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Cela fait 3 mois depuis que Georges et moi vivons ensemble. J'ai pu être employée à la banque comme comptable. Quant à lui, il travaille dans un garage comme mécanicien, lieu qu'il dit être très éloigné du quartier. Réservé et toujours renfermé sur lui-même, Il ne veut non plus que je cherche à savoir où c'est. Ce sont ses affaires, je n'ai nullement le droit de m'emmêler. Je ne veux
pas m'imposer aussi rapidement. Du moment que ça n'ait aucun impact sur notre mariage, j'accepte
les décisions qu'il prend. Je le comprends. Je fais tout mon possible pour le comprendre. Certaines fois, je vais jusqu'à me demander si je ne manque pas à mon devoir de femme. Certes, je lui accorde toute mon attention mais je vois bien que ce n'est pas suffisant. Nous nous sommes
peut-être mariés trop jeunes. Ah! Je ne sais pas. Je ne sais plus. Georges est tellement sensible! Si je n'étais pas sa femme ou si je ne le connaissais pas avant, j'aurais pensé qu'il est méchant, qu'il ne
respecte pas les femmes. Chacun manifeste son amour à sa manière. Des fois, il est tendre, gentil,
attentionné, romantique. Cependant, il ne suffit que d'une simple erreur ou d'une mauvaise journée pour qu'il n'ait plus sa bonne humeur. Une bonne femme, je pense, une femme amoureuse est celle qui accepte tout et qui est prête à tout pour sauver son mariage. Et je suis cette femme-là. Pour rester avec lui, je saurai faire de ma raison une serpillère. Je saurai me taire lorsqu'il lui faudra parler. Je ferai de l'impossible la facilité. Je
suis une guerrière amoureuse. Je le suis pour mon mari. Je le suis pour Georges. Nous avons nos défauts et nos qualités. Ce qui fait vraiment la force d'un couple c'est cette
complicité que nous partageons. Aimer c'est non seulement savoir remplir son sac des diamants de
l'autre mais tout aussi accepter de se blesser contre les pierres qui se trouvent sur son chemin. Je
n'ai point peur de me blesser pour Georges, encore moins de blesser autrui pour lui.
***
J'essaye par tous les moyens de faire plaisir à mon mari. J'exécute ses moindres désirs, me rends
disponible lorsqu'il a besoin de moi. Je sais qu'il a toujours été taciturne mais j'espérais que notre mariage le changerait, qu'il serait un peu plus ouvert avec moi, me parlerait de sa famille. Le douloureux souvenir que mes parents l'aient rejeté me donnait l'envie de connaître les siens, je
pensais chercher le réconfort perdu chez ma mère en ma belle-mère dont malheureusement Georges m'a évité la connaissance. Peut-être que c'est de ce manque dont il souffre. Il ne mentionne jamais son nom dans nos conversations. Je veux savoir pourquoi, je veux me rendre utile, faire plaisir à mon mari, le rapprocher de sa famille s'ils avaient des différends.
A peine que j'aie fini de mettre les couverts, on frappe à la porte. Ça doit être lui. Je me dépêche
d'aller ouvrir.
- Ah! Bonsoir, lui dis-je en lui faisant signe d'entrer, merci d'être venu.
- Bonsoir. Je ne pouvais pas refuser, j'ai tellement hâte de voir mon petit-frère. De voir Ce qu'il est devenu. Ça fait si longtemps!
Il m'offre un sourire auquel je réponds. Les deux frères se ressemblent peu. Georges paraît
beaucoup plus jeune. Quant à lui, ses traits sont durs et semblent un peu plus mature. Le retrouver n'a pas été une mince affaire. J'ai commencé mes recherches samedi dernier. Je me suis entretenue avec Simon, le tatoueur du quartier, un ami proche de Georges-le seul que je connais- pour lui
demander quelques informations. Il refusait de m'en parler craignant la réaction de Georges après.
