CHAPITRE 18
Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Bercée de songes et de craintes, de doutes et d'espoirs. J'ai l'inconfortable sensation que la journée sera longue et difficile.
Il me manque tant, loin de lui le temps semble ne plus vouloir s'écouler, me faisant prisonnière du présent, un présent loin de lui, loin de ses bras, loin de son sourire, loin de tout. Je n'ai jamais rien ressentis de tel. Ce sentiment, si fort, puissant. Cette dangereuse impression de ne faire qu'un avec lui, de se livrer corps et âme à lui, de ne vivre que pour lui. Julian embellit ma vie bien que notre relation ne soit pas fondée sur des bases saines. Nous sommes tous deux en quête de bonheur et d'amour, une quête infinie, sans but et sans réussite possible. Nous sommes tous deux désespérés, enfuis sous les décombres de notre vie. Nous sommes tous deux des êtres sombres dont le cœur ne bat que faiblement. Pourtant, même si notre bateau risque de faire naufrage, nous nous accrochons, nous faisons tout pour sauver cet unique être que nous formons de cette noyade certaine. Notre liaison est peut-être dangereuse compte tenu de notre passé, mais elle nous est avant tout indispensable. J'ai besoin de lui, j'ai besoin de ces ténèbres qui apportent tant de lumière à ma vie.
J'ai besoin de lui.
Je lève doucement la tête, je suis arrivée.
Les portes du lycée s'ouvrent à moi, me suppliant de pénétrer dans le bâtiment.
Ma gorge se noue. Cette peur, cette horrible peur ne me quittera jamais. Ma tête va exploser si je ne me reprends pas. Mes mains tremblent, mon corps ne me porte plus. Si je n'avais pas rencontré Julian, jamais je ne serais revenu ici. J'aurais tout mis en œuvre pour fuir ce lieu digne des enfers.
Il est mon unique raison d'être irraisonnable. Je l'aime, il ne peut pas en être autrement. Et même si cela doit m'arracher mes dernières forces d'espoir. Je le sauverai, je le sauverai de ce monde.
Je déglutis.
Mes pas me guident, m'entraînant lentement en enfer.
Je franchis l'entrée du lycée.
Il est là, il m'attend.
Son regard se plonge dans le mien, s'éclairant aussitôt. Il me rejoint sans plus attendre, me serrant fort contre lui. Dissimulant son beau visage au creux de mon cou. Notre étreinte est puissante, passionnée. La sensation de son corps contre le mien me réchauffe le cœur. Julian est là. J'ai la sensation qu'ensemble, rien ne peut nous atteindre. Mon cœur bat à tout rompre.
Le temps semble être délicieusement suspendu.
Il relève timidement la tête et approche ses lèvres des miennes. Je ferme les yeux, impatiente à l'idée de ce qui va suivre. Tout est si différent à ses côtés, la vie paraît si simple. Certainement dû aux illusions que l'amour nous provoque, de dangereuses illusions. Notre baiser est doux, sincère. J'aime me dire que l'amour que nous éprouvons est sans faille, que tout ira bien, mais rien ne va jamais bien. Si je pouvais être condamnée à lui, je n'hésiterais pas une seule seconde. Avec lui je suis entière, complète. Avec lui, je suis en vie.
- Tu m'as manqué ! S'écrit-il.
- Toi aussi...
Ses yeux pétillent. Il est heureux. Il me regarde comme s'il me découvrait, comme si j'étais le plus beau trésor que la Terre ait jamais porté. Je suis au comble de la joie, je suis transportée par cette averse de sentiments. Il me bouleverse. Il prend possession de ma main, tout comme il a pris possession de mon cœur. Il m'embrasse tendrement la joue, je frisonne. Je ne peux m'empêcher de sourire, je ne peux m'empêcher de l'aimer.
Je remarque enfin le monde, les enfers, les autres. Tous nous regardent d'un air ahurit. Certains discutent à voix basse sans nous quitter des yeux, ils nous jugent, n'en croient pas leurs yeux, nous épient. Pourquoi font-ils cela ? Rien de tout cela ne les regarde. Pourquoi s'amusent-ils à porter un jugement, à nous dénigrer. Les insultes fusent, je n'en entends que quelques-unes mais cela suffit à me donner la nausée.
La cruauté humaine n'a aucune limite.
La vie est si meurtrière que les autres préfèrent achever les derniers survivants plutôt que de les laisser en paix.
Sauver Julian est une tâche des plus complexe. Mais je ne cesserais jamais de me battre pour lui.
L'abominable sonnerie retentit, faisant taire les mauvaises langues.
Je soupire.
Nous nous dirigeons, vaincu d'avance par cette journée, jusque dans notre salle.
Nous entrons, le professeur n'est pas encore arrivé. Nos mains se détachent l'une de l'autre. Je m'installe à ma place habituelle, il s'installe à la sienne. Son regard est tendre, prévenant. Mais je sais qu'au fond de lui, il est rongé par la douleur et l'appréhension. Le lycée est certainement la pire des tortures pour lui, tout comme il l'est pour moi. Liliane entre à son tour et vient s'installer à mes côtés.
