CHAPITRE 16

La noirceur de son regard me transperce, me déstabilise, je suis à sa merci. Sa question est pourtant simple, concise mais je ne connais pas de réponse, je ne sais pas quoi lui répondre. Nous avons passé la journée à oublier, à s'amuser, se délecter de chaque moment que le présent a à nous offrir. J'ai laissé mes soucis de côté, il a fait de même. Les moments passés ensemble sont les plus beaux que la vie m'offre. Des instants uniques où le temps est en suspension, où notre amour semble indestructible peu importe notre souffrance et notre sombre passé. Il est ma délivrance, je suis condamnée à lui.

- Nolwenn ?

- Oui, pardon tu disais quoi déjà ?

Je retarde le moment où je devrais lui répondre. Sa question est anodine, sans but, elle ne changera pas le cours du temps ou notre vie mais elle me déstabilise profondément.

- Je disais, penses-tu qu'on peut être heureux ?

Je réfléchis encore un instant, analysant chacun de ses mots, cherchant un tout autre sens à cette question. Être heureux ? Cela relève de la fiction.

Le monde va si mal, il souffre et nous périssons avec lui. Nous passons notre temps à faire semblant, à nous dissimuler sous de fausses identités, de faux sourires, mais sommes-nous véritablement heureux ? Lorsque la douleur nous frappe, elle est profonde, elle nous entaille si profondément que notre cœur semble nous être arraché. Mais lorsque nous devrions être heureux, ce sentiment reste vague, flou, incertain, imperceptible. On dit souvent que c'est lorsque tout va mal que l'on se rend compte que tout allait bien. Mais peut-être que rien ne va jamais bien. Vous souvenez- vous de la dernière fois que vous avez été heureux ? Je veux dire vraiment heureux, heureux à en perdre la tête, heureux a en devenir fou, heureux à ne plus savoir ce que signifie la douleur. Pour ma part, non. Les seuls instants de bonheur et de plénitude, proviennent de mon passé, perdus dans mes lointains souvenirs. Lorsque nous sommes enfant, nous sommes heureux. Pour la simple et bonne raison que nous sommes jeunes, insouciants, innocents, nous ne connaissons rien du monde et de la dure réalité, nous pensons encore que la vie n'est qu'un conte de fée. Nous nous amusons d'un rien, nous nous inventons d'autres vies, d'autres mondes peuplés de fées et de bonheur. Nous sommes inconscients, ignorants de tout.

Et c'était bien mieux ainsi.

Mais il a fallu que le temps nous dévore, nous ronge, emportant avec lui notre naïveté si précieuse et nos rêves d'enfants. La triste réalité nous a peu à peu rattrapé. Les obstacles, les difficultés sont devenues de plus en plus insurmontables, nous faisant grandir, nous faisant doucement mourir. Nous nous contentons de vivre d'espoirs, de se lier à des bonheurs éphémères. Je suis heureuse avec lui, du moins c'est l'impression qu'il me donne. Mais cela ne durera pas, et lorsque Julian me quittera, me laissant seule, sans raison de vivre et sans âme, je sombrerais là où même les êtres les plus sombres n'ont jamais été. Il est celui qui me maintient en vie, il est ma dernière chance.

Alors à la question peut- on être heureux ? Je répondrais que non, c'est impossible. Le bonheur n'est qu'illusion, un rêve inaccessible.

La vie est la plus belle des épreuves.

- Nolwenn ? A quoi tu penses ?

Je sursaute. Sa douce voix me ramène à la réalité. Je plonge mes yeux dans les siens, esquissant un léger sourire. Je ne peux pas lui faire part d'aussi sombres pensées, je ne peux pas réduire ses faibles espoirs à néant, je ne peux pas lui dévoiler un tel message de désespoir. La vie est un échec certain, autant échouer dignement. Je veux profiter de ces instants avec lui. Notre rencontre est une bénédiction. Notre amour sera un jour une triste malédiction. Tout a un début mais aussi une fin. Je dois me préparer au pire, un terrible compte à rebours est lancé, mais je vivrais, je serais anéantie par notre fin, mais je sais qu'à ses côtés je vivrais ma vie telle qu'elle doit être réellement avec son lot de joie et de bonté.

- Oui... Je pense qu'on peut sûrement être heureux... Dis- je faiblement.

- Moi aussi. Tu en es la preuve.

