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- Tu viens avec moi? Crié-je de la salle de bain.
- Non! Me répond-il.
J'enroule la serviette autour de mon corps et me dirige vers lui au salon.
- pourquoi ça?
- Le boulot.
- Mais Georges, tu sais très bien que j'aurais besoin de toi. On est dimanche quand même!Riposté-je.
- Je sais. Mais je ne peux pas négliger mon travail. J'ai une voiture à réparer pour mon boss.
Voyant que je ne réagis pas, il s'avance vers moi pour m'embrasser le front en me disant:
- Tu es forte, ma chérie. Et je sais très bien que tu peux gérer ça toute seule. Je ne veux pas me rendre chez ton père. Ne m'y oblige pas. On en parlera quand tu reviendras, tu veux?
Je n'ai pas le choix que d'accepter sa décision, vus ses yeux suppliants qui me transpercent le cœur jusqu'à me faire céder.
- D'accord.
Il me fait un baiser sur la bouche et va continuer à regarder la télé. Je récupère mon sac et sors prendre un tap-tap. Le reste du trajet, je compte le faire à pied. J’ai besoin de me défouler et d'être un peu seule pour réfléchir. Mon cœur bat à un rythme désordonné. J’ai peur des résultats qui peuvent bien m'attendre. Vont-ils nous révéler qui lui a fait ça? Suis-je déjà prête pour l'entendre? Que ferais-je après? Je sais bien que je ne saurai affronter ça toute seule. J’appelle Édouard.
- Bonjour Edouard. J'espère que je ne t'ai pas dérangé.
- Ah! Bonjour princesse. Tu sais bien que tu ne me déranges jamais. Ça fait tellement du
bien d'entendre ta voix.
- Ça va? Lui demandé-je poliment.
- Ça peut aller. Je m'inquiète juste à ton sujet.
- Euh...J'essaye de m'en remettre...Si tu n'es pas occupé, je voudrais bien que tu viennes me
trouver chez mon père. Comment dire ? J’aurais besoin...
- Pas besoin de t'expliquer, princesse. M'interrompt-il, Je serai toujours là pour toi. J'arrive.
- Merci. A tout à l'heure. Dis-je avant de raccrocher.
Un sentiment que je ne saurais expliquer m'envahit. Soudain, je pense à Georges. Peut-être que je
n'aurais pas dû appeler Edouard, j’ai l'impression d'avoir trahi mon mari. Mais ce n'est que mon ami, rien d'autre. C’est chez lui que j'ai trouvé cette disponibilité pour m'accompagner. Autant ne
pas regarder le côté négatif bien que je me demande s'il y en a un.
Au bout d'une heure de temps, je suis devant la maison prête à frapper. Ma respiration est haletante, mon cœur bat très fort. Je n'ai soudain pas envie de savoir qui a tué ma mère craignant ce que je peux faire après. J'hésite un peu à frapper comme si j'ai peur de ce qui pourrait bien m'attendre mais je le fais quand même sachant que c'est inévitable.
- Bonjour, mademoiselle. Entrez, me dit une domestique après avoir ouvert la porte.
- Ne la laisse pas entrer! Crie une voix.
Étonnée, je me retourne et vois mon père. Je ne veux pas prêter attention à ce qu'il a dit malgré la façon dont il me regarde. Un regard qui n'a rien de paternel, sans une étincelle d'amour exprimant une grande colère et qui semble être prêt à tuer.
Je m'approche de lui pour l'embrasser mais je ne reçois qu'une gifle avant même que ma joue touche la sienne. Jamais mon père n'a levé la main sur moi. Jamais. Et voilà qu'aujourd’hui, où nous avions le plus besoin de nous soutenir l'un l'autre, il ose me frapper. Je suis abasourdie. Je caresse de la main ma joue qui commence à être chaude.
- Papa! Réussis-je enfin à articuler.
Il me regarde à peine. Je me dis qu'il s'est laissé emporter et qu'il regrette maintenant. Je m'attends à ce qu'il s'excuse, je ne veux plus avoir des problèmes avec lui alors que ma mère n'est plus là.
- Vraiment, je regrette d'avoir élevé une telle...une telle...
Il n'arrive pas à terminer sa phrase mais je vois quand même qu'il parle avec dégoût.
- Je ne comprends pas comment et pourquoi tu oses venir ici, reprend-il. Tu t'es déjà assez moquée de Dine-dont j'ai du mal à penser qu'elle était ta mère. Comment as-tu pu, Emma?
Comment?!
Je ne vois toujours pas où il veut en venir mais ses mots me font mal. Tellement mal. Une larme
s'échappe de mes yeux alors que j'essayais de la retenir.
- De quoi tu parles, papa? Qu'ai-je fait?Je suis seulement venue ici pour savoir comment tu vas et connaître les résultats. Est-ce un mal, ça?
