XXII - Trois rejetés (1)
- Eh ! Venez, venez tous ! Eh ! Il faut que vous voyez, que vous sachiez tous ! Eh !
L'homme gesticule et crie à tue-tête. Sa voix déraille un peu et part dans les aigües.
- Eh ! Là-bas... Il y a... Eh !
Une petite troupe de curieux commence à le suivre. Mais lui continue d'avancer, le visage troublé, l'air hagard. Je le suis également, le cœur battant.
Lorsqu'il parvient sur la grand'place nouvellement reconstruite, il s'arrête définitivement.
- Vous êtes tous là ? Alors... Alors... Oh mais je ne peux pas le dire : il faut que vous me suiviez ! La... Eh !
Peu à peu, chacun abandonne ses travaux, les dernières finitions de l'immense chantier. Moi aussi je les suis. Isak est derrière moi. J'ai un peu peur...
- Perle ! S'ecrie quelqu'un derrière moi. Perle, attends ici.
C'est papa. Il m'a attrapé la main et me retient.
- Perle... On ne sait pas ce qu'il y a là-bas.
- Mais ce n'est rien papa !
- Reste ici.
Alors furieuse, je tourne des talons et file vers le palais encore en travaux. Isak hésite quant à ce qu'il doit faire mais prend finalement le parti de suivre le mouvement général vers le bas de la dune... Vers la mer. Je comprends que papa ait été marqué par la guerre mais pourquoi reste-t-il aussi faible et craintif ? Il n'a pas de courage, lui.
Je m'adosse à la balustrade d'un balcon, face à la rue, et porte mon regard dans le lointain, le vague, les vagues... Je les vois, une troupe qui porte deux corps, trois corps. Une troupe excitée, en colère... J'ai si peur ! Mon cœur s'accélère encore. C'est un tumulte qui enfle, enfle, enfle à mesure que la troupe approche du palais, toujours avec ces trois corps que je ne peux distinguer...
Papa arrive dans mon dos et pose une main sur mon épaule. Ses doigts tremblent, je devine son anxiété.
- Courage, papa, soufflé-je.
Et May nous rejoint juste après. La famille royale, angoissée, se tient sur le grand balcon, prête à recevoir cette foule en colère. Qui sont ces trois corps ? Mes doigts se crispent un peu plus sur la balustrade.
Les trois corps sont jetés au sol... Je les vois frémir : ils sont en vie. Mais d'ici, je ne parviens pas encore à distinguer leurs traits.
- Puis-je descendre papa ?
Il me fait un signe consentif de la main et je dévale les escaliers. On s'écarte pour me laisser passer, respectueusement. Et j'arrive à leur niveau...
Oh Divin ! Si tu pouvais me donner toute ton énergie... Je crois que je chancèle. Oh Divin ! Je faillis... Qu'est-ce que...
- Elle tombe, rattrapez-la !
Deux mains m'agripent et me remettent sur pieds. On me donne une rapide gifle et j'inspire lentement.
Azel.
- Est-ce... Il vie ?
- Oui princesse.
Je me précipite sans plus tarder vers mon ami et tourne son visage vers moi. Il a le front fiévreux, il gémit. Parfois, ses paupières papillonnent un peu. Je passe une main sur son front en murmurant d'une voix tendre :
- Azel.
Mon cœur a fait un bond. Il tambourine trop violemment pour que cela ne s'entende pas de l'extérieur. Azel m'a donc autant manqué ?
- C'est moi. Je suis là... C'est Perle.
Il ne m'entend pas. Il est fiévreux. Alors, l'angoisse enserrant ma gorge, je me lève et fais face à la foule. Ils ont gardé leur masque de haine envers ces trois personnes retrouvées. Je jette alors un coup d'œil aux deux autres et ne peux m'empêcher de retenir un cri de frayeur : la moule et La Berlue. Dans le même état que mon ami.
- Eux !
- Nous savons ce qu'ils vous ont fait, princesse, s'écrie un homme. Nous savons que vous avez tout fait pour protéger la clé.
Je ne m'étais pas étonnée plus que cela que l'on ne me reproche pas cette faute impardonnable. Ils savaient.
- Princesse, ce sont des traîtres qu'il faut tuer.
Je lève mon regard vers papa qui m'observe avec attention, d'en haut. Moi je ne veux pas les tuer.
Une femme récrimine encore :
- Ils ont vendu la ville ! Ils étaient nos hôtes !
Azel...
- Nous ne pouvons pas les condamner sans jugement, répondé-je doucement.
- C'est à vous, en premier lieu, qu'ils se sont pris, et vous réclamez la clémence ! Rétorque un autre.
Moi aussi je hais la moule et La Berlue. Mais la grave décision que mon père me laisse prendre, loin de m'échauffer l'esprit, me fait prendre du recul.
- Il faut qu'il y ait justice. Justice, ajouté-je encore. Avez-vous eu le temps de reconstruire l'hôpital ?
- Vous n'y songez pas... Murmure une dame horrifiée en jetant un coup d'œil glacé aux trois personnages.
Moi aussi je les abhorre, hormis Azel. Je les exècre même. Mais je crois bien être ici la seule personne à raisonner froidement.
- Très sérieusement. Y a-t-il des médecins ? Ou même des infirmières ?
Tous se regardent avec embarras, sans répondre. J'ai envie de pleurer...
- Y a-t-il simplement des personnes de bonne volonté ?
Isak s'avance aussitôt, je le remercie d'un clin d'œil. Mais je crois qu'il n'attendait que cela pour filer voir son ami.
Et Violette fait un pas en avant. Des murmures s'élèvent dans la foule. Des gestes de mépris. Des crachats.
Elle fronce les sourcils et rétorque aux mauvaises langues :
- Je suis peut-être la dernière à avoir gardé un peu d'humanité et de générosité... Avec Perle et Isak. Et non, je n'ai pas oublié ce que La Berlue m'a fait mais je sais pardonner.
Pardonner. Elle est belle, Violette.
Ces paroles font un peu remuer la foule et j'attrape quelques mines soucieuses. Alors, deux, trois, quatre, cinq personnes s'avancent pour nous aider. Les autres nous tournent le dos avec mépris et repartent travailler.
Isak et moi portons Azel dans une salle terminée de l'hôpital. Mes mains tremblent. Je ressens un très grand trouble. Je crois bien que je l'aime.
Parviendrais-je à le soustraire de la colère de la foule ? Il n'a pas fait grand chose après tout, mon Azel.
Je pose une main sur sa tête et caresse son front... Il ouvre les yeux.
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