CHAPITRE 11
Je me crispe sur ma chaise, je sens chacun de mes muscles se tendrent. Mes dernières forces me quittent, m'abandonnent. La pièce, l'espace d'un instant, semble tourner autour de moi. J'avais pour unique objectif de l'oublier. Je devais m'éloigner de lui, pour le protéger, pour notre bien, pour ne plus souffrir. Mais en nous convoquant, le proviseur avait réduit à néant chacun de mes efforts. Chaque seconde loin de Julian me torture, me détruisent, mon besoin de lui ne fait que croître. Le temps aurait pu nous guérir. Le temps aurait pu me faire oublier ma dépendance à cet être inaccessible. Le temps aurait pu me délivrer de cette envie de lui, de son être, de ses lèvres. Le temps aurait pu nous apprendre à vivre l'un sans l'autre. Mais le destin ne nous laisse jamais de temps. Quoi qu'il arrive, l'avenir finit par nous réunir. Nous devons nous fuir, nous faisons tous ce que nous pouvons pour résister, en vain. Nous luttons contre l'impossible, quel qu'en soit le prix, nous nous retrouverons.
Julian se lève le premier. Sans même me regarder, il quitte la salle et se place aux côtés du proviseur. Un frisson me transperce, tous les regards sont désormais posés sur moi, sauf le sien. Je suis pétrifiée, je n'ai plus la force de lutter contre mon angoisse, contre Julian, contre le monde. Un éclair de rage semble traverser le proviseur, son regard devient sombre, puissant. Malgré toute ma volonté, mon corps ne semble pas décidé à se mettre en mouvement.
- Mademoiselle Coste, dépêchez- vous. Ordonne-t-il sèchement.
Sa voix me ramène à la réalité.
Il semble furieux.
Je dois le faire.
Je dois faire preuve de courage.
Je dois affronter les autres et leurs regards moqueurs.
Je dois affronter la vie. Je n'ai pas d'autre choix.
Je me lève.
Mes jambes peuvent à peine porter le reste de mon corps. Je tremble, trésaille à chacune de mes respirations. Je m'avance lentement vers la porte. Je ne veux pas les voir, je ne veux pas croiser leurs regards, je ne veux pas entrevoir leurs sourires moqueurs. Je manque de m'effondrer à chacun de mes pas. L'air me manque, mes respirations se font difficiles. Je suis à bout de souffle. Le silence règne en maître. Seuls les puissants battements de mon cœur résonnent à mes oreilles.
J'atteins enfin la sortie, saine et sauve.
Le proviseur ferme la porte derrière moi, sans un mot, en ne prêtant attention à personne.
D'un signe de la main, il nous ordonne de le suivre.
Julian n'est qu'à quelques centimètre de moi, j'ai pourtant l'impression qu'une distance infinie nous sépare. Je marche timidement à ses côtés, terrifiée, sans comprendre ce qui est entrain de m'arriver.
La vie ne fera que de me surprendre.
Nous entrons finalement, dans un grand bureau. Tout est ordonné, soigneusement rangé. Julian ferme doucement la porte derrière moi et prend place sur une chaise, à mes côtés. L'air se rarifie, je suffoque. Un profond malaise m'envahit.
Julian est là, juste là.
Il est si proche que mon cœur semble vouloir exploser dans ma poitrine. Je ne sens plus aucune parcelle de mon corps. Je ne ressens que son âme mélangée à la mienne. Je ne ressens que lui.
- Nous allons aller droit au but...
Je trésaille.
Je me détache de Julian pour me concentrer sur le proviseur. Sa colère m'angoisse. Je n'ai pas la force de me battre contre lui.
- Votre comportement, de la veille est inadmissible Monsieur Perett, saccager une salle d'étude, quelle honte !
- Pardon...
- Pardon ?! Vous ne trouvez rien de mieux à dire ?
- A l'évidence non.
Le regard de Julian se perd dans le vide, les paroles dites à son égard ne semble pas l'atteindre. Il est hors de portée.
- Et vous Mademoiselle Coste? Pourquoi l'avez- vous rejoint dehors ?
Sa question me surprend. Je comprends désormais la raison de ma venue. Il est vrai que dans les faits nous nous sommes vraiment mal comportés. Julian a totalement ravagé la salle, quant à moi, je me suis précipité dehors avec lui.
J'ai simplement voulu l'aider.
Il a besoin d'aide, il est maltraité par ses camarades, violenté. Il vit un cauchemar. Un cauchemar dépendant uniquement de la bonne volonté des autres, un cauchemar sans fin. Sans aide, il n'aura aucune échappatoire.
Je dois l'aider.