- Je vais bien. Disons, j'allais bien jusqu'à ce que tu remettes les pieds dans cette maison. Comme tu vois, c'est ta présence qui me dérange.
Qu'ai- je bien pu faire pour qu'il me traite ainsi? Tout allait bien pourtant. Du moins, c’est ce que je croyais. Avant que je lui réponde, il continue:
- Et pour les résultats, je crois que tu les connais mieux que quiconque.
Je le fixe en signe d'incompréhension.
- Emma! Dit une voix féminine.
Je me retourne et c'est ma tante qui se tient devant la porte. Ses yeux sont rouges et boursouflés comme si elle avait passé plus qu'une journée à pleurer.
- Tu vois dans quel état tu mets ton père? Laisse-le, Emma. Tu en as assez fait comme ça.
La seule qui avait l'habitude de me défendre, qui prenait le temps de m'écouter vient de me rejeter,
elle aussi. Ce qui m'énerve dans tout ça c'est que je ne sais même pas pourquoi. Personne ne veut m'en parler.
- Si tu n'étais pas ma fille (même si j'en ai honte désormais), Dieu seul sait ce que j'aurais fait.
- Martha? Murmuré-je en espérant qu'elle vienne me prendre dans ses bras comme elle le faisait avant et tout m'expliquer.
Mais rien de tout ça n'est fait. Elle me repousse:
- je te conseillerai de reprendre ton traitement, Emma. Tu ne vas pas bien. Maintenant, Va-t’en, Emma. Va-t’en.
Voyant que je reste encore à la regarder, elle ajoute avec des larmes aux yeux:
- STP.
Je regarde mon père, qui lui commence déjà par rentrer. A ce moment-là, je me rends compte que
ma place n'est plus ici. Que je viens d'être rejetée par ceux que j'aime et que je croyais m'aimer. La première fois c'était ma décision mais aujourd'hui c'est la leur. Alors, je n'ai plus ma place dans cette famille. Je me fais désormais à cette idée-là. J'essuie mes larmes du revers de la main. Je soupire. Sans daigner les regadera (car je ne veux plus les voir), je quitte définitivement cette maison en me jurant de ne plus y remettre les pieds peu importe les circonstances.
Je me mets à marcher, sandales à la main, sans destination. Ce que je voudrais en ce moment c'est être dans les bras de Georges mais il n'est pas à la maison .J'essaie de ne plus pleurer me persuadant que je suis plus forte que ça. Je hais tout le monde désormais. Tous ceux qui m'ont fait
souffrir. Même ma mère car si elle n'était pas partie, rien de tout ça ne serait arrivé. Je n'aurais jamais remis les pieds à la maison, on ne m'aurait jamais traitée et rejetée comme ça: comme une moins que rien. Jamais. J'aurais continué à vivre paisiblement avec mon mari sans m'inquiéter de
quiconque. Et ça aurait été mieux ainsi.
- Vous ne pourriez pas regarder où vous allez? Crié-je par terre sans relever les yeux.
Une main m'est tendue alors que l'inconnu s'accroupit devant moi.
- Ce n'est que moi, Emma. Je suis désolé.
Dès que j'ai vu Édouard, je sens tout mon être se ranimer. Je me jette dans ses bras espérant qu'il réussira à me réconforter et déverse sur son cou un océan de larmes que j'essayais de refouler.
Il me serre contre lui en caressant doucement mes cheveux et me porte jusqu'à sa voiture sans me demander où je voulais aller. Je lui fais confiance, il le sait.
- Tout va bien aller, princesse. Me réconforte-il.
- Arrête de m'appeler "princesse", j'ai grandi Édouard. Dis-je tout bas en ouvrant à peine les yeux. Je suis mariée.
Il ne me dit plus rien.
- Dés...
- C'est rien. Me coupe-t-il. Tu n'avais juste pas besoin de me le rappeler. Je le sais.
Je lui souris faiblement en guise d'excuse.
- Pourquoi tu es dans cet état? Me demande-t-il alors qu'il quitte des yeux la route quelques secondes pour me regarder.
Je ne lui réponds pas. Je suis à la recherche du sommeil bien que mon esprit est bien trop tourmenté pour que je m'endorme. Voyant cela, il ne dit plus rien et continue à conduire
tranquillement.
Alors que je parviens enfin à m'endormir, je sens quelqu'un me secouer.
- Hé! Hé, on est arrivés.
- Où ça? Dis-je en me frottant les yeux.
Il vient m'ouvrir la portière et me tend la main pour m'aider à sortir.
- Tu t'en souviens? Me demande-t-il.
