CHAPITRE 9

Tout est allé si vite. Il est entré dans ma vie, il a brisé mes limites, il m'a envoûté. Je ne devrai pas me laisser submerger par cet être des ténèbres. Je devrai résister.

Mais je ne peux pas.

Il est si différent du monde. Nous sommes identiques. Un regard suffit, nos âmes sont liées l'une à l'autre. Par sa faute, je perds mon identité, deux sentiments opposés m'habitent, la haine et le besoin. J'aimerais le détester comme je déteste le monde, me méfier de lui, le tenir loin de moi et de mon existence. Pourtant, j'ai besoin de lui, besoin de sa présence, besoin de le savoir heureux, il hante mes rêves et habite mes pensées.

Je ne devrai pas, je prends un risque énorme en le laissant entrer dans ma vie. Je prends le risque de le perdre. Un jour la vie nous séparera, elle nous éloignera, elle nous tuera. Je ne veux pas le perdre. Inconsciemment, il m'est devenu vital. J'ai besoin de lui autant que j'ai besoin de respirer. Sans lui, je ne suis rien, je suis incomplète.

Je regarde une dernière fois mon reflet dans le miroir. Je ne me sens pas à la hauteur de son être. On ne va que dans un bar, rien d'extraordinaire. Mais sa présence seule suffit à rendre ce moment unique. Il est bientôt dix- huit heure. Dans quelques minutes j'aurai les réponses à mes questions. Dans quelques minutes je le reverrai. Lui qui a pris possession de mon âme, je le sauverai.

Je quitte enfin la maison. L'angoisse m'envahit. Je n'ai pourtant qu'une hâte, être à ses côtés.

J'entre dans le bar. Julian est déjà là, il m'attend assit à une table. En le voyant, un sentiment de soulagement m'envahit. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire.

- Tu es en retard ! Il est déjà dix- huit heure deux. Plaisante-t-il.

- Tu as l'air d'aller mieux.

- Seulement depuis que tu es là.

Le rouge me monte aux joues pour une raison qui m'est inconnue. Sa voix était monotone, aucun sentiment ne s'y échappait. Il devait certainement plaisanter en disant ça. Cependant, la lueur reflétée dans ses yeux me laisse dubitative. L'angoisse s'empare de nouveau de moi.

Il est si beau. Il n'a pas changé depuis ce matin, mais je ne cesserai jamais de le contempler. Il est fascinant et terriblement intriguant.

- Que voulez- vous boire ?

- Vodka.

Je n'avais pas remarqué la présence de la serveuse.

La réponse de Julian me désole, il va boire et devenir aussi mauvais que la dernière fois. Il va encore me fuir, il va encore me détruire.

- Et vous mademoiselle ?

- Un coca s'il vous plaît... Dis- je d'un ton las.

Je n'ose pas le regarder, je ne veux pas qu'il se sente mal à l'aise ou bien jugé.

Je sens qu'il me regarde, d'un regard pesant. Le silence s'empare de nous. Je voudrais lui parler, briser toutes ces limites qui nous sépare mais je ne veux pas être la première à le faire. Je ne veux pas que la situation dégénère comme hier, je ne veux pas en être la cause.

La serveuse réapparaît quelques minutes plus tard, nos commandes en main. Elle repart aussitôt, nous laissant seul.

Je m'empare de mon verre. Julian fait de même. Son sourire me fait comprendre le soulagement que lui procure la boisson, elle est son refuge.

- Alors comme ça tu voudrais m'aider ? Demande t- il avec un léger sourire aux lèvres.

- Oui.

- Pourquoi donc ?

- Je sais que tu vas mal, ça se voit. J'ai sombré, je ne suis plus rien, je me suis perdue et je ne veux pas que quelqu'un d'autre devienne comme moi.

- Je suis peut-être déjà comme toi, il est peut-être trop tard.

Ses mots me font frissonner. C'est impossible. Son regard se mélange au mien, nous nous regardons tout deux avec insistance, avec puissance. Il me déstabilise, je ne veux que son bien. Il n'est jamais trop tard, du moins pour lui.

- Non, je sais que je peux t'aider.

- Et moi je ne peux rien faire pour toi ?

