CHAPITRE 22

Les minutes défilent. Le temps est incontrôlable, impossible à dompter. Il nous glisse entre les doigts, nous laissant seul et désemparé. Quoi qu'il arrive, il continuera sont inlassable et interminable compte à rebours, nous laissant seul combattre cette course contre la montre. Le temps nous prend ce que nous avons de plus cher. Il nous fait vivre plus vite qu'on ne le voudrait. Il nous fait perdre des gens, des amis, des amours. Il est celui qui fait que tout dans ce monde n'est qu'éphémère. Certaines personnes pensent pouvoir mettre la vie sur pause, empêcher le temps de nous fuir, empêcher les souvenirs de nous quitter. En vain. Dompter le temps, c'est comme attraper de l'air avec ses doigts. Il s'enfuira toujours. Il est puissant, il nous contrôle. Il nous détruit et nous rend plus fort. Parfois il nous permet d'oublier les malheurs qu'il nous a auparavant causé. Le temps est un voleur, un brigand. Il nous prend notre beauté, il nous prend nos rêves et nos espoirs, il nous prend des êtres chers. Il défile, inlassablement, peut-être même inconsciemment. Mais tel un coupable d'homicide involontaire, il est l'unique responsable de nos pertes et regrets. Le regret de ne pas avoir eu assez de temps.

De violents coups frappés à la porte me ramènent à la réalité. Il est là. Il est dehors, il m'attend, tandis que moi, je redoute cet instant plus que n'importe quel moment de ma vie. Comment lui dire que tous ses espoirs sont vains et qu'il n'a aucune chance de s'en sortir ? Comment ? La veille, j'ai passé l'après-midi avec lui, à l'hôpital. Nous avons discuté de tout et de rien, j'avais ce sentiment que seule ma présence suffisait à son bonheur. Il souriait, il était heureux malgré tout, heureux d'être près de moi, heureux d'enfin pouvoir se libérer de ce harcèlement, de cette vie si invivable. Je ne veux pas réduire son bonheur à néant, je ne veux pas être témoin de ses larmes et de ses craintes, je ne veux pas le voir sombrer. Je ne veux pas affronter la réalité. Lorsque je l'ai quitté, hier soir, il allait mieux, les médecins s'étaient merveilleusement bien occupés de lui. Mais cette triste pensée ne me quittait pas. Chaque fois que je le voyais sourire, un goût amer s'immisçait lentement dans ma gorge, me rappelant que ce n'était qu'une question de temps. Le compte à rebours s'est écoulé. Je dois l'affronter, je dois être là pour lui, je dois le soutenir et l'épauler, l'empêcher de sombrer.

Je regarde une dernière fois l'image que me renvoi le miroir. Mon visage est fatigué, mes cernes me donnent un air presque terrifiant. Je n'ai rien d'attrayant. Je me demande parfois comment Julian a fait pour s'intéresser à une fille comme moi. Mon âme est aussi meurtrie que la sienne. Les ténèbres dans toutes leur splendeur. Nous ne formons qu'un, je n'imagine pas un instant ma vie sans lui. Elle n'aurait plus aucun intérêt. Le temps peut me prendre n'importe qui et n'importe quoi, mais j'espère qu'il m'épargnera la perte de Julian. Peut-être que la vie fera de nos ténèbres la seule et unique lumière que nous connaitrons. Je l'espère. Et cet espoir me fait vivre.

J'inspire profondément et ouvre enfin la porte. J'ai la subite envie de courir me réfugier le plus loin possible.

- Nolwenn !

- Julian. Dis-je faiblement.

Il me prend dans ses bras. Je suis heureuse et soulagée de le voir. Il semble se remettre doucement de sa blessure. C'est tout ce qui compte. Il me serre a peine, voulant certainement éviter de trop appuyer sur son abdomen. Je fais de même.

- Ça va mieux ?

- Oui, c'est de moins en moins douloureux. Enfin... Comme tu le sais, je dois garder les bandages jusqu'à la fin de la semaine et éviter d'aggraver ma blessure.

- Oui. Je sais...

- Ne t'en fais pas.

Je lui souris faiblement. Je me tourne vers la porte et la ferme doucement, prenant soin de bien la verrouiller comme me l'a si longuement recommandé ma mère. Je soupire. L'appréhension me gagne, la révélation est imminente. J'ajuste correctement mon sac sur mon épaule. Je ne sais plus où me mettre, l'angoisse me domine. Je suis troublée, désorientée. J'ai si peur de sa réaction.

- On y va ?

- Euh... Oui...

Ses doigts s'emmêlent aux miens, sa main est si douce. Sentir sa peau contre la mienne me réchauffe le cœur. Un silence pesant s'installe pourtant entre nous. Seul le bruit de nos pas sur le gravier résonne. Je suis de plus en plus mal à l'aise.

- Tu as l'air ... bizarre aujourd'hui. Qu'est ce qui ne va pas ?

Je frisonne.

- Euh... Rien ne t'en fais pas... C'est juste que les derniers événements m'ont... épuisé.

- Oh...

J'essaie tant bien que mal de conserver un peu de contenance en souriant de plus belle. Mais échapper à l'inévitable n'est qu'une utopie.

- Au fait... Tu as montré la vidéo au proviseur...

- Oui...

- Oh ! Et comment a-t-il ré...