Je regarde devant moi et reconnais aussitôt cet endroit. Il me rappelle tant de souvenirs de mon enfance. C'est là que nous nous réfugions, au bord de cette mer, quand on voulait se changer les idées. Annie venait avec nous que rarement. Ce n'était qu'Edouard et moi qui venions ici le plus souvent. Car on aimait être ensemble. Rien que tous les deux.
La première fois que je m'y suis rendue, c'était un vendredi. J'avais reçu mon bulletin et malheureusement les résultats n'étaient pas trop satisfaisants. Mes parents m'avaient engueulé me
disant que je devais faire plus d'effort. Toujours encore plus. Alors que j'en faisais trop déjà. Une fille riche ne doit pas être sans cervelle, c'est ce qu'ils m'avaient laissé comprendre. Mais Édouard était toujours là quand j'avais besoin de lui. J’ai pleuré dans ses bras et voulant que j'arrête, il m'a dit qu'il allait m'emmener quelque part et qu'il m'aiderait à m'améliorer si toutefois j'y allais. Ce que j'ai accepté sans me faire prier. Dès lors, on en a fait notre lieu de refuge. Je n'avais que 13 ans et lui 15.
- Le premier arrivé coule l'autre! Me dit-il alors qu'il commence déjà par courir tout en enlevant son tee-shirt et son pantalon.
J'Enfouis mes souvenirs au dedans de moi pour revenir à la réalité. J'enlève aussi mes vêtements.
Je cours comme je ne l'ai jamais fait avant. Avec lui, tout m'a l'air d'être nouveau. Je le devance et arrive la première. Voyant sa défaite, il fait demi-tour comme pour me fuir.
- Oh! Non, ça ne va pas se passer comme ça. Dis-je en grimpant sur son dos après être sortie de l'eau.
Il me fait passer devant lui alors que mes pieds s'accrochent à sa taille. On se regarde un long moment. Ses yeux sont beaux, je ne les ai jamais regardés de si près. Je prends le temps de scruter chaque partie de son corps et me rends compte que mon ami n'a pas changé. Il a toujours ce grand
cœur et est gentil et ouvert avec moi. Physiquement, il est resté le même: toujours aussi mince
qu'avant. Mais il est tout de même très beau. J’en ris timidement.
- Quoi?
- Rien. Je lui réponds d'un air amusé.
Il me pose par terre et me prend la main.
- On y va?
Je lui serre la main et on se met à courir pour plonger dans l'eau. On s'amuse comme des fous, comme si nous étions encore des enfants. J'oublie alors tous mes problèmes, tout ce qui venait de
se passer. Je veux profiter de ce moment, de cette atmosphère que lui seul sait me créer.
Je m'assoie sur le sable pour mieux respirer l'air frais…disons plutôt l’air pollué d’Haïti. Il me rejoint. Il ne dit pas un mot comme s’il ne voulait pas gâcher ce moment que je savourais. Cette mer qui était si belle pendant mon enfance est entourée des matières plastiques comme si les mers étaient maintenant la poubelle du peuple. Je soupire à cette triste réalité me disant intérieurement que nos dirigeants auraient pu faire mieux. Hélas, ils ne pensent qu’à leurs poches.
- Tu es toujours aussi sportive à ce que je vois, me dit-il alors qu'il regarde la mer. Pourquoiavoir arrêté avec le karaté?
- Je n'ai pas arrêté. Je ne m'en sers pas pour le moment, c’est tout.
- C'est la même chose. Me fait-il remarquer.
Je lui souris. Un silence de mort prend place entre nous qu'il ne tarde pas à briser:
- Alors tu m'expliques pourquoi tu étais comme ça? Tu as donc eu les résultats? Me demande-t-il droit dans les yeux.
- Comment dire? Ils ne m'ont pas laissé les voir.
- Je sais que tu n'es pas comme ça, Emma. Me dit-il en s'approchant de moi.
- Pas comment? Fais-je étonnée en le fixant.
Il fuit mon regard pour ne pas me répondre.
- Et si on retournait dans la mer? Me propose-t-il.
- Non. Je dois rentrer maintenant. Dis-je en me mettant debout.
Il prend la position verticale lui aussi en s'approchant de moi et pose sa main sur mon bras. Noslèvres se frôlent. Je ne peux pas faire ça à Georges. Je ne peux pas lui faire ça .Car si j'apprenais qu'il me trompe, je ne sais pas ce que j'aurais fait.
- Rentrons. Stp. Dis-je en rouvrant les yeux.
- Oui, oui. Allons-y. S’empresse-t-il de dire.
Je lui offre un sourire qu'il me rend à son tour en essayant de cacher sa déception. On se prend la main pour se diriger vers sa voiture.
- C'est moi qui t'ai laissé gagner, tu sais. Me dit-il.
- Ouais. C'est ça. Comme toujours. Ironisé-je voulant qu'il se rappelle que je gagnais toujours.
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