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Rapidement, je les rejoins. Georges et mon père se retrouvent face à face s'échangeant des regards de défi sans qu'aucun n'ait le courage de parler. Annie est entrée mais il reste devant le pas de la porte.


- Ah, chéri! Dis-je en me jetant dans ses bras.


Il me serre fort contre lui et essaie de me rassurer:


- Désolé pour ce qui est arrivé. Mais Tu ne devais pas partir comme ça, sans rien me dire.


Puis à mon grand étonnement, il tend la main à mon père:


- Bonjour, monsieur.


Je me tourne vers lui et mes yeux le supplient de ne pas refuser. A contrecœur, je le vois lui serrer


la main:


- Bonjour.


- Mais ne restez pas dehors, intervient Martha qui nous avait rejoint.


Mon père la regarde d'un air drôle mais Georges n'est pas du genre à se faire prier. Sans attendre


son approbation, il entre en me prenant la main. Je m'arrête pour remercier mon amie et l'amène au


salon.


- On va devoir parler sérieusement, me dit-il d'un ton qui ne me plait pas trop.


- Mais de quoi, chéri?


Ma tante et Annie nous rejoignent.


- je vous sers quelque chose? Nous demande Martha.


- Non, ça va. Répond Annie.


- Pour moi aussi, dit Georges.


Je fais un signe de la tête pour dire non. Elle se retire.


- Emma, tu m'as tellement inquiétée. Tu es partie en courant me laissant plantée dans la rue.


J'ai eu peur que quelque chose ne t'arrive par ma faute, me dit Annie.


- Je ne sais pas ce qui m'a pris en fait. Mais Dieu merci, j'ai croisé Édouard sur la route.


- Édouard, grince Georges entre les dents.


Surprise, je le regarde et dit:


- Oui, Édouard. Mon ami d'enfance. Il était même témoin de notre mariage.


- Ouais, c'est ce qu'on dit. marmonne-t-il.


- Alors, je suis retournée chez toi pour parler à ton mari, reprend-elle, je ne voulais surtout pas qu'il s'inquiète. Il était dans tous ses états quand je l'ai trouvé. Je lui ai alors expliqué ce qui s'est passé pour qu'il se calme. Ne voulant pas appeler ton père, il a insisté à ce qu'il vienne lui-même voir si tu vas bien et surtout te soutenir.


- C'est un homme bon, non? Dis-je avant d'embrasser Georges qui ne répond pas à mon baiser.


- J'imagine! Soupire-t-elle.


- Je veux te remercier Annie. Tu es une bonne amie. Tu es toujours là pour moi. Vraiment, je te remercie du plus profond de mon cœur.


- Tout dans la vie a un prix, ma chère. Dit une voix grave qui vient de nulle part.


C'est bien Édouard. Il embrasse Annie:


- Comment vas-tu?


Il tend la main à Georges:


- Bonjour. Ça fait un bail.


Ils se serrent la main. Édouard reprend ce qu'il disait:


- tout comme tes larmes qui seront récompensées, Emma. Je parlais aux enquêteurs et ils m'ont dit que vous aurez les résultats de l'analyse le plus vite que possible, soit dans 7


jours. Sois forte, cet acte ne restera pas impuni. L'assassin va pourrir en prison.


- Pourrir en prison ne me suffit pas, dis-je en me mettant debout et en plongeant mon regard dans une photo de famille accrochée près de la télévision. Je veux qu'il subisse le même sort!


- La violence ne résout rien. N'est-ce pas, Georges?


- Elle vient de perdre sa mère, lui répond-il, il faut la comprendre. Elle parle sous le coup de l'émotion.


- Je pense qu'elle le sait mieux que nous tous, ajoute Annie.


Je la regarde voulant comprendre ce qu'elle insinue mais mon père nous interrompt:


- Emma, j'ai à te parler.


Sans attendre ma réponse, il disparaît. Je m'excuse auprès des autres et le suis jusqu'au jardin où


Martha nous attendait.


- Nous sommes les seuls qui lui restent, commence mon père. Pour cela, nous allons nous


organiser pour faire l'enterrement en toute discrétion. Si les autres veulent y participer, je


n'y vois aucun inconvénient. Cependant, personne d'autre ne doit le savoir. Je ne veux


surtout pas que la presse en parle, voire y prendre part. C'est pourquoi j'ai insisté à ce que


les enquêteurs gardent l'affaire secrète jusqu'à ce qu'ils aient les résultats de l'analyse.
- Mais papa, qu'on le veuille ou non, il faudra en parler à la police.


