CHAPITRE 21

- Que se passe t- il mademoiselle ?!

Mes hurlements, mes supplications, ma détresse fait enfin réagir quelqu'un, je suis quelque peu soulagée.

- C'est Julian... Il s'est fait ... Je ...

Les mots se bousculent dans ma tête, dépourvus de sens et de perspicacité. Je peine à articuler, je suis sous le choc. Tant de cruauté, tant de haine. Brad a commis l'irréparable. Julian vivra, mais ne survivra pas. Il tué ce qui restait de son âme, tué les derniers espoirs que nourrissait Julian. Il l'a anéanti.

- Soyez plus clair ! Hurle l'adjoint de la vie scolaire.

J'ai beau tout faire pour retrouver mes esprits, je n'y arrive pas. Une multitude d'émotions me submergent, mais je dois avant tout rester lucide. Étant incapable de lui adresser le moindre mot, je désigne avec tristesse la plaie de Julian. Sa stupeur ne tarde pas à se faire ressentir, ses yeux semblent sortir de leurs orbites, sa bouche s'ouvre sous l'effet de la peur, il frémit, déstabilisé.

- Je... Que s'est- il passé bon sang ?!

Mes larmes remplacent mes mots, me réduisant au silence. J'ai si peur. Je n'ai plus le contrôle, ni de la situation ni de moi-même. Je suis englouti sous une montagne de regrets et de chagrin.

- Bon... Venez avec moi, je vais le porter jusqu'à l'infirmerie.

J'acquiesce d'un rapide signe de tête. J'ai l'impression que toute forme de vie en moi se meurent. Je ne sens plus mon cœur battre ni l'air entrer dans mes poumons. Je peine à avaler ma salive et à alimenter mon corps en énergie. Mon esprit semble s'être déconnecté de la réalité. Il n'a qu'une blessure superficielle. Mais cela suffit à me détruire. L'homme se saisit avec une douce force de Julian, le portant à bout de bras. Sa poitrine s'abaisse et se gonfle à chacune de ses respirations, ce qui me rassure quelque peu. Je m'empare précipitamment de mon téléphone, il est l'unique preuve que nous possédons, l'unique témoin, notre dernière chance. Julian ne s'en sortira pas indemne. L'angoisse ne me quitte pas, me dominant entièrement.

Nous entrons dans l'infirmerie, à bout de souffle. Nous avons fait au plus vite. Son sang continue de couler. Mon visage est noyé de mes larmes, mon cœur est lourd de chagrin. Mes sanglots sont intarissables.

- Que lui est- il arrivé ?!

- Il faut au plus vite l'allonger ! Ordonne l'adjoint de la vie scolaire.

- Mettez le ici.

L'homme dépose délicatement Julian sur le médiocre lit en bois, tachant les draps de sang. Je déglutis péniblement. Mon corps peine à me porter.

- Comment s'appelle-t-il ? Me demande-t-elle.

- Ju... Julian Perett...

- D'accord. Monsieur, prévenez la vie scolaire comme quoi l'élève Julian Perett a eu un accident et qu'il sera absent pour une durée indéterminée.

- D'accord, bonne chance madame.

- Merci.

- Je peux rester ? Demandé-je timidement.

- Bien sûr.

Je souris faiblement, heureuse de pouvoir veiller sur lui. L'infirmière soulève délicatement son T- shirt, offrant sa blessure à la vue de tous. Les remords assaillent mon être. J'aurai dû le protéger, j'aurai dû le sauver. Il avait besoin de moi et je n'ai rien fait pour l'aider. Je me répugne.

- Ne vous en faites pas mademoiselle.

Sa voix m'arrache à mon désespoir, me ramenant durement à la réalité. Je suis comme perdue entre deux mondes, je ne sais plus où aller, je suis démunie.

- Comment ça ?

- Ce n'est qu'une blessure superficielle, sa vie n'est pas mise en jeu du tout.

En disant cela, elle s'empare d'un désinfectant, empêchant qu'une infection pénètre dans son organisme. Elle se munit également de bandages, évitant simplement au sang de couler de plus belle. Sa gentillesse et sa manière de le soigner m'apaise. Mes joues se sèchent peu à peu, mes sanglots diminuent jusqu'à devenir inexistants.

- Pourquoi s'est-il évanoui ? Demandé- je inquiète.

- Il n'a l'air de ne manger que très peu, il est faible. Son organisme est épuisé de par son manque d'énergie et son manque de sommeil apparent. Son corps n'a pas supporté d'être affaiblis de nouveau.

- Je vois...