- Non.

- Pourquoi donc ?

- Il n'y a plus aucun espoir. Et je ne veux pas que tu deviennes comme moi. Je laisse la vie m'emporter, mais au fond je suis déjà morte. Je n'ai plus rien à offrir au monde. Tu ne mérites pas ça.

Il ne répond rien, il semble réfléchir.

Il ne pourra rien faire pour me sauver, il doit accepter mon aide.

Ses yeux quittent un instant les miens, mais s'y replongent tout aussi vite.

- Que t'ai t- il arrivé Nolwenn ?

Il me supplie de son regard insistant et pourtant si doux. Ses yeux trahissent de l'inquiétude. L'air flotte autour de nous, la terre s'arrête de tourner, la vie n'avance plus, le temps est arrêté, pendant cet instant plus insupportable qu'il ne l'est.

Devrais-je tout lui expliquer ? Non, je ne me sens pas prête de parler de Preston, de ses mains, de ce chaos, de ce point de non-retour.

- Nolwenn...

- Mon père est mort il y a trois mois. Dis-je sèchement.

Parler de mon père me fend le cœur, me détruit. Mais je ne peux pas tout lui dire. Je lui ai dit ce qu'il y a eu de meilleur dans la bataille. La mort de mon père a déclenché la mort définitive de mon être, après ça, ma vie a perdue tout son sens. Mais Preston, lui, a déclenché ma descente aux enfers, il m'a arraché le cœur, comme il m'a arraché mon innocence. Ce monstre m'a réduite en miette, des miettes qui se sont envolées à la mort de mon père. Preston m'a réduite à néant, mon père m'a fait tomber dans l'oubli.

- Que s'est- il passé ?

Je déglutis, je dois lui apporter des réponses si je veux qu'il réponde lui aussi à mes interrogations.

Son regard est chargé d'émotions, de la tristesse, de la compassion, mais aussi de la colère il me semble.

- Il a chuté du balcon, nous vivions en appartement. Cette chute lui a été fatale.

- La vie est impitoyable. S'écrit-il.

Son regard se perd dans le vide, il semble perdu. Il tremble, son poing se serre. Il boit une gorgée de sa liqueur. Il est en colère, en colère contre la vie.

- Et toi ? Quelle est ton histoire ?

J'ai dit ça sans réfléchir. Je veux qu'il me parle de lui, je veux le comprendre, je veux me perdre en lui, je veux partager son vécu pour pouvoir l'aider dans l'avenir, l'aider à vivre.

- Comme tu as pu le constater, j'ai quelques problèmes au lycée depuis deux ans. On m'insulte, on me frappe...

- Qui « on » ?

- Tout le monde.

Ses yeux sont devenus sombre, les ténèbres ont envahi son âme. La noirceur se reflète dans ses magnifiques yeux noirs.

- Enfin tout a commencé, avec Ryan. Il n'est plus au lycée depuis longtemps mais il bossait pour mon père... C'est lui, la cause de tous mes problèmes.

- Comment ça ?

- Oublie ça Nolwenn...

- Non ! Je veux comprendre ! Et pourquoi t'insultent-ils à propos de ta mère ?

- Nolwenn...

- Julian, je veux t'aider...

- Non ! Tu ne pourras jamais m'aider. Arrête, je t'en prie.

Julian me cache quelque chose, j'en suis désormais certaine. Je ne connais qu'une infime partie de son histoire. Il dissimule le pire, mais je ne peux pas lui en vouloir, je fais de même. Il ne me fait pas confiance. Cette pensée me brise le cœur, pourquoi se méfie t- il de moi ? J'ai besoin de savoir.

- Pourquoi es-tu si méfiant avec moi ?

- je le suis avec tout le monde.

- Oui mais tu m'as dit que j'étais différente ! Je hurle désormais.

- Calme toi s'il te plaît, la tête me tourne.

- Non, non, non ! Explique-moi ! Je fais tout mon possible. De toute façon je t'aiderai que tu le veuilles ou non !

Il boit une dernière gorgée de sa Vodka et dépose l'argent sur la table.

Je ne comprends plus, mon esprit ne veux plus comprendre, la colère m'en empêche.

