V - Un jour je serai reine (1)

Les gardes me jettent un regard suspicieux. Je suis tétanisée. Mais je comprends qu'il me faut protéger leur fuite :

- Messieurs, n'auriez-vous pas vu Isak ? Nous jouions à cache-cache dans l'ouest du château mais les lingères m'ont dit l'avoir vu se cacher ici.

Ce n'est pas bien de mentir. Et en effet je ressens un malaise intérieur. Mais comment faire autrement ? Le mal est un cercle vicieux. C'est nul !

Je quitte la pièce en catastrophe. Et maintenant ? Où sont-ils ? Où sont-ils ? L'affolement me gagne. Je me mets à courir dans la cour du bas sur laquelle donne le fenêtre. J'ai le fol espoir, et la crainte, qu'ils ont eu la stupide idée de passer par là. Je sais qu'ils sont fous et capables du pire... Et j'ai raison de le penser.

Isak et Azel sont en équilibre sur la corniche du toit. Ils sont fous ces deux-là ! Atterrée, je garde mon nez en l'air et suis leur progression. Non mais Azel a toujours le pyjama rayé des prisonniers ! Et comment faire pour les rejoindre ?

Déjà, courir. Je rentre en vitesse et grimpe quatre à quatre les escaliers. Jusqu'au grenier. J'aime bien cet endroit. Je me calme instantanément... Je me souviens que plus jeune j'y empruntais des vieux habits pour me déguiser. Ce que j'aime mon château !

Un drap s'agite derrière une grande armoire. Le plancher grince sous mes pas. L'angoisse me prend à la gorge, comme un étau. Derrière moi la porte pivote sur ses gonds dans un horrible gémissement avant de claquer brusquement. Coup de vent ! J'avance.

J'entends comme le bruit furtif d'un glissement se propager dans tout le grenier. Et lorsque j'arrive au niveau de l'armoire, une ombre me saute dessus en criant.

Aaahhh !!!

Je fais un bond en arrière, le cœur battant à rompre. Qu'est-ce que... Un fantôme ?

Mon angoisse retombe immédiatement et je tire d'un coup sec le drap. Évidemment...

- Tu m'as fais une de ces peur, Isak !

Et il ose rire !

- Où est Azel ?

Je suis inquiète pour lui... Je ne pensais pas pouvoir me soucier à ce point d'un inconnu.

- Ici... Me dit mon ami en surgissant à son tour d'un recoin sombre.

- Écoutez ça ne va plus. Il faut arrêtez de jouer à cache-cache dans le château quand on essaye de faire évader quelqu'un. Azel, Isak... Pouvez-vous m'expliquer ?

- Quand tu es partie pour la lingerie, Perle, nous avons entendu des pas. Nous savions que ce n'était pas toi alors nous avons pris peur. La fenêtre était ouverte.

- Vous êtes passés par la fenêtre ! Eh bien... Je ne vous pensais pas suicidaires.

Mes deux amis rient un peu puis Azel reprend :

- Pas suicidaires au contraire. La fenêtre donne sur une petite cour où personne ne vient jamais. Nous avons suivi la corniche, sauté dans le grenier et nous voilà ! C'est simple.

- Très simple, répété-je ironique. Enfile ces vêtements, je me tourne. Tu seras déjà un peu plus discret.

Un peu plus tard, nous descendons vers la grande porte. Pas besoin de se cacher : le palais est en effervescence à cause de ce prisonnier disparu. C'est drôle.

En ville, je les entraîne vers une cave où je sais qu'Azel pourra vivre caché. Ma maman me répète souvent, lorsque je pars dans le centre-ville, qu'au moindre soucis je devrais m'y rendre pour être en sécurité. Mais, tout en connaissant son emplacement, je n'y suis jamais allée.

- Perle...

Azel se tord nerveusement les mains.

- Perle, pourquoi m'as-tu aidé ?

- C'est un sentiment complexe que les gens trop adultes ne peuvent pas comprendre. Mais à toi je vais le dire. C'est parce que je voudrais aimer tout le monde et que tout le monde m'aime. Le monde serait heureux si nous faisions tous ainsi.

- Wow, s'extasie Isak.

Je me rengorge et déclare d'une voix pincée :

- C'est ma philosophie. Philosophie. Vous comprenez ? Ma philosophie. Maman m'apprend plein de mots et celui-ci est un mot très intelligent. Philosophie.

- Wow, répète Isak.

- C'est stupide, grommèle Azel.

Stupide ? Mais...

- Pourquoi dis-tu cela ?

- Crois-tu, Perle, qu'un jour tout le monde aimera tout le monde ?

- N'as-tu pas l'espoir que ce jour arrivera ?

Il détourne le regard et répond d'une voix distraite :

- Non, le monde est trop imparfait.

Ces quelques mots détruisent mon raisonnement, ma fierté et ma raison d'être. J'ouvre de grands yeux effarés : mais que répondre à cela ?

- Tu ne réponds rien ? S'étonne Azel.

- Si. Le monde deviendrait heureux si nous tendions tous vers cette philosophie. Alors moi je tends vers, également.

- Tendre vers ?

- Oui.

- Pas mal répondu. Tiens, c'est la cave cela, non ?

Nous nous trouvons en bordure de la rue marchande dans une petite rue. Quelques marches descendent vers une porte. J'acquiesce. Pourquoi un sentiment désagréable entre-t-il dans mon petit cœur ? Je pousse la porte et entre.

La vieille odeur mouillée. Des relents un peu pourris. Cette obscurité... Vertige ! Tourbillon ! Malaise... Je tombe.

Les gens crient. Les gens ont peur. L'air est lourd. Je suis seule. Des larmes. Jeune...

De quand date ce souvenir ?

Maman surgit d'une boutique elle s'était arrêtée. Elle me prend par la main et m'entraîne à travers la foule vers cette cave humide.

Je ressens une sorte de malaise intérieur. Pourquoi la ville est-elle si effrayée ? Qu'est-ce qui fait que l'air est si lourd ? L'angoisse me gagne. L'atmosphère est pesante. Les clameurs de la ville grondent comme un orage. Mon esprit est affolé et embrumé.

- Perle ! S'écrie maman.

Sa main broie la mienne. J'ai mal, j'ai peur... Je pleure.

CLAC

Aïe, ça fait mal... Qui est la brute qui a osé...? La réponse ne m'étonne même pas : Isak. Ma joue brûle maintenant mais il ne s'en soucie pas.

Je ne réplique rien cependant, bien trop troublée encore. Que s'est-il passé ? Et quand était-ce ? Je devais être particulièrement jeune pour que le souvenir soit aussi confus. La ville a donc connu des jours de terreur ? Pourquoi ?

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Dimanche, je ne pense pas avoir de la wifi. Donc voulez-vous deux chapitres aujourd'hui ? Ou mercredi prochain ?

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