Je rougis. Il a raison, une nouvelle fois nos âmes se lient, nos pensées se rejoignent. Il est mon unique accès au paradis.

- Toi aussi, je suis tellement bien à tes côtés.

- Ecoute Nolwenn, je sais qu'on est au bord du gouffre tous les deux. Mais je sais, je sens qu'ensemble on surmontera tout ça, tu es si différente.

- Julian, j'ai tellement besoin de toi.

Les mots m'ont échappé. Je quitte son regard, n'osant pas l'affronter. J'ai terriblement besoin de lui, comme de sa noirceur. Il est un tout, il est le centre autour duquel tout gravite. Il est symbole d'un nouvel espoir, d'une nouvelle chance, d'une nouvelle vie.

Peut-être suis- je amoureuse ? Non je chasse cette idée de mon esprit. Aimer de nouveau me paraît impossible tant l'amour est destructeur. L'amour a détruit ma vie, l'amour m'a tout prit, l'amour a fait de moi l'esclave de la souffrance, l'amour m'a quitté emportant avec lui tout ce que je suis, tout ce que j'étais. Pourtant, je n'ai jamais ressenti de tels sentiments, de telles émotions, un tel besoin d'autrui. Ma vie ne dépend que de lui, inconsciemment je lui offre tout mon être et toute mon âme.

Peut-être est- ce un sentiment au-dessus de l'amour ? Quoi donc ?

Je suis perdue, dépassée par cette attirance qui nous a si rapidement lié. C'est indéniable, nous ne pouvons pas vivre l'un sans l'autre. Je souffre de sa souffrance et partage sa joie et ses rires. Depuis que mon chemin à croisé le sien, la souffrance ne me gagne que lorsque je suis loin de lui. Le reste ne devient alors qu'une simple douleur. Je n'ai jamais éprouvé de tels sentiments. Je dois me rendre à l'évidence. Je dois vaincre mes peurs et renoncer au passé. Il n'est pas Preston. Il est Julian, cet être si parfait à mes yeux, cet être des ténèbres, cet être qui en seulement quelque jour est devenu tout ce que je suis. J'affronte enfin ce qui me terrifie tant. J'aime à nouveau, mon cœur s'est grâce à lui remit en marche, m'apprenant peu à peu que la vie à un sens.

Je l'aime.

Julian dépose tendrement sa main sur ma joue, mon corps tremble sous cette marque d'affection, frémit de plaisir. Je ne peux contenir un sourire. Il est tellement doux, sous cette souffrance qui le ronge réside un grand cœur, une âme pure. La vie lui a tout prit, mais j'ai le sentiment qu'avec moi, aimer lui redevient possible. Je ressens la même chose, depuis notre rencontre nous sommes devenus un seul être, partagé entre amour et douleur. Il est mon exutoire, il est différé du reste du monde. À nous deux, comme des enfants, nous avons créés notre monde, un monde où tout est plus beau, un monde où la souffrance n'est plus et où les regrets s'amenuisent. Notre monde.

- Nolwenn, Julian il est l'heure de manger ! Hurle ma mère du rez-de-chaussée.

Je soupire. Julian me regarde d'un air amusé, je lui souris franchement. Nous descendons lentement les escaliers et prenons place à table. Avant qu'il ne s'assoie, je lui dépose un tendre baiser sur la joue. Son visage rougit a vu d'œil, je le taquine d'un sourire moqueur. Il est gêné mais heureux. Je suis satisfaite, cette journée à ses côtés est tout ce dont j'avais besoin. J'aimerais que ces instants de plénitude ne s'arrêtent jamais.

Ma mère ne tarde pas à nous rejoindre, nous présentant avec fierté ses plats, nous racontant ses incroyables efforts culinaires. Elle va être déçue, Julian et moi ne mangeons que très peu, mais nous ferons un effort, pour elle. Malgré ses secrets, ses cachoteries, ma mère reste une des rare personne que j'aime dans ce monde. Je compte bien lui parler de la veille, uniquement après avoir profité de son délicieux repas.

Le dîner s'achève dans un calme devenu rare, tout est si paisible. Les discussions ont été diverses, les sourires échangés, incroyablement nombreux. J'avais l'impression de vivre ma vie comme elle devrait l'être, sans souffrance ni combat.

Mais je dois savoir.