J’ai dû lui promettre que je ne lui en parlerais pas. Simon m'a donné l'adresse des Thomas. Je m'y suis rendue mais il n'y avait aucune trace d'eux. Je me suis alors adressée à un homme qui m'a informé qu'ils avaient laissé la ville pour Port-au-
Prince après que leur fils ait quitté la maison et m'a indiqué, par la suite, l'adresse d'un certain Emmanuel- le seul de la famille qui vit encore à Jacmel- qui devait être le grand frère de Georges.
Il s'assoit au salon et parcourt des yeux la maison.
- C'est très beau ici. Je vois bien que Georges mène la belle vie: il a une belle femme et en plus une belle maison. Il a toujours été le plus chanceux de la famille.
Sans me laisser le temps de répondre, il ajoute:
- Quand est-ce qu'il va rentrer?
- Oh! Pas dans trop longtemps.
D'habitude il rentre avant 8h.
Sur ces mots, je me retire du salon après m'être excusée auprès de lui pour aller servir le dîner. Il continue, malgré, à me poser des questions sur son frère et il hurle presque pour que je l'entende d'où je suis. Puis, soudain, plus rien. Il ne me répond plus. Je me rends au salon pour savoir ce qui
cloche. Georges est rentré. L'atmosphère est froid, les deux frères échangent des regards et restent
silencieux. Ce n'est pas ce que je m'imaginais, je les voyais plutôt se prendre dans les bras, fêter leurs retrouvailles. Mais il n'y a rien de tout ça, pas la moindre trace de bonheur. Pas même une étincelle de joie dans les yeux de Mon mari. Il semble abattu, en colère. Enfin, je ne saurais
expliquer ce spectacle qui s'offre à mes yeux.
- Bonsoir chéri, dis-je en l'embrassant voulant rompre ce silence.
Il ne répond même pas à mon baiser et continue à fixer son frère sans bouger ni parler. Mais, cela je peux le comprendre: il n'est pas du genre à s'exprimer.
Pourtant, ce silence me fait peur.
Je fais signe de passer à table malgré l'atmosphère qui règne. Le dîner qui devait plaire à mon mari prend une autre tournure. Cela m'ennuie, leur silence. Emmanuel ne parle que pour me demander de lui passer le bol. Quant à Georges, il a les yeux dans son assiette. Si j'ose croiser son regard, il est noir celui qu'il me lance comme si j'ai fait une erreur. Je ne sais pas pourquoi mais je sens mon
sang se glacer dans mes veines comme si j'ai... Peur? Mais de quoi ?... Ou de qui? De Georges? Et pourquoi aurais-je peur de mon mari? Un homme si tendre! J'ai peut-être commis une erreur en agissant sans sa permission, il peut m'en vouloir mais il me pardonnera plus tard. Il sait très bien pourquoi je l'ai fait et si toutefois il m'avait une fois parlé de sa famille, peut-être que je ne serais
pas allée jusque-là.
Je me lève de table pour aller chercher le dessert dans la cuisine. De là, j'entends les deux frères se disputer comme s'ils attendaient que je ne sois plus là pour qu'ils se parlent. Je décide de ne pas les interrompre mais je ne peux m'empêcher d'entendre leur conversation:
- Qu'est-ce-que tu veux? Bon sang ! Hurle Georges, vous m'avez foutu dehors et vous cherchez maintenant à savoir ce que je fais, à fouiner dans ma vie. Je n'ai plus besoin de
vous. Vous avez vu où je vis maintenant? J'ai changé, j'ai une femme!
- Quoi ? Ricane Emmanuel, tu penses que c'est en épousant une pute riche que ta vie va changer?...
Tout à coup, je me rends compte de la gravité de l'erreur que j'ai faite. Je ne suis qu'une imbécile. J'ai fait confiance au premier venu! Pute riche, ces mots résonnent dans ma tête telle une claque que je venais de recevoir. Je veux intervenir, lui mettre son dessert en plein visage. Mais je me retiens.
- Rien ne va changer mon cher, continue-t-il, tu seras toujours le con que tu as toujours été.
L'erreur de la famille. Pour tout te dire, j'avais reproché à mes parents de t'avoir mis à la porte-presque sans raison je dirais- mais en te voyant aujourd'hui, je me dis qu'ils ont bien
fait.
