19
Je me regarde dans le Long et grand miroir de la chambre. Encore vêtue de ma chemise de nuit, je
peux distinguer sur le fin tissu blanc chaque partie de mon corps meurtrie par ses coups.
- Je suis une femme. Me soupiré-je.
Les mots sont sortis comme ça. Mais en suis-je vraiment une? Ai-je acquis la maturité depuis que
je suis partie de la maison? Mon mariage a-t-il fait de moi une femme? Une vraie?
Comme pour m'auto-analyser, je laisse tomber ma chemise de nuit à mes pieds et recule d'un pas.
Depuis quand suis-je devenue cette squelette ambulante? J'ai maigri. Mon soutien-gorge semble
tenir mes os au lieu de mes seins. Très peu de chair recouvre mes membres. Je n'ai plus ma forme
coca d'autrefois. Mon visage n'a plus de vie. J'ai des cernes sous les yeux. Et ces derniers ont perdu
leur éclat. Plus de rondeurs, plus de beauté. Il ne reste rien d'Emma sinon le nom. J'ai tout perdu...
Les marques partout sur mon corps m'effraient. Certaines sont des bleues et d'autres les suçons
qu'il m'a faits la nuit dernière avant de repartir. Je n'ai plus de mari, en fait. Il rentre rarement à la
maison et le peu de fois qu'il vient, je fais en sorte de profiter de lui. Que ça se finisse en bagarre
puis en amour, l'essentiel pour moi c'est de l'avoir à mes côtés. Rien que quelques secondes. Il me
manque tellement!
Comment suis-je arrivée là? A qui revient la faute de tout ça ? N'est-ce pas à mon cœur? Pour une
deuxième fois depuis mes 17 ans il a commis l'erreur d'aimer. Ça sonne faux de dire ça, en fait car
je sais très bien ou ne veux pas accepter que ça soit une erreur, que mon mariage est une erreur.
Georges est la meilleure chose qui puisse m'arriver. Depuis déjà longtemps, je l'ai accepté tel qu'il
est. Je suis enchaînée à lui comme si son nom, son corps sont cicatrisés sur mon cœur. Et je ne
peux n'aimer que lui. Lui seul.
Pourtant, je commence à être fatiguée de souffrir. Nos nuits d'amour comme celles d'autrefois me
manquent. Lorsqu'il ne dort pas à la maison, j'ai le cœur qui se fend et j'ai peur de penser au pire.
D'ailleurs, je sais qu'il n'est qu'à moi.
Réfléchir est devenu ma routine. J'ai de fortes migraines. C'est difficile de faire le vide dans son
esprit quand ce qui nous arrive est si évident. Pourtant, je dois me changer les idées, dégager toute
la colère qui est en moi. J'enfile une robe blanche trouvée au passage avant d'aller me laver le
visage. J'ai passé trop de temps sans visiter cet endroit. Il faut que j'y aille aujourd'hui et faire ou
refaire ce que je savais faire avant.
***
L'homme me dévisage comme s'il me voyait pour la première fois. C'est fou comme le temps a
passé. Il a vieilli mais il est toujours resté aussi beau.
- Emma... Marmonné-je ne savant pas trop comment réagir.
- Je sais. Dit-il sur un ton froid et sec. Je ne vais pas t'empêcher de rentrer, c'est ouvert à tous.
J'incline la tête et l'esquive pour rentrer. L'atmosphère qui règne dans la salle est un peu bruyant et
c'est tout ce dont j'ai besoin pour le moment. Je me dirige vers une pièce-ma pièce- sans son
approbation.
Elle est vide pourtant elle me rappelle tellement de choses. Je ne sais pas pourquoi il a tout fait
débarrasser. C'était peut-être sa façon à lui de faire mon deuil. Je caresse du bout des doigts les
gravures que j'avais faites sur le mur. Ce sont les noms de ceux que j'aimais plus que tout, des mots
que j'ai écrits pour expliquer ce qui me traversait l'esprit. A 17 ans, j'étais vraiment tourmentée.
La chaleur m'étouffe. Les cris venant du dehors m'énervent. Pourtant j'adorais ça: entendre les gens
crier pour moi parce que j'ai mis K.O une ceinture noire. A l'époque, j'avais à peine 6 mois depuis
que je fréquentais le club de Karaté. Pourtant, j'étais la plus douée. Mon professeur m'aimait bien
et je m'entraînais beaucoup plus que les autres. Il m'avait accordé une attention qu'il leur avait
négligée et ça m'aidait à m'améliorer. Au moins lui, il croyait en moi.