Je baisse honteusement les yeux. Je m'étais promis de le sauver, de le rendre heureux et de tout mettre en œuvre pour l'empêcher de sombrer. Je n'ai pas tenue ma promesse. Je suis accablée de regrets.

- Que lui est- il arrivé ?

Mon cœur bondit dans ma poitrine. Je cesse tout mouvement, prise de court par sa question. Devrais-je lui répondre honnêtement ou démentir la vérité ? Julian voudrait certainement que je mente, mais je n'en ai pas le courage. Nous avons beaucoup trop souffert dans cette histoire, beaucoup trop souffert de nos erreurs. Je dois coûte que coûte sauver Julian. Je dois coûte que coûte rétablir la vérité.

- Il s'est fait agresser.

- Comment ça ? Par qui ?

- Brad Kerleen.

- Le fils du proviseur ?

- Oui...

- Ça ne m'étonne pas de lui. Il profite de la protection et du pouvoir de son père pour se comporter comme un vrai délinquant !

- Allant jusqu'à poignarder un élève...

- Il a fait ça dans l'enceinte de l'établissement ?

- Oui... Dans la cour...

- Il mériterait une bonne correction !

Je soupire, à bout de force.

- Vous voulez que je vienne voir le proviseur avec vous ?

Je réfléchis un instant à sa proposition.

- Non, ne vous dérangez pas. Finis- je par dire.

- Comme vous voudrez.

Un silence des plus pesant s'installe entre nous. Nous ne savons que dire face à cette situation. Au bout de quelques minutes l'infirmière réagit.

- Attendez, je vais appeler ses parents pour leurs dire de l'emmener d'urgence à l'hôpital. Il y aura certainement quelques points de sutures à faire.

- Appelez son père.

- D'accord.

La quinquagénaire se rend alors dans la pièce d'à côté afin de pouvoir téléphoner tranquillement. Je me retrouve seule avec lui, seule avec son corps affaiblis, seule face à la réalité. Je prends délicatement sa main dans la mienne, ce contact me réchauffe le cœur.

- Pardonne moi. Murmuré-je.

Je dépose un doux baisé sur son front. Je voudrais lui offrir tout l'amour que ce monde détient, lui donner tout ce dont il a besoin, le chérir, le priver de souffrance et de douleurs. Je voudrais être à la hauteur de son être. Mais je ne l'ai pas été. Alors que les larmes me gagnent de nouveau, je sens une légère pression contre la paume de ma main. Je m'empresse alors de regarder Julian. Ses paupières bougent lentement, son corps semble reprendre vie, ses sens se mettent en action. Il peine à ouvrir les yeux. Je le sens qui lutte, se bat pour de nouveau apercevoir la lumière.

- No... Nolwenn... Murmure t- il en ouvrant les yeux.

- Julian ! Ça va ?! Tu as mal ?!

- Ne crie pas trop s'il te plait, j'ai la tête qui tourne.

Je souris. Une vague de bonheur m'envahit, pouvoir de nouveau entendre sa voix me procure une joie immense. Je suis heureuse, tellement heureuse.

- Julian, j'ai eu si peur !

- Moi aussi, mais ça va aller.

- Tu as mal ?

- Oui.

- Beaucoup ?

- C'est supportable.

Un sourire se dessine sur son visage, je suis soulagée, infiniment soulagée. J'encercle son corps de mes bras, posant doucement ma tête sur son torse. Son cœur bat puissamment, je peux sentir chacun de ses battements et entendre son organisme s'éveiller. Il me prend lui aussi dans ses bras, me serrant avec force contre lui. Il va bien. Enfin, il pourrait aller beaucoup mieux. Mais sa vie n'est pas mise en jeu. Il a déjà vécu plus douloureux. Il va bien.

J'entends de petits pas s'approcher de nous. Je me libère lentement de Julian, écartant à contre cœur son corps du mien. L'infirmière est de retour. Je regarde vivement Julian. Il semble complètement déboussolé. Il vient certainement tout juste de se rendre compte de l'endroit où il se trouve. Je prends délicatement sa main, essayant tant bien que mal de le rassurer.

- Ça va ?

- Oui.

- Ne t'en fais pas. Dis-je en un murmure.

Il me sourit. Il est heureux. Ma présence suffit à lui donner la force nécessaire pour apprécier la vie malgré tous ses défauts et injustices. Je suis fière d'être cette personne. Celle qui a réussi à le faire vivre alors qu'il n'avait plus foi en rien. J'en suis infiniment heureuse.

- Il s'est réveillé ?

Perdue dans mes songes et pensées, je n'ai même pas entendu l'infirmière approcher.

