II - Choisir (2)

Voilà que les soldats reviennent briser mes jeux. Dès que je les vois, je m'arrête et me tourne sèchement vers eux :

- Pourriez-vous partir, s'il vous plaît ?

Mon ami s'est arrêté de courir aussi. Il recule lentement jusqu'à se retrouver adossé à un mur. Toute joie a disparu, laissant place à l'effroi.

Malheureusement une fois de plus, rien ne se passe comme prévu et l'un de ces soldats secoue négativement sa tête.

- Non. Vous savez le respect que nous portons à la famille royale.

- Alors obéissez-moi.

- Non. Votre père n'accepterait certainement pas de voir un mendiant vous traiter de la sorte.

- C'est mon droit. C'est moi qui lui ai dit de m'appeler ainsi.

- Princesse...

Le soldat me prend la main et m'entraîne à sa suite. Évidemment, j'essaie de résister mais c'est qu'il a la poigne solide ! Je lui jette des regards furieux. Le métier des adultes est-il donc de briser les jeux des enfants ? C'est un bien vilain métier.

- Pourriez-vous me lâcher, s'il vous plaît.

Ma voix est si froide qu'elle me surprend moi-même. Je comprends que leurs sentiments négatifs rejaillissent sur moi.

- Lâchez-moi ! Mon père n'apprécierait pas !

Je tente de me retourner et me tord le cou... Et blêmit. L'un des soldats s'est approché de mon nouvel ami et tente de l'attraper lui aussi. Celui-ci tourne son regard vers moi et me dit :

- Ils disent que mon papa ne peut pas subvenir à mes besoins, que je serais mieux à... à...

Il n'arrive même pas à prononcer le mot et c'est le soldat à ses côtés qui répond avec un air exaspéré :

- À l'orphelinat.

Alors là c'est trop ! C'est tellement aberrant que j'en reste bouche bée. Les gardes m'observent avec inquiétude tandis que je m'étonne :

- Mais vous êtes fous !... Vous êtes... Complètement fou ! Êtes-vous en train de chercher à rendre le monde malheureux ?

- Princesse, ajoute l'un d'eux. Ce sont les affaires de la ville et non les vôtres.

Évidemment ! Réponse stupide, je lui jette un regard significatif et il comprend instantanément ce que je veux dire : un jour je règnerai.

- Et puis, murmure un autre d'une voix douce, nous ne voulons que son bonheur.

- Son bonheur ? Mais lequel ? Le matériel ou celui qui vient de l'amour familial ?

- Nous savons tout cela, princesse, répond-il d'un ton sec. Nous avons tout de même un peu plus d'expérience que vous. Mais vos rêves vous emmènent dans un autre monde. Ici, c'est la réalité. Ce garçon a besoin d'aide et je ne permettrais pas qu'on l'abandonne dans sa misère. Nous savons tous que votre éducation royale vous met sur un piedéstal par rapport aux autres gamins mais cessez d'être prétentieuse et de vous croire tout permis.

Ces paroles rudes me frappent, comme si je recevais un violent coup dans le ventre. Mais surtout, elles font entrer le doute en moi : je me suis donc crue trop supérieure aux autres pour penser savoir ce qui les rendrait heureux et malheureux ? C'est vrai que je suis jeune mais... Mais j'ai des certitudes déjà.

- Je peux juste lui demander quelque chose ? Murmuré-je plus gentiment.

On me fait signe que oui. Je m'écarte avec lui et prends ses deux mains dans les miennes :

- Écoute, comment t'appelles-tu ?

- Isak.

- Moi c'est Perle.

- Je sais, rit-il.

Et je ris à mon tour. Avant de reprendre rapidement mon air sérieux...

- Dis-moi : que préfères-tu ?

Il me jette un regard un peu déçu et souffle :

- Je pensais que tu le savais...

- Tu veux ton père, n'est-ce pas ? Repris-je avec des yeux qui pétillent. Eh bien voilà ! Je le savais ! C'est juste que les adultes ne savent pas ce que c'est que d'être un enfant !

Mais l'un des soldats qui a entendu ces dernières paroles s'approche et ricane :

- Croyez-moi nous savons. Nous allons vous raccompagner chez vous, princesse. Cela vaut mieux.

Tant pis ! Papa ne m'a pas écoutée pour Azel mais il le fera pour Isak. Je l'ai décidé ainsi. Et, petit sourire ironique flottant sur les lèvres, je me laisse gentiment raccompagner.

Mon papa m'aime à l'infini. Il me le répète souvent. De plus, cette fois, mon ami n'a rien fait. Je l'ai simplement choisi pour jouer avec moi, pour être mon ami. C'est si peu de choses !

Moi aussi j'aime à l'infini mon papa. Même si je ne sais pas ce que c'est l'infini. C'est pourquoi je sais qu'il m'écoutera.

Et j'ai raison. Papa déteste me voir triste. Ici, il n'y a pas de raisons politiques, pas de morts, pas de fautes graves... Papa a vu mes yeux humides et il a dit oui pour Isak.

Je n'ai pas revu Isak. Je suis allée m'asseoir près d'une vieille fenêtre du château qui laissait, filtrer la lumière en répandant quelques clairs obscurs énigmatiques. C'est ici que j'ai rêvé.

Est-ce que maintenant j'ai un ami ? Pourrais-je revoir Isak ? Ou même Azel ?

C'est tout de même étrange, l'un s'est imposé à moi par des sentiments. Mais j'ai choisi l'autre. Alors est-ce que les deux sont mes amis ? Je crois pourtant que oui.

C'est triste. Je suis princesse et ne peux avoir de prince charmant. Je suis enfant et ne peux m'imaginer... Pingouin. Est-ce qu'il y a une limite à mon imagination ?

Et j'ai peur... Parce que je voudrais qu'Azel sorte de prison. J'ai peur parce que j'ai bien vu qu'on ne m'écoutait pas.

Je voudrais aimer. Je voudrais rêver. Je voudrais changer le monde, n'avoir aucune limite ! Rien ! Et l'univers m'appartiendrait ! Oh... Comme j'aimerais avoir l'étendue pour moi seule. Je suis enfant, je veux du grand.

Et je vois des adultes qui brisent des idéaux tout justes formés.

Mais ce n'est pas grave. Ils ne le font peut-être pas exprès. Après tout, ce qui compte c'est que j'ai trouvé un ami. Le plus merveilleux.

Un étrange duo qu'une princesse et un petit mendiant... Est-ce que mes sentiments m'ont poussée à faire ce choix ? Cet ami, je l'ai choisi, n'est-ce pas ? Et je lui donnerai tout ce qu'il désirera.

Allez, allez, Perle ! On sait que tu es bavarde mais les paroles et les rêveries ne mènent à rien. Tu as bien rêvasser près des tours... Mais maintenant, va donc retrouver Isak ! Va donc aider... Azel.

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