- Salut Nolwenn.
- Salut.
- Ça va ?
- Je n'en sais rien...
Elle me regarde de ses grands yeux verts, subjuguée.
- Que se passe t- il ?
- Il faut à tout prix que j'aide Julian à se sortir de son harcèlement.
- Je suis là moi. Ne t'en fais pas, je vais vous aider.
J'ai tant fui cette fille, la sœur d'Anita. Un ange, un être lumineux et profondément bon, elle est opposée à la personne que je suis. Elle n'a pas vécu ce que la vie ma fait endurer, elle a survécu, elle est si innocente, ignorante. Je n'ai pas envie de la briser par ma noirceur, je n'ai pas envie qu'elle sombre par ma faute. Mais elle semble si dévouée, si gentille. Je ne peux pas refuser son aide, surtout lorsqu'il s'agit de Julian. Seuls nous n'y arriverons pas, elle pourra nous aider, nous guider. J'ai peur de ce que l'avenir nous réserve. J'ai peur de ne pas être à la hauteur.
- Pourquoi tu veux tant nous aider ?
Elle pâlit. Je n'ai posé qu'une simple question mais cela la dérange profondément. Elle triture avec nervosité ses mains, mordille avec angoisse sa lèvre inférieur. Pourquoi est-elle si gênée ?
- Je.... je... n'en sais... rien. Marmonne-t-elle.
Je suis dubitative quant à sa réponse. Je ne pense pas avoir à me méfier de Liliane, c'est une fille incroyablement gentille. Pourtant ma conscience me rappelle qu'elle reste la sœur d'Anita, celle qui me cache un lourd secret. Et comme sa sœur, j'ai la désagréable impression que Liliane me dissimule quelque chose. J'espère me tromper.
Je contemple Julian. Mon désir grandit de jour en jour. Nous nous sommes égarés pour mieux nous trouver. Je ne le laisserai jamais quitter ma vie. Pourtant, les ténèbres l'ont retrouvé. Son poing est serré, sa mâchoire crispée. Je peux sans peine deviner qu'il subit une nouvelle fois un flot d'insultes. Je hais ce monde, je hais cette Humanité si cruelle. Brad a détruit la vie de Julian, il a réduit ses dernières chances à néant. Il a alimenté une lourde rumeur sur son passé, il a continué à creuser sa tombe sans état d'âme. Il a détruit un innocent, rendant sa vie infernale.
Brad est un meurtrier.
Le professeur ne tarde pas à nous rejoindre. Il s'installe hâtivement. Le cours peut enfin démarrer, entraînant avec lui rires et moqueries, insultes et méchanceté, tristesse et désespoir.
Ce que je vois de Julian me noue l'estomac. J'ai l'impression de le revoir comme à notre rencontre. Le visage fermé recouvert de ses boucles brunes. Les yeux humides de larmes, de peur. La noirceur émane de lui. Il n'est qu'une coquille vide. Le monde l'a détruit et il continu de s'acharner. Nos craintes se confirment. Mais nos espoirs ne seront pas vains. Le harcèlement est un poison pur. Mais je le lui ai promis. Julian, je te sauverai, par la plus valeureuse des cures. Tu seras libéré de cet empoisonnement. Tu vivras.
La matinée a été longue. Je suis soulagée d'enfin être libérée. Je sors de la salle accompagnée de Julian. Il est dévasté.
- J'en ai beaucoup trop entendu...
- Je sais... Dis- je tristement.
- Ils n'ont pas arrêtés de me critiquer, de me rabaisser. J'en ai vraiment marre.
- Julian... Ne les écoute pas.
- C'est difficile...
Il baisse la tête, honteux d'avoir le passé qu'il a, honteux de sa vie et de lui- même. Je déteste le voir comme ça. Je lui relève doucement la tête, obligeant son regard à croiser le mien.
- Ça va aller. Je te le promets.
Il ne répond pas et se contente d'un faible sourire.
- Attendez- moi !
Je fais volteface et me retrouve nez à nez avec Liliane.
- On mange ensemble ? Propose-t-elle.
J'interroge Julian du regard, il semble être indifférent à la présence de Liliane.
- C'est d'accord.
- Super !
Je réalise que je vais pour la première fois manger au réfectoire. Cette idée me répugne mais je ne peux pas faire machine arrière. Nous marchons tous les trois côtes à côtes, aucun de nous n'ose briser ce silence, ce silence si reposant.
Nous entrons enfin dans cet horrible bâtiment. L'odeur de nourriture me donne envie de vomir, la tête me tourne. Le bruit y est assourdissant. Le fracas des couverts, le hurlement des élèves, ces sonorités toutes plus horrible les unes que les autres. Liliane semble heureuse à la vue de toute cette nourriture, elle s'en sert de bon cœur, prenant soin d'en prendre le plus possible. Julian quant à lui, est tout aussi dégouté que moi. Il se sert à contre cœur, prenant le moins de nourriture possible. Je fais de même. Je me porte beaucoup mieux l'estomac vide. Manger m'est vital mais ça en reste là. Je n'éprouve aucun plaisir à le faire. Je ne ressens que du dégoût.
