15
- Ne t'en mêle pas, Édouard. Dis-je tout bas.
Georges se redresse et fixe l'homme en face de lui comme s'il prend le temps de le détailler de la
tête aux pieds. Edouard face à lui, c'est comme une souris face à un cobra. Tellement inoffensif!
- Mais est-ce que j'entends bien là? Il ose me défier de prendre ma femme?...Non. Mes oreilles me font défaut sans doute. Ironise Georges, les mains sur les côtés, son regard
partant de moi vers Édouard.
- Tu as très bien entendu. Réplique Edouard. Elle vient avec moi. Votre mariage a été une erreur. Je ne te laisserai plus la traiter telle une moins que rien. Elle mérite mieux que ça.
Mieux que toi...
Georges fait mine de me regarder avant de se retourner vers Edouard, son poing atteignant déjà la mâchoire de ce dernier.
- Georges! Crié-je.
- C'est toi qu'elle mérite? Un homme incapable de se défendre? Hurle-t-il.
Édouard se relève brusquement sans prêter attention à sa lèvre inférieure fendue et fonce sur Georges en le coinçant au mur.
- Ne me sous-estime pas. Dit-il en grinçant des dents, prenant le temps de s'accentuer sur chaque mot.
Georges essaie bien de se défendre mais il le tient encore sur son emprise. Si bien qu'il ne puisse bouger. Jamais je n'aurais cru que ces bébés muscles puissent être si redoutables et dégager autant
d'énergie. Je n'ai jamais vu Mon ami comme ça. Avec Un regard aussi haineux transperçant celui de mon mari. Il a toujours été tendre, calme, réservé et rarement se mêlait-il aux problèmes des autres. Du moins, si ce n'était pas les miens.
Ils se regardent encore sans échanger un seul mot et moi, sur mon lit, je continue à les observer ne sachant comment trop réagir face à la situation.
- Lâche-le, Édouard. Ordonné-je enfin, d'un ton froid.
Il obéit comme s'il n'attendait que moi pour le lui demander.
- Je vais demander au médecin quand tu pourras sortir de l'hôpital afin que je vienne te chercher. Dit-il en ouvrant la porte comme si ma volonté lui est égale.
- Non, Édouard. Je n'irai nulle part avec toi. Crié-je presque.
Il referme la porte.
- Com...Comment? Balbutie-t-il.
- Regarde-moi, j’ai grandi. Je n'ai plus besoin que tu me protèges. Je peux prendre soin de moi, je suis bien consciente de mes choix et je saurai les assumer quoi qu'il arrive. J'ai des
responsabilités. Je ne peux pas tout fuir juste pour te suivre. Je suis mariée et que ça te plaise ou non, avec cet homme-là.
Je pointe Georges du doigt avant d'ajouter:
- Ma place est à ses côtés. Alors, si tu veux bien...
Le geste de ma main suffit pour lui faire comprendre le reste de ma phrase non prononcé. Ce serait trop difficile.
- Si jamais tu me laisses franchir cette porte sans un mot de toi me disant de revenir te chercher, je te promets et je te jure que tu ne me reverras plus jamais...
Il se tait un moment pour attendre ma réponse. Je fuis son regard le posant sur Georges qui, lui, a préféré rester sans rien dire, les bras croisés sur son torse.
- Ouais. J'ai compris. Tu as fait ton choix. Tu ne sais vraiment pas choisir. Dit-il avec dédain en essuyant nerveusement une goutte de sang sur ses lèvres.
Il ouvre la porte et ajoute avant de la claquer derrière lui:
- La prochaine fois, songe à ne pas venir pleurer devant ma porte. Les épaules de ton chevalier sont déjà assez mouillées et je ne voudrais surtout pas qu'elles s'épuisent définitivement à cause de toi.
Le claquement brusque de la porte me fait sursauter. Elle se ferme avec tout mon regret de ne pas avoir su ou pu montrer à Édouard combien je tenais à lui. Je ne pourrais plus lui parler, m'exprimer librement sans me faire juger. C'était mon ami, celui sur qui je pouvais compter. Mais maintenant,
il est parti. Je l'ai laissé filer.