- Tu es sûr que tu es assez en forme pour supporter une journée entière au lycée ? Le coupais- je.

- Oui bien sûr, les médecins ont dit que je pouvais aller en cours sans problèmes.

Mes mains sont moites, mon cœur s'emballe, ses pulsations sont rapides, leur rythme est effréné. J'ai beau tout mettre en œuvre pour retarder ce moment et empêcher la fuite inexorable du temps, rien ne suffira, rien ne me permettra d'échapper à cet instant si redoutable. Je déglutis.

- Nolwenn... Comment à réagit le proviseur ?

Les mots me manquent. Je n'en ai pas la force. Je perçois une pointe d'inquiétude grandir dans son regard, les doutes le gagnent peu à peu.

- Nolwenn...

Les larmes me montent aux yeux, mon cœur se serre terriblement fort dans ma poitrine. J'ai la sensation que le moindre de mes organes est compressé, m'empêchant de respirer, m'empêchant de produire le moindre son.

- Ça s'est mal passé c'est ça ?! Je le vois bien, qu'est ce qui ne va pas, dis-moi !

J'avale avec difficulté ma salive. Je n'ai pas su le protéger.

- Je... Je lui ai montré... Et il m'a insulté en disant que quoi que nous fassions il pourra toujours défendre son fils... Il ... Je veux dire, devant un tribunal il arrivera sans peine à faire de nous des coupables... Je suis désolée Julian...

Seul le silence me répond. Son monde entier semble s'écrouler, il est pris au piège. Il n'a aucune échappatoire. Son regard se meure dans le vide, son cœur doit désormais n'être qu'un océan de tristesse, un organe sans vie. Cette vision me fend le cœur. Il plonge brièvement ses yeux dans les miens. Leur noirceur est profonde. Son regard reflète une tristesse malsaine. Il n'a plus de but, plus de rêve. Tout s'effondre, plus rien n'a de sens. Je connais ce regard je connais ce sentiment. Celui qui brise nos dernières raisons de se battre. Il a vécu le pire, l'enfer, les flammes et côtoyé le diable, mais il en est revenu, il n'a pas brûlé dans son chagrin, il n'a pas été corrompu par ces êtres de Satan, ses persécuteurs. Il a suffi de la douleur, du coup de trop pour qu'il perde tout espoir et abandonne. J'avais vécu le pire, Preston m'avait détruite, il m'achevait chaque jour lorsque je devais affronter sa présence, celle qui me rappelait constamment l'atrocité de ce qu'il m'avait fait vivre. Je me mourrais doucement. Mais contre ma propre volonté, je survivais. Et puis un jour, mon père est parti rejoindre les anges. Il est parti là où je rêvais, depuis si longtemps, d'aller. A cet instant, j'avais reçu le coup de trop. Les larmes ne coulaient pas, j'avais le sentiment de ne plus rien ressentir. Comme si son décès avait emporté ma capacité à éprouver quoi que ce soit. A cet instant, j'avais cessé de me battre, la vie n'avait plus aucun goût et plus rien n'en valait la peine. Je refuse qu'il ressente ça, je refuse qu'il périsse et sombre autant. Il doit vivre et non laisser la vie l'emporter. Il ne doit pas se laisser dériver au travers du temps et de fades instants. J'ai repris goût à ce monde et à cette vie si peu enviable. Il a été mon remède, je lui dois tout. Julian a su me redonner espoir, m'apprendre qu'aimer m'est encore possible. Il a réussi à de nouveau me faire ressentir et percevoir des émotions, telles que l'amour, la joie, le soulagement, mais aussi l'inquiétude, le chagrin... Mais il n'y a rien de plus beau que de se sentir vivante lorsque nous pensions que tout était peine perdu.

- C'est moi qui suis désolé... Murmure t- il.

Nous arrivons enfin au lycée. Mon cœur est alourdi de regrets et de chagrins. Je n'ose pas regarder Julian de peur d' avoir à affronter sa rancœur. Je suis démesurément triste et angoisser. Je vais tout mettre en œuvre pour sauver ce qu'il lui reste, pour empêcher son âme de périr. Je dois être là pour lui, je suis sa dernière chance.

- Ju...

Je me retourne.

- Julian !

Affolée, je scrute les moindres recoins environnants. Je me tourne de tous les côtés.

- Julian !

Mon sang ne fait qu'un tour. Il n'est plus là. Il est venu et est parti aussitôt. Mais pourquoi a t- il fait ça ? Pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? Je suis anéanti. Une multitude d'émotions se bousculent en moi. Mais je dois tenir bon, pour lui.

- Nolwenn !

Je fais volte-face et tombe nez à nez avec Liliane. Je n'en ai plus la force.

- Tu vas enfin pouvoir me raconter ce qu'il s'est passé hier !

Je bous intérieurement. Je ne suis plus maitre de rien. Mon être est en ébullition. Mon corps frémis, tremble, prit de soubresauts à chacune de mes respirations. Ma poitrine est pesante, mes poumons peinent à s'alimenter en oxygène. Ma gorge est nouée, mon souffle coupé. Je suis à bout de force. Je l'ai détruit.

- Nolwenn bon sang !

En guise de réponse, unelarme vient rouler sur ma joue. Je fonds en larme. Je lâche prise. Cettesensation d'être entrain de tout perdre. J'ai échoué. Je n'ai pas su leprotéger. Je lui ai ôté le goût de vivre.    

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