vers lui. Leurs iris se rencontrèrent un court instant, puis l'aîné détourna le regard vers son ordinateur, lâchant un souffle à son tour, bien plus discret, mais pas inaudible pour Ji Min, qui continua à l'observer, les lèvres pincées.
Depuis deux jours, c'était la guerre froide. Il lui répondait à peine, et semblait mener sa vie comme si le brun n'existait pas. Ji Min avait la désagréable impression de se réveiller d'un doux rêve où son colocataire était devenu sympathique, mais que ce n'était pas la réalité. En vérité, Yoon Gi était ce connard froid, qui l'ignorait copieusement. C'était du moins ce qu'il était redevenu. Et ça, il ne l'acceptait pas. Ça le rendait fou. Il se méfiait de lui à cause de cette possibilité, mais se dire qu'il avait pu avoir raison, ça lui donnait envie de se taper la tête contre un mur.
Ji Min laissa sa tête choir contre le dossier du canapé. Il avait fait exprès de s'asseoir à côté de Yoon Gi pour le provoquer. Mais ce dernier avait fait comme si de rien était, restant concentré sur son écran.
"Yoon Gi."
Le garçon ne cilla même pas.
"Min Yoon Gi."
Toujours rien.
"Hyung !"
Il avait eu beau se rapprocher et prendre un ton plus mignon, rien y fit, si ce n'est qu'il le vit se tendre. Était-ce parce qu'il l'énervait, ou parce que ça lui faisait de l'effet ? La réaction n'était néanmoins pas suffisante pour Ji Min, qui sentait qu'il perdait patience.
"Eh, le connard froid, finit-il par l'appeler, fusillant son profil de regard. Tronche de petit-pois."
Chose inespérée, il tourna la tête vers lui, les sourcils froncés.
"Le chieur intersidéral. Le pervers des canapés. La salade désabusée.
- Ta gueule, Ji Min."
L'intéressé retint un sourire de satisfaction, et garda son visage fermé. Il avait envie de lui faire un sourire radieux, mais ce serait être trop facile.
"L'iceberg démoniaque. Le colocataire des bas-fonds. La mauvaise herbe.
- Ji Min.
- Le légume vicieux. Le pesto dégoulinant. La-"
Yoon Gi l'arrêta en plaquant la main sur sa bouche dans un geste brusque. Le brun crut l'avoir vraiment énervé, presque sur le point de regretter, mais il remarqua que ses lèvres tremblaient. L'aîné se retenait de sourire, peut-être même de rire. Ji Min afficha alors une expression satisfaite derrière la main du garçon. Il ne savait pas ce qui passait dans la tête de son colocataire, mais il n'était pas complètement froid à son égard. Il n'y arrivait pas.
« Si tu ne fermes pas ta grande gueule, je vais l'occuper avec autre chose. »
Il retira ensuite sa main, et retourna à son ordinateur sans un regard de plus. Ji Min, lui, restait bouche bée face à ce qui venait de lui être dit. Ce n'était pas uniquement le sous-entendu qui le dérangeait, mais le ton avec lequel il venait d'être prononcé. Ce n'était pas une blague, mais bien des menaces. Comme s'il ne plaisantait pas quand il lui disait de se taire. Il n'avait même pas eut se sourire vicieux habituel.
« L'épinard lunatique. La feuille dépravée.
- C'est quoi ton problème ? explosa Yoon Gi en se tournant une énième fois vers lui, tellement brusquement qu'il manqua de faire tomber son ordinateur.
- Toi, déclara Ji Min en lui lançant un regard noir.
- Et donc, tu ne vas pas me foutre la paix ?
- Aucune envie, non. »
Le garçon ne savait même pas pourquoi il était si insistant. D'ordinaire, il aurait laissé tomber à force d'être ignoré, où il se serait au moins arrêté dès que des menaces avaient été dites. Peut-être, d'un côté, cherchait-il à suivre le plan de Taehyung et à le coller, même s'il était plus en train de le pousser à bout qu'autre chose. Peut-être, et surtout, avait-il envie de lui tirer les vers du nez et de comprendre son comportement récent.
« Pour qui tu te prends ? pesta soudainement l'ainé, le faisant sursauter.