Ma vie n'avait aucun sens, aucune destinée. Il a réussi par un regard, un sourire, un baisé à me redonner espoir. Il est le sens qu'il manquait à ma vie. Il est l'espoir dont j'ai besoin. Rien ni personne ne m'empêchera de le protéger. Il pourrait me détruire, réduire à néant mon semblant de vie, jamais je ne l'abandonnerai. Il pourrait me fuir, me délaisser, jamais je ne le laisserai combattre le monde seul. Le besoin surpasse la haine. Il me fait perdre tout contrôle.
- Monsieur... Je sais que Julian a mal réagit, mais il faut essayer de comprendre, s'il vous plaît...
- Comprendre quoi Mademoiselle ? Tranche t- il.
- Julian est maltraité.
Les mots m'ont échappé, je ne les ai pas maîtrisés.
Julian me prête enfin attention.
Dès l'instant où cette phrase a été prononcé, il s'est tourné vers moi. Ses yeux s'agrandissent au fils des secondes, sa bouche s'ouvre puis se ferme à un rythme effréné. Il veut s'exprimer mais ses mots meurent au coin de ses lèvres.
Le proviseur prend la parole le premier.
- Ah... Intéressant...
- Oui, cela fait bien deux ans que ça dure. Il souffre beaucoup.
- Et donc... Qui le maltraite ?
- Personne. Le ton sec de Julian me rappelle sa présence dans ce débat, le concernant.
- Comment ça Monsieur Perett?
- Eh bien, elle ment. Il ne m'arrive rien. Ça ne sert à rien de mentir Nolwenn. Dit-il d'un ton mal assuré.
Je reste bouche bée.
- Ah... Mademoiselle Coste, je crois que votre ami n'est pas de votre avis. J'espère que vous n'inventez pas cette histoire dans le but d'échapper à la sanction.
- Non... Je... Mais...
- Bien alors qui lui inflige de telles tortures ? Se moque le proviseur.
- Tout le monde, je l'ai vu ! Julian, pourquoi tu ne lui dis pas toute la vérité. De quoi as- tu peur ?!
Julian me lance un regard terrifiant, il a retrouvé les ténèbres. Il veut que je me taise, mais je n'arrive pas à comprendre, je suis perdue, définitivement perdue.
Les larmes me montent, une multitude d'émotions me submergent.
Seul le silence me répond.
Le combat est perdu d'avance.
Mais pourquoi ne veut-il pas tout avouer ? Je ne le comprends plus.
- Bon... Je ne vais pas m'éterniser avec vous. L'un semble n'en avoir rien à faire et l'autre préfère chercher des excuses futiles pour espérer ne pas être puni. Vous êtes désormais dans ma ligne de mire. Vous rédigerez tous les deux des excuses formelles à votre professeurs concernant le matériel détruit et le manque de respect. Vous pouvez disposer.
- D'acc... D'accord Monsieur.
- Retournez en cours maintenant, rapidement. Réplique t- il d'un ton cassant.
Je m'empresse de sortir de ce bureau. Une haine incontrôlable m'habite. Je retiens mes larmes, j'ai envie de hurler, de pleurer, d'extérioriser toute ma rage.
Mais je ne peux pas.
Julian me rejoint.
- C'était quoi ça ?!
- Calme toi Nolwenn...
- Non !
Il m'attrape le poignet et m'éloigne du bureau. Nous commençons à monter à l'étage.
- Pourquoi as- tu menti ?!
- Ecoute, si je parle, les choses vont empirer. S'ils l'apprennent, ils vont de nouveau me frapper. M'explique-t-il.
- Tu dis vraiment n'importe quoi ! Tout va déjà mal, que tu parles ou non. Alors autant essayer de te faire aider non ?
- Non. Je ne peux vraiment pas, je ne dois prendre aucun risque. J'ai peur Nolwenn, comprend le, j'ai peur.
Je ne sais plus quoi dire. Je veux bien admettre que sa position est délicate. Mais il a préféré me ridiculiser devant le proviseur pour servir c'est propres intérêts.
Une larme roule sur ma joue.
Je n'en peux plus de me contenir, je n'en peux plus de faire semblant.
Vivre sans Julian est une torture à laquelle je ne survivrai pas. J'ai besoin de savoir j'ai besoin de comprendre, j'ai besoin de lui.
- Pourquoi tu m'abandonnes ?
Je lui ai posé cette question naturellement, sans y réfléchir. J'ai besoin de comprendre. Depuis ce baiser, ma vie a pris un tout autre tournant. Nous devons briser ce lien qui nous unit, nous devons nous tenir à distance l'un de l'autre.
Mais nos âmes n'en forment qu'une.
Nous souffrirons, quoi qu'il arrive, mais si je dois souffrir, je veux que ce soit avec lui. Je veux que ma douleur soit le résultat de notre noirceur, de cet être des ténèbres.
Je lui ai demandé de ne pas m'abandonner. J'ai presque supplié. Je veux briser nos limites, je ne veux plus résister.
