CHAPITRE 6

Je suis prisonnière de mes pensées, prisonnière de mon passé, prisonnière de moi-même.

Les minutes passent, les heures passent, tout aussi insurmontables. Je me sens de trop dans ce monde, j'ai beau chercher, ma place n'est nulle part. Le monde est malheureux, tout comme moi, je lui ressemble mais je n'y appartiens pas. Je me laisse vivre, je me laisse guider, condamnée à vivre.

Mon père me manque, mon âme me manque, le bonheur me manque même si cela fait bien longtemps que je n'y ai pas goûté. Je suis comme déjà morte. Je suis seule, seule dans ce monde, seule à vivre, personne ne m'y aide. Je devrais pourtant faire un effort, essayer. Ma mère l'a fait, ma mère se démène pour vivre, elle se démène pour moi.

Je comprends ce qu'elle ressent chaque fois qu'elle me parle. Cette horrible sensation de parler à un mur, un être inexistant et sans cœur. Je l'ai compris en parlant à Julian. Il est si froid, une certaine noirceur émane de lui. Je me suis reconnue dans son regard, dans son attitude, dans ses paroles. Il m'a ouvert les yeux. Ma mère ne mérite pas que je sois aussi odieuse. Je vais changer, pour elle. Je serai gentille avec elle, et détestable avec les autres, comme je l'ai presque toujours été. Elle sera mon exception.

Je contemple une nouvelle fois Julian. Il est en apparence tellement parfait. Pourtant, il a le cœur le plus noir que je connaisse.

Peut-être sommes-nous pareil finalement, peut-être est-il lui aussi une âme perdue, un être meurtri. Quoi qu'il en soit, je le détesterai quand même. Il est le reflet de moi-même, et je suis tout ce que le monde pourrait détester. Lorsque la vie vous trahit, elle ne détruit pas simplement vos rêves ou vos repères, elle vous détruit vous. Il devient alors impossible de se retrouver un jour.

La matinée s'achève par le son strident de la sonnerie. Cela fait quatre heures que je suis ici, pourtant l'angoisse et la tristesse ne m'ont toujours pas quittées.

Les élèves se pressent vers la sortie, sans un regard, sans un au revoir. Ils se bousculent, certains s'insultent. Je ne comprendrai jamais. Même l'enfer serait vivable comparé à ce lycée.

Après avoir rangé mes affaires je me lève, Julian fait de même. Je n'ai pas la force de lui parler, comme je n'ai pas la force de quitter cette salle. Je ne sais pas où aller, c'est la pause du midi, mais que faire lorsqu'on ne mange même pas. La matinée a été si longue, pendant quatre heures, le professeur nous a parlé du lycée, nous l'a fait visiter, nous a fait remplir des fiches. En somme, j'ai passé les quatre heures les plus passionnantes de ma vie...

Je sors de la salle en dernière. J'ai deux heures devant moi. Cette après-midi je commence les cours avec trois heures de littérature. C'est l'unique bonne nouvelle de la journée.

Le lycée est à présent vide, étant seule et n'ayant rien à faire, je décide de m'installer dans la cour. Elle est immense, elle se trouve au bout du bâtiment. C'est l'endroit le plus reposant que je connaisse ici. De grands arbres sont plantés un peu partout, un vaste étendu d'herbe recouvre la surface du lieu. Les oiseaux chantonnent leur plus belle chanson, l'air est si léger, j'en oublierai presque que je suis en plein cauchemar. Au bout de la cour se trouve un grand bâtiment, la cantine. Une multitude d'élèves sont en train d'y manger, rien que d'imaginer la nourriture, la tête me tourne. Jamais je ne goûterai à cette restauration. J'ai la nausée rien que d'imaginer cette ingrate nourriture s'emparer de mon corps. Je me décide à m'assoir sur un banc, à une centaine de mètre de la porte menant au lycée. Mes pensées prennent alors le dessus sur ma haine et je me surprends à penser à lui. Je me demande si Julian est à la cantine à l'heure qu'il est, est-il avec ces amis ? A-t-il réellement des amis ?

La réponse me vient aussitôt. La porte menant à la cour s'ouvre dans un grand bruit, laissant apparaître Julian, seul. J'aimerais détourner le regard, contrôler mon esprit et arrêter de penser à lui, mais je ne peux pas, je n'y arrive pas. A son arrivée l'air s'est alourdi, mais malgré les avertissements de ma raison, je ne peux m'empêcher de le contempler, de noyer mon âme à la sienne.