Cette pièce était en quelques sortes mon réservoir d'émotions. Si je n'étais pas dans les bras
d'Edouard, c'était ici que je m'enfermais la plupart du temps. Elle m'écoutait quand je lui parlais,
elle ne me jugeait pas. D'ailleurs, une pièce ne peut parler. J'en avais fait ma confidente. Je
m'entraînais toute seule aussi car il y avait fait mettre les matériels nécessaires qui,
malheureusement, ne sont plus là. J'ai grandi, je sais. Mais une partie de moi avait osé espérer qu'il
n'y toucherait à rien.
Mes yeux parcourent la pièce, j’aperçois un petit bout de fer- lequel j’attrape-sur le sol. Avec ce
taux d’adrénaline qui augmente en moi, je l’utilise pour griffonner quelques mots sur une partie
vide du mur. Mes doigts s’exécutent et ne veulent plus s’arrêter. Je me perds dans tout ce que
j’écris sans en saisir préalablement le sens. Je sue et les battements de mon cœur m’accompagnent
comme un roulement de tambours. Puis, je m’arrête net, à bout de souffle. Mes yeux sont brouillés
avec les larmes alors que je lis mon œuvre, laquelle j’ai signé ainsi : « Pour M.Thomas, E. ».
Comment ai-je pu m’imaginer tuer mon homme ?
L’inquiétude s’empare aussitôt de moi, je ne sais où me mettre. Je balaie l'endroit des yeux pour
chercher quelque chose à frapper. Il n'y a rien sinon les murs. Je serre les poings, il me faut
extérioriser cette colère qui me ronge.
Georges...
Qu'est-ce qu'il fait quand on n'est pas ensemble? Merde! Je ne dois pas penser au pire. J'ai la tête
qui va exploser, le cœur prêt à sortir de ma poitrine et les mains dégoulinant de sang. Je ne veux
pas arrêter. Je ne peux pas m'arrêter de cogner contre les murs. Je m'en fous de mes phalanges qui
vont finir sans chair les recouvrant. D'ailleurs, la douleur n'est plus douleur pour moi. Georges m'a
appris à tout prendre du bon côté. S'il me frappe c'est parce qu'il m'aime et si je fais ça en ce
moment c'est pour me calmer. Il n'y a rien de meilleur que de calmer la douleur par la douleur elle-
même. Je veux avoir mal, je veux me faire du mal pour me sentir bien après.
Ma robe est tachée de mon sang. Mes jambes ne tiennent plus. Elles tremblent. Je me laisse
écrouler contre le sol. Pendant ce temps, ma mémoire traverse le temps à la recherche d'une
explication valable de mon état. Où est passée la petite Emma timide et vulnérable? Qu'est-elle
devenue? Ai-je loupé un épisode dans ma vie? Les détails m'échappent. Je suis dépassée par les
événements.
- Laisse-moi t'aider. Murmure une voix faible.
Je lève difficilement mes yeux vers le vieil homme qui s'agenouille devant moi. Il prend mes
mains dans les siennes.
- Emma, qu'est-ce-que tu es devenue depuis que tu as quitté le club?
Comme s'il n'attendait pas de réponse, il continue:
- Tu n'es plus une adolescente, mon ancienne élève que je protégeais. Tu es une femme. Il
semble que tu ne l'as pas encore assumée. Tu vois, je commence à vieillir. J'ai perdu ma
vigueur mais au moins toi... Comment as-tu pu perdre ton enthousiasme?
Il se retourne pour prendre une cuvette derrière lui qu'il avait apportée et la place en dessous de
mes mains. Il verse un liquide roux qui pique ma peau avant de prendre deux bandages.
- Comment as-tu su? Lui demandé-je difficilement.
- C'est moi qui t'ai formé.
Il se met sur ses pieds et me tend la main. Je pensais qu'il voulait m'aider à me relever mais quand
je tends la mienne, il recule.
- Tu es arrivée là toute seule, alors tu te débrouilles. Ici c'est pour les ados. Rentre chez toi et termine une fois pour toute avec ce qui est en train de te détruire.
Il me salue majestueusement et se retire. Le claquement de la porte me fait sursauter. Il me rappelle toutes les fois où Georges me laissait seule à la maison.
C'est vrai. Je dois en finir avec tout ça.