- Ton père sait ce qu'il fait, ma chérie. Intervient ma tante.


- Je tiens à le répéter: je ne veux ni de pleurs ni de deuil, continue-t-il. Mes parents avaient


acheté un terrain à quelques kilomètres d'ici. C'est même là qu'ils sont enterrés avec


d'autres membres de la famille. Je vais l'enterrer au même endroit. Je pense que ce sera plus


discret. Le père Philippe va chanter l'enterrement, il nous attend déjà sur les lieux...


Alors que mon père parle, je vois quatre hommes passer devant nous en transportant un cercueil


jusqu'à sa voiture. A ce moment-là, je sens mon cœur palpiter à une vitesse incontrôlable et


voulant respecter la décision de mon père, j'essaie de refouler les larmes qui me montent aux yeux.


Il me regarde et ajoute:


- Suis-moi, on y va... Martha accompagnera les autres.


J'ai les pieds cloués au sol. Il me prend la main et me conduit à la voiture. Il tend des billets de


1000 gourdes aux hommes avant de m'aider à monter à l'avant et prend le volant.


Savoir que ma mère est dans la voiture, inconsciente, me donne envie de crier. Mais je me retiens.


J'ai presque peur de regarder à l'arrière. Peut-être qu'elle se questionne sur son sort désormais. Elle


doit être en train de se demander où nous allons avec elle, si elle aura de la famille là-bas. Ça me


fait mal de ne plus pouvoir lui parler, d'être incapable de tout lui expliquer. Mon père, lui, semble


avoir le contrôle de tout. Mais je le connais trop bien pour savoir que c'est faux. Je sais très bien


qu'il cache sa douleur, qu'il enfouit sa rage jusqu'au plus profond de son être parce qu'il est le père


de famille et qu'il doit agir en tant que tel. Il conduit lentement et silencieusement. Je ne parle pas


non plus. Il a le regard perdu mais à chaque fois qu'il me regarde, il essaie de sourire.


- On est arrivés. Dit-il enfin.


Il coupe le moteur, descend et vient me prendre la main. Quatre autres hommes viennent nous


ouvrir la barrière. Ce sont les gardiens. Ensuite, ils portent le corps de ma mère à l'intérieur. Il ne


manquait que nous. Je ne sais pas comment ils ont fait pour nous devancer mais Martha, Georges,


Annie et Édouard nous y attendaient déjà. Le père Philippe nous rejoint.


Mon père ayant parlé de funérailles, J'ai pensé qu'on irait à l'église Saint-Antoine pour chanter


l'enterrement puis venir ici pour enterrer ma mère. Mais, il n'en fait qu'une seule cérémonie.


- venez, nous dit le père Philippe.


Nous le suivons à l'autre bout du terrain où se trouvent les tombes. Il nous fait faire un cercle


autour du cercueil. Je me tiens entre mon père et Édouard, Annie entre Georges et ma tante.
- La mort est un phénomène irréversible dans la vie de l'homme. Si même le fils de Dieu n'en


était épargné, qui sommes-nous pour fuir ce sort? Nous devons accepter que notre voyage


sur cette terre a une fin. Rien n'est éternel si ce n'est que la vie que nous promet notre


Seigneur si nous faisons sa volonté. La perte d'un être cher vous anéantit, vous déchire


l'intérieur. Heureusement, notre Seigneur les recueillera dans son sein et un jour viendra où


nous nous retrouverons. Oui, mes frères et sœurs, un jour viendra où nous pourrons revoir


nos proches que la mort, trop jalouse, a emportés. Nous serons avec eux, vivrons avec eux


pour toujours car le Seigneur nous l'a promis et il tient toujours ses promesses. Consolez-


vous, Dine Luz n'est pas morte. Elle dort dans les bras de notre Seigneur et le jour de la


résurrection, vous la reverrez...


Le père continue avec son discours comme si ses paroles pouvaient vraiment consoler nos cœurs


meurtris. Puis, il nous fait signe de nous écarter.


- Que seuls les membres de la famille s'avancent, ordonne-t-il.


A ces mots, ma tante, mon père et moi nous nous approchons de lui. Les gardiens viennent prendre


le cercueil et le déposent en terre. Le trou est tellement profond que j'aperçois à peine le cercueil.


Une atroce douleur me tord le cœur comme si on avait enterré une partie de moi. Une larme


descend le long de ma joue, je l'essuie aussi vite que j'ai pu. J'ai des remords, des regrets et me sens


tout à coup responsable de sa mort.