Son regard se pose sur moi. Pendant quelques instants nous nous regardons, il est si loin et pourtant si proche à la fois.

Le temps qui semblait comme arrêté reprend son cours. Il quitte son regard du mien, et part, dans la direction opposée de la mienne, s'assoir sur un banc.

La douleur m'assaille, elle est troublante. Je me sens désemparée, pourquoi suis-je étonnée ? Il ne m'aime pas, tout comme moi d'ailleurs. Pourtant la douleur est bien là. Nous étions connectés, j'en suis certaine, nos regards se sont croisés et le temps s'est comme arrêté. Il est si différent, il me bouleverse. Il n'est pas comme toutes ces personnes méprisables. J'ai beau le détester, mon âme a besoin de lui. Nous sommes deux âmes mourantes qui se comprennent, qui comprennent la douleur, et la souffrance. Ce que je ressens est inexplicable, je n'ai jamais ressenti ça, la haine et le besoin. Ils ne vont pas de pair, sauf pour nous.

Ces deux heures risquent d'être longues. Je suis perdue. En ce moment rien ne va, tout se bouscule dans ma tête, tout s'emmêle. J'ai deux heures pour réfléchir, deux heures pour l'oublier, deux heures pour sombrer. Je laisse mon passé, une nouvelle fois, me noyer.

Je ne m'habituerai jamais à cette sonnerie. Ce son est le plus détestable au monde.

Les couloirs se vident peu à peu, je me sens toujours aussi perdue. Les murs tanguent autour de moi, mon angoisse revient.

Je vis dans l'inquiétude et la tristesse constante. Le lycée n'a rien de bon, il me tuera.

Je trouve enfin ma salle, et entre. Je ne suis pas la dernière arrivée, il manque encore quelques élèves, je peux donc choisir où m'assoir. Je remarque une place aux côtés de Julian, mais abandonne aussitôt cette idée. Je m'assoie finalement au fond de la salle à côtés d'une jolie brune. Elle me lance un sourire rayonnant que je m'efforce de lui rendre, le mien n'est pas aussi chaleureux, mais le cœur y est.

Après quelques minutes, le cours démarre. Mais je n'écoute pas, mon esprit est absorbé par Julian, une grande blonde est à ses côtés. Il ne la regarde pas, il ne dit rien, mais mon cœur ne fait que de s'alourdir à chaque seconde.

Je décide de me concentrer sur le cours, je m'étais promis de l'oublier.

Le professeur nous distribue trois feuilles. Il s'agit de l'extrait d'un roman. Certainement notre premier objet d'étude. Ma voisine de table me tape alors doucement le bras.

- Tu t'appelles Nolwenn c'est ça ?

- Euh... Oui et toi ?

- Ah, moi c'est Liliane. Tu l'aurais su si tu avais écouté lors de l'appel.

- L'appel ?

- Oui, à chaque début de cours le professeur, fait l'appel. Vu que tu n'as pas répondu il t'a noté absente.

- Ah...

- Je voulais simplement te prévenir.

Je ne la remercie pas, je n'ai aucune envie de lui parler. Julian perturbe mon esprit mais aussi ma vie, il prend le contrôle sur moi sans le savoir. Il faut vraiment que j'arrête de penser à lui, il est nocif pour moi.

Liliane me regarde bizarrement. J'ai une fois de plus été glaciale, elle a l'air d'être une fille bien. Mais je ne prendrai pas le risque de perdre quelqu'un. Elle est comme les autres, un humain, donc un monstre. Je me suis toujours promis de ne m'attacher à personne, je tiendrai cette promesse. Liliane a l'air adorable. Elle est si mignonne avec ses longs cheveux bruns bouclés et sa peau mate. Elle a l'air douce et gentille. Mais la lumière ne s'allie pas aux ténèbres. Je tiendrai ma promesse.

Le professeur brise le silence.

- Nous allons tout d'abord étudier ce magnifique texte que je vous ai distribué. Mais avant ça nous allons le lire ensemble.

Qui veut lire ?

A ma grande surprise, Julian lève la main.

Une fois désigné, il entame sa lecture.

Sa voix est si douce, si mélodieuse. Je me laisse emporter dans ce tourbillon de sagesse et de calme. Je ferme les yeux, et laisse mon esprit ouvert seulement à la voix de Julian. Elle me berce, elle m'apaise. Mon angoisse me quitte, seule sa voix m'habite.