- Attends, c'est toi qui oses me demander ça avec la manière dont tu me traites depuis deux jours ? répliqua Ji Min sur le même ton, agacé de la manière dont il s'adressait à lui.
- Je ne vois pas de quoi tu parles...
- Tu te fous de moi, Yoon Gi ? Tu es en train de me faire une blague, hein ? Tu as trouvé un nouveau plan pour me foutre dans ton pieu, c'est ça ?
- Tout ne tourne pas autour de ton petit cul, cracha-t-il pour seule réponse. »
Il ne l'avait même pas regardé dans les yeux en lui disant ça, non, il avait repris son ordinateur entre les mains, et faisait encore semblant de se concentrer dessus. Parce que le brun n'était pas dupe à ce sujet, bien qu'il n'y connaisse rien dans les logiciels qu'il utilisait, il avait bien remarqué qu'il n'avait rien fait depuis une heure. Il se donnait juste une excuse pour l'ignorer, et ça le rendait fou. Il avait même envie de jeter cet ordinateur par la fenêtre pour qu'il soit obligé de l'affronter.
« Oh pitié, Yoon Gi, on sait tous les deux que tu ne fiches rien depuis tout à l'heure.
- Je serais en train d'avancer si tu me foutais la paix, je te ferais dire. »
Il ne supportait pas la manière qu'il avait d'avoir réponse à tout, alors que c'était clairement lui le fautif dans cette histoire, à être de nouveau méchant sans raisons. Ji Min leva les yeux au ciel, bien que Yoon Gi ne puisse pas le voir vu qu'il ne daignait même plus le regarder.
« Est-ce que tu te rends seulement compte d'à quel point tu es dégueulasse ? »
S'il n'était pas autant énervé, il aurait été content qu'il finisse enfin par affronter son regard. Il n'arrivait pas à accepter que son colocataire soit si fuyant. Ce n'était pas lui, pas Yoon Gi. Ce n'était même pas celui d'avant.
« Pour qui je me prends ? cita-t-il ses précédents propos. Pour ton putain de colocataire, qui avait eu l'impression de forger ne serait-ce qu'un semblant d'amitié avec toi. C'est du vent, pour toi ? L'amitié ? Une relation ? Tout n'est qu'en fonction des humeurs de monsieur ? »
Voyant que Yoon Gi se contentait de l'épier en se pinçant les lèvres, Ji Min poussa un énorme soupir d'agacement, s'ébouriffant les cheveux avec force.
« Woah, j'ai eu ma dose. »
Il se leva alors du canapé, quittant la pièce à pas rapide. Parce qu'il n'avait plus envie de lui parler, plus envie de le voir, et surtout, il ne voulait pas que Yoon Gi voit qu'il était tellement énervé qu'il retenait ses larmes.
Une porte qui claque, un silence. Une porte qui s'ouvre, des pas pressés à travers le couloir, une silhouette qui passe rapidement devant l'ouverture du salon et, enfin, la porte d'entrée qui se ferme. Le garçon aux cheveux verts, qui n'avait pas bougé du canapé, poussa un soupir en se prenant la tête entre ses mains.
Pourquoi devait-il être comme ça ? Il s'était dit qu'il serait bon de prendre ses distances avec Ji Min, mais pourquoi devait-il le faire de cette manière ? Pourquoi devait-il le blesser ?
Il n'avait jamais su s'y prendre avec les gens. Il fallait toujours qu'il soit trop froid avec eux, leur donnant une mauvaise vision de lui. En fait, il n'avait pas voulu être si terrible avec son colocataire, non, il avait simplement désiré essayer de renoncer à lui parce que cette histoire prenait une tournure qui ne lui plaisait pas. Une tournure où, si lui ne faisait pas attention, il finirait par devenir plus fou, et se faire mal. Il y avait plein de moyens de se montrer plus distant avec quelqu'un, mais lui, il fallait qu'il le fasse de manière si extrême.
