XVI - Du courage pour résister (1)
Comme la rue s'est vite agitée ! Et cette fois-ci, nous voyons réellement la bataille. L'avant-garde de l'armée de la mer, des embruns redoutables, sautent maintenant jusqu'à nous. Cachés sous un porche, nous observons avec de grands yeux effarés.
Ce sont de petites personnes, comme nous physiquement si ce n'est que leur peau est bleue et presque translucide. Les soldats-embruns. Papa m'en avait parlé pour m'expliquer que le vrai danger durant ces combats était les embruns, le reste de la mer restant bloqué par nos superbes remparts.
Ces troupes sont effrayantes. Nous les voyons sauter dans les rues et brandir leur sabre de façon menaçante. Je tire Isak, trop téméraire, pour le ramener sous un porche.
Comment allons-nous faire pour nous rendre à la cave ?
Instinctivement, je serre la clé. J'ai l'impression, par ce geste naïf, de la protéger. Oh ! Perle, je crois que l'enfance est passée. Je pense même que je parviens doucement à l'âge adulte. Il y a ce sentiment dans mon cœur, d'une intensité nouvelle, qui se révolte contre le monde et qui veut apporter sa pierre de sable. Certes, jeune, j'avais également ce désir mais les expériences et les désillusions ont fortifié mes résolutions.
- Isak ?
- Que fait-on, Perle ? Demande-t-il avec sérieux.
- Il risque d'être trop difficile de rejoindre la cave.
- Où serons-nous en sécurité ?
- As-tu une idée, toi ?
Je le vois jeter un coup d'œil vers ces rues obscures et vides. Mais la situation ne cesse d'empirer.
- Non.
- Alors, faisons comme eux. Combattons !
Et la gorge nouée, je me saisis d'une poutrelle à terre pour en menacer ces assaillants. Un soldat-embrun, d'abord, me saute dessus. Je frappe, en détournant mon regard, effrayée par mon geste. Je le vois glisser à terre soudainement. Il saigne. En tentant d'oublier mes sursauts de dégoûts, je me tourne vers le prochain.
Les tourbillons, l'odeur du sang, l'agitation... Tout cela m'entraîne toujours plus loin dans la rue. Et prise dans le feu de l'action, j'oublie tout, le regard concentré sur ma poutrelle en mouvement.
Je n'entends rien.
Je n'entends pas Isak qui m'appelle soudainement. Je n'entends pas Isak affolé. Et c'est quand il me secoue l'épaule, que je reviens, et sursaute.
- Perle ! Pourquoi faut-il se battre ?
Alors mon esprit commence à être torturé. Ces quelques mots réveillent en moi les sentiments profonds qui ont nourri ma réflexion ces derniers temps et m'agitent. Je frappe, je blesse et abandonne quelquefois des hommes grièvement atteints. En résumé, je fais de mal. Moi, Perle, qui préconnisait le bien...
Une part de moi veut alors tout à fait renoncer à cet amour de l'autre, sous la fausse excuse de la défense de mon château, quand l'autre part me dit d'arrêter mon bras et d'embrasser l'ennemi. N'y a-t-il pas de compromis ?
Mais une douleur plus vive m'arrête. Isak, sans plus de façon, me pousse à l'intérieur d'une boutique abandonnée en m'avertissant :
- Si tu continues ainsi, Perle, tu vas tomber et ne plus te relever. Regarde !
Je saigne du bras. Oh, ce n'est pas bien grave mais j'adresse tout de même un regard reconnaissant à mon ami.
- Reprends ton souffle, ordonne-t-il ensuite.
- Je ne comprends pas, Isak... Y-a-t-il un moyen d'aider l'autre dans une guerre ? Je voudrais aimer...
- Oui, je suis au courant, raille-t-il sans que je n'y prête grande attention.
- Mais ce n'est pas en blessant ainsi que...
- Attends ! Écoute !
Je dresse l'oreille. À l'étage d'au-dessus, des cris nous parviennent. Nous montons les escaliers bringuebalants pour aller voir tandis que je me raisonne...
Oui, ces combats sont nécessaires parce qu'ils sont la défense du château de sable. J'aime évidemment ses habitants et plus que l'ennemi. Je crois avoir trouver une nuance : si je n'oublie jamais de considérer le point de vue adverse, tout en concentrant mes efforts pour aider ceux qui me sont plus proches, je respecterais mes convictions. Papa a cherché un compromis déjà. Mais il y a une limite à tout.
- Perle ! S'écrie Isak devant moi. Perle, regarde !
Trois enfants dans un coin sont serrés les uns contre les autres, apeurés, tandis qu'un soldat-embrun fait danser son sabre devant eux.
En deux bonds nous sommes sur lui et frappons sa tête. Les enfants nous adressent alors un sourire entre leurs larmes qui me remue plus que je ne le pensais.
- Qu'est-ce que... Qu'est-ce qui se passe ?
L'enfance est-elle donc passée si vite pour que cette voix naïve me paraisse déjà appartenir au passé ?
- Je ne sais pas. Mais ne vous inquiétez pas, maintenant je vais m'occuper de vous.
- Tu joues très bien à la maman, me souffle Isak rieur.
- Viens, cesse donc de blaguer, je veux aller aider le monde.
Il lève un sourcil surpris et secoue son épaisse tignasse. Pendant ce temps, je réfléchis à toute allure et à haute voix :
- La cave est loin mais le palais est encore proche. Avec ses grilles et les gardes, il reste l'endroit le plus protégé. Je te propose de prendre ces enfants et de les emmener en sécurité. Plutôt que de combattre, rassemblons ceux qui sont en danger en un même lieu où leur protection sera assurée.
J'hésite encore un peu avant de prendre deux enfants par la main en jetant un coup d'œil à Isak :
- Viens.
Et je cours. Il faut faire vite. Je cours et je crie ! "Que tous ceux qui ne peuvent plus combattre me suivent ! Qu'ils me suivent et que les moins blessés portent les moins vaillants. Suivez-moi ! Suivez-moi, ceux qui ne peuvent plus combattre !"
Je ne veux pas voir mon château sombrer. Je ne veux pas que ses habitants meurent. Je ne veux pas même qu'ils soient blessés. Je veux qu'ils rient, qu'ils soient en paix... C'est mon château, c'est ma responsabilité, mon devoir : je dois les aider.
- Mais cours, imbécile ! Crié-je à mon ami. Cours !
Il court, mais il est fatigué. Et moi, je suis terrifiée.
Mes mots réveillent les esprits de ceux qui abandonnaient. Et moi qui peinais à me frayer un chemin tout en évitant les coups des soldats-embruns, vois tout à coup des renforts se créer de toute part et une barrière de protection m'entourer.
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