CHAPITRE 5
Tout est éphémère, le bonheur est éphémère, il est inexistant, ce n'est qu'une illusion, un mirage, un espoir auquel se raccrocher.
Hier je pensais être, pour la première fois depuis longtemps, heureuse. Je m'étais réveillée avec l'envie de profiter de cette journée, d'oublier, de ranger au plus profond de ma mémoire tous ces souvenirs qui me consument. Je voulais être heureuse, rien qu'une journée.
Je m'étais forcée à ne pas penser, je voulais empêcher mon passé de me rattraper.
Le matin nous étions de sortie avec ma mère. Je profitais de ce rare instant avec elle, un instant que la vie m'offre rarement. Elle me regardait les yeux remplis d'étoiles, elle me souriait, elle aussi était heureuse. Elle est si belle. Je souriais également, cela faisait si longtemps que je n'avais pas offert mon sourire au monde, à ma mère. Cette simple sortie m'avait changé les idées, je respirais enfin.
En rentrant, nous avions mangé, mais pas seulement elle, moi aussi. Je ne me rappelais même plus de la dernière fois que mon corps avait été alimenté. Je ne me nourrissais plus depuis que ma vie était devenue un désastre. Pourtant, hier l'appétit m'était revenu. J'avais tout mangé, j'avais faim. J'étais apaisée.
Et puis la tempête s'est levée. Le calme qui régnait dans tout mon être a été bouleversé avec l'arrivée d'Anita.
Cette fille a semé le doute dans mon esprit. Sa manière d'entrer chez nous comme si de rien était, sa complicité avec ma mère, la manière dont ma mère la défend. Quelque chose ne va pas, tout sonne faux. Selon ma mère elle aurait fait beaucoup pour nous. Mais qu'a t- elle fait ? Je n'arrive pas à comprendre. Pourtant j'essaie, je ne fais que d'y penser.
J'étais heureuse avant l'arrivée de cette fille. Je goûtais enfin au paradis mais elle m'a doucement ramené en enfer. La journée s'est écoulée, et j'ai de nouveau perdue goût à la vie, j'ai de nouveau sombré. Ce mirage du bonheur avait emporté avec lui tous mes espoirs. Je voulais me détendre avant ce jour fatidique, mais les ténèbres ont encore gagné. Aujourd'hui j'entame ma nouvelle vie, ma nouvelle descente aux enfers. Je continue lentement ma route, mais un jour je me perdrai définitivement, ce sera ma fin.
La ville est calme, elle semble endormie. Dans ces immenses rues vides j'ai l'inconfortable sensation d'être seule au monde.
C'est aujourd'hui, le grand jour, le premier jour dans mon nouveau lycée. Pourtant, je n'ai vu personne, me suis- je trompée de jour ? Je regarde le cadran de ma montre. Il ne me reste plus que deux minutes si je veux espérer arriver à l'heure. Cela explique peut-être où sont tous les lycéens. Ils doivent être dans l'établissement, à rire et retrouver leurs amis. Ils ont certainement tout fait pour arriver à l'heure dans l'espoir de profiter un peu des uns et des autres, contrairement à moi qui souhaite arriver le plus tard possible. Je n'ai pas envie d'aller au lycée, c'est un lieu de mensonges, de trahisons, de malheurs. Pourtant je suis forcée de m'y rendre, pour ma mère et peut-être aussi pour moi-même.
J'aperçois finalement au loin une grande bâtisse. Ce lycée me semble à première vue plutôt moderne, il est immense. Il se compose d'au moins trois étages ce qui me semble excessivement grand pour un lycée dans un petit village comme le mien. Sur la façade est écrit en grosses lettres : "Lycée publique de Breizheit". En apparence, ce lycée semble calme, reposant, pourtant il renferme tant de secrets et de cœurs brisés.
J'en ai la nausée. Ma gorge se noue, mon ventre se serre, ma poitrine est comprimée. Une boule se forme dans mon bas ventre, je me sens vidée de mes forces, la tête me tourne, les souvenirs me submergent, je suis réduite à néant. Je redoutais ce jour, je savais que tout serait bouleversé. J'ai envie de fondre, de disparaître. L'enfer me rattrape toujours, me torturant un peu plus à chaque fois.
Un son strident me fait reprendre mes esprits. C'est la sonnerie, je dois y aller, je dois entrer. Je tremble de tout mon corps. Mon cœur semble vouloir exploser dans ma poitrine. Pourtant dans un élan de courage je m'avance vers la porte et entre.
L'air est pesant. Je ne me sens pas à ma place, certains élèves me dévisagent, d'autres se pressent pour trouver leur salle. Quant à moi, je cherche le panneau d'affichage qui m'indiquera où je dois me rendre.
Lorsque je le trouve enfin, les couloirs sont vides, je suis seule, seule face à mes démons, seule face à l'un de mes pires cauchemars.
Je trouve enfin mon nom. Ma classe se trouve en salle 206. Je vais désormais devoir chercher cette fameuse salle.