Il était violent avec Ji Min autant qu'il l'était avec lui-même, à empêcher son regard de dévier sur lui, à retenir ses sourires qui venaient dès que le garçon l'embêtait, ou avait un de ces tics si craquants tel que celui de se triturer les mains ou de les passer dans ses cheveux. Voilà deux jours qu'il luttait contre lui-même, en se disant que c'était pour le mieux parce que, si son colocataire le repoussait depuis le départ, c'est qu'il devait avoir une bonne raison, et qu'il n'allait pas changer d'avis de sitôt. C'était donc à lui d'arrêter d'insister, et surtout d'arrêter de s'attacher avant que ce simple flirt ne devienne quelque chose de beaucoup plus sérieux.
Mais c'était difficile, tellement que ça l'énervait, et que cette rage, il l'avait évacuée sur Ji Min qui n'avait absolument rien fait de mal.
« Yoon Gi, tu es le dernier des abrutis, se dit-il à lui-même. »
Ce qu'avait dit Ji Min avait été cruel de vérité. Ils avaient tissé un semblant de relation. Peut-être de l'amitié, ou quoi que ce soit d'autre. Dans tous les cas, peut importait le nom que ça portait, il ne pouvait pas le rayer comme ça. Que ce soit pour Ji Min, ou pour lui-même. Ce n'était pas comme s'il le pouvait, déjà, vu comment ça avait déjà été difficile, mais vu comment le garçon venait de craquer, ce n'était pas bon du tout.
Il tenait à son colocataire. Il ne savait pas vraiment comment le nommer, mais il était important pour lui d'une certaine manière. S'il continuait à se comporter ainsi, comme un connard froid et condescendant, il allait n'y gagner qu'une chose : son départ. Parce que, qui apprécierait de vivre avec une personne comme ça ? Personne, absolument personne. N'importe qui finirait par aller vivre ailleurs, et une chose était sûre, ça l'ennuierait beaucoup que Ji Min le fasse.
Voilà un dilemme fâcheux. Prendre le risque de s'attacher d'avantage, ou prendre le risque de le perdre. S'il partait, il pourrait l'oublier, Ji Min n'aurait plus à supporter ses humeurs. Mais lui, il serait seul, à s'en vouloir dans cet appartement devenu terriblement vide, à regarder tristement la tasse qu'il avait l'habitude d'utiliser, la chaise où il avait coutume de s'asseoir, et cet endroit dans l'entrée où il laissait toujours ses chaussures en désordre. Il s'était accoutumé à la présence de Ji Min, comme à une drogue qu'on lui insufflerait en petite dose, le rendant accro peu à peu, sans qu'il ne s'en rende même compte.
En fait, dès qu'il se projetait à l'avenir, il se voyait toujours faire une collocation avec le garçon. Comme si cet élément était devenu part intégrante de leur relation. Que ce soit en tant qu'ami ou autre chose, Ji Min était là, à perturber ses habitudes, à donner cette bouffée de joie et d'air frais à sa vie qui en manquait tant. Cette personne qu'il trouvait pourtant si embêtante, mais dont il ne pourrait sûrement plus se passer à présent.
Tout ça lui faisait terriblement peur. Il n'aimait pas s'attacher. Il n'aimait pas la mise en danger qui venait avec l'importance qu'une personne se mettait à prendre dans sa vie. C'était pour ça qu'il fuyait les relations comme la peste : ce n'était qu'une source de tracas et de souffrance. Ce n'était bon qu'à vous empêcher de travailler convenablement ou de dormir la nuit. Il avait beau retourner le problème encore et encore, sa relation avec Ji Min n'était tellement pas définissable qu'elle l'inquiétait beaucoup. Il sentait que des problèmes arrivaient, comme on pouvait prédire un orage en voyant le ciel et l'air s'alourdir. Ji Min et lui, c'était comme cet orage terrible, qu'il imaginait se rapprocher à toute vitesse, sans pour autant savoir quand il allait véritablement éclater.
Et il restait ainsi, incertain de s'il devait prendre le risque de s'aventurer dehors, et de se retrouver sous la pluie battante et les éclairs assourdissants, ou s'il ferait mieux de rester confortablement installé chez lui, emmitouflé dans un plaid, à attendre que la tempête arrive et passe, sans en être affecté.
~✤~
Nouveau chapitre tulututu !
Oui, je sais, ça a tardé, mais j'avais prévenu, et j'ai eu un gros blocage ;-; mais c'est passé !
J'espère que votre rentrée s'est bien passée et que vous avez aimé ce chapitre !
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