- Oui je suis réveillé. Annonce Julian souriant.

Il est adorable.

- C'est rassurant. En tout cas, je viens de contacter votre père, il fait au plus vite, il sera là dans une vingtaine de minutes.

- Je sais, il est encore au travail...

- Eh oui.

En disant cela, elle s'empare d'un verre qu'elle ne tarde pas à remplir d'eau fraîche.

- Tenez, buvez ça.

- Merci madame.

- De rien.

Julian se saisit du verre, s'empressant de boire. Il doit être assoiffé. Quelques secondes plus tard, le récipient est vide.

- Eh bien ! Tu avais vraiment soif !

- Belle déduction mademoiselle Coste ! Ironise-t-il.

Je lui réponds d'un sourire. Je suis infiniment heureuse de le voir aussi souriant malgré sa blessure. Il doit être inquiet mais ne le laisse absolument pas paraitre. Je dépose un tendre baisé sur son front. Il frémit. Je souris de plus belle. J'ai hâte que son père arrive et l'emmène au plus vite se faire soigner. En contrepartie, j'ai terriblement peur de le quitter, de le laisser partir sans savoir ce qu'adviendra sa plaie, sans savoir si tout se passera bien. Je suis tétanisée. Je suis à bout de force. Je le vengerai. Je n'en ai pas fini avec Brad.

De petits coups à la porte se font entendre. Andrew entre presque aussitôt, à bout de souffle, épuisé de sa course, une immense inquiétude se lit sur son visage ordinairement impassible.

- Julian !

- Oui ?

- Tu vas bien ?!

- Comme tu peux le constater...

- Nan tu ne vas pas bien, je le sais.

Je reste spectatrice de cet instant, subjuguée par tant d'émotions.

Son père, Andrew semble avoir entièrement brisé ce mur qui lui permettait de dissimuler ses sentiments. Toutes son angoisse et sa peur sont omniprésentes, perceptibles, déroutantes.

- Bonjour Monsieur Perett. Annonce calmement l'infirmière.

-Bonjour madame.

- Vous devriez emmener votre fils dans l'hôpital le plus proche, je pense que sa blessure nécessite quelques points de sutures.

- Je sais, vous m'avez déjà tout expliqué au téléphone. Rétorque Andrew d'un ton cinglant.

- Cela ne coûte rien de vous le rappelez.

- Bien .... Allez viens Julian, debout on y va.

Ses magnifiques yeux rencontrent les miens, reflétant toute leurs mélancolies et leurs désolations.

- Prend soin de toi Julian. Marmonné-je tristement.

- Tu vas me manques mon ange.

Il m'embrasse vivement la joue, faisant frémir mon être tout entier. Je souris légèrement, accablée de regrets et de chagrin.

- Oh Nolwenn ! Je ne t'avais pas vu. Bon eh bien au revoir ma petite. Annonce froidement son père.

- Monsieur ?

- Oui ?

- A quel hôpital allez-vous emmener Julian ?

- L'hôpital de Newscary.

- D'accord. Merci beaucoup.

Ces derniers mots sont tout ce qu'ils me restent. Son père s'empare de lui, le portant à bout de bras. Je ne suis pas certaine que Julian puisse marcher sans aucune difficulté. Je suis donc soulagée de voir que son père lui évite cela. Il s'avance lentement vers la sortie, sans nous porter le moindre intérêt. Julian et Andrew s'éloignent peu à peu, jusqu'à disparaître entièrement de mon champ de vision. Je soupire, exténuée. Newscary est une grande ville voisine à notre petit village de campagne. L'hôpital est réputé et recrute les meilleurs médecins du pays. Je soupire, soulagée et épuisée. Je n'ai désormais qu'une hâte, retrouver Julian et m'assurer que tout va bien, que sa blessure ne s'est pas infectée et que rien de tout ça ne fera basculer sa vie. Je veux de nouveau contempler son sourire et son doux regard. Mon cœur s'emballe en sa présence et s'éteint en son absence. Je me sens telle une coquille vide, dévastée par la vie. Plus rien n'a de sens sans lui. Je l'aime. J'en suis consciente. L'amour est dangereux, il nous possède et nous tu. Mais mourir de notre amour serait la plus bénigne des malédictions. Je suis habitée par une multitude de sentiment opposés. La tristesse. La haine. Le regret. Le soulagement. Je ne désire que la vengeance et son bonheur. Je me battrai pour toi Julian, tu verras. Tu vivras.

L'infirmière demeure silencieuse, n'osant pas interrompre mes songes. Elle se décide tout de même à briser cet infernal silence.