- Si Yan n'avait pas agi tel, jamais je n'aurais fait ça, reprend Georges, j'étais le cadet et il revenait toujours à moi de me sacrifier pour vous, pour le bien de la famille car...
Il ajoute avec une voix ironique:
- maman ou papa disait:" c'est toi le héros. Fais le pour nous." Vous vous êtes toujours servi de moi.
- J'ai toujours été ton protecteur !... tu sais quoi? Moi, je me casse. Tu remercieras pour moi ta femme car, bien que pour moi toutes les filles riches sont les mêmes: que des putes, elle est bien meilleure que toi !
Je feins n'avoir rien entendu et m'approche de Georges qui donne sa face au mur, les desserts en main.
- Comme ça, il est parti sans même attendre le dessert.
Il ne me répond pas. Je continue:
- vous ne semblez pas vous entendre. Ton frère est....
- Bon sang, tu vas te taire enfin?!!Fait-il en balayant d'une main les assiettes que j'avais en main.
Je peux lire toute la colère du monde sur son visage. Ses yeux sont tout noirs.
- Mais Georges, j'ai fait tout ça pour t'aider, dis-je en adoucissant ma voix.
Cette fois c'est moi qui suis au sol. Il m'a poussé avec rage sans que je ne puisse rien faire, ne m’y attendant pas. Jamais je n'aurais pensé que Georges me traiterait ainsi un jour. Il était le modèle de l'homme parfait pour moi jusqu'à aujourd'hui.
- T'avais-je demandé de l'aide ?me dit-il en me pointant du doigt pendant que je suis encore par terre, sous le choc.
Sur ces mots, il sort en claquant la porte derrière lui. Je sens les larmes couler sur mes joues et mon cœur se resserrer en moi. Je n'en reviens pas. Mon mari m'a frappé. Je pleure. Je ne veux pas penser que c'est vraiment arrivé. Je dois rêver !... Mais
non, la situation est claire et nette: Georges a osé lever la main sur moi! Ceci me fait encore plus
pleurer. J'élève la voix et je m'en fous totalement des voisins qui peuvent m'entendre. Je ne peux plus retenir mes larmes et encore moins minimiser ma douleur.
Soudain, je pense à mes parents qui avaient voulu me tenir loin de lui et aussi à mes amis, surtout Annie et Édouard, qui me conseillaient auparavant de le quitter mais lesquels j'ai réussi à persuader qu'il était un homme bon. Ce n'est pas que je veux faire un bond dans le passé et même si cela m'aurait été offert, je ne l'aurais jamais fait car j'ai dit "oui" pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort nous sépare. Je suis genre fidèle à mes promesses. Jamais je n'aurais demandé à la
vie d'effacer le jour où nous nous sommes rencontrés à cause de ça car Georges est le plus beau cadeau que cette foutue vie m'ait offert malgré la fille riche que j'étais. Il m'a changé. Pour lui, j'ai tenu tête à mes parents, je me suis révoltée contre leurs exigences, contre la vie qu'ils m'exigeaient de vivre.
Pendant que ces pensées se trottent dans ma tête, je sens une main se poser sur mon épaule. Mon
corps est parcouru de frissons et je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui c'est. Lui seul peut me procurer cette sensation. Mais Je ne veux pas le voir. Je veux fondre dans mes pleurs et disparaître.
- Je suis désolé, Emma. Pardonne-moi, je t'en prie. Je t'aime !
Il s'assoit près de moi alors que je pleure de plus bel. Je ne lui réponds pas. Il essaie de me prendre dans ses bras mais je refuse en lui donnant des coups dans l'estomac qu'il n'a guère l'air de ressentir. En fait, je suis trop abattue pour pouvoir me libérer de son emprise et me défendre. Il
parvient à me serrer contre lui et au contact de son corps, je me suis calmée.
- je suis désolé, chérie. Je t'aime, me chuchote-il en m'embrassant le front. Je ne recommencerai plus jamais. Plus jamais.
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