Ce que j'ai entendu la veille m'a fait comprendre que je ne sais rien de ma mère, que je ne réalise pas la place d'Anita dans nos vies, que je ne suis pas au courant de tout me concernant. Les doutes me dévorent, je dois mettre un terme à ces zones sombres de notre passé.

- Maman ?

- Oui Wennie ?

J'hésite un instant.

- Qu'est- ce que je ne dois pas savoir ?

Elle blêmit. Son visage pâlit, abandonné de toutes couleurs. Les assiettes manquent de lui échapper des mains. Elle les dépose lentement dans l'évier. Sa lèvre inférieure tremble, son corps ne la tient plus. Elle ose à peine défier mon regard. En une phrase, quelques mots, une fraction de seconde, j'ai fait basculer ma mère dans les doutes et l'angoisse. Julian a cessé tout mouvement, retenant son souffle, attendant impatiemment la suite des évènements. Je suis consciente que cette si belle journée risque de se transformer en drame. Mais je dois savoir.

- Je... Je ne vois pas de quoi tu parles.

Sa voix est tremblotante, elle peine à articuler ses mots et à s'exprimer de manière audible et confiante. Elle confirme tous mes doutes.

- J'ai entendu votre conversation avec Anita hier.

- Je... Non... Ce n'est rien ne t'en fais pas.

- Maman arrête de me mentir ! Qu'est-ce que tu me caches avec Anita !

- Rien, rien ! Nolwenn arrête...

Les larmes lui montent aux yeux, une immense peur se reflète dans son regard. Mais de quoi a-t-elle peur ? Mon passé m'effraie de plus en plus. Un jour je saurais entièrement ce qui la tourmente tant, je maudis ce jour.

- Maman... Je t'en prie...

Elle souffle, retenant ses larmes du mieux qu'elle peut.

- Non Nolwenn, ce n'est rien, s'il te plaît oublie ça. C'est une affaire entre Anita et moi.

- Alors pourquoi je ne dois pas être au courant ?!

- Parce que ça fouterait définitivement ta vie en l'air !

Ces mots me blessent. Le choc est rude. Ce mensonge, ce secret est si dangereux, si meurtrier que ça ? Une larme roule sur sa joue, elle l'essuie vivement et part en direction de sa chambre.

- Bonne nuit les enfants. Désolée Wennie, je suis vraiment désolée.

Ses mots ont été prononcés dans un souffle. Elle est dévastée. Les émotions l'ont tant submergée qu'elle n'a pas pu se contenir. Elle était certainement à deux doigts de tout me dévoiler, mais insister l'aurais anéanti. Elle était si faible, si émue. Ses larmes m'ont raisonné. Je dois laisser le temps à ma mère de réfléchir. Un jour je connaîtrais l'abominable vérité, un jour ma vie sera définitivement foutue en l'air.

Pour le moment, je dois me concentrer sur Julian et ses démons. Je dois me concentrer sur son harcèlement et des solutions. Je dois faire abstraction de ma vie pour m'occuper de la sienne, de la nôtre. Au fond de moi, la vérité me terrifie. Je veux pouvoir vivre encore auprès de mon unique bonheur, lui.

Il me regarde, il semble désolé, je le suis aussi. Je me niche au creux de ses bras, cherchant le plus profond et sincère des réconforts. Au contact de son corps, mon être se détend, mes démons se dissipent. Il me serre avec puissance contre lui, une délicate puissance. Je m'apaise, me calme peu à peu.

- Julian...

- Mon ange...

Je mélange plus intensément mon corps au sien, mon âme à la sienne. Je me sens en sécurité, protégée de tous mes malheurs, délivrée de toutes mes peines. Je vais désormais laisser ma vie en suspens pour vivre à travers la sienne. Je vais le sauver, lui offrir une vie que je n'aurais probablement jamais la chance de connaître. Je l'aime j'en suis aujourd'hui certaine. C'est d'ailleurs mon unique certitude. Ma vie n'est qu'un incertain périple dont il est le guide et la lumière. Une sombre lumière d'espoir et d'amour.

En venant vivre ici, ma vie a pris un tout autre tournant. Elle m'a offert Julian. Elle m'a fait comprendre que mon passé m'est en fait inconnu. Ma vie a débuté avec lui, le jour où je l'ai rencontré. Elle est un éternel combat, mais aujourd'hui je ne suis plus seule.

Aujourd'hui, je suis prête à combattre demain. A présent, le futur m'appartient.

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