- Mademoiselle ?

- Oui ?

- Que comptez-vous faire ?

- Je vais rester ici si cela ne vous dérange pas. Je pense que la première heure de cours est bientôt finie de toute façon. Dis-je d'un air absent.

- Cela ne me dérange pas du tout !

- Merci beaucoup...

A peine ces quelques mots prononcés que l'abominable sonnerie retentit, annonçant la fin de mon premier cours de ce triste jour. Je suis excédée. Je n'ai aucune envie de poursuivre ma journée comme si de rien était alors que Julian est certainement déjà à l'hôpital. Mais il le faut. J'appellerai ma mère pendant la pause pour lui demander de m'emmener à l'hôpital. Mais je dois au moins aller au cours de ce matin. Je rassemble mes affaires à la hâte, et me dirige sans conviction vers la sortie.

- Au revoir.

- Au revoir mademoiselle.

J'ajuste correctement mon sac sur mon épaule. Je me sens si frêle. Il est mon unique force, ma plus grande faiblesse. Mon corps semble ne pas pouvoir me porter. Toute mes pensées sont tournées vers lui. A tel point que je ne l'entends même pas venir vers moi.

- Nolwenn !

Sa voix m'interpelle, elle semble pourtant si lointaine. Je ne suis plus sûre de rien. Seule l'angoisse me domine, la peur de le perdre. Une main s'empare de mon épaule, me secouant fortement.

- Nolwenn ! Ça va ?!

Je reprends brusquement mes esprits.

- Liliane ?!

- Oui c'est moi. Que s'est- il passé bon sang ?!

- Comment as-tu su que j'étais ici ?

- L'adjoint de la vie scolaire est venu en plein cours et nous a informé de l'accident de Julian. Il nous a dit qu'il était à l'infirmerie et qu'il serait absent.

- Oh...

- Mais que s'est-il passé ?!

- Julian a voulu mettre son plan à exécution. Il m'a demandé de le filmer entrain de.... De...

Les mots ne franchissent pas mes lèvres, étouffés dans un sanglot. Je déglutis difficilement.

- Continue Nolwenn ça va aller. Essaye de me rassurer Liliane.

- Il l'a cherché, a répondu à ses menaces et insultes. Il a été courageux, monstrueusement courageux... Mais Brad ne s'est pas laisser faire...

Une larme roule sur ma joue, ainsi qu'une seconde, puis une autre. C'est un supplice, une torture de me remémorer ce moment, cet instant où mon cœur a cessé de battre et où le monde a cessé de tourner. Cet instant sanglant. La cruauté est sans limite Mais j'en suis convaincu, c'est l'homme qui l'a inventé.

- Il... Il a sorti un couteau suisse de sa poche et a entièrement... entaillé. Le ventre de Ju.. Julian...

Elle reste sans mot face à mes explications. Elle est sous le choc. Son harcèlement s'est terriblement amplifié, sans que personne ne puisse y faire quoi que ce soit. Je me veux, je regrette amèrement mes actes.

- Comment va-t-il ?

- Il est à l'hôpital. Sa blessure est superficielle. Je pense que c'est censé être rassurant.

- Oui... Dis-moi Nolwenn...

- Oui ?

- Tu as tout filmé ?

- Oui...

- C'est génial !

- Je ne vois pas vraiment ce qu'il y a de génial à ça... Je trouve que c'est plutôt malsain.

- Non ! Vous l'avez enfin votre preuve, si tu montres ça au proviseur il ne pourra en aucun cas te contredire !

Une lueur d'espoir se ravive en moi. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Je suis totalement déstabilisée par les derniers événements. Cette vidéo est notre dernière chance. Elle représente tout ce qu'il nous reste, tout ce qu'il me reste pour espérer le sauver.

- Merci Liliane ! Je vais tout de suite aller voir le proviseur.

- D'accord, je vais retourner en cours moi. Je préviendrai notre professeur de ton absence.

- Merci infiniment.

- Bon j'y vais, je suis déjà bien en retard.

Elle me lance un dernier regard gorgé d'espoir et d'encouragement avant de partir au plus vite en direction de notre salle de classe.

Je suis seule. Je devrais être à bout de force, démunie, emprisonnée dans une situation sans issus. Mais Liliane m'a redonné espoir, elle m'a montré que rien n'est perdu, qu'il nous reste bien une issus, la seule, l'unique. Je prie du plus fort que je le peux que cette vidéo nous sauve, le sauve, lui, Julian. Sans plus attendre, je cours aussi vite que mes jambes me le permettent jusqu'au bureau du proviseur. L'instant fatidique est arrivé.