- Tu es poussière et tu retourneras dans la poussière. Que ton âme repose en paix. Au nom du


père, du fils et du St-esprit. Amen! Poursuit-il en envoyant de l'eau bénite sur le cercueil


avant de faire le signe de la croix.


- Amen! Nous répétons.


Il nous fait signe ensuite de faire nos adieux. Nous prenons chacun une poignée de terre que nous


devons envoyer dans la tombe tout de suite après.


- Adieu, maman. Dis-je.


Martha ne dit rien et s'en débarrasse. J'entends mon père dire tout bas en se débarrassant de la


sienne:


- A bientôt, ma chérie. Je ne vais pas tarder.


Voyant que j'ai tout entendu, il me serre contre lui et m'embrasse le front. Ensuite, nous nous


dirigeons vers les autres. Édouard vient à ma rencontre et me prend dans ses bras:


- Courage, princesse. Courage.

Annie, à son tour, m'embrasse. Mais mon véritable réconfort c'est Georges; le seul qui puisse


m'aider à surmonter cette épreuve. Je me blottis dans ses bras et il me caresse doucement les


cheveux. Mon père me fait signe de le suivre. C'est avec regret que je me sépare de mon mari.


- Vas-y. On se voit tout à l'heure, me dit-il.


- Emma ?


Je me tourne vers Annie :


- Tu as laissé ça chez moi, hier soir. Me dit-elle en me tendant un bracelet.


- Qu'est-ce-que tu racontes, Annie ? demandé-je, étonnée. On ne s'est pas vues depuis que je


vis avec Georges.


Ses yeux partent de Georges vers moi avant qu'elle ne réponde :


- C'est bien ton bracelet, non ?


- Oui. Donne-moi ça, intervient Georges en lui prenant le bracelet des mains. C'est moi qui


le lui ai acheté.


Je ne dis plus rien remarquant la futilité de ce bracelet face à la situation présente. Je monte dans la


voiture après avoir jeté un dernier coup d'œil vers la tombe de ma mère où elle est désormais


prisonnière. Je laisse échapper un soupir qui exprime toute la tristesse que je ressens. La voiture de


Martha passe devant nous. Je regarde ma montre, il va faire 4h.Mon père roule lentement et est


perdu dans ses pensées. Je lui serre la main et essaie de lui sourire. Ma mère n'est plus là, certes,


mais il m'a encore. On va se serrer les coudes. Je viendrai lui rendre visite souvent. On essayera de


reconstruire cette famille qu'on a divisée quoi que nous soyons loin de l'autre.


D'un geste rapide et qui m'étonne, mon père arrête la voiture. Puis, se reprend et commence à


conduire à une vitesse folle.


- Mais papa, qu'est-ce que tu fais?


Il ne me répond pas. Il accélère.


- Mais arrête. Arrête! Je crie.


Il ne semble pas m'écouter. Sa voiture a failli heurter une femme âgée qui traversait la rue. Mais il


ne s'en préoccupe guère et continue sa route sans décélérer.


- Ce n'est pas ce que maman aurait voulu!


Au même moment, il arrête la voiture près d'une église.


- Alors pourquoi est-elle partie comme ça? crie-t-il en tapant sur le volant. S'est-elle demandé ce que je voulais, moi?
-Toi-même tu as tenu à ce que nous la laissions s'en aller en paix. J'ai failli m'étouffer avec


mes larmes mais j'ai respecté ta décision. Tu as voulu jouer à l'homme fort et tu penses que


tout le monde peut faire comme toi. Alors, continue ton jeu. Que veux-tu maintenant? Te


tuer? Je l'ai perdue et je ne vais pas te perdre aussi! Crié-je à mon tour.


Je vois de la colère mêlée à la tristesse dans ses yeux. Il est désespéré. Il a presque honte de me


regarder. Il appuie sa tête contre le volant en fermant les yeux.


- On va s'en sortir, je te rassure.


Il me regarde.


- Tu es devenue une femme, maintenant. C'est bien malheureux que ta mère ne soit plus là


pour admirer ce courage dont tu fais preuve. Ton mariage t'a changé. Tu es mature et forte.


Bien plus forte que moi. Tu tiens ça d'elle.


Je lui souris:


- Donne-moi le volant. Tu ne peux pas conduire dans cet état.


Sans riposter, il vient prendre ma place et je prends le volant.

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