Sans me laisser le temps de rétorquer, il m'entraîne dehors.

La température se fait froide à cette heure- ci. Le vent me fouette le visage à grand coup. Je frisonne.

- Bon... Déjà sache que oui tu es différente, c'est aussi pour cette raison que je te fuie Nolwenn. Tu me fais perdre la raison. Je devrai te fuir, me tenir loin de toi mais une force invisible m'en empêche, une étrange sensation. Je n'arrive pas à te détester comme le reste du monde. Je me suis toujours promis de ne m'attacher à personne, je ne veux pas que tu brises cette règle. Mais je ne comprends pas ton acharnement. Je fais mon possible pour te repousser mais tu reviens, en prétendant vouloir m'aider. Pourquoi ?

- Parce que je ressens les mêmes sensations que toi. Je me sens enchaînée à toi, alors que tu n'es qu'un inconnu. Ma raison me hurle de t'abandonner mais c'est plus fort que moi, je n'y arrive pas. Je ne me contrôle plus.

Ma colère nous a amené à dévoiler le fond de nos pensées, même celles que nous voulions taire. Nous restons sans voix. La tempête s'apaise mais reste présente. Son torse monte et descend à vive allure. Ma respiration se fait douloureuse, je suis à bout de souffle. Cet aveu m'a épuisé.

- Je suis désolée Julian. Je pensais que....

Je ne terminerai jamais ma phrase. Je suis coupée par ses lèvres sur les miennes. Il empeste la Vodka. Mon esprit, mon corps, tout mon être m'abandonne, je ne peux plus lutter. Ses lèvres sont douces, agréables. Elles se fondent sur les miennes, me provoquant un profond sentiment de réconfort. Un intense sentiment de désespoir émane de notre interminable baisé. Nous en avions besoin, l'un comme l'autre. Mon corps l'a toujours réclamé, mon âme s'est toujours mélangée à la sienne, j'ai toujours eu ce besoin de lui. Je savoure la douceur de son acte avec passion.

Pourtant, je dois me rendre à l'évidence, nous commettons une grave erreur.

Je m'écarte doucement de lui, mettant fin à ce moment de bonheur. J'ai goûté au paradis.

- Je crois que c'est à mon tour d'être désolé... Déclare t- il gêné.

- On ne peut pas. Comme tu l'a dit on ne fera que de sombrer encore plus, nous appartenons aux ténèbres...

- Je sais Nolwenn... On a qu'à mettre ça sur le coup de l'alcool...

- Ouais...

L'air redevient pesant. Je ne perçois plus la fraîcheur de l'automne, ma tête me brûle, les émotions m'assaillent.

Julian me fait signe de son départ.

Je ne peux pas le laisser partir comme ça, je ne peux pas le laisser sortir de ma vie, il l'a désormais marqué, pour toujours.

Il commence à partir, je le vois qui s'éloigne, il semble dépité, perdu, comme moi.

Je cours vers lui et le retourne. Il est désormais face à moi. Sa noirceur me transperce, s'imprègne en moi. On ne devrait pas, mais je ne suis pas assez forte pour me battre contre moi même.

- Ne m'abandonne pas. Je lui murmure à l'oreille.

Il me regarde quelques instants, avec insistance. Comme s'il ne me reverrai plus jamais. Je contemple chaque détail de son visage, avant de replonger mon regard en lui.

Après ce dernier instant, il reprit sa route, me laissant là. Je le regarde une nouvelle fois partir, sans pouvoir agir.

Je ne sais pas ce que va devenir ma vie, ni s'il va en faire partie.

Je suis de nouveau seule.

Je devrais être triste, nous ne pourrons jamais exprimer totalement notre besoin de l'autre. Nous prenons déjà beaucoup trop de risque. Chaque instant passé ensemble nous lient un peu plus. Je devrais être triste mais je ne peux pas, il m'a offert le paradis alors je demeurais en enfer. Il m'a offert l'impossible.

Mais je ne peux pas. Je devrai résister. Je ne devrai pas me laisser submerger par cet être des ténèbres. Il est entré dans ma vie, il a brisé mes limites, il m'a envoûté. Tout est allé si vite.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top