Une larme se fraie un chemin de mon œil jusqu'à ma joue. Puis deux. Et d'autres suivent le même parcours. Soudain, je sens une main me caresser la joue en essuyant mes larmes. Georges. J'avais presqu'oublié sa présence.
Pourquoi pleurer pour un autre homme quand le nôtre est à nos côtés?
Ce sont ces dernières paroles auxquelles j'ai pensé avant qu'une gifle ne retentit sur ma joue tel le
claquement de porte de tout à l'heure.
- C'est pour lui que tu pleures? Cet homme qui m'a insulté? tu es pathétique.
Je mords ma lèvre inférieure voulant retenir mes cris que j'ai envie de faire entendre, penchant la tête sur le côté pour lui donner dos, essayant d'avaler mes pleurs.
Puis le silence de Georges me laisse comprendre qu'il y a quelqu'un d'autre dans la chambre. Je me retourne et aperçois la même infirmière.
- J'ai entendu des bruits venant de cette chambre. Est-ce que tout va...
- Oui. Tout va bien, madame. Intervient-il.
- Je vois que vous avez tout mangé. C'est très bien. Vous avez fait un énorme effort. Du même coup, je voulais vous dire que vous rentreriez chez vous dans deux jours.
J'hoche la tête comme seule réponse.
- Excusez-moi.
Elle se retire et Georges se retourne vers moi:
- Je dois m'en aller, moi aussi. Je reviendrai.
Je le retiens par le poignet, voulant qu'il reste encore. Malgré tout. Il s'approche de moi et écrase ses lèvres sur les miennes puis plongeant son regard dans le mien, me dit tout bas:
- C'est parce que je t'aime, Emma.
Cette phrase est plus qu'une excuse qu'une déclaration d'amour. Je l'ai très bien comprise.
Je laisse ses doigts se faufiler des miens alors que mon cœur voudrait encore le retenir. Il ne reviendra pas avant ces deux jours. Je le sais bien.
***
Hospitalisée pendant trois jours, l'ennui m'a complètement rongé. J'étais seule enfermée dans cette
foutue chambre, presqu'incapable de m'être utile. Savoir qu'ici, des centaines de gens agonisent et
les entendre de ma chambre me donnent des frissons. Mes seuls visiteurs sont devenus mon
docteur et les infirmières.Ca fait partie de leur travail mais les avoir à mes côtés quoi que pendant
un court moment de la journée me réjouit quand même. D'ailleurs, les autres ne viennent pas. Ils ne
viennent plus. C'est pourtant aujourd'hui que je vais quitter l'hôpital. Vais-je sortir sans l'aide de
personne? Sans avoir le sentiment qu'il y en a ceux à qui je manque qui m'attendent derrière la porte, fleurs à la main?
- Emma?
Je dépose le sac fait sur le lit alors que l'infirmière se retire pour faire face à la personne qui m'interpelle. Une femme noire se tient dans l'entrebâillement de la porte.
- Entre. Lui dis-je en m'asseyant sur le lit.
Marie me dépose un baiser sur le front avant d'imiter ma position.
- Je ne pouvais pas venir avant. S'explique-t-elle. Tu sais? Mes fils.
- Je comprends. Tu es mère célibataire après tout.
Un silence temporaire prend place avant qu'elle n'ajoute, le regard rempli de tristesse:
- J'ai appris pour ton bébé.
- Ça va. Ne t'inquiète pas.
Elle me regarde un instant, prend mes mains dans les siennes et me dit:
- La tristesse d'une femme est aussi celle de toutes. Alors, si tu as besoin de quoi que ce soit, compte sur moi.
- Je sais. Tu n'as pas à t'inquiéter, je m'en suis remise. N’en parlons plus, tu veux?
Elle se lève en prenant mon sac et me dit:
- Je vais te déposer chez toi. Georges m'a appelé ce matin. Il m'a même prêté ta voiture.