Nous nous installons à une petite table au fond du réfectoire. Je prie pour que Liliane mange rapidement. Je ne tiendrai pas longtemps ici. Elle entame avec joie son repas qu'elle trouve tout à fait appétissant.
- Vous ne mangez pas ? Dit-elle effarée.
- Euh... Non...
- C'est bien étrange.
- Si tu le dis... Soupire Julian.
- Je peux ?
- Oui... Dis- je d'un ton las.
Sans plus attendre, elle s'empare de mon assiette et vide le contenu dans la sienne. Je suis sidérée par tant d'appétit. Julian plonge ses magnifiques yeux noirs dans les miens me faisant frémir. J'aime sentir cette connexion entre nous, ce lien invisible qui nous lie. Perdue dans mes pensées et dans sa tendresse je ne me suis même pas rendu compte du danger venant à nous.
- Alors le raté s'est finalement trouvé une ratée à sa hauteur ?
Cette voix.
A la fois rauque et menaçante. Il parle d'un ton grave et moqueur. La peur se reflète peu à peu en Julian, il est paralysé par la terreur. Liliane a cessé tout mouvement, aux aguets, prête à bondir en cas de problème. Je me retourne lentement, méfiante. Son visage, son sourire moqueur et ses cicatrises me donnent la chair de poule. Brad.
- Bah alors tu réponds pas ?
- Dégage Brad. Menace Liliane.
- Toi on t'as pas parlé à ce que je sache.
Elle lui lance un regard assassin, emplit d'une haine profonde. Brad s'approche dangereusement de Julian. Je suis pétrifiée. Je voudrais hurler mais je ne le peux pas, la partie est perdue d'avance. Il attrape Julian par les épaule et le secoue avec force. La secousse est violente, sa tête frappe plusieurs fois contre le dossier de la chaise.
Je me lève, hors de moi.
- Fou lui la paix !
- Oh... Mademoiselle s'énerve ! Se moque t- il.
- Laisse- la tranquille.
- Tais- toi Julian. Tu n'es rien, tu es un minable, tu as tout raté et tout le monde le sais.
- Arrête ! Ce n'est pas sa faute !
- Tais-toi petite.
Mon sang ne fait qu'un tour. Je bous intérieurement. Je nourris une haine profonde pour cet homme, cet humain inhumain, cruel et mauvais.
- Fais attention Julian... Je peux détruire ta vie.
- Tu l'a déjà détruite...
- Je pourrais faire pire. Tu n'es rien d'autre qu'une erreur de la nature. Et les erreurs dans ton genre, on s'en débarrasse.
En disant ça, Brad désigne de son doigt le couteau innocemment posé sur mon plateau repas.
Pourquoi fait-il cela ? Est- ce une réelle menace ? Je suis tétanisée. Julian vit un enfer sans nom, il est condamné à la souffrance et à l'angoisse permanente. Il se dissimule derrière ses jolies boucles brunes, il se cache de ce monde si meurtrier. Les larmes me montent aux yeux. J'aimerais agir mais cela relève de la folie. J'ai honte de ne pouvoir rien faire, j'ai si peur.
- Brad ! Tu vas beaucoup trop loin ! S'écrit Liliane.
- Ah oui ?
- Arrête ! Tu n'es pas obligé d'être si méchant.
- C'est toi qui me dis ça ? Mais ma chère Liliane, demande-toi qui est le plus mauvais de nous deux.
- Tais-toi...
- Quoi tu ne leur a pas dit ? Dit-il d'un air amusé.
- Tu es vraiment une ordure.
- Peut-être, mais toi aussi.
Elle soupire, vaincue. Je ne suis pas certaine de comprendre.
Pourquoi tout est si compliqué ? Qu'est- ce que tout cela signifie ? Je n'ai aucune envie de le découvrir, aucune envie de douter de Liliane. Après tout, peut-être qu'il s'agit simplement d'une stratégie de Brad pour nous éloigner d'elle, pour nous empêcher d'agir contre lui, ou tout bonnement pour nous faire souffrir.
Brad s'éloigne lentement de notre table. Un sourire machiavélique au visage. La tristesse me ravage, elle anéantit Julian. Nous laissant naufragés de notre vie et de notre abominable monde. Une larme roule le long de sa joue. Le calvaire devient insupportable pour lui. Il ne survivra pas longtemps si l'on ne fait rien. J'ai terriblement peur de le perdre. Je ne suis rien sans lui. Sa souffrance est la mienne, son combat est le mien. Je ne supporterais pas de le voir dépérir.
Après seulement quelques pas, Brad se retourne vivement en notre direction. Son âme est noircie par les pêchés et la méchanceté qu'elle reflète. Il ne prête aucune attention à Julian et moi. Son regard défi Liliane. Un regard malsain dont elle est l'unique victime.
- Posez- vous les bonnes questions. Liliane n'est pas celle que vous croyez. Déclare t- il satisfait.
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