J'ai si peur, l'angoisse transperce mon être tout entier. Je suis en retard. Lorsque j'entrerai dans la salle, tous les regards se tourneront vers moi, une trentaine de paires d'yeux me scruteront, me dévisageront, m'analyseront sous toutes mes coutures. Ce jour devait déjà être un supplice et je réussis à le rendre encore moins supportable.
J'ai trouvé ma salle, enfin, depuis longtemps. Cela fait bien cinq minutes que je suis devant la porte, menant un rude combat intérieur opposant mes craintes à ma raison. Il faudra bien que j'entre, il le faut. Mais j'ai si peur, je suis si faible. Je me lasse de la souffrance, j'aimerais ne plus la ressentir, j'aimerais être immunisée. Mais je ne peux pas. Mon corps tout entier tremble, mon sac pourtant presque vide pèse lourd sur mon épaule, mon esprit est brouillé. Je dois être forte, je dois le faire.
J'entre.
C'est comme si le temps s'arrêtait, pendant un instant, je perds tout contrôle, je ne ressens plus rien, je ne vois plus rien. Comme si mon esprit avait pris la fuite. Je reste figée. J'ose à peine regarder ma classe, de peur de croiser des regards qui me feraient partir en courant.
Le professeur me dévisage. Il ne dit rien, il m'observe simplement, attendant que je prenne la parole sans doute. Son regard ne me juge pas, il ne semble pas m'analyser non plus, il s'agit plutôt d'un regard interrogateur.
L'air devient lourd, irrespirable. Je décide de briser ce silence oppressant :
- Euh... Bo... Bonjour, je m'appelle Nolwenn Coste, excusez-moi du retard...
- Ce n'est rien mademoiselle Coste, je n'avais pas encore débuté. Prenez ces feuilles et allez vous installer ... Euh... Près de Julian Perett.
- Euh... Qui est Julian?
- Oh oui, bien sûr ! Troisième rang, tout au fond !
- D'accord merci.
Lorsque mes yeux rencontrent la classe, je manque de défaillir. Leurs regards sont moqueurs, certains abordent un petit sourire narquois, d'autres me dévisagent comme si j'étais un être non identifié. Exactement comme je l'avais prévu, tout se passe mal.
Je décide de ne pas m'attarder plus longtemps sur ce qui me fera souffrir et me précipite au fond de la classe, aux côtés de Julian. Je remarque qu'il est le seul à ne pas me regarder, le seul à ne pas me juger. Il est penché sur sa feuille, il dessine.
Lorsque ses yeux se posent enfin sur moi, un sentiment de réconfort m'envahit. Son regard n'a rien de méchant, ni de moqueur. Il me regarde juste m'avancer près de lui.
Une fois assise, le cours démarre. Le professeur, nous présente le lycée, il nous explique les différents papiers à faire remplir ou encore, nous fait lire le règlement de l'établissement. Il nous demande de remplir une fiche d'informations sur nous, nos parents, notre famille. Devoir expliquer sur papier à un inconnu que mon père est mort, me brise un peu plus que je ne l'étais.
Il nous remet également notre emploi du temps, celui-ci est plutôt satisfaisant, les heures de cours ne sont pas excessives. Il y a beaucoup de littérature. Le seul problème est le lycée en lui-même.
Le professeur continue de parler mais cela fait bien longtemps que je ne l'écoute plus. Je suis bien trop concentrée à observer mon voisin de classe. Il semble grand bien qu'il soit assis, ses cheveux bruns tombent en légères boucles sur son visage. Ses yeux sont d'un noir effrayant, je pourrais m'y perdre. Je connais la noirceur, elle vit en moi. Peut-être vit- elle en lui aussi, à tel point qu'elle se refléterai dans son regard. Il est si fin, peut-être ne se nourrit- il que très peu lui aussi. Il est beau, vraiment beau. Je croirai fondre à chacun de ses sourires. Il est concentré à dessiner, il ne se préoccupe pas du reste du monde, ni de la fille qui l'espionne depuis dix bonnes minutes. Chaque fois qu'une partie de son dessin semble le satisfaire, il sourit. A chaque sourire, de magnifiques fossettes se dessinent au coin de sa bouche. J'ai besoin de lui parler, j'ai besoin d'entendre sa voix, je me lance :
- C'est beau ce que tu dessines.
- Merci.
Sa réponse est glaciale. Pourtant je pensais sincèrement ma remarque, il a beaucoup de talent, mais pourquoi me répond-t-il comme ça.
On ne se connait même pas.
Qu'est ce qui m'a pris de réagir comme ça ? De le regarder ainsi, de me perdre dans cette contemplation ? Ce nouveau lycée me fait perdre la tête, ou peut-être est-ce la faute de ce mystérieux inconnu.
Pour la première fois de ma vie, j'ai parlé avec une personne aussi froide que moi, je pense pouvoir comprendre la souffrance de ma mère à chacune de mes paroles.
J'ai le sentiment de me perdre, d'être troublée. Je me suis déjà perdue moi-même, il y a longtemps. Je n'ai jamais réussi à me retrouver. Mon âme est maudite, la vie a anéanti mon monde. C'est irréversible.
Dans la vie rien n'est sûr, pourtant à cet instant précis je suis sûre d'au moins une chose, je déteste ce Julian.
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