J'arrive enfin à destination. Mes jambes sont fébriles, épuisées par ma course. Je tremble de tout mon être. L'angoisse me ronge, m'empêchant de respirer convenablement. Je souffle tout l'air resté dans mes poumons, me vidant de mon stress, me préparant mentalement a ce qui va suivre. Cette confrontation sera horrible, je devrais faire preuve de sang-froid, je devrais me canaliser, canaliser ma haine et ma folle envie de faire payer à Brad ses perversions. Je serais seule. Seule face à cette toute puissance, seule face à son regard meurtrier, seule face à mes démons et ma rancœur, seule face à lui, seule face au père de Brad Kerleen. J'inspire profondément et frappe doucement à la porte de son bureau.

- Entrez ! Ordonne le proviseur

J'entre. Je suis si vulnérable.

- Oh... Mademoiselle Coste ! Que se passe t- il ?

- C'est à propos de Brad, votre fils...

- Quoi encore ? Vous n'avez pas bien compris ce que je vous ai dit la dernière fois ? Vous voulez peut-être que je vous frappe de nouveau pour vous remettre les idées en place ? Ricane-t-il.

- Je les ai vos putains de preuves !

Son sourire s'efface instantanément de son visage. Il blêmit.

- Pardon ? Comment ça... ?

- Nous avons tout filmé ! J'ai filmé votre fils entrain de poignarder Julian !

Un silence des plus pesant s'installe entre nous. Je ne suis sûre de rien. Peut-être suis-je entrain de commettre la pire erreur de ma vie. Peut-être suis-je entrain de commettre l'irréparable. Mais ce n'est pas le moment d'abandonner. Je dois aller jusqu'au bout. C'est maintenant que tout se joue.

- Montrez-moi la vidéo... Souffle-t-il.

- Euh... D'accord...

Je sors mon téléphone de ma poche et mets directement la vidéo en route. Mon cœur se serre dans ma poitrine.

« Oh le raté ! Ta copine chérie n'est pas là aujourd'hui ? Oh. Dommage elle te défendait plutôt bien en aboyant comme une chienne. »

La voix de Brad résonne à mes oreilles. La vidéo et en cours de lecture. Je suis entrain de revivre ce moment que je voulais à tout prix oublier. Sa voix est rauque, menaçante. Comment peut-on vouloir protéger un tel monstre ?

« Ce ne serait pas plutôt toi le raté hein ! Tu sais faire quoi a part détruire les gens ? »

Entendre sa voix me procure un électrochoc. A cet instant tout allait encore bien, la douleur était supportable. Julian a une si belle voix, à la fois douce et puissante, tendre et pleine de force. Les larmes me montent aux yeux.

« Tu veux voir à quel point je peux te détruire ? »

Je déglutis. Je ferme les yeux. Je suis incapable d'en regarder plus. La suite je la connais déjà, je ne veux plus avoir à la vivre, à la voir, à l'entendre. Mais c'est impossible. Les coups infligés à Julian résonnent jusque dans mes oreilles. Je n'ai pas besoin de voir la vidéo, cet instant est déjà entièrement gravé en mon être.

« Je crois que tu n'as pas bien compris ce que je t'ai dit la dernière fois au réfectoire monsieur Perett. »

Mon être est entièrement en alerte. Mon corps bat à tout rompre, mon sang ne fais pourtant qu'un tour. Je ferme mes yeux aussi forts que possible, comme pour empêcher les souvenirs et regrets de me détruire. Une larme roule sur ma joue. Je m'entends malgré tout hurler, la vidéo continue de tourner, mes sanglots transperce les limites du virtuel. A cet instant, Julian venait de se faire entailler. A cet instant, tout autour de moi s'écroulait.

Monsieur Kerleen détache lentement son regard de mon appareil, subjugué par ce qu'il vient de voir. La réalité vient de le frapper de plein fouet. Je reprends hâtivement mon téléphone et le range dans ma poche. Son regard m'intimide, il est nonchalant, menaçant. J'ai le sentiment d'être confronté à Brad. J'ai si peur. Il s'approche dangereusement de moi, quittant son siège. Son regard me pénètre, me paralysant totalement. Je n'y descelle aucune compassion. Un doute s'empare de moi. Et si cette vidéo ne suffisait pas pour lui, pour ce père prêt à tout pour préserver son fils. Il murmure des paroles inaudibles. J'ai besoin de savoir.

- Pardon, mais je n'ai pas bien entendu.

Il s'immobilise à seulement quelques centimètres de moi.

- J'ai dit...