Après quelques instants j'ouvre de nouveau les yeux. Il lit toujours, il semble concentré. Mon angoisse refait surface. Certains élèves le dévisagent, un sourire narquois aux lèvres, d'autres ricanent. Un malheureux spectacle. Beaucoup d'élèves se moquent, beaucoup trop. Je sens la colère monter en moi, j'ai envie de le défendre, de leur dire d'arrêter mais je ne peux pas. Il ne mérite pas mon aide.

A la fin du récit, le professeur reprend la parole.

- Merci Julian, tu lis très bien. Bien, maintenant concentrez-vous, quelqu'un peut me dire de quoi parle ce texte ? Oui Jennifer ?

- Oui, monsieur. Ce texte parle vraisemblablement d'une femme ayant quittée son mari pour son amant.

- Exactement. Que pouvez-vous me dire de ce texte ?

L'échange continu entre le professeur et les élèves mais je me concentre sur une autre discussion. A l'autre bout de la salle, là où se trouve Julian, deux garçons commentent :

- Bah tiens Julian on parle de ta mère dans un livre.

Le regard du garçon est moqueur, mauvais. Je ne suis pas certaine de comprendre. L'autre reprend :

- Ouai, peut-être qu'on parlera aussi de toi, hein le raté !

Je me fige. J'espère avoir mal entendu, je prie pour que mon esprit soit simplement entrain de me jouer un tour. Mais je crains que non. Les deux garçons le regardent avec le regard emplit de méchanceté, d'autres élèves confirment leurs dires en rigolant. Julian ne retorque même pas. Ses cheveux cachent son visage, ils cachent le regard d'un homme détruit. La rage monte en moi, mais je ne peux rien faire. Même s'il est détestable, j'ai besoin de le protéger. Il est tout ce que je suis. Je ne veux surtout pas que quelqu'un d'autre souffre comme moi je souffre. Je vais l'aider. Je le sauverai. Hors de question qu'une autre âme se perde dans ce monde. Nous sommes pareil, mais lui, je le sauverai.

J'ai passé les trois heures de cours à observer Julian, à vérifier qu'il surmontait l'atrocité du mal. Les insultent ont continué, sans que personne ne semble s'en préoccuper.

Quand le cours s'est fini, il est sorti le premier de la salle. Les autres semblaient heureux de leurs actes, détruire les rend fiers. Ils sont répugnants.

Je suis rapidement sortie aussi. J'ai vraiment hâte de quitter le lycée et de rentrer chez moi. Au fur et à mesure que je me rapproche de la sortie, mon cœur s'allège, la nausée disparaît, l'air se radoucit. Une fois dehors, un sentiment de liberté m'envahit. Je me sens comme revivre. J'ai surmonté l'insurmontable. Je suis heureuse de rentrée et d'avoir un peu de répit.

Je suis presque arrivée chez moi. Même si mon cœur me semble plus léger, je suis toujours aussi détruite, je suis perdue. J'ai tant de questionnements, concernant Anita, concernant Julian, concernant ma vie, ou plutôt la vie qu'il me reste après la tempête. Mon esprit est surchargé. Mais je n'oublie en rien ma promesse. Je ne ferai pas souffrir ma mère une nouvelle fois.

J'arrive enfin chez moi. J'ouvre la porte et entre.

Ma mère m'attend, elle court me rejoindre :

- Wennie ! Comment s'est passé ta journée ?

- Très bien.

- Oh bah c'est super ! Viens prendre le goûter avec moi.

- D'accord maman, mais je ne mange pas, je n'ai pas faim.

Elle semble heureuse, j'ai réussi à maintenir son sourire. Ça me fait plaisir d'apercevoir tout ce bonheur chez ma mère. Je vais aller goûter avec elle, enfin je ne vais rien manger, mais je vais profiter de sa joie, je vais entretenir son sourire. Cette journée m'a coupé l'appétit que je n'avais pas.

Mais je vais tout faire pour que ma mère rayonne. Ses yeux pétillent, elle me regarde pleine d'amour. Cette fois- ci je ne l'empêcherai pas de toucher le bonheur. Je vais profiter d'elle. J'ai compris ce qu'elle ressentait, je ne lui ferai plus ressentir ma froideur.

Je vais vivre pleinement ce fragment de bonheur. Demain, l'angoisse me rattrapera de nouveau.

Je retrouverai le lycée, je retrouverai tous ces gens odieux, je retrouverai le malheur, je retrouverai Julian.

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