***
Je me tiens devant l'entrée de la maison. La moto de Georges est là. Je ne sais pas si je dois me
réjouir ou pas. N'empêche qu'un petit sourire se glisse au coin de mes lèvres. J'aime mon homme,
je n'y peux rien contre ça.
Je ne peux me servir de mes mains. Je pousse la porte avec mon dos. Quand je me retourne, mon cœur fait un bond dans ma poitrine.
- C'est quoi ça ? Me demandé- je sceptique.
Je tourne en rond dans le salon ne savant où regarder au juste. Il est tout parsemé de pétales de
rose. Cela me rappelle notre première nuit de noce. J'aurais pu croire que tout ça c'est pour moi si
je n'avais pas vu ces deux verres de champagnes sur la petite table, si un sac à femme n'était pas
sur le divan.
Prise de rage, je crie son nom. Mais personne ne répond. Il est peut-être ressorti. Il me doit une
explication. Je préfère ne pas me faire des idées pour l'instant. Je vais me tromper, c'est sûr. Je
baisse les yeux sur ma robe qui me rappelle l'état dans lequel je suis. Je cours me changer. Mon
pied heurte une chaussure. Je la regarde, abasourdie:
- Merde! Crié-je. Dites-moi que ce n'est pas vrai.
J'essaie de reprendre mon équilibre. Mon corps vacille, j'ai la tête qui tourne et un haut-le-cœur.
Cette situation est répugnante. Je prie pour que je me trompe, pour que ça soit un cauchemar, voire
une mauvaise blague. J'essaie de sourire. Ils veulent me jouer un tour, c’est ça.
Des voix venant de ma chambre me font regretter cette dernière réflexion. J'avance lentement,
malgré moi. J'entends des chuchotements, des rires.
- Je t'avais dit qu'elle était folle pour de vrai. Crois-moi, en tant que psychiatre, je sais très
bien de quoi je parle. Déclare une voix que je connais très bien.
Je peux les voir entrelacés comme si leur corps n'était qu'un désormais. Ironie du sort, je les trouve
beaux ensemble comme si l'un avait été taillé à la mesure de l'autre. J'ai la gorge sèche, les mains
moites. Mes narines se dilatent, je suis déjà tout en sueur. Je voudrais crier mais je n'ai plus la
force. Je ne me souviens pas que Georges m'avait déjà entrelacé comme ça ni même embrassé
comme il le fait maintenant. Je n'ai plus mal aux doigts mais au cœur. Il est en mille morceaux et la
douleur est tellement profonde que je n'arrive même pas à pleurer.
Je reste immobile à regarder mes 2 ans de mariage défiler devant mes yeux, à regarder mes promesses, mes rêves, tout ce que j'ai construit et enduré s'envoler. Depuis combien de temps suis-je la cocue la plus stupide de Jacmel? Depuis combien de temps me ment-il? A-t- il oublié nos vœux, tout ce qu'on a surmonté ensemble? A-t-il oublié qu'il avait promis d'être mien à jamais? Pourquoi ne m'avait-il pas poignardé de préférence? Comme ça, j'aurais souffert une fois pour
toutes. Je n'aurais pas vécu cette situation sans nom.
Telle une gifle, la réalité me frappe en plein visage. Georges m'a trompé. Comment n'ai-je pas pu m'en douter? Étais-je aveuglée par l'amour pendant si longtemps? Comment peut-il me faire ça? J'ai toléré ses défauts au point d'en faire des qualités. Je lui ai voué une soumission totale, un amour inconditionnel, vrai, sincère et tellement grand. Je l'ai accepté tel qu'il est sans une fois penser à le changer à ma manière. J'ai quitté ma maison pour le suivre et c'est comme ça qu'il me remercie!
Je n'ai rien demandé en retour sinon le don de son cœur, son respect de mon statut de femme. Il savait que je ne le partagerais jamais, il savait qu'il était mien. Pourtant, il n'a pas hésité de se laisser fondre dans ses bras. De plus, il a du caractère: me tromper dans ma propre maison et oser
coucher une autre dans mon lit. Ce lit qui est témoin de nos nuits d'amour, qui tolérait mes pleurs lorsqu'il me frappait.
Un éclat de rire m'arrive jusqu'aux oreilles et fait trembler tout mon corps. Il était temps que je redescende sur terre. Georges m'a trompé, c'est la triste réalité. Ils m'ont trompé. J'ai le cœur brisé.
Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'Emma on ne la trompe pas.
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