- Vous avez dit... ?

- J'ai dit que vous n'êtes qu'une salope ! Et Julian ne vaut pas mieux que vous ! Vous avez piégé mon fils, vous avez voulu me déjouer, mais ça n'arrivera pas !

- Vous êtes vraiment... vraiment...

- Vraiment quoi gamine ?! Hurle-t-il furieux.

Je demeure silencieuse, incapable de riposter tant le choc est rude.

- Je pourrais porter plainte pour non-respect des droits à l'image ainsi que non-assistance à personne en danger.

- Non mais vous vous entendez ?! Donc j'aurais dû demander la permission a votre fils pour le filmer ? Et puis quoi encore !

- Exactement ! Je ne me laisserai pas faire. Soit vous lâchez l'affaire, soit je me débrouillerai pour rendre votre vie impossible. Je porterais plainte s'il le faut.

- Vous ne vous en tirerez pas comme ça !

- N'oubliez pas. Vous êtes faible, vous n'êtes rien. Alors que moi, je suis puissant et symbole d'autorité. Je suis un modèle, vous n'êtes que de simples étudiants.

- Mais ça ne vous fait rien de le laisser se faire torturer par votre fils ?! Il l'a poignardé bordel !

- Ce n'est pas mon problème. Dans la vie il ne faut penser qua soit, les autres ne vous rendrons jamais vos bonnes actions et gentillesses. La vie n'est pas un conte de fée, il n'y a aucun héro, aucun prince pour vous sauver. La vie est un combat et vous êtes seule sur ce ring.

- Vous êtes une ordure !

- Sortez immédiatement. Et je vous conseille de vous tenir à carreaux.

Un sourire machiavélique se forme sur son visage, lui donnant une expression des plus malsaine. Je ne peux rien contre lui, il me domine et nous dominera toujours. Il pourrait faire basculer notre vie en un claquement de doigt, il est puissant. Il use de son pouvoir pour faire le mal et protéger les siens. Je nourris une haine profonde envers ces adultes usant de leur autorité nonchalamment. Je soupire fortement. Les larmes ruissellent sur mes joues mais à cet instant mais je m'en fiche. Je n'ai qu'une idée en tête, une idée qui m'obsède : J'ai échoué. Il n'y a aucune issus, aucun moyen d'empêcher notre navire de faire naufrage. Mes regrets redoublent d'intensité. Je m'en veux terriblement. Je n'ai pas su le sauver, lui, mon amour. Il m'offre un bonheur inouï, un bonheur rare et intense. Un bonheur que je suis incapable de lui rendre. J'ai la sensation que chaque parcelle de mon corps se décomposent lentement, me dévorant de remords. Je me sens défaillir sous le poids de mon échec. La voix du proviseur me parait lointaine, superflue. Je laisse mon corps me guider vers la sortie. Ma démarche est hasardeuse. Je ne sais plus où j'en suis ni où je suis. Ma vision se trouble, mes sens sont décuplés. Ma tête est lourde, mon âme est ternie.

Je sursaute.

Cette infernale sonnerie retentit, annonçant le début de la recréation. L'air me manque, mon être s'affole. J'ai horriblement besoin de respirer, de sentir mon cœur battre. Je suis étouffée par une haine incontrôlable. Le monde est cruel, sans pitié, infâme. Mais je pensais qu'il savait être clément envers les plus démunis. Que je suis naïve ! J'essaie tant bien que mal de retrouver un rythme cardiaque ainsi qu'une respiration convenable. En temps normal, je serais allé dans la cour. L'air y est abondant, l'atmosphère y est pure. Mais je n'en ai aucunement envie. Il y aura beaucoup trop d'étudiants et je ne désire que la paix et la solitude. J'ai besoin de réfléchir, besoin de penser à lui, besoin de le sentir près de moi, j'ai besoin d'extérioriser toute la haine que j'éprouve envers moi-même, cette rage se traduisant par des larmes, des sanglots, des perles d'eau salées. Je trouve enfin un endroit calme, reculé de toute forme de vie. Je m'assois à terre, laissant mon corps glisser contre le mur. Je suis à bout de force. Ma tristesse est intarissable. J'extirpe avec lenteur mon téléphone de ma poche, j'ai tant besoin de lui. Je décide donc d'appeler ma mère. Je prie de tout mon être pour quelle me laisse lui rendre visite à l'hôpital. Je prie pour quelle accepte de m'y emmener dès maintenant. Je prie.

- Allô Wennie !?

- Maman ! Hurlais- je en pleure.