- Alors, il n'est pas venu. Soupiré-je, déçue.
- Ton homme a toujours du boulot. Tu le sais très bien. Comme s'il est le seul qui travaille. Ironise-t-elle en levant les yeux au ciel.
Je ris bêtement à sa blague puis la prends un court instant dans mes bras pour la remercier.
- La banque m'a appelé dernièrement. On reprend le service la semaine prochaine. Le système de sécurité est plus renforcé maintenant.
- J'en suis ravie.
- En fait, je ne savais pas que tu venais d'acheter une voiture. Remarque-t-elle.
Avant que je ne lui réponde, elle demande:
- Et pour les frais ?
- Georges a déjà tout payé.
- J'aimerais bien trouver un travail comme le sien. Dit-elle avec une pointe d'ironie dans ses paroles.
***
Les battements de mon cœur redoublent quand je franchis le seuil de la porte. Mon âme, plus que
tout, espérait qu'il soit là, qu'il m'attende. Au lieu de ça, j'entends des rires, tout un vacarme où mon nom est cité de temps à autre; lequel cesse quand ils s'aperçoivent enfin de ma présence.
- Puis-je savoir de quoi vous riez afin que je me joigne à vous? Demandé-je pour rompre le silence, d'une façon qui se veut presqu'amicale.
Ils s'échangent un regard puis Georges s'approche de moi:
- Justement, on t'attendait.
- Tu aurais tout aussi pu venir me chercher à l'hôpital. Lui reproché-je.
- Il... Il ne pouvait pas. Intervient Annie.
Je lève un sourcil à son endroit en signe d'étonnement. Comment pouvait-elle le savoir?
- Si, reprend Georges. J'ai envoyé Marie te chercher. J'avais du boulot.
- Je vois ça. Murmuré-je en portant mon regard sur les deux verres de champagne.
Annie prend son sac avant de dire:
- Bon, ma chérie, je suis contente que tu sois enfin chez toi. Mais je dois m'en aller maintenant. Je dois me rendre à la psychiatrie, le travail m'attend.
Elle me fait une bise sur la joue, à laquelle je reste indifférente puis me souhaite un bon rétablissement avant de partir.
Je dépose le sac que je portais encore, sentant à peine le poids sur mon épaule puis me dirige vers la salle de bain sans lui adresser un regard alors que je sens ses pas emboîter les miens. Je fais couler l'eau chaude sur mon corps qui, j'espère, me calmera. Cette fois, je ne pleurerai pas.
Alors que je garde les yeux fermés, je sens des bras s'enrouler autour de mon corps. Je choisis de rester indifférente. Pourquoi je suis fâchée? Il le sait mieux que moi. Il sait que j'avais besoin de son soutien, de son amour à l'hôpital. Il sait que sa présence m'est vitale. Il sait que j'aurais voulu qu'il vienne me chercher au lieu de rester à faire la fête avec mon amie prétextant qu'il avait du boulot.
Je me débarrasse difficilement de son emprise, enroule une serviette autour de mon corps avant de sortir de la salle de bain. Puis, dans ma chambre, j'enfile une chemise de nuit bien qu'on est au milieu de la journée. Je n’ai tout simplement pas la tête à me faire belle, encore moins pour lui.
Fatiguée, je me laisse tomber sur le lit cherchant vainement le sommeil. J'entends la porte claquer, ce qui me fait sursauter. Est-il sorti? Je me recroqueville portant mes genoux à la hauteur de mes seins ne voulant pas aller vérifier. Cela me ferait mal. Soudain, je sens une autre présence dans la pièce. Je laisse, malgré moi, échapper un soupir de soulagement tandis qu'il se couche près de moi.
Il entremêle ses doigts avec les miens, toujours sans rien dire. Je le connais, il ne parlera pas, il ne s'en excusera pas mais je sais tout aussi que son être soupire après un mot de ma part. S'il choisit de se taire, eh bien qu'il sache que ce ne sera pas que lui. Je ne céderai pas cette fois.
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