- Je ne t'abandonnes pas.
- Mais depuis notre baiser...
- Nolwenn, nous ne pouvons pas. Nous ne gagnerons que la souffrance. Nos âmes sont noircies, si nous les unissons, elles provoqueront notre destruction. Me coupe t- il.
Je sais qu'il a raison, je suis consciente de notre erreur. Mais les efforts que je fais pour l'oublier me font plus sombrer que la destruction que provoquerai notre union. Je ne demande pas grand-chose. Si seulement la vie ne nous avait pas détruit.
Nous arrivons devant la salle.
Julian me regarde, ses yeux noirs intensifient les battements de mon cœur.
Il est si beau.
Je frisonne. Il m'offre son attention, un regard, un petit sourire en coin. Mon cœur bat la chamade. Je suis bouleversée. Ses paumettes, son visage si joliment dessinés me font fondre de désir.
Je perds tous mes moyens.
J'avais terriblement besoin de réconfort, terriblement besoin de lui. La bataille sera rude, il sera ma plus belle victoire, mon unique symbole de paix, mon unique espoir.
Nous entrons dans la salle.
- Allez-vous assoir, le cours va bientôt finir. Nous informe le professeur.
Sans prendre la peine de répondre, je m'empresse de m'installer à ma place. Le cours reprend mais mon esprit est ailleurs. Je suis perdue au milieu de millions de pensées, tant de questions sans réponse, tant de doutes. J'ai besoin de comprendre, besoin de savoir. Qu'allons-nous devenir ?
La matinée s'annonce longue et difficile.
Il est midi.
La solitude semble ne plus vouloir me quitter. A cette heure- ci, les couloirs devraient tous être vides, déserts. Pourtant un bruit sourd attire mon attention. Je me dirige en sa direction.
- Alors qu'as- tu balancé au proviseur ?! Hurle l'un des trois hommes avant de frapper violemment sa tête contre le mur.
Il avait tort, les choses empireront, il ne pourra rien n'y faire. La tête me tourne, l'angoisse s'empare de mon corps tout entier. Trois hommes l'encerclent, ils le frappent, ils essaient de lui soutirer des informations.
Tout est ma faute.
Je suis horrifiée.
- Tu as tout balancé ! C'est sûr, tu n'es qu'un faible ! S'écrit l'un de ses bourreaux avant de le gifler.
- Tu vas le payer Julian...
- Je n'ai rien dit ! Laissez-moi tranquille ! Se défend- il.
- Rien à foutre, on a besoin de se défouler de toute façon.
Ils ricanent, l'humilient, le détruisent.
Je suis spectatrice de son enfer.
Je ne peux pas le laisser se faire tuer à petit feu par tous ces inconnus. Je ne peux pas le laisser souffrir.
Il est le centre autour duquel tout gravite, j'ai besoin de lui, je ne suis rien sans lui.
Sans réfléchir, je m'élance vers Julian.
- Arrêter laissez-le !
- Qu'est-ce que tu vas faire blondasse ? Ricane-t-il.
- Je...
- Bien laisse les grands jouer tranquille.
Je suis hors de moi. Une fureur incontrôlable m'envahit. Je me rue sur l'homme et le pousse violemment loin de Julian. Je hurle, je pleure. Je ne sais plus ce que je fais. Je ne veux qu'une chose, le sauver.
- Tu vas le payer petite conne !
Je n'ai pas eu le temps de réagir ni de comprendre ce qui m'arrivait. Une intense douleur traverse ma tête. Mon crâne semble être tranché en deux tant le coup a été violent.
La pièce semble tourner autour de moi. Mon corps paraît difonctionnel, il ne réagit plus.
Des voix me parviennent, lointaines, elles résonnent dans mon esprit.
J'entends des pas précipités s'éloigner de moi, comme s'ils fuyaient.
Mon corps tombe lourdement sur le sol, m' infligeant le coup de grâce.
Mes paupières deviennent lourdes.
Seule une douleur aigüe se fait ressentir.
J'ai le sentiment de ne plus être là, le sentiment que mon corps m'abandonne.
J'aperçois son visage, il est ici, avec moi.
Ses traits sont flous, incertains mais je le reconnais. Il est mon unique rattachement à la vie. Il est simplement ma vie, celle que je n'ai jamais eu. Il est la meilleure rencontre que j'ai pu faire. Malgré notre noirceur, il est celui qui je sais bouleversera ma vie, il m'accompagnera jusque dans le néant.
Lutter me devient impossible.
Je suis un être vaincu.
Je ne ressens plus rien, je suis spectatrice de son enfer, spectatrice de mon échec.
La souffrance règne, elle aura raison de moi.
Je laisse la noirceur m'emporter, je laisse mes yeux se fermer.
Je suis plongée dans le néant.
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