- Le lycée ma appeler, ce matin, pour me dire que tu n'as pas été en cours les deux premières heures, que se passe-t-il ?

- Ju... Julian...

- Quoi Julian ?

- Il s'est fait poignarder ce matin...

- Quoi ? Wennie calme toi, essais d'arrêter de pleurer ! Explique-moi.

- Je... Tout est allé... si vite...

- Tu m'expliquera tout en détails ce soir ma chérie, tu as l'air bouleversé.

- Non maman attends ! J'ai besoin de le voir ! Je t'en prie, emmène-moi a l'hôpital !

- Mais ... Je suis au travail...

- Maman, c'est grave ! J'ai besoin de m'assurer qu'il va bien !

Je m'emporte, mon ton devient agressif. Je ne me contrôle plus. Je sais pourtant qu'elle n'y est pour rien, mais à ce moment-là, l'univers tout entier est désigné comme responsable.

- Bon... Je vais essayer de me libérer. Je viendrai certainement te chercher à midi, on ira le voir tout l'après-midi si tu veux ou si tu en as besoin. Je te demande simplement d'aller en cours les deux petites heures qu'il te reste ce matin. Promis ?

- Merci maman, merci. Je te le promets.

- De rien Wennie.

Il est temps pour moi d'assurer mes deux heures de cours. Le son strident résonne jusque dans mes oreilles, mes tympans ne se supporteront pas cette sonnerie une année entière. Je dois affronter la réalité. Je préfèrerais mourir. Mais je survis, pour lui.

- Bon ... Je vais devoir y aller.

- D'accord Nolwenn. N'oublie pas, je viens te chercher dans deux heures.

- D'accord, a tout à l'heure.

J'espérais pouvoir le retrouver dès maintenant, du moins aussi vite que possible. Malgré tout, ces deux heures me semblent surmontables. Finalement, cette attente en vaut la peine, car je retrouverais mon bonheur. Ce n'est rien comparé à la sensation d'être près de lui. J'ai tellement hâte. Je me surprends à sourire. Je ramasse rapidement mon sac et me dirige, déterminée, vers ma salle de classe.

J'entre.

Les élèves me dévisagent comme si je n'étais qu'une vulgaire inconnue. Des chuchotements transpercent le silence instauré par mon arrivée. Il s'agit certainement de rumeurs et insultes concernant Julian et moi. Je m'en moque. Je remarque une place aux cotés de Liliane, je rejette cette idée. Je n'ai aucune envie de répondre à toutes ses interrogations ou d'expliquer ce que le proviseur m'a fait endurer. Son regard est déstabilisant. Elle me regarde, ses magnifiques yeux verts m'interroge déjà sur ce qui a pu se passer. Elle s'impatiente. Mais je n'ai pas la force de l'affronter. Je n'ai pas la force d'affronter qui que ce soit. Elle semble profondément surprise lorsqu'elle remarque que je préfère m'asseoir seule. Elle me lance un dernier regard avant que le cours ne débute. Un regard triste. Elle a compris. Je n'ai plus qu'à attendre. Je n'ai plus qu'à prier pour que le temps défile plus vite que d'ordinaire. Je n'ai plus qu'à prier pour que ces deux heures semblent se réduire de moitié. L'interminable compte à rebours vers la délivrance est lancé.

Il est midi. Je rassemble mes affaires à la hâte et me rue hors du lycée. J'aperçois la voiture de ma mère garée un peu plus loin. Je cours la rejoindre. Sans réfléchir, j'entre dans l'habitacle de métal.

- Wennie !

- Vite maman on doit y aller !

- Oh ! Calme-toi, bonjour déjà.

Je soupire et dépose un rapide baiser sur sa joue.

- Bonjour.

- Bon, c'est quel hôpital ?

- L'hôpital de Newscary.

- D'accord.

- Désolée maman, je suis un peu tendue.

- Je vois ça.

La voiture démarre, faisant rugir le moteur. Je m'apaise quelque peu et m'enfonce plus profondément dans mon siège. Mon téléphone se met alors à vibrer. J'ai un nouveau message. Liliane.

"Nolwenn ! Que s'est-il passé ?! Pourquoi tu m'évites comme ça ? Réponds-moi je t'en supplie. Je ne t'ai rien fait moi."

Elle a raison. Elle ne m'a absolument rien fait. Mais je n'ai aucune envie de l'affronter. J'ai honte, je suis bouleversée. Je ne désire que lui. Je sais pourtant que je n'échapperais pas à Liliane, et que tôt ou tard je devrais répondre à toutes ses interrogations. Je suis épuisée.

- Nolwenn il va falloir que tu m'expliques pourquoi Julian est à l'hôpital. Annonce sévèrement ma mère.

Je déglutis.

- Je ne peux rien te dire.

- Pardon ? Donc dans ce cas-là je ne peux pas t'emmener jeune fille.

- Maman ! Il s'agit de Julian, il ne veut pas que ça se sache, tu pourrais au moins respecter ça.

- Nolwenn.

- Je suis désolée, mais je ne peux pas t'expliquer.

- Mais ce qu'il se passe est grave !

- Oui. Je sais... Mais tout va bientôt s'arranger...

Je ne crois pas moi-même en ce mensonge.

- Si tu le dis... Je n'insiste pas.

- Merci.

Le silence règne de nouveau entre nous, l'ambiance est glaciale, terne, éteinte. Personne n'ose s'exprimer. A cet instant, je pense que c'est bien mieux ainsi. Je n'ai qu'une hâte, m'assurer qu'il va bien.

Nous arrivons enfin devant l'hôpital. A peine la voiture garder que nous sortons en courant pour nous diriger vers l'accueil. Mon cœur bat la chamade, il semble vouloir exploser dans ma poitrine. Je ne supporte plus les secondes qui défilent, m'éloignant encore un peu plus de lui. Une charmante femme nous accueille.

- Bonjour.

- Bonjour pouvez-vous nous indiquer la chambre de Julian Perett ? S'empresse de répondre ma mère.

- Oui bien sûr. Chambre 208

- Merci beaucoup !

Sans plus attendre, nous courons en direction de cette fameuse chambre. Mon cœur s'affole, il s'emballe. Je ne suis plus qu'à quelques mètres de lui.

- Je t'attends ici. Murmure ma mère.

- Encore merci.

Je pousse avec force la lourde porte menant à lui. Il est là. Je suis tellement émue. Une larme m'échappe.

- Nolwenn !

- Julian !

Sans plus attendre, je le prends dans mes bras, je suis bouleversée par cette avalanche de bonheur. Il est allongé dans son lit. Sa chambre est minuscule, vide, les murs sont d'un blanc éclatant, mais cette pièce impersonnelle me donne la nausée. Il est éveillé et semble aller bien, du moins mieux. Je remarque un bandage sur son ventre, à l'endroit où se trouvait sa plaie.

- Que s'est-il passé?

- Ils m'ont fait quelques points de sutures. Rien de grave ne t'en fais pas.

- J'ai eu si peur.

- Je sais mon ange. Mais ça va ne t'en fais pas. Ils me gardent encore jusque ce soir pour s'assurer que tout va bien et pour apporter l'énergie nécessaire à mon organisme. Je peux retourner au lycée dès demain.

- Ce n'est pas une bonne idée...

- Mais si je veux être là, ne t'en fais pas, ça va aller.

- Qu'a dit ton père ?

- Oh... Rien... Il a simplement exprimé son envie d'assassiner mon agresseur. Ironise-t-il

- Tu lui as dit de qui il s'agit ?

- Non, j'ai dit que tout c'était passer trop vite et que je n'ai aucune idée de l'identité d mon agresseur.

- Oh... Je vois...

- Tu as montré la vidéo au proviseur ?

Mon cœur se serre.

- Écoute, repose-toi. Je t'expliquerai tout de vive voix demain quand tu seras plus en forme.

- J'ai besoin de savoir.

- Julien, je t'en prie.

- Demain promis ?

- Promis.

Ses magnifiques fossettes se dessinent sur son beau visage, me faisant sourire également. Malgré tous les évènements de la journée, seule sa présence suffit à calmer mes craintes et angoisses. Je passe délicatement ma main dans ses boucles brunes, me délectant de ce contacte aussi nécessaire qu'affectif.

- Mon ange... Susurre-t-il.

Mes yeux plongent dans les siens, leurs intensités en est déroutante. Je l'aime si fort. Cet amour me fait sentir vivante, comme je ne l'ai jamais été. Je dépose un tendre baisé sur ses douces lèvres. Je suis aux anges.

J'ai échoué. Je n'ai pas su le protéger lorsqu'il avait besoin de moi, je n'ai pas su le sauver comme je l'aurais espéré. Mais je vais me rattraper. La bataille n'est pas achevée. Je suis peut-être seule sur ce ring, mais je continuerai de me battre, même si cela ne rime à rien. Je te sauverais, je te l'ai promis Julian. Je vais veiller sur toi toute cette après-midi, je vais veiller à ce que tu ne manques pas d'amour et de soutient. Je serai toujours là. Même dans les jours les